Pascal-TrompettePascale Trompette, directrice de recherche au CNRS en sociologie et membre du laboratoire "Pacte Politique-Organisations" à l’Université de Grenoble.

Il y a seulement 10 ans, le nombre de décès couverts par un contrat obsèques était de 6 %. Aujourd’hui, ce serait plutôt une personne sur quatre et nous savons que dans un avenir proche, environ un tiers des décès seront associés à un contrat obsèques. On ne peut donc ignorer cette mutation majeure, d’autant qu’elle décrit d’ores et déjà des évolutions fortes, comme la montée de la crémation qui est aujourd’hui un choix dominant dans les contrats obsèques.

 

 

Pour les chercheurs, comprendre le changement que représente l’assurance décès suppose de tirer plusieurs fils. D’abord, plonger dans l’histoire et remettre en perspective ce qui est avant tout un moyen spécifique de financer ses obsèques. Comment les funérailles ont-elles été financées d’hier à aujourd’hui ? Il nous faut situer également cette évolution en France au regard d’autres pays, en particulier européens, comme le Royaume-Uni qui connaît le développement similaire des "pre-need" ou "pre-paid funeral arrangements". Et bien sûr, il nous faut comprendre ce marché particulier, en nous intéressant tout autant à la demande (les souscripteurs) qu’à l’offre (les assureurs et les opérateurs funéraires). Les recherches qui sont menées aujourd’hui en France abordent ces différents volets.

 

Nous bénéficions à cet effet d’une recherche entièrement consacrée aux souscripteurs de contrats obsèques, avec la thèse de Bérangère Véron (Sciences Po, "Observatoire Sociologique du Changement") : "Préparer sa fin de vie et ses obsèques : pratiques, enjeux, socialisation familiale. Le cas de la prévoyance funéraire". Cette thèse est riche d’enseignements et nuance beaucoup d’idées reçues.

 

Par exemple, le fait de souscrire à une assurance pour ses propres obsèques a longtemps été perçu comme l’expression d’une "individualisation" croissante dans nos sociétés.


Certes, le contrat obsèques peut être un moyen pour les personnes âgées seules ou peu confiantes envers leurs proches de sécuriser leurs funérailles. Mais Bérangère Véron montre que souscrire une assurance n’évacue pas la famille de l’organisation des obsèques, au contraire. C’est aussi une façon, parmi d’autres, de se préoccuper de l’avenir de son époux ou de ses enfants après sa mort. On anticipe la difficulté de la dépense et on leur épargne des décisions difficiles au moment des obsèques. Le contrat permet aux individus d’affirmer une autonomie et un libre-arbitre dans la gestion de leur mort, mais pas de façon absolue : l’objectif n’est pas de tout décider dans les menus détails mais d’inscrire des souhaits et des volontés, tout en continuant à reconnaître aux proches une place importante dans l’organisation des obsèques.

 

Étudiant les nouveaux contours de la pratique crématiste, Gaëlle Clavandier (sociologue, Centre Max Weber) relève également que la prévoyance permet aux personnes d’initier des discussions avec leurs proches (à l’échelle du couple, voire des enfants) et les aide ainsi à légitimer le choix du recours à cette pratique. Elle peut aussi constituer un moyen de spécifier des requêtes quant à la destination des cendres (dispersion en pleine nature, dans un jardin du souvenir, inhumation ou scellement sur un monument funéraire…).

 

En effet, on peut penser qu’avec la croissance mais aussi avec la diversification de la pratique crématiste, les comportements et représentations qui lui sont associés ont eux aussi évolué. Ainsi, si les "testaments crématistes" permettent d’énoncer ses dernières volontés, il semble qu’ils sont davantage le fait de militants associatifs, alors que les contrats obsèques touchent un public plus large qui vient à la crémation moins guidé par une philosophie ou des valeurs, que pour des raisons plus pragmatiques (nouveau rapport à la famille, au corps, au lieu du souvenir).

 

Du côté de l’offre de contrats obsèques, Olivier Boissin et moi-même (Université de Grenoble) menons aujourd’hui une étude sur l’entrée de l’industrie financière sur le marché des obsèques. Qu’observons-nous ? En premier lieu, que les enjeux sont beaucoup plus importants pour les opérateurs funéraires que pour les banques et les assurances. Pour les acteurs financiers, les contrats obsèques sont certes considérés comme attrayants parce que correspondant à un produit relativement sûr et rentable : les risques sont cernés, le besoin bien identifié (ce qui n’est pas le cas de la dépendance, par exemple), pour un marché qui s’annonce en croissance constante.

 

Mais ce segment du marché assurantiel n’en demeure pas moins marginal : les cotisations restent modestes et le marché cible est la propre base de clientèle de la banque ou de l’assureur, il ne peut espérer gagner de nouveaux clients avec ce type de produit. La principale préoccupation des acteurs financiers est donc de garantir la qualité de service et une couverture nationale, ce qui conduit à privilégier une grande entreprise ou un réseau de PME qui pourront s'engager sur de telles exigences. Au-delà, les assureurs que nous avons rencontrés manifestent une connaissance assez limitée du marché funéraire vis-à-vis duquel ils ne cherchent pas nécessairement à étendre leur pouvoir de marché.


Du côté des opérateurs funéraires, c’est évidemment tout l’inverse : ils craignent de devenir dépendants des banques et des assurances, qui contrôlent à la fois la partie financière et l’entrée sur le marché des services. D’où l’enjeu de faire évoluer la réglementation pour sécuriser le marché, fixer des règles de déontologie, garantir le libre choix des assurés ou des bénéficiaires, éviter des ventes liées, etc. Les plateformes apparaissent également comme un élément clé dans la façon d'organiser l'interface entre l'assurance et les opérateurs funéraires sur le marché de demain. Mais très clairement, ce sont les opérateurs funéraires qui sont proactifs dans la régulation de ce marché, beaucoup plus que les acteurs financiers ! Que ce soit en démarchant les assureurs pour développer l’offre, en développant leurs plateformes ou en revendiquant de nouvelles réglementations auprès de l’État.

 

Tout l’enjeu, aussi bien pour les acteurs du marché funéraire que pour les consommateurs, est bien d’éviter que de nouvelles positions monopolistiques ne se développent : le marché, et c’est là une belle spécificité française, doit rester pluriel, avec de grands acteurs historiques comme les PFG, une offre publique (régies, SEM), en particulier dans les grandes villes, et les établissements de pompes funèbres indépendants qui représentent les pompes funèbres de famille ou de village et auxquels les familles peuvent être attachées.

 

Pascale Trompette

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