Le colloque de restitution du "Traité des nouveaux droits de la mort" à eu lieu les 13 et 14 novembre derniers à l’Université du Maine au Mans. Réalisé en partenariat avec le Collectif L’Unité du Droit et le laboratoire Themis-UM (ea 4333, Université du Maine), les laboratoires Cersa (UMR 71006, Université Paris II) et C3rd (Université catholique de Lille) et avec le soutien de l’Institut Français de Formation des Professions du Funéraire (IFFPF), du magazine Résonance funéraire et du Laboratoire Méditerranéen de Droit Public. Retrouvez ci-après le résumé des interventions de quelques contributeurs.

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Xavier Labbée fmt

Jean-François Boudet, maître
de conférences (HDR)
en Droit public, Université
Sorbonne Paris Cité, CMH
(Paris Descartes), associé
au CERSA (CNRS – Université
Paris II UMR7106),
collaborateur scientifique
au CMAP (Université
catholique de Louvain)
et au Tax Institute
(Université de Liège).

1 - La mort est une part d’impôt

Par Jean-François Boudet, maître de conférences (HDR) en Droit public, Université Sorbonne Paris Cité, CMH (Paris Descartes), associé au CERSA (CNRS – Université Paris II UMR7106), collaborateur scientifique au CMAP (Université catholique de Louvain) et au Tax Institute (Université de Liège).

1 - Associer impôt et mort peut s’avérer être d’un sujet politique fâcheux si l’on vous rappelle que les Français sont "taxés à mort". Pas d’inquiétude, puisque les Anglais ont aussi leur belle expression pour nous indiquer que tout est incertitude, à l’exception de la mort ("nothing is certain but death and taxes"). Il est pourtant vrai d’affirmer que les frais des funérailles et de sépultures atteignent facilement des sommes se situant entre 2 500 et 4 000 €. La mort, dit-on, est hors de prix et le décès est un marché captif. Le proverbe malgache donnerait toute sa raison : "La mort est une part d’impôt". Le paiement de l’impôt funéraire serait plus exactement la délivrance tarifaire du jeune défunt à l’égard de la société et à l’égard de ses plus proches familiers. Du reste, le sort fait à l’impôt et à la mort exprimerait volontairement l’état du droit dans et de la société. Il exposerait incontestablement la signature d’une civilisation. C’est peut-être même le cœur de la civilisation.

2 - Existe, un exemple, une véritable compétition et une concurrence fiscales au sujet des funérailles et des sépultures, autant de facteurs opposant "la sérénité des vivants" et le "respect des défunts" (pour reprendre une littérature parlementaire bien connue). Le rapport annuel 2006 du Comité consultatif pour la répression des abus a ainsi constaté l’imagination de certains contribuables à créer des montages fiscaux (achat d’une forêt, vente consentie moyennant un prix couvert en rente viagère, accomplissement d’une libéralité, etc.), autant d’actes rapprochés de la date du décès d’une des parties en cause. On a même évoqué une véritable "stratégie fiscale" à mettre en place pour atténuer le poids de l’impôt funéraire, y compris des droits de succession. Et, pourquoi pas, aller mourir au paradis… fiscal (Portugal, Belgique, Royaume-Uni).

3 - Cette subjectivisation de la législation n’est pas propre à la fiscalité et au droit funéraire. Elle traduit certainement une conception plus individualiste et libérale de la mort et du lien social. Ainsi, la réforme des successions en 2006 et 2007 desserre progressivement l’étau de la fiscalité successorale pour faciliter la transmission de l’héritage. C’est en ce sens que sont exonérés les droits de mutation par décès dans tous les cas lorsque les successions sont recueillies par le conjoint ou le partenaire d’un pacte civil de solidarité (PACS) et le plus souvent lorsqu’elles le sont par les enfants, à la suite d’un relèvement significatif de leurs abattements.

Cette évolution du droit des successions fait alors place à une fiscalisation pressante de ce droit, à l’instar du poids croissant des impôts dits "sociaux" (CSG, CRDS, etc.). Cela signifie plus exactement que les outils et les institutions initialement mis en place en droit civil comme règle de vie (mariage, PACS, etc.) deviennent des instruments d’allègements fiscaux de la mort et que les "fils de famille" (comme on dit "père de famille" pour distinguer celui qui engendre de celui qui est engendré) ne paraissent plus recevoir la succession à la mort de leur père, mais plutôt obtenir la libre administration des biens.

4 - L’application uniforme et surtout égale des règles funéraires, y compris en matière fiscale, a pourtant été rappelée avec force par les juges, et en particulier par le juge européen. Dans ce prolongement, les Canadiens nous apprennent ici que "la mort est la continuation de la personne défunte" ; et l’on peut dire que la mort fait "vivre" le défunt : on prépare matériellement le corps pour qu’il puisse d’ailleurs aller au trépas. À cet égard, plusieurs vacations sont exigées lors des opérations funéraires, autant de prestations dont le montant, fixé par le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), est voté par les conseils municipaux et inscrit dans la section de fonctionnement du budget de la commune. Ces vacations concernent "les opérations de fermeture du cercueil lorsque le corps est transporté hors de la commune de décès ou de dépôt et, dans tous les cas, lorsqu'il y a crémation, ainsi que les opérations d'exhumation, à l'exclusion de celles réalisées par les communes pour la reprise des concessions et des sépultures échues ou abandonnées, de réinhumation et de translation de corps". Elles s’effectuent soit sous la responsabilité du chef de circonscription, en présence d'un fonctionnaire de police délégué par ses soins (dans les communes dotées d'un régime de police d'État), soit sous la responsabilité du maire, en présence du garde champêtre ou d'un agent de police municipale délégué par le maire (dans les autres communes).

5 - À ces vacations s’ajoutent d’autres prestations généralement dues pour les opérations d’inhumation, de crémation et de convoi. Elles font l’objet de prélèvements initialement justifiés en raison de l’obligation faite aux communes de prendre en charge l’inhumation des personnes dépourvues de ressources suffisantes, et la loi s’efforce de leur garantir un minimum d’uniformité quant à leurs montants. Il s’agit "a priori" de "véritables taxes" fiscales puisqu’elles sont perçues à raison du fonctionnement du service extérieur des pompes funèbres et sans que leur montant soit en corrélation avec le service rendu. Cette énumération des taxes funéraires locales ne semble pourtant pas limitative : certaines pratiques locales, voire le législateur, tendent à instituer de nouvelles taxations sans qu’il soit possible de les contenir.
Ainsi, une taxe de réunion des corps est due dans les communes qui l’ont instaurée à l’occasion de la réduction après cinq années des corps inhumés dans les caveaux sans qu’aucun texte législatif ne l’autorise "a priori". De même, certaines pratiques locales institutionnalisent en toute illégalité le prélèvement de taxe d’exhumation. La loi n° 2011-302 prévoit enfin que les communes dont les habitants représentent, au titre d’une année, plus de 10 % des parturientes ou plus de 10 % des personnes décédées dans un établissement public de santé comportant une maternité et situé sur le territoire d’une autre commune comptant moins de 3 500 habitants, contribuent financièrement aux dépenses exposées par cette autre commune pour la tenue de l’état civil et l’exercice des actes de police des funérailles, si le rapport entre le nombre des naissances constatées dans cet établissement et la population de la commune d’implantation dépasse 40 %. D’autres taxations funéraires, dites "techniques", peuvent encore avoir lieu, telle une taxe de 0,2 % appliquée aux produits de roches ornementales comprenant, entre autres, les monuments funéraires. Cette taxe est affectée au financement du fonctionnement du Centre Technique de Matériaux Naturels de Construction (CTMNC).

6 - Cette ambiguïté et cette liberté accordée au législateur fiscal peuvent s’avérer tendancieuses et permettent de mesurer les progrès ou les régressions dus aux morts par les vivants. Les taxes dues pour les opérations d’inhumation, de crémation et de convoi peuvent ainsi être soit instituées distinctement, soit perçues cumulativement par la commune. Ces montants sont généralement majorés par des frais obsèques (formalité décès, toilette funéraire, acquisition d’une concession, etc.), dont la valeur ne cesse d’augmenter depuis des années. Cela pose dès lors la question de la véritable nature juridique de ces impositions funéraires en les plaçant notamment en rapport avec les récentes évolutions jurisprudentielles au sujet de la notion de redevance pour service rendu.

Le Conseil constitutionnel a en effet considéré en 2005 que la "contrepartie directe" dont bénéficient normalement ceux qui acquittent une redevance pouvait seulement être "à venir". Par suite, le Conseil d’État a même jugé que l’Administration pouvait fixer le tarif d’une redevance en tenant compte non seulement du coût que la délivrance du service lui occasionne (son prix de revient), mais aussi en appréciant la "valeur économique" de la prestation (c’est-à-dire l’ensemble des avantages qu’en tire l’usager). Ces deux critères peuvent amplement s’appliquer aux cas des impositions funéraires susmentionnées, ce qui laisserait surtout entendre que le mort, de son vivant usager du service public, continue fictivement à l’être sur le plan juridique après son décès. Ce caractère fragile, misérable et précaire de la condition humaine exprimé ici par la fiscalité funéraire traduirait à sa manière la notion philosophique bien connue de "finitude" de la mort comme passage sur une autre rive et non pas celle biologique de la "téléonomie".
 
7 - Ces questionnements fiscaux sur la mort ne peuvent alors – et on l’aura compris – trouver des réponses immédiates, dès lors que la mort est entendue dans la société contemporaine comme une seule angoisse sur la mort et une séparation certaine entre un mort et des vivants.

2 - Histoire(s), sépulture(s) et cadavre(s)

Par Frantz Mynard, Dr en histoire du droit, chargé de cours aux Universités du Maine et de Nantes, Themis-Um, et membre du Collectif L'Unité du Droit.

Il existe des liens évidents entre la dépouille, le sacré et l’histoire des sépultures, qu’évoquent Jean-Baptiste Pierchon et Nicolas Kermabon. Le corps sans vie relève effectivement de "l’obscène" (obscenus), qu’il faut tenir à distance dans un lieu caché et sacré, et soustraire au regard.

- Tout d’abord, quelques éléments de définition.
- Ensuite, quelques jalons de réflexion sur le cadavre à la période moderne. Le cadavre devient une source d’interrogation chez les anatomistes et les juristes, à l’époque moderne.
- Enfin, quelques jalons rapides pour situer la réflexion en histoire du droit à la période moderne et contemporaine.

I - Quelques éléments de définition

Le mot cadavre provient du latin "cadaver". Le verbe "cadere" signifie choir, tomber. Cette étymologie est rappelée par les dictionnaires classiques, sous l’ancien droit, et les usuels modernes et contemporains.

A - Une définition délicate

Cette définition abstraite (cadaver) tend à englober des éléments distincts (chair, sang, os), parce que la mort physique – qui peut être envisagée ailleurs de manière abstraite et datée comme un fait susceptible de produire des effets juridiques (le décès) – renvoie ici à un processus de décomposition et de métamorphoses.

Un cadavre met en moyenne trois à six ans pour se décomposer en squelette, et plusieurs siècles pour se disperser en poussière. Les restes humains concernent aussi bien le corps sans vie que ses disséminations successives : la chair morte, les organes, les ossements de l’inhumation et les cendres issus de l’incinération.

B - L’absence de définition juridique : illustrations et enjeux

La tradition juridique n’offre donc pas de définition du cadavre. La dépouille mortelle qui est une chose pose inéluctablement le problème des droits du défunt, qui est une personne.

À l’instar de la naissance et de la filiation, la mort confronte l’évidence biologique à la logique juridique. Le droit trouve dans la biologie un support à la réflexion, mais ses constructions peuvent s’éloigner très sensiblement de l’évidence naturelle.

Prenons quelques illustrations :
D’une part, sous l’ancien droit, l’absence de cadavre n’exclut pas la disparition. D’autre part, la vie n’exclut pas la mort civile. La mort civile permet d’exclure un homme de la société et de le priver de sa personnalité juridique

II – Quelques éléments de réflexion à la période moderne

Le renouveau des débats sur le régime juridique du cadavre et son éventuelle personnalité réapparaît à la fin du Moyen Âge, alors qu’émerge une nouvelle approche du corps, de la religion, de la culture et de la salubrité. Les dissections publiques et l’enseignement de l’anatomie, jadis interdits par le droit romain et longtemps occultés par l’Église, se généralisent. Les exemples ne manquent pas parmi les grands esprits : Vésale, Ambroise Paré, Léonard de Vinci…

A - Le vêtement de l’âme

Jusqu’à la Renaissance, le corps était perçu comme le "vêtement de l’âme", le "tabernacle" de l’âme, jusqu’à la décomposition de la chair.

L’âme est en effet vouée à se perpétuer, tandis que le corps est appelé à ressusciter à la fin des temps. La mémoire de l’âme l’emporte donc sur le respect de l’intégrité du cadavre, qui doit disparaître pour renaître. Les sépultures multiples (cœur, entrailles, ossements) ont d’ailleurs été pratiquées parmi les familles nobles et royales, jusqu’à la fin du Moyen Âge, voire au-delà (notamment à la crypte des Capucins de Vienne). Le respect de l’intégrité du cadavre est une idée relativement moderne.

La force de ce dogme religieux est telle que la mort physique n’est jamais envisagée comme une disparition totale de l’individu, du moins dans la doctrine juridique. Les procédures judiciaires permettent au criminel de sauver son âme, immortelle et donc intacte, de son corps mortel et corruptible jusqu’au châtiment. À l’inverse, et jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, le décès du criminel n’exclut pas qu’il soit puni dans son cadavre ou dans sa mémoire.

B - Le corps "moderne"

À partir du XVIIe siècle, émergent de nouvelles politiques de représentation et de réappropriation du corps humain :
1 - Ces transformations participent d’un processus, qui tend à disjoindre l’âme et le corps, rationnellement. Ce basculement vers une autre modernité corporelle est fondamental en Europe. Pour Michel Foucault, il est d’ailleurs à l’origine de la naissance de la clinique et du gouvernement des corps.

2 - Le cartésianisme introduit une conception renouvelée du corps, séparant la parole et la raison (res cogitans) des organes (res extensa). Le corps vivant est envisagé comme régi par des lois mécaniques, à la manière d’un corps inerte, par exemple une horloge ou un automate.

Ainsi Descartes est le premier philosophe à envisager le corps humain à la manière d’un "cadavre" que l’on dissèque. Le développement du matérialisme au XVIIIe siècle ne fait qu’accentuer cette tendance, en la radicalisant. Les travaux de Julien Offroy de la Mettrie notamment "L’homme machine nie l’âme".

Conséquence :

L’étude des cadavres est à l’origine d’une réflexion sur les origines de la vie chez les physiologistes. Peut-on redonner la vie à certains organes prélevés sur les dépouilles, peut-on les greffer ? Le mécanicien Vaucanson souhaite réaliser des "anatomies vivantes", tandis que des chirurgiens, comme Jean-Baptiste Le Cat, ambitionnent de construire "un homme artificiel".

Pour résumer :

Les anciens redoutaient davantage les esprits malfaisants que les cadavres, l’âme que le corps. Les modernes redoutent les chairs putréfiées. Ils craignent de se faire dévorer sous terre. Le mot "zombie" (ou mort vivant) apparaît d’ailleurs dans la littérature en 1697.

Enfin, la à dernière grande peste de Marseille (1720), le cadavre est définitivement assimilé à une nuisance pour la santé des vivants. Si le vinage de mort avait pu passer pour un breuvage miraculeux jusqu’à la Renaissance, le cadavre devient "l’archétype de la nuisance".

III – Quelques jalons rapides en histoire du droit

A - La personnification du cadavre
Face à ces questions, la tradition juridique est d’opposer un refus à la tentation de la personnification du cadavre. Cette solution est tout à fait constante en matière de droit civil, mais elle connaît des aménagements susceptibles d’interprétations contradictoires en matière criminelle, comme l’atteste l’ancien droit prévoyant la tenue de procès faits aux cadavres.

1 -­ [Droit civil] Traditionnellement, le civiliste appréhende avec méfiance la mort physique. Les romanistes ont même inventé la notion de mort civile, soit une mort non corporelle. C’est davantage le domaine du prêtre, du médecin.

2. [Droit criminel] Si le droit pénal contemporain refuse expressément la personnification du cadavre, tant en qualité de victime qu’en qualité d’auteur d’infractions, l’ancien droit et certains anciens procès criminels laissent apparaître toute l’ambivalence de la conception de la responsabilité juridique des défunts

Dès la fin du IXe siècle, des supplices infligés à des cadavres sont mentionnés. Ces cas particuliers montrent que ce sont surtout les atteintes à l’autorité du souverain (lèse-majesté, rébellion) ou au sacré (suicide) qui poussent les autorités locales ou régaliennes à s’en prendre aux dépouilles des criminels, dans un but à la fois symbolique et dissuasif.

Cette constatation sera à la fois reprise, systématisée et réduite par la principale source de l’ancien droit pénal français, la grande ordonnance criminelle de 1670, qui consacre son titre XXII à la manière de faire le procès au cadavre ou à la mémoire du défunt(1). Son premier article énumère désormais limitativement les infractions pour lesquelles un procès pourra être fait au corps du criminel, tandis que les quatre articles suivants en détaillent la procédure. Les crimes justifiant la poursuite "post-mortem" sont le crime de lèse-majesté divine ou humaine, le duel, le suicide et les rebellions à justice lorsque le rebellionnaire y a perdu la vie.

Là encore, la Renaissance semble marquer ainsi le passage d’une conception médiévale, où la peine criminelle "post-mortem" a valeur de châtiment, à une conception moderne, où la peine posthume apparaît comme une "leçon pour les vivants".

Cette évolution du droit et des mentalités conduit les législateurs du droit intermédiaire à renoncer aux dispositions de l’ancien droit relatives au procès à cadavre.

Exemple : La loi du 25 septembre 1791 promulguant le Code pénal de 1791 abrogea la pratique et le Code des délits et des peines du 3 brumaire an IV, pas plus que le Code d’instruction criminelle de 1808, ne revinrent sur le principe de l’extinction de l’action publique par la mort du coupable.

À compter du XIXe siècle, la disparition des procès à cadavre montre que le droit pénal s’est définitivement aligné sur le droit civil en refusant la personnification du cadavre.

Compte tenu du principe de refus de la personnification du corps des défunts, des infractions comme la non-assistance à personne en danger, les coups et blessures, le meurtre, le viol, l’attentat à la pudeur, ou le rapt ne sont donc pas applicables en cas d’atteintes portées au cadavre.

C’est l’atteinte à l’intégrité du cadavre que vise la profanation ou la violation de sépulture au titre de l’art. 360 du Code pénal (et non le viol au titre de l’art. 332 du Code pénal). C’est une jurisprudence établie depuis le XIXe siècle, avec l’affaire célèbre du nécrophile François Bertrand, surnommé "le Vampire de Montparnasse" ou le "loup-garou de Paris", arrêté dans la nuit du 15 au 16 mars 1849.

B - Perspectives et spéculations doctrinales autour du cadavre

Au début du XXe siècle, deux tendances peuvent se distinguer. La première tend à réifier le corps sans vie. La seconde tend à reconnaître au cadavre une demi-personnalité.

1 - Le cadavre : une chose

Pour les tenants de la tradition, le cadavre est considéré comme un débris de la personne disparue. Concise, violente (au point d’être corrigée par Ripert)(2), la formule célèbre de Marcel Planiol qui ouvre le Traité élémentaire du droit civil(3) n’en est pas moins éloquente : "Les morts ne sont plus des personnes, ils ne sont plus rien." La doctrine majoritaire s’accorde à reconnaître que les cadavres ne sont plus des sujets de droit, et le statut de chose s’applique au cadavre dans la jurisprudence(4). Le corps mort se voit privé de toutes les protections accordées à la personne, la mort entraînant un mouvement de réification.

2 - Le cadavre : une demi-personne

Un autre courant doctrinal considère au contraire qu’il est possible d’envisager pour le défunt une forme de survie de la personnalité, ou tout au moins une "demi-personnalité". Au début du XXe siècle, Timbal affirme que les cadavres forment une catégorie intermédiaire de personne(5). Demogue tend à nier l’assimilation de la dépouille à une chose(6). Il affirme au contraire que les "morts sont des demi-personnes juridiques, qu’ils sont sujets de droit"(7). Dans ces constructions doctrinales, le cadavre se trouve donc "à mi-chemin entre l’être humain et la chose".(8)

Cette notion de demi-personnalité connaît une forme d’intérêt jusqu’à la Première Guerre mondiale, d’autant que l’hécatombe de 1914 voit émerger des revendications nouvelles, notamment le droit de marier un vivant et un mort(9) ou encore la reconnaissance du droit de vote, au bénéfice des familles éprouvées par le conflit, portées, entre autres, par l’écrivain Barrès en 1916.

Pour conclure :

- Le XXe siècle a fait l’expérience du charnier dans des proportions inconnues et industrielles, du carnage de la Grande Guerre à la Shoa. Ces excès ont conduit les sociétés démocratiques à faire du principe de dignité de la personne humaine une valeur suprême. Les juristes ont progressivement garanti le respect du corps et de son intégrité, allant jusqu’à consacrer un "statut du corps humain" en 1994.

- Au fil du XXe siècle, la réflexion autour du cadavre aura été un moyen détourné de "réinventer" le statut du corps par le droit. Le respect de la dignité de la dépouille mortelle est envisagé comme le prolongement du respect du corps vivant. Le corps sans vie pose tout autant le problème du corps que le problème de la mort. En définitive, la sacralité du cadavre pose le problème de la réification des éléments du corps humain et des produits du corps humain.
- Mais la vraie révolution est technique. La réflexion sur les parties détachables du corps humain et la nue-propriété du corps humain n’est pas entièrement neuve(10). Mais son ampleur prend une dimension sans précédent, dès la loi du 7 juillet 1949 (qui autorise pour la première fois de "léguer par disposition testamentaire des yeux"). L’immédiat après-guerre et notre époque témoignent de progrès considérables, qui permettent d’envisager la transfusion sanguine et le don d’organes d’un mort vers un vivant. C’est une transformation radicale, mais fascinante à étudier pour nos collègues en droit positif.

- Ces quelques réflexions sur la période moderne et contemporaine nous mènent donc du tabernacle de l’âme aux fermes des corps (ou Body farm)… et ouvrent un champ de réflexion passionnant, tant en droit positif qu’en philosophie du droit.

Nota :
(1) Muyart de Vouglans rappelle que ces procès avaient auparavant lieu "pour toutes sortes de crimes qui étaient de leur nature atroce", mais qu'ils avaient été sagement restreints par l'ordonnance criminelle de 1670 à "certains crimes qui, par le danger de leurs conséquences, semblent demander une punition plus exemplaire que toutes les autres", v. Muyart de Vouglans Pierre-François, Institutes au droit criminel, Paris, Le Breton, 1758, Part. V, chap. XVII.
(2) Berchon Pierre, "Sépulture", Rép. Civ. Dalloz, juillet 2005.
(3) Planiol Marcel, "Traité élémentaire de droit civil", t. 1, 3e éd., F. Pichon, Paris, 1904, p. 145.
(4) Trib. Civ. Seine, 20 décembre 1932, Gaz. Pal. 1932, p. 323.
(5) Timbal Gabriel, "La condition juridique des morts", thèse de doctorat : politique ; Toulouse, 1903, p. 132
(6) Demogue René, "La notion de sujet de droit", R.T.D.C., 1909, p. 639.
(7) "Ibid".
(8) Popu Hélène, "La dépouille mortelle : à la redécouverte d’une catégorie juridique oubliée", Paris, L’Harmattan, 2009, p. 66.
(9) Le mariage posthume est finalement admis en 1951, v. Cod. civ., art. 171.
(10) Au XIXe siècle, Ihering, § 61, p. 362, note 475 note déjà : "Mes cheveux m’appartiennent et quand il sont coupés, ils tombent dans ma propriété mais il ne s’ensuit pas encore, que auparavant ils devaient m’appartenir sous cette forme."

3 - Définition de la dépouille mortelle

Par M. le Pr Xavier Labbée, Université de Lille II. Avocat au barreau de Lille. Membre du Conseil National des Opérations Funéraires (CNOF).

Les formidables progrès de la médecine ont contraint le juriste à la fin du XXe siècle à dégager précisément la définition de la dépouille mortelle, en se penchant sur le rapport qui peut unir la personne à son corps. Si la personne, est le "sujet de droits", le corps n’en est que l’enveloppe matérielle. Le corps humain ne serait alors qu’un objet au service du sujet.

En application de l’adage "l’accessoire suit le principal", le corps épouse le régime juridique de la personne tant qu’il est à son service. Mais il épousera le régime juridique des biens lorsqu’il ne l’est pas encore ou ne l’est plus. Ce constat permet de placer la dépouille mortelle dans le droit civil et pénal des biens, et non dans le droit des personnes.

Mais le droit des biens offre des classifications diverses

Le "droit des funérailles" nous permet d’abord de comprendre que le cadavre de l’homme est une chose par anticipation. C’est en raison de cette qualification que l’individu peut, de son vivant, régler le sort de sa dépouille par testament dans les conditions fixées par la loi du 15 novembre 1887. "Le cadavre de l’homme est le premier de ses biens." Mais parce qu’il s’agit d’un bien de nature particulière, sa dévolution échappera aux règles de l’ordre successoral classique en l’absence de testament. Et la volonté de l’homme est de toute façon bridée par l’ordre public et les bonnes mœurs.
Si la dépouille mortelle peut encore être qualifiée de "meuble" par nature (pouvant être immobilisé dans certaines hypothèses), elle paraît faire l’objet d’une indivision familiale à l’image des souvenirs de famille qu’on ne partage pas. Mais le corps "n’appartiendrait-il" qu’à la famille ? Une telle vision serait réductrice, car elle reviendrait à nier les droits concurrents que peut exercer la collectivité sur ce dernier… Sauf à placer le corps humain parmi les choses communes "qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous".

Le cadavre de l’homme fait cependant l’objet d’un commerce restreint

Les lois bioéthiques nous dictent que, s’il peut faire l’objet de prélèvements dans certaines hypothèses d’intérêt général et s’il peut être donné sans contrepartie financière, il ne saurait en revanche faire l’objet de conventions onéreuses. "Prenez" (mais n’achetez pas) "et mangez" (le corps est une chose consomptible mais n’en faites rien d’autre), "ceci est mon corps". Le commerce onéreux du corps humain a toujours été prohibé, même sous forme de reliques, et la dépouille mortelle échappe aux conventions patrimoniales. Pourquoi ? Les lois bioéthiques nous disent plus généralement que les "restes mortels" (en ce compris les cendres) sont objets de "respect" sans en donner la raison. Ce mot, qui justifie les rituels funéraires et permet de comprendre la réglementation baignée d’hygiène et de décence qui encadre la mort, doit être conjugué avec le principe fondamental de dignité. Nous comprenons que si le corps est respectable, c’est parce qu’il est sacré. La doctrine et la jurisprudence contemporaine redécouvrent l’antique qualification des "choses sacrées" en renouvelant l’analyse de qualificatif. Elles expliquent ainsi le statut juridique contemporain de la dépouille mortelle.

4 - Mort et droit pénal

Par Jean-Marie Brigant, maître de conférences Université de Lorraine, associée Themis-UM.

Dans leur Traité de droit criminel, les professeurs Merle et Vitu soulignaient : "Depuis les âges les plus reculés, l'homme a toujours éprouvé du respect devant le mystère de la mort ; des sentiments moraux et religieux élevés le conduisent à assurer, aux restes de ses semblables, une sépulture décente et une paix définitive. La religion catholique fait sienne cette attitude en rappelant que le baptisé a été, de son vivant, le temple de l'Esprit Saint et que ses cendres ressusciteront au jour du jugement final : d'où l'encensement de la dépouille mortelle et la bénédiction de la tombe au moment des funérailles. C'est pourquoi, de tout temps, a été punie la violation des tombeaux et des sépultures, parce qu'elle est un outrage à des sentiments partagés par tous."

Cette violation des tombeaux et des sépultures n’est plus le seul comportement réprimé par le législateur et fait aujourd’hui partie "des atteintes au respect dû aux morts". Preuve de la personnification des cadavres, le Code pénal classe ces atteintes au respect dû aux morts dans le chapitre V ("Des atteintes à la dignité de la personne") du titre deuxième ("Des atteintes à la personne humaine") du livre II ("Des crimes et délits contre les personnes"). Comme le souligne la doctrine pénaliste dans son ensemble, c’est de manière particulière voire originale que le Code pénal de 1994 incrimine désormais, sous l’art. 225-17, deux infractions distinctes – l’atteinte à l’intégrité du cadavre et la violation de sépulture tout leur en appliquant une répression unifiée.

L’incrimination des atteintes à l’intégrité du cadavre constitue une innovation du Code pénal de 1992

En effet, l’ancien Code pénal ne connaissait qu’une seule et unique infraction : la violation de sépulture. Cette violation de sépulture faisait partie des "infractions aux lois sur l’inhumation" (au même titre que le recel de cadavre). Pour autant, les atteintes à l’intégrité du cadavre ne demeuraient pas impunies sous l’ancien Code pénal.
La jurisprudence criminelle de l’époque avait partiellement comblé ce vide juridique en réprimant au titre des violations de sépulture les actes dirigés contre un cadavre ayant fait l’objet de préparatifs funéraires (CA Paris, 8 juill. 1875, DP 1876. 2. 113 ; S. 1875. 2. 292 ; TGI Paris, 16 févr. 1970, Gaz. Pal. 1970, II. 40). Partiellement en effet, puisque la dépouille mortelle n’ayant pas (encore) bénéficié des apprêts funéraires était dépourvue de toute protection pénale (Cass. crim. 20 juin 1896, DP 1897. 1. 29 ; S. 1897. 1. 105, rapp. de Larouverade, note Lacointa). Fort logiquement, cette jurisprudence a été abandonnée dès l’instant où l’alinéa 1er de l’art. 225-17 a permis de réprimer les atteintes commises sur les cadavres. L’alinéa 2nd, s’inspirant des dispositions de l’ancien Code pénal, vise la violation de sépulture.

I. C’est de manière très large que le législateur a souhaité réprimer les actes perpétrés sur le corps même du défunt puisque est incriminée "toute atteinte à l’intégrité du cadavre par quelque moyen que ce soit". Cette imprécision, source d’une répression efficace, paraît peu conforme aux exigences de clarté et de précision qui découle du principe de légalité des délits (art. 8 DDHC). Il est fort possible que, dans un avenir proche, une question prioritaire de constitutionnalité sur ce point parvienne dans les formes à la Cour de cassation (Cass. crim. 15 oct. 2014, n° 14-85309 – irrecevabilité) et probablement examinée sur le fond par le Conseil constitutionnel.
 
Les exemples d’atteintes à l’intégrité du cadavre sont bien évidemment fournis par la jurisprudence :
- accélération volontaire de la décomposition d’un cadavre placé dans un institut médico-légal afin de le rendre méconnaissable,
- prise de photos du cadavre d’une jeune femme après l’avoir déshabillée et avoir écarté ses jambes, ou bien encore acte de nécrophilie ou viol sur un cadavre.

En revanche, la violation de sépultures est appréhendée avec plus de précision de la part du législateur. La violation peut avoir pour objet les tombeaux et les sépultures (termes interprétés de manière extensive par la jurisprudence), les monuments édifiés à la mémoire des morts ainsi que, depuis 2008, "les urnes funéraires".

Quant au comportement incriminé, il consiste en une violation, ou profanation, termes considérés comme synonymes. Il s’agit généralement de violences ou voies de fait, même superficielles, réalisées par "quelque moyen que ce soit" (exemples : détruire systématiquement les fleurs fraîches et les pots les contenant déposés sur une tombe, frapper avec un bâton sur la tombe des morts et se rouler dessus en interpellant les morts en termes injurieux ; enlever et briser en partie le Christ placé sur la poitrine d'un défunt, maculer de boue une pierre tombale et y apposer des inscriptions).

Néanmoins, l’infraction n’est pas caractérisée en présence de paroles injurieuses prononcées devant une sépulture, de tracts protestant contre la désaffection d’un cimetière et déposés sur les tombes, ou bien encore d’un cadre contenant la photographie du défunt posé sur une tombe et dont la moustache du défunt a été effacée sur ce cliché (Cass. crim. 28 janv. 2014, n° 12-80157).

Par ailleurs, qu’il s’agisse de l’atteinte à l’intégrité du cadavre ou de la violation de sépulture, l’élément moral est identique : l’auteur doit avoir eu conscience de porter atteinte à l’intégrité du cadavre. Cet élément intentionnel résulte, selon la jurisprudence criminelle, "de l'accomplissement volontaire d'un acte portant directement atteinte au respect dû aux morts" (Cass. crim. 25 oct. 2000 : Bull. crim. N° 318). En conséquence, il n’y a donc pas d’infraction lorsque les ossements par exemple ont été jetés par inadvertance sur une décharge publique à l’occasion de travaux de rénovation d’un caveau de famille.
II. Les deux infractions que sont les atteintes à l’intégrité du cadavre et la violation de sépulture font l’objet d’une répression unifiée mais qui comprend une variable en la présence ou non d’un motif raciste. En l’absence d’un tel mobile, les deux délits sont punis d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. Les peines sont portées au double – soit deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende – dans l’hypothèse où il y a eu à la fois atteinte à l’intégrité du cadavre et violation de sépulture.

Lorsque les infractions de violation de sépulture ou d’atteinte à l’intégrité du cadavre ont été commises "à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, des personnes décédées à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée" (art. 225-18 CP), les peines sont alors portées à trois ans d'emprisonnement et à 45 000 € et, en cas de cumul des deux infractions, à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 €.

Il convient d’apporter deux précisions

D’une part, les personnes morales encourent également la peine de dissolution lorsque le ou les délits ont été commis pour un motif raciste ou religieux. D’autre part, l’aggravation des peines prévues par l’art. 225-18 est conditionnée à la preuve du caractère discriminatoire des profanations, ce qui peut poser théoriquement des difficultés probatoires. Cette preuve résultera en pratique des circonstances et d’éléments de fait tels que l’existence d’inscriptions racistes sur les tombes ou les monuments profanés.

Pour terminer, il est important de souligner que ce régime répressif souffre actuellement de deux lacunes

Premièrement, les personnes physiques n’encourent aucune peine complémentaire : pas d’'interdiction d'exercer une fonction publique ou d'exercer une activité professionnelle, pas d’affichage ou de diffusion de la décision prononcée ni même d’interdiction des droits civiques, civils et de famille.
Deuxièmement, la tentative d’atteinte au respect dû aux morts n’est actuellement pas punissable. Le législateur pourrait aisément remédier à ces vides juridiques afin d’assurer une répression efficace en la matière.

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations