Le colloque de restitution du "Traité des nouveaux droits de la mort" a eu lieu les 13 et 14 novembre derniers à l’Université du Maine au Mans. Réalisé en partenariat avec le Collectif L’Unité du Droit et le laboratoire Themis-UM (ea 4333, Université du Maine), les laboratoires Cersa (UMR 71006, Université Paris II) et C3rd (Université catholique de Lille) et avec le soutien de l’Institut Français de Formation des Professions du Funéraire (IFFPF), du magazine Résonance funéraire et du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public. Dans le même temps, les participants ainsi que les étudiants de l'Université du Maine auront eu le plaisir de découvrir une exposition de l’artiste André Chabot, "La nécropole mélancolique" organisée au cœur de la bibliothèque universitaire "Vercors". Retrouvez ci-après le résumé des interventions de quelques contributeurs.

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Mathieu Touzeil-Divin fmt1
Mathieu Touzeil-Divina

1 - Pour un service public (extérieur) réaffirmé des pompes funèbres !

Par Mathieu Touzeil-Divina, professeur de droit public à l’Université du Maine, directeur du laboratoire Themis-Um (ea 4333), président du Collectif L'Unité du Droit, avec Mélina Elshoud et Élise Mouriesse, doctorantes en droit public aux Universités du Maine et de Paris II (CERSA), membres du laboratoire Themis-Um (ea 4333) et du Collectif L'Unité du Droit.

Il existe plusieurs activités funéraires mais, au sens strict, une seule (outre la question domaniale des cimetières) a reçu la qualification normative de service public : le "service extérieur des pompes funèbres", c’est-à-dire celui qui concrètement organise le "transport", ou "dernier voyage", du défunt vers sa dernière demeure et les obsèques (inhumation, exhumation et crémation essentiellement). Si la doctrine n’est pas unanime sur la nature de ce service (communal ou étatique, administratif ou industriel et commercial), elle est néanmoins univoque sur son caractère de "service public" (reçu de la loi).
Nous concernant, dans le "Traité des nouveaux droits de la mort" comme dans la contribution qui en a été issue lors du colloque manceau les 13-14 novembre derniers et – même – dans la proposition de loi que nous en avons tirée (et qui est incluse dans ledit Traité), nous avons décidé de déduire quelques-unes des conséquences qu’il nous semblait falloir et devoir énoncer à partir de cette qualification législative de service public. En effet, nous estimons qu’en la matière, comme dans d’autres secteurs d’activité, il arrive parfois que les opérateurs (publics comme privés) du secteur ne prennent pas toujours en compte cette qualification de service public et les conséquences qu’elle emporte pourtant, et ce, comme s’il ne s’agissait que d’un "label" de certification. Au nom du service public, en lequel nous croyons, et qui permet de réaffirmer que la République entend accompagner ses citoyens défunts et s’en préoccupe, nous avons décidé de faire quelques propositions.
Au préalable, nous avons pris parti dans notre contribution quant à la nature étatique (et non communale) du service public considéré (notamment eu égard au fait que son autorité stratégique est en premier lieu l’État, notamment via les préfets de département lors de la procédure d’habilitation des opérateurs sectoriels). En outre, nous avons rappelé que si nous affirmions le caractère "obligatoire" de ce service, il n’existait a priori et pour autant aucun fatalisme ou déterminisme s’agissant de sa gestion (dans lequel les personnes publiques et/ou privées peuvent intervenir et dont les modalités ne tendent pas nécessairement et exclusivement à la reconnaissance d’un service dit industriel et commercial).
Cela dit, la qualification législative de "service public" emporte une conséquence substantielle : elle fait reposer, sur le service extérieur des pompes funèbres et sur ceux qui l’exploitent, le respect des principes d’égalité, de continuité, et de mutabilité (connus sous le nom de "lois de (Louis) Rolland") ainsi que des objectifs plus récents qui ont pu en découler (au nombre desquels la transparence, l’efficacité, l’accessibilité, la libre concurrence, la neutralité, la gratuité ou encore la qualité). Ce sont ces principes que nous avons voulu confronter à l’activité funéraire du service extérieur des pompes funèbres.
L’égalité, la continuité et la mutabilité sont les trois grands principes qui régissent le fonctionnement des services publics depuis le début du siècle dernier et qui doivent conséquemment régir celui du service extérieur des pompes funèbres.
De ces trois objectifs, la continuité du service public est celui qui est le mieux réalisé : le service extérieur des pompes funèbres est présent et organisé sur tout le territoire. Au-delà de l’exigence morale de la prise en charge rapide du défunt, il s’agit d’un enjeu sanitaire que les pouvoirs publics et les opérateurs funéraires traitent comme tel. Des délais stricts, le remplacement des autorisations administratives par un système de déclarations préalables, l’existence de sanctions administratives (suspension de l’habilitation préfectorale) pour le prestataire du service qui n’exerce pas ou cesse d’exercer ses activités, ou encore l’existence d’un "service minimum" en cas de grève participent à assurer la continuité du service. Dans l’histoire récente, l’épisode caniculaire de l’été 2003 a offert une belle preuve de la capacité des opérateurs du service extérieur des pompes funèbres à prendre en charge, sans discontinuité, les défunts et leurs familles.
Le respect du principe d’égalité quant à lui se mesure à la capacité offerte à chacun d’accéder au service indépendamment de sa situation géographique, sociale, financière, de ses convictions religieuses ou politiques, ou même de l’état de son corps. Or, à l’analyse, sur plusieurs de ces points, l’égalité nous a semblé loin d’être parfaite. Pour ne prendre que deux exemples : quant à l’égalité indépendamment des ressources financières, il faut souligner l’obstacle que forme, pour un certain nombre d’usagers, la tarification du service public funéraire. Bien que le législateur ait organisé la gratuité du service pour les "personnes dépourvues de ressources suffisantes", la portée de ce dispositif est largement atténuée par l’imprécision de la notion de "ressources suffisantes".
Du reste, il faut regretter l’inexistence persistante de ce que l’on pourrait appeler un "prix plancher", ou "premier prix", qui permettrait à tous les usagers, s’ils le souhaitent, d’accéder aux prestations obligatoires, sur tout le territoire, à un prix juste et une qualité acceptable. Quant à l’égalité indépendamment de sa santé et de l’état de son corps, il faut relever les difficultés rencontrées par les défunts atteints de maladies contagieuses et leurs familles, pour bénéficier de l’ensemble du service public funéraire. Si aucune situation (maladie, infection, accident) n’empêche la tenue de funérailles, les exigences de l’intérêt général en matière de santé, de salubrité et de sécurité publique imposent de réserver un traitement différent à certains défunts (prestations obligatoires supplémentaires ou prestations facultatives interdites). Dès lors que les progrès scientifiques permettent de réduire le champ du principe de précaution quand les risques sont, sinon nuls, en tout cas moindres et acceptables, il faut veiller à ce que les différences de traitement qui se justifiaient hier se justifient toujours aujourd’hui.
Enfin, le principe de mutabilité du service public énoncé par Louis Rolland lui impose de s’adapter, notamment aux nouveaux besoins de ses usagers. Si le service extérieur des pompes funèbres a prouvé sur bien des aspects sa capacité à se façonner à nos défunts contemporains et aux nouveaux besoins de leurs familles (de l’évolution de la profession funéraire à celle du cercueil), il reste encore des éléments nécessaires et constitutifs de ce service qui sont étanches à la mutabilité. Les techniques qui permettent de faire disparaître nos défunts (inhumation et crémation) peuvent en être l’exemple.
La qualification législative de service public implique également, pour le service extérieur des pompes funèbres, la réalisation de nouveaux objectifs, et parmi eux, la qualité, la concurrence et la transparence. Les réformes dites Sueur de 1993 puis de 2008 ont eu pour ambition expresse de poursuivre ces objectifs.
Alors que la première loi de janvier 1993 a souhaité mettre un terme au monopole communal en ouvrant le service extérieur des pompes funèbres (s’agissant des inhumations et non encore de la crémation) à la concurrence, il est notable que ce monopole persiste en matière de création et de gestion de crématoriums et que le recours aux mentions de "délégataire officiel de la ville" et "régisseur officiel de la ville" est susceptible, dans la pratique, de fausser le jeu concurrentiel. Actuellement, la procédure de délivrance de l’habilitation préfectorale ne prend en compte aucun élément lié à la concurrence et, logiquement, la suspension et le retrait de l’habilitation ne peuvent intervenir pour ce motif.
Les porteurs de la présente contribution militent conséquemment en faveur d’un contrôle plus matériel et visible de l’État, autorité stratégique réaffirmée du service public, qui ne doit pas se contenter d’habiliter a priori mais doit aussi vérifier et réguler a posteriori. En outre, alors même qu’en 1993 l’ouverture à la concurrence devait permettre d’entraîner une baisse du prix des prestations funéraires, elle n’a pas eu les effets escomptés. Le principe de transparence semble désormais le plus à même de la réaliser, notamment par l’encadrement et la transmission des devis types édictés par les opérateurs funéraires, l’édiction d’une documentation officielle concernant les prestataires et prestations proposés, ou encore la proclamation d’un secret professionnel des pompes funèbres. Ces propositions doivent également permettre de favoriser la comparaison des tarifs par des usagers dont la capacité rationnelle peut, dans le contexte de deuil, être restreinte.
Enfin, le principe de qualité reste difficile à mettre en œuvre, en l’absence de la définition de réels objectifs qualitatifs ainsi que de la précision des obligations de contrôle des autorités préfectorales en la matière.
Sans doute, le respect de tous ces principes et objectifs par le service extérieur des pompes funèbres prend une importance d’autant plus singulière qu’il n’est pas pour les usagers un service "facultatif" mais "obligatoire" par la force des choses.
Les détails issus de cette contribution, qui a reçu un soutien de l’assemblée présente au colloque des 13-14 novembre 2014 et provoqué quelques débats, se trouvent à la dernière section du dernier chapitre du tome I du "Traité des nouveaux droits de la mort". Ils n’engagent que leurs trois auteurs et sont en cours d’approfondissement afin d’être soumis au législateur.

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Damien Dutrieux

II - Quels "espaces" pour la mort ?

Par Damien Dutrieux, consultant au Cridon Nord-Est, maître de conférences associé à l’université de Lille 2, centre "Droits et perspectives du droit".

S’interroger sur les "espaces" pour la mort pourrait amener à étudier les lieux en quelque sorte "traversés" par le cadavre depuis son décès jusqu’à ce qu’il reçoive sa sépulture définitive. En effet, tous ces lieux sont généralement fortement concernés par le droit public.
Le décès, tout d’abord, qui intervient le plus souvent à l’hôpital, doit être déclaré à l’état civil. Le corps va être généralement déposé à la chambre mortuaire (service public hospitalier) ou à la chambre funéraire (service extérieur des pompes funèbres). Ensuite, des funérailles (service extérieur des pompes funèbres) et jusqu’à la "sépulture" (crématorium ou cimetière), se rencontrent notamment trois services publics communaux (le cimetière, le crématorium et le service public extérieur des pompes funèbres ; M.-T. Viel, "Droit funéraire et gestion des cimetières" : coll. "Administration locale", 2e éd., Berger-Levrault 1999, p. 14).
Néanmoins, le choix a été fait de se "limiter" à la "dernière demeure" du corps ou des cendres résultant de la crémation de celui-ci. Après avoir rappelé que c’est traditionnellement le cimetière communal qui constitue l’espace réservé à la mort, sera relevé que le droit public français permet ou a permis l’existence de nombreux autres espaces.

I - Les cimetières comme "espaces" traditionnels s’adaptant aux nouvelles pratiques funéraires

Le cimetière s’avère l’espace traditionnel pour la mort. Il est d’ailleurs possible de rappeler qu’avec l’église et la mairie, il constitue l’un des trois dénominateurs communs de l’ensemble des communes de France. Néanmoins, alors qu’il est possible de considérer qu’aujourd’hui le cimetière est avant tout un espace laïc et obligatoire qui, depuis la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire, est ouvert aux cendres, la création du monopole communal a essentiellement pour justification des préoccupations d’hygiène publique.

A - Le décret du 23 prairial an XII, le fondement de l’espace public obligatoirement réservé aux morts
La "dernière demeure" des corps a tout d’abord été le cimetière, qui connaît un régime juridique qui n’a que relativement peu évolué depuis 1804.

a) Une "intervention" publique pour des raisons liées à la salubrité
C’est, tout d’abord, devant l’impuissance ou l’incurie de l’autorité religieuse à véritablement traiter les problèmes d’hygiène que pose le corps mort (inhumé à l’intérieur et aux abords des églises) que se sont naturellement justifiées les premières interventions du pouvoir civil dans cette matière traditionnellement aux mains de l’autorité religieuse. De ce premier combat pour la protection de l’hygiène publique résulte la sécularisation des cimetières (1804). Un siècle plus tard, il s’agira de la sécularisation du service extérieur des pompes funèbres qui, quant à elle, résulte du second combat, celui de la laïcité.
Force est d’admettre que les cimetières ne seront pas correctement gérés et entretenus. Ce sont d’ailleurs des nécessités liées à la prophylaxie qui amèneront les autorités publiques à des interventions pour tenter de déplacer les cimetières en dehors des villes. Ce sera l’un des premiers effets du décret du 23 prairial an XII que d’obliger les communes de plus de 2 000 habitants de transférer leurs cimetières en dehors du bourg (P. Pellas, "Le nouveau régime de localisation des cimetières : de la "relégation" à la "réinsertion" : JCP G 1987, I, 3297).

b) Le cimetière communal obligatoire
Les auteurs s’accordent pour considérer que la sécularisation du cimetière a davantage eu pour objet les considérations en matière de santé publique qu’une préoccupation de rendre "laïque" cet espace qui d’ailleurs ne le deviendra qu’après 1881.
Cependant, si "l’État" est compétent en matière de cimetière, l’Église conserve les funérailles, dont elle reçoit le monopole. Il est possible de noter d’ailleurs que, malgré la propriété communale des cimetières, les fabriques se trouvaient chargées de leur entretien (art. 37 du décret du 30 décembre 1809 ; G. Chaillot, "Le droit funéraire français" : éd. Pro Roc 1997, tome 2, p. 43-46).
Le deuxième combat, celui de la laïcité républicaine, viendra certes s’achever par l’affirmation d’un monopole communal pour le service public des pompes funèbres (loi du 28 décembre 1904), après avoir proclamé la liberté des funérailles dans cette grande loi, toujours applicable, du 15 novembre 1887 (M. Perchey, "La liberté des funérailles, une liberté limitée" : AJDA 2008, 1310 ; J.-F. Boudet, "La liberté des funérailles : Droits et religions" – Annuaire 2010-2011, P.U. Aix-Marseille 2011, p. 183), mais doit être principalement relevée ici la laïcisation du cimetière avec les lois des 14 novembre 1881 et 5 avril 1884.
Deux modes de sépulture dans le cimetière communal créés en 1804 – le terrain commun et les concessions – ne doivent néanmoins pas tromper sur la pratique funéraire, qui a grandement privilégié le second mode en concession particulière, le premier (le terrain commun) se trouvant "de facto" réservé aux indigents. En effet, si les deux facultés sont offertes, les mœurs funéraires ont rapidement privilégié les concessions de famille.

B - Le cimetière public laïque et ouvert aux cendres
Deux éléments méritent d’être retenus au regard de l’évolution législative et réglementaire connue par les cimetières : l’affirmation de la laïcité – alors que le décret de l’an XII impliquait un cimetière par religion ou la matérialisation de séparations entre religion au sein du cimetière – et l’accueil des cendres par l’introduction d’un site cinéraire obligatoire dans certaines communes ou intercommunalités.

a) La laïcité du cimetière
La loi du 14 novembre 1881 a abrogé l'art. 15 du décret du 23 prairial an XII, qui prévoyait l'obligation pour les communes de réserver dans les cimetières une surface proportionnelle aux effectifs de fidèles des différents cultes et faisait aux familles obligation de déclarer le culte du défunt. De même, depuis 1905, le respect d'une stricte neutralité s'impose à l'Administration, tant pour l'organisation et le fonctionnement des services publics que pour les monuments publics sur lesquels il est interdit d'élever ou d'apposer tout signe ou emblème religieux. Cependant, l'art. 28 de la loi du 9 décembre 1905 exclut de cette dernière règle les terrains de sépulture dans les cimetières et les monuments funéraires.
Dans les cimetières publics, eu égard aux règles évoquées, il ne peut donc exister, aux yeux de l'autorité publique, une quelconque distinction entre les sépultures selon le caractère religieux (ou l'absence de caractère religieux) qu'elles revêtent – ce qui, d'ailleurs, rejoint la définition de la laïcité en droit public énoncée par le doyen Vedel selon laquelle "la laïcité correspond à l'affirmation que l'État considère la croyance ou l'incroyance comme affaire privée" (G. Vedel "Manuel de droit constitutionnel" : Sirey, 1949, p. 318). Dans les cimetières publics, la laïcité s'exprime donc principalement par deux principes : une liberté d'expression des convictions religieuses sur les lieux réservés aux sépultures en application de l'art. 28 de la loi du 9 décembre 1905, et une stricte neutralité des parties publiques du cimetière.
Des correctifs doivent cependant être apportés à ces deux principes. Tout d'abord, les signes religieux présents dans les cimetières avant la loi de 1905 peuvent y être maintenus, entretenus et réparés par la commune. Ensuite, le maire parvient, en raison de ses prérogatives relatives au choix de l'emplacement des sépultures et concessions, à regrouper certaines tombes en raison de la confession commune des défunts inhumés. C'est cette dernière faculté qui permet de créer des carrés confessionnels, solution qui, bien qu'illégale (TA Grenoble, 5 juillet 1993, Épx Darmon : JCP 1994. II. 22198, note P.-H. Prélot ; J.-F. Boudet, "Les cimetières doivent-ils rester des espaces publics ?", Dr. adm. 2009, étude 4), est encouragée (D. Dutrieux, "Cimetières et cultes : la solution des carrés confessionnels illégaux dans les cimetières communaux" : AJCT juin 2012, p. 298-301).

b) Des sites cinéraires obligatoires dès 2 000 habitants
Au sein du cimetière, la commune va accueillir un site cinéraire, qui peut être obligatoire (D. Dutrieux, "La commune et la crémation", in B. Py et M. Mayeur, "La crémation et le droit en Europe" : coll. "Santé, qualité de vie et handicap", 2e éd., Presses Universitaires de Nancy 2011, p. 239-256). En effet, à compter du 1er janvier 2013, dans la rédaction de l’art. L. 2223-1 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) – qui définit les conditions de création, d’agrandissement des cimetières – issue de l’art. 14 de la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire, est imposé aux communes de 2 000 habitants et plus de disposer d’au moins un cimetière et un site cinéraire. La même obligation est imposée aux établissements de coopération intercommunale compétents en matière de cimetières, regroupant 2 000 habitants et plus (à noter que ce seuil de population correspond également à celui fixé par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) pour la définition des unités urbaines, autrefois les villes).
Ce site cinéraire doit contenir au minimum un espace de dispersion, et soit un columbarium, soit des sépultures (concessions) d’urnes.


II - Les nombreux autres "espaces" pour la mort
Contrairement à ce qui est parfois un peu rapidement affirmé, l’interdiction des cimetières privés ne résulte pas d’une disposition législative explicite. L’art. L. 2223-1 du CGCT, qui impose aux communes de consacrer à l’inhumation des morts un ou plusieurs terrains spécialement aménagés à cet effet, ne contient manifestement aucune disposition en ce sens. Ainsi, l’inhumation, qui n’est interdite que dans les lieux de culte (art. L. 2223-10 du CGCT), peut être exceptionnellement autorisée par le préfet dans des propriétés privées (art. L. 2223-9 du CGCT). D’ailleurs, existent encore des cimetières privés, mais leur création et leur agrandissement sont prohibés par la jurisprudence (CE, Ass., 17 juin 1938, Dame veuve Rode : Rec. CE 1938 p. 549 ; CE, 18 juin 1944, Sieur Lagarrigue : Rec. CE 1944 p. 237 ; CE, 13 mai 1964, Sieur Eberstarck : Rec. CE 1964 p. 288 ; CA Aix, 1er février 1971, Sieur Rouquette : AJDA 1972 p. 111). Sur la base de cette interdiction affirmée par le juge de créer de nouveaux cimetières privés ou d’agrandir les anciens cimetières, est donc consacrée l’existence d’un monopole communal en matière de création et d’aménagement. À cette particularité s’ajoute le régime dérogatoire des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. Il importe également de noter que la dispersion des cendres est toujours autorisée en pleine nature.
C’est pourquoi existent, à côté des cimetières communaux ou intercommunaux, des lieux de sépultures privés qui peuvent résulter de l’histoire ou d’une délégation de service public. Ensuite, les corps et les cendres peuvent se trouver en dehors d’un lieu "collectif" de sépultures, qu’il s’agisse d’une propriété privée ou de la pleine nature (lieu le plus souvent public mais qui peut également être un lieu privé). La distinction choisie aura donc trait au caractère "collectif" ou non de l’espace consacré aux corps ou aux cendres.
Évidemment, et au préalable, sera rappelée l’existence de cimetières militaires (P. Minne, "Les cimetières militaires" in D. Dutrieux [dir.], "Guide des opérations et services funéraires" : WEKA 2004-2013 ; M.-T. Viel, ouvrage précité, p. 231). En réponse à la question d’un sénateur, le Gouvernement a indiqué (réponse n° 3858 publiée au JO, 5 octobre 1989, p. 1636) que 710 000 tombes individuelles de militaires morts pour la France ayant droit à la sépulture perpétuelle aux frais de l’État se répartissent en 251 nécropoles nationales, 2 782 carrés militaires dans les cimetières communaux et 887 cimetières militaires à l’étranger. La liste précise est établie par l’arrêté ministériel du 24 juillet 1990 (JO, 3 novembre 1990, p. 13401).
L’inhumation au Panthéon, prévue par l’Assemblée constituante le 4 avril 1791 pour commémorer les grands hommes de la patrie, obéit à d’autres règles, et il n’appartient qu’au Président de la République de prendre une telle décision (Rép. min. n° 08924, JO Sénat Q, 9 janvier 2014, p. 82 ; sur les quatre prochains "admis" : Rép. min. n° 54189, JOAN Q, 2 septembre 2014, p. 7371).

A - Les cimetières privés et les sites cinéraires concédés
Alors que le principe de laïcité s’impose aux cimetières publics, il convient de garder à l’esprit qu’existent encore aujourd’hui des cimetières privés et que trois départements français connaissent un régime juridique particulier. À ces cimetières privés s’ajoutent des sites cinéraires concédés.

a) Les cimetières autorisés en 1806
Ces cimetières privés résultent, tout d’abord, de ce que l’on pourrait maladroitement qualifier d’un "oubli" du législateur. En effet, le monopole des funérailles accordé par le décret du 23 prairial an XII ne concernait pas les personnes de confession juive, qui furent autorisées à régler par elles-mêmes leurs funérailles (voir notamment le décret du 10 février 1806 ; à noter qu’à cette même époque ont été institués des carrés confessionnels juifs dans de nombreux cimetières). Si ces cimetières existent et qu’il est possible qu’y soient encore pratiquées des inhumations et des exhumations, ces cimetières – qui sont juridiquement soumis au pouvoir de police du maire en application du CGCT (art. L. 2213-10) – aujourd’hui ne peuvent plus être agrandis. Ces cimetières se situent dans les villes regroupant traditionnellement des communautés israélites, comme Strasbourg, Belfort, Lyon, Carpentras, Marseille… Aucun nouveau cimetière ne peut d’ailleurs être créé, comme l’a décidé très clairement le Conseil d’État (arrêts "dame Veuve Rode", "Sieur Lagarrigue", "Sieur Eberstarck", précités).

b) Le régime du droit local alsacien-mosellan
À l’exception que constituent les cimetières privés créés au XIXe siècle s’ajoute, ensuite, le régime législatif et réglementaire particulier que connaissent les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle (art. L. 2542-1 du CGCT). La principale particularité juridique de la législation applicable aux cimetières de ces trois départements réside dans le fait qu’y est toujours en vigueur l’art. 15 du décret du 23 prairial an XII (abrogé en 1881 pour les autres départements) selon lequel : "Dans les communes où l’on professe plusieurs cultes, chaque culte doit avoir un lieu d’inhumation particulier ; et dans le cas où il n’y aurait qu’un seul cimetière, on le partagera par des murs, haies ou fossés, en autant de parties qu’il y a de cultes différents, avec une entrée particulière pour chacune, et en proportionnant cet espace au nombre d’habitants de chaque culte." Ce régime particulier a ainsi permis la création d’un cimetière musulman à Strasbourg, inauguré le 6 février 2012.

c) Les sépultures des congrégations
Enfin, peuvent être évoquées les congrégations, qu’il s’agisse des concessions dont elles disposent dans de nombreux cimetières ou de leurs cimetières privés. Si des concessions, souvent anciennes, existent dans le cimetière et ont reçu les corps des sœurs et frères de différents ordres pour l’inhumation desquels la sépulture a été fondée, il convient d’observer que plusieurs difficultés se posent à l’autorité municipale. Tout d’abord concernant la validité de la fondation de la concession, puisque se pose nécessairement la question du titulaire de la sépulture. En principe, une personne morale ne peut être titulaire d’une concession funéraire, puisque celle-ci a pour objet de "fonder [la] sépulture [du titulaire de la concession] et celle de [ses] enfants ou successeurs" (art. L. 2223-13 du CGCT). De délicates questions vont se poser lorsqu’il s’agira d’exhumer ou de réduire les corps présents dans la concession, puisque tant les textes que la jurisprudence imposent que la demande soit présentée par le plus proche parent du défunt (art. R. 2213-40 du CGCT), ce qui ne sera jamais le cas juridiquement.

d) Les sites cinéraires concédés
Il importe de relever tout d’abord la maladresse du Gouvernement qui a, pendant plus de trois années, prévu la possibilité de déléguer à une personne privée la gestion d’un site cinéraire en dehors de toute délégation d’un crématorium, dans l’ordonnance n° 2008-855 du 28 juillet 2005 relative aux opérations funéraires (D. Dutrieux, "Opérations funéraires, crémation et sites cinéraires" : à propos de l’ordonnance du 28 juillet 2005 : JCP A, 5 septembre 2005, act. 517, p. 1312). Cette faculté a été supprimée par la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire. L’art. 23-III de cette loi n° 2008-1350, à propos des sites délégués sur le fondement de l’ordonnance du 28 juillet 2005 précitée, a d’ailleurs prévu la reprise de ces sites dans un délai de cinq années.
Ensuite, la loi du 19 décembre 2008 a modifié l’art. L. 2223-40 du CGCT pour créer un monopole communal, puisque l’alinéa 1er "in fine" de cet article prescrit que "les sites cinéraires inclus dans le périmètre d'un cimetière ou qui ne sont pas contigus à un crématorium doivent être gérés directement".

B - Les propriétés privées et la pleine nature
Propriétés privées et pleine nature constituent deux "espaces" respectivement pour les corps et les urnes, et pour la dispersion des cendres.

a) Inhumation en propriété privée de corps et d’urnes
La possibilité de fonder sa sépulture sur une propriété privée, comme le rappelle la doctrine administrative (Rép. min. n° 42778, JOAN Q, 3 juillet 2000, p. 4013 ; Rép. min. n° 96869, JOAN Q 17 octobre 2006, p. 10902 ; Rép. min. n° 44012, JOAN Q 8 septembre 2009, p. 8617) est toujours prévue par le CGCT dans son art. L. 2223-9. Cet article dispose en effet que : "Toute personne peut être enterrée sur une propriété particulière, pourvu que cette propriété soit hors de l’enceinte des villes et des bourgs et à la distance prescrite." Le préfet ne peut délivrer l’autorisation du vivant de son bénéficiaire, et est en droit de la refuser pour des motifs liés à l’ordre public (CE, 12 mai 2004, n° 253341, Association du Vajra Triomphant : Collectivités territoriales – Intercommunalité n° 8, août 2004, comm. 175, obs. D. Dutrieux).
Il convient de relever que ce qui est couramment qualifié de cimetières familiaux en Corse consiste en des inhumations en propriété privée et non pas en la création de véritables cimetières équivalents aux cimetières confessionnels créés au XIXe siècle.
La difficulté avec ces inhumations, c’est qu’elles peuvent être – et elles le sont en pratique ! – autorisées concernant des urnes cinéraires (D. Dutrieux, "Destination des cendres : un opportun rappel du ministre de l’Intérieur", obs. sous Rép. min. n° 55580, JOAN Q 22 juin 2010 : JCP N, n° 42, 22 octobre 2010, 1326). Or, il importe de rappeler que, dès lors qu’un corps ou une urne a été inhumé sur une propriété privée avec l’accord préalable du préfet, la famille jouit d’une servitude de passage non publiée lui permettant de venir se recueillir sans que le propriétaire puisse s’y opposer (CA Amiens, 28 octobre 1992 : D. 1993, p. 370, note P. Plateau ; JCP N 1993, II, p. 384, note J. Hérail ; Cass. 3e civ., 1er mars 2006, no 05-11.327), ce qui a pour effet de porter atteinte à la valeur de l’immeuble.

b) Dispersion des cendres en pleine nature
Comme l’indiquent expressément les dispositions de l’art. L. 2223-18-2 du CGCT, les cendres peuvent être dispersées en pleine nature (sauf sur les voies publiques). La commune conserve toutefois une responsabilité en la matière. En effet, selon les dispositions de l’art. L. 2223-18-3 du Code précité, en cas de dispersion des cendres en pleine nature (lieu non clos, non bâti… il va s’agir d’une forêt, d’une montagne, de la haute mer… mais il ne peut s’agir d’un jardin privé), la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles en fait la déclaration à la mairie de la commune du lieu de naissance du défunt. Ce même article précise que l’identité du défunt ainsi que la date et le lieu de dispersion de ses cendres sont inscrits sur un registre créé à cet effet. Il sera observé que l’obligation, un temps imposée, d’une déclaration préalable du lieu de dispersion, par le décret du 12 mars 2007, a été implicitement abrogée par la loi du 19 décembre 2008, et a été expressément supprimée par le décret n°  2011-121 du 28 janvier 2011.

Que conclure sur un tel sujet, sauf à rappeler, d’une part, qu’il demeure absolument nécessaire de comprendre que le principe doit demeurer celui d’espaces "publics", et, même si l’on peut comprendre l’intérêt d’un investissement privé et les réalisations qu’il permettrait éventuellement, outre la question de l’égalité devant la mort, il n’est pas inutile de toujours prendre en compte l’avanie que constituerait la faillite du propriétaire d’un cimetière privé…

D’autre part, et enfin, quel que soit cet espace, il mérite un respect absolu, et il convient de se rappeler l’avertissement du professeur Jacques Georgel, mis en exergue de sa belle étude jurisprudentielle ("Notre dépouille mortelle" : AJDA 1963, p. 607) : "L’homme ne reste pas sans émotion à la vue du tombeau. Le cimetière est un lieu où doit se manifester le sentiment le plus pur."

III – Les travailleurs de la mort - L’exemple des pompes funèbres
 
Par Morgan Sweeney, maître de conférences de droit privé Université Paris-Dauphine, vice-président du Collectif L'Unité du Droit.

Existe-t-il, du point de vue du droit du travail, un statut particulier pour ceux qui, quotidiennement, sont confrontés à la mort ? Non, le Code du travail ne prévoit que quelques règles particulières, et la convention collective de branche ressemble, dans son contenu, à beaucoup d’autres. Néanmoins, les entreprises de service extérieur de pompes funèbres, qui consiste dans la fourniture de biens et services dans l’organisation des funérailles, ont été longtemps associées à une logique de service public, souvent en régie. À cette période, l’activité des travailleurs était essentiellement civile : assurer le respect de la dignité du défunt et accompagner les survivants dans cette épreuve douloureuse.
Le législateur a libéralisé ce secteur d’activité par la loi n° 93-23 dite "Sueur" du 8 janvier 1993. Quel impact a eu la libéralisation sur le droit applicable aux travailleurs du secteur ? Une tension n’a pas manqué d’émerger entre la civilité inhérente au fonctionnement d’un service public et l’activité commerciale et la nécessité du placement de produits... Cependant, les exigences des services publics demeurent. Dans le mouvement de libéralisation, les pouvoirs publics ont fixé des cadres pour réguler l’activité funéraire et empêcher les dérives du marché. Il s’agit de préserver la dignité des défunts et de leurs proches. Trois particularités juridiques méritent d’être soulignées.

Les principes des services publics

La loi "Sueur", l’art. L. 223-19 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) et la convention collective de branche affirment expressément que le service des pompes funèbres extérieures, bien que soumis à la concurrence, demeure un service public. La saga jurisprudentielle de la crèche "Baby-Loup" (Cass. Soc. 19 mars 2013, n° 11-28845) a renouvelé la problématique des droits applicables aux entreprises privées en charge d’un service public qui emploient des salariés dans les conditions du privé, à l’instar des entreprises de pompes funèbres. Dans cette affaire, une salariée de confession musulmane a refusé de retirer son foulard sur son lieu de travail. Elle est licenciée pour faute grave. La chambre sociale de la Cour de cassation, dans un premier arrêt, censure la décision des juges du fond, qui avaient estimé justifié le licenciement de la salariée : la crèche n’étant pas un service public, l’employeur ne peut imposer le respect du principe constitutionnel de laïcité à ses salariés. En revanche, dans un arrêt rendu le même jour, la Cour de cassation a confirmé le licenciement d’une salariée de la caisse primaire d’assurance maladie de Seine-Saint-Denis, qui refusait également de retirer son voile. Cette dernière, contrairement à la salariée de la crèche, est soumise "à des contraintes spécifiques résultant du fait qu’elle participe à une mission de service public, laquelle lui interdit notamment de manifester ses croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires".
Peu importe en l’occurrence que la salariée soit en contact ou non avec les usagers du service public, l’interdiction est générale et ne souffre d’aucun aménagement. Voici donc des salariés soumis à la rigueur des principes applicables aux agents publics. Cette jurisprudence s’applique également aux salariés des pompes funèbres, en tant qu’ils participent à un service public. Si les salariés ne peuvent exprimer et extérioriser leurs croyances religieuses, cette interdiction ne s’applique évidemment pas aux clients, qui peuvent exiger le respect de leurs cultes dans l’organisation et le déroulement de la cérémonie funéraire. L’application du principe de laïcité aux pompes funèbres ne fait que renforcer la dichotomie entre l’action des pompes funèbres, qui pourvoie aux fournitures mortuaires et coordonne les acteurs en vue de la cérémonie qui doit demeurer neutre, et les représentants religieux, qui permettent la réalisation des rites.
Cette jurisprudence sous-entend que d’autres principes constitutionnels inhérents aux services publics pourraient être opposables aux salariés des entreprises de pompes funèbres :
- l’égalité devant le service public ;
- la continuité du service public ;
- etc.

La formation professionnelle comme mode de régulation

Face à l’avantage concurrentiel des Pompes Funèbres Générales (PFG) qui a sa propre école de formation, les interlocuteurs sociaux ont tenté de mettre en place des Certificats de Qualification Professionnelle (CQP). Cette tentative de régulation du marché par convention collective de branche a rencontré un succès tout relatif. Le législateur, en 2008, afin de garantir une certaine qualité de service, s’est saisi de la question. Il a instauré et mis en place des diplômes. Les salariés avaient jusqu’en décembre 2013 pour faire sanctionner leurs compétences acquises par un diplôme. Cette exigence de diplôme s’impose aux salariés "qui assurent leurs fonctions en contact direct avec les familles ou qui participent personnellement à la conclusion ou à l'exécution de l'une des prestations funéraires".
Il est encore trop tôt pour évaluer l’efficacité de cette mesure, mais elle a déjà permis de créer un nouveau marché de la formation.

Obligation de vaccination

Le pouvoir réglementaire a posé une obligation de vaccination dans un certain nombre d’établissements, y compris les pompes funèbres. Les salariés doivent alors être vaccinés contre l'hépatite B, la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (arrêté du 15 mars 1991). Dans un arrêt récent, un salarié des pompes funèbres, craignant de développer une sclérose en plaques, avait refusé la vaccination contre l’hépatite B. Il est licencié pour faute à la suite de ce refus. La cour de cassation rejette son pourvoi et confirme son licenciement aux motifs "que la réglementation applicable à l'entreprise de pompes funèbres imposait la vaccination des salariés exerçant des fonctions les exposant au risque de la maladie considérée, que la cour d'appel a constaté la prescription de cette vaccination par le médecin du travail et l'absence de contre-indication médicale de nature à justifier le refus du salarié".
Au travers de cette décision, la Cour de cassation confère l’appréciation et l’opportunité de la vaccination aux pouvoirs publics. Le salarié se voit dénier toute emprise sur l’acte médical de vaccination. Néanmoins, la chambre sociale a ménagé une soupape : le salarié peut s’opposer à la vaccination obligatoire en cas de contre-indication médicale. Cette exception ne relève pas du libre-arbitre du salarié, mais de l’expertise médicale du médecin du travail. On peut s’interroger, dans l’hypothèse d’une contre-indication médicale établie, si l’employeur n’était pas tenu, en vertu de son obligation de sécurité, de reclasser ou à défaut de licencier le salarié. Il ne pourrait en effet, dans ces conditions, continuer d’exposer le salarié à un risque connu de contamination.
Au regard de cette étude, il apparaît que le maintien de la nature de service public constitue certainement la plus grande originalité du statut applicable aux salariés des pompes funèbres. Reste à savoir, au-delà du principe de laïcité, quels autres droits constitutionnels pourraient leur être opposés.

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Benjamin Ricou

IV - Opérations funéraires et concurrence

Par Benjamin Ricou, maître de conférences en droit public à l’Université du Maine Themis-Um, Collectif L'Unité du Droit, associé au Laboratoire Pau droit public

Avec un peu plus d’un décès chaque minute en France, le marché de la mort est très attractif. Il n’est pas étonnant, dès lors, que les différents acteurs du funéraire (collectivités publiques, entrepreneurs partenaires ou concurrents) courent après les morts. Or, l’Autorité de la concurrence rappelle fréquemment qu’il faut particulièrement protéger le consommateur, qui est ici plus qu’ailleurs dans une situation de grande vulnérabilité. La question des acteurs et des méthodes est alors centrale : à qui confier nos morts et à quelles conditions ?

Après les avoir confiés à l’Église puis à la commune, l’État les a donnés en grande partie à l’entreprise. En effet, le monopole communal établi en 1904 succédait à un autre monopole, celui des autorités religieuses, fabriques et consistoires, qui avaient été créé cent ans plus tôt. Mais la loi de 1904 était mal conçue, principalement parce qu’elle mélangeait sans grande cohérence des éléments de service public avec des items de caractère essentiellement commercial. Aussi et surtout, le monopole communal pour ce qui concerne ce service extérieur était sérieusement atteint puisque, dans les faits, près de 80 % des communes, soit avaient décidé de ne pas organiser de service des pompes funèbres, soit en avaient confié la gestion à des entreprises privées.

L'application de la loi 1904 a fait que le monopole a été biaisé

Voilà notamment pourquoi le législateur a, en 1993, décidé de mettre fin à quatre-vingt-dix ans de monopole communal en matière de service public extérieur et a en conséquence profondément modifié le domaine des pompes funèbres en l’ouvrant à la concurrence. En revanche, le monopole communal en matière de création et d’extension des cimetières est maintenu, et il est institué un monopole en matière de création et de gestion des crématoriums.
Son monopole supprimé, le service extérieur rejoint alors le service libre, mais reste une mission de service public, qui peut être assurée directement par les communes, par des entreprises délégataires de ces dernières et aussi désormais par des entreprises ou des associations sans lien juridique avec elles. Mais si le texte a changé, les comportements sont encore lents à se modifier.
À ce titre, l’ouverture à la concurrence n’a pas réellement abouti à une baisse des prix, mais elle est parvenue à domestiquer le comportement parfois anarchique de certains opérateurs. Et c’est déjà beaucoup. Aussi, le nombre de régies, fragilisées par la disparition du monopole communal, a diminué. Certaines communes souhaitant poursuivre la gestion de ce service se sont judicieusement tournées vers le procédé de la SEM afin d’affronter efficacement la concurrence au moyen d’une gestion privée. Aujourd’hui, la société publique locale (SPL), structure créée par la loi du 28 mai 2010, leur permet d’avoir un capital entièrement public et d’échapper aux règles de publicité et de mise en concurrence obligatoires pour la gestion des services publics locaux, car elles sont considérées par le législateur comme offrant des prestations intégrées.
Quant au nombre d’opérateurs privés habilités, il a bien entendu augmenté. Certains d’entre eux occupent d’ailleurs une place de choix dans le tissu funéraire (Roc-Eclerc, Le Choix funéraire, Le Vœu funéraire, etc.), alors que le groupe OGF-PFG, leader historique, a vu ses parts de marché chuter de façon importante.
Toujours est-il que les comportements des opérateurs font l’objet d’une surveillance particulièrement étroite. Si l’application du droit de la concurrence aux activités funéraires précède l’intervention de la loi "Sueur", les opérateurs devant respecter les dispositions, internes ou européennes, garantissant une concurrence saine et loyale (qu’il s’agisse du service extérieur ou du service libre), en 1998, la concurrence apparaît ouvertement entre les entreprises privées, mais aussi entre les personnes publiques et les personnes privées.
 
La concurrence fait l’objet d’un encadrement assez strict 

De nouvelles règles sont posées (normalisation des produits et services) et de nouvelles modalités de régulation sont instituées, cela afin de garantir la décence de la mort, de protéger les familles, de permettre un contrôle efficace des pouvoirs publics et d’assurer une concurrence saine et loyale – mais aussi afin que les opérateurs privés et publics puissent intervenir dans des conditions d’égalité. Aussi et surtout, ces derniers doivent respecter le droit de la concurrence issu de l’ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, ainsi que les dispositions du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne interdisant les abus de position dominante et les ententes illicites.

Les conditions d’une concurrence idéale sont alors réunies

Mais le libre jeu de la concurrence est encore empêché par le comportement de certains opérateurs, qui n’hésitent pas à abuser de la douleur des familles dans une perspective de rentabilité : refus d’établir des devis, établissement de devis non conformes au modèle, présentation de fournitures accessoires comme étant obligatoires, etc. Ces pratiques expliquent au moins partiellement la hausse considérable du prix des obsèques (environ 30 % entre 1998 et 2014 ; 8 % de 2011 à aujourd’hui, soit le double de l’inflation) ainsi que les différences de prix, qui sont totalement injustifiées. Aussi ne faut-il pas occulter le comportement anticoncurrentiel de certains opérateurs (les plus importants, ceux qui disposent des chambres funéraires), qui n’hésitent pas à abuser de leur position dominante au détriment de leurs concurrents (mais aussi des consommateurs) en offrant un service global en amont (chambre funéraire et organisation des obsèques).
 
Doit-on alors enterrer la concurrence et revenir aux funérailles d’antan ?

Il ne semble pas, elle est trop précieuse. En revanche, peut-être faudrait-il songer à renforcer les contrôles et à durcir les sanctions.

 

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations