Praticienne de l’accompagnement en entreprise, depuis près de 15 ans, Nathalie Vallet-Renart accompagne les entreprises dans des situations relationnelles délicates : le retour au travail après un accident de vie, notamment un cancer, ou le décès de la personne, que ce soit par accident, maladie, ou suicide. Son intervention aux 1res "Assises du funéraire" organisée par la CSNAF fut sans conteste l’une des plus appréciées car très pertinente au regard du thème de cette journée.

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Nathalie Vallet-Renart.

 

Le lundi 3 octobre dernier ce sont tenues, au palais du Luxembourg, les 1res "Assises du funéraire" organisées par la Chambre Syndicale Nationale de l’Art Funéraire (CSNAF), et dont le thème était : "Mieux accompagner le deuil : un enjeu majeur de la société française". Thème très intéressant s’il en est, offrant plusieurs entrées et qui, de fait, lui a immédiatement suscité deux réflexions :

La première concerne la place de la mort dans un organisme vivant, tel que l’entreprise, qui revendique la force, la puissance, certains ajouteront, la gloire.
Comment continuer à vivre donc avec cette mort, ce vide qui impacte l’ensemble du système ?

La seconde est relative au jeu de mots sur "société" : qui signifie à la fois le vivre ensemble et l’entreprise ! Le lieu de travail est un lieu de vie et de vie sociale, avant d’être un lieu de production.
Comment concilier performance et fragilité ?

Quels sont les enjeux liés à ces situations ? Que révèlent-elles de l’entreprise où elles surgissent ? Comment les accompagner ?

La question de l’accompagnement du deuil en entreprise concerne des décès survenus "trop tôt", à l’inverse d’une mort dite naturelle, au moment du grand âge. Ainsi la mort nous interpelle-t-elle en pleine vie, d’où la stupeur, la colère ou la peur qui s’emparent de certains.

Pour illustrer mon propos, voici le récit d’une situation sur laquelle je suis intervenue
 
Une jeune femme de 28 ans part en vacances à l’étranger. Sur le chemin de l’aéroport, un dimanche, alors qu’elle s’apprête à revenir en France, elle est victime d’un accident de la route. Elle meurt. Avec elle, son enfant de quatre ans, son père, son frère. Sa petite fille de 13 mois est entre la vie et la mort.

Le lundi matin, dans son service, elle n’est pas là. La douloureuse nouvelle arrive par son mari. La plupart des collègues ont le même âge qu’elle, leurs enfants sont parfois scolarisés dans la même école, la même classe. C’est le choc. L’horreur. L’impensable. Tant de morts en une fraction de seconde. L’équipe est sidérée. Pleurs. Le manager est touché de la même façon que ses collaborateurs. Le directeur du centre m’appelle, en plein désarroi. Il accuse le choc lui aussi, tente de maintenir un calme relatif sur son plateau. La production est arrêtée, l’émotion a pris le dessus.

Cela se comprend

À la douleur de la perte d’une collègue, parfois d’une amie, s’ajoutent les autres morts de sa famille et l’horreur de l’accident. La proximité en âge facilite les phénomènes de projection. Certaines jeunes femmes me diront qu’elles auraient pu être à la place de leur collègue, mourir et laisser une famille derrière elles. Je me rends sur place le jour même, rencontre le directeur du centre, puis le manager. Je propose une intervention collective auprès de l’équipe, sur la base du volontariat. Puis je reçois individuellement les personnes qui le souhaitent. Beaucoup d’émotion.

Avec la ligne hiérarchique, nous regardons comment réagir, comment accueillir cette situation extrême, comment laisser un temps à l’expression des émotions. Surgissent des questions pratiques telles que le bureau de la jeune femme, ses effets personnels… Faudra-t-il qu’un de ses collègues prenne sa place ? Au fil des heures, des idées et des questions affluent : "Peut-on faire un poster de notre collègue et l’afficher sur un des murs du service ? Peut-on aller voir son mari, le soutenir ? Où est la petite fille ? Quand sera-t-elle rapatriée ? Comment l’accident a-t-il eu lieu ? Quid des obsèques ?" Vie privée et vie professionnelle se mêlent – s’emmêlent ? –, témoignant de l’impossibilité de couper l’humain en deux, une vie professionnelle, une vie personnelle.

Le rôle de l’entreprise

En l’occurrence, l’entreprise a accueilli la situation extra-ordinaire, au premier sens du terme. Elle a su demander de l’aide, consciente de la violence des émotions et de son désarroi, bien que bienveillante et compassionnelle. Bien sûr, le management a joué un rôle spécifique. Mais avant que d’être des managers, nous parlons d’hommes et de femmes également affectés par le deuil. Comme chaque collaborateur. Comme humainement chacun le serait.
"Est-ce que c’est normal si je ne pleure pas ?" me demande une toute jeune femme. Et moi d’expliquer que l’expression des émotions est propre à chacun, que les larmes ne témoignent pas d’un niveau de douleur supérieur, qu’on ne doit pas juger de l’expression des émotions dans notre entourage, mais veiller les uns sur les autres.
 
Au-delà des missions et des rôles assignés à la direction des ressources humaines comme au management, je postule qu’il s’agit là de la prise en compte de relations humaines avant tout, que les postes s’effacent au profit des personnes et d’une qualité des relations qu’il nous faut oser.
C’est la question éthique de la place de la vulnérabilité qui est ici en jeu, dans un monde du travail où la performance prime parfois sur l’humain. Ne faudrait-il pas rééquilibrer ces deux axes ? Jouer le "et" plutôt que le "ou" ? Perdre son collègue, son manager, renvoie à la possibilité de la mort pour nous-même. Ces évènements, pour douloureux qu’ils soient, nous rappellent que vie et mort se côtoient alors qu’on ne s’y attend pas ou, pour le dire autrement, que la mort fait partie de la vie.

À cet égard, les entreprises qui se font l’écho de notre société attirée par ce qu’elles érigent en valeur comme la jeunesse, la beauté et la force, oublient parfois leur fragilité. C’est quand on ne s’y attend pas que la mort percute ; une fois lui suffit.
Je propose que l’on regarde ces événements tragiques comme des épreuves qui nous donnent l’occasion de décliner opérationnellement les valeurs affichées sur les sites Internet et autres éléments de communication. Que chaque entreprise, quelle que soit sa taille, son secteur d’activité, son histoire, son contexte, accueille avec humilité le débordement d’émotion et l’impact momentané sur la performance, pour se recentrer alors sur un humain fragilisé. C’est ainsi que doit commencer l’accompagnement du deuil en entreprise. Chacun trouvera les réponses aux questions posées, dans une posture d’écoute et de dialogue. C’est par la confiance en soi comme en l’autre que se dissolvent les difficultés les plus insurmontables "a priori".

À l’inverse, si l’entreprise n’agit pas face au deuil d’un de ses membres, soit par désarroi, soit par conviction que là n’est pas son rôle, elle prend le risque d’une complexité relationnelle, d’un déficit de confiance et d’image qui lui seront préjudiciables. Les salariés auprès desquels je suis intervenue ont toujours reconnu ce que leur direction faisait pour eux et lui en sont reconnaissants. C’est la fierté d’appartenance qui domine alors. Et la cohésion de l’équipe n’en est que plus forte.

Les impacts organisationnels et relationnels de la survenue d’un décès comme d’un accompagnement non ou mal initié interpellent. Quelle solidarité déployer, comment dépasser l’élan de compassion et agir en faveur de ceux qui restent pour rendre hommage à celui ou celle qui les a quittés et ainsi renforcer le lien social ?

La vulnérabilité, acceptée, porte en elle une force, celle de la vie qui se reconnaît comme fragile, incertaine, momentanée. Elle pose la question du monde que nous voulons, de la façon que nous avons de l’habiter pour un mieux vivre ensemble. À chaque entreprise, en fonction de sa sensibilité, de sa maturité et de ses possibilités, de prendre en compte la mort de l’un des siens pour que ce drame préserve du sentiment de toute-puissance et d’immortalité, et nous rappelle la joie de la vie.

Nathalie Vallet-Renart
Aldhafera
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Résonance n°124 - Octobre 2016

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