Lorsqu'un contrat de prévoyance décès est souscrit, le preneur d'assurance se soumet à une batterie de questionnaires et examens médicaux éventuels, qui permettent à l'assureur d'apprécier le risque avant d’en assurer la couverture. Pour assurer leurs arrières et laisser un capital à leurs ayants droit, de nombreux Français contractent des assurances prévoyance décès. Chaque année, d’après un chiffre rapporté par le quotidien "Le Parisien", un quart des 150 000 décès se soldent par un règlement financier. Au décès du souscripteur, les bénéficiaires désignés au contrat se retrouvent détenteurs d’un capital financier potentiel dont ils ne pourront recevoir livraison qu’après une série d’échanges avec l’assureur. Au centre de ces discussions préalables au déblocage des fonds, le sacro-saint principe du secret médical.

 

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Méziane Benarab,
directeur général de l’OFPF.

En effet, dans bon nombre de ces contrats figurent des clauses d’exclusion de telle ou telle maladie ou infection. Or, comment apporter la preuve que l’assuré était visé par une clause d’exclusion de la garantie, sauf à lever le secret médical ? La question posée est pertinente à plus d’un titre, d’autant plus que l’on peut se trouver en face d’une telle difficulté non seulement dans les contrats de prévoyance décès, mais également dans les contrats obsèques.

Elle met en relief le vide juridique rencontré en matière d’accès au dossier médical du patient. Une faille de taille est exploitée par les assureurs : la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite loi Kouchner, a omis de préciser les conditions dans lesquelles était autorisé l’accès au dossier médical pour les assurances décès.

 

À l’origine de cette lacune : une saisine du défenseur des droits

 

À l’origine de cette interrogation autour du secret médical, garanti en France par une disposition constitutionnelle, Cécile Cayeux, cette Sarthoise, après la mort de sa mère, a engagé un véritable bras de fer avec son assureur pendant un an afin d'obtenir le versement du capital qui lui était dû. Afin d’établir que la cause du décès de sa mère n’était pas visée par une clause d’exclusion prévue dans le contrat d'assurance, l'assureur a exigé que celle-ci fournisse un questionnaire détaillé, empiétant largement sur les considérations relatives à la protection du secret médical.

Face à cette entrave à la confidentialité médicale, la bénéficiaire du contrat décide de saisir le Défenseur des droits, lequel demande aux assureurs d'accepter et de se contenter des certificats médicaux établis par le médecin qui suivait la personne décédée.

 

En quoi, la pratique des assureurs peut-elle conduire à la transgression du secret médical ?

 

Au moment de la souscription d’un contrat de prévoyance décès, l’assuré se soumet à une multitude de questionnaires et d'examens médicaux éventuels, qui permettent à l'assureur d’évaluer le risque qu’il prend et l’aide à se prononcer sur l’acceptation de sa couverture. Les résultats des examens et des questionnaires reçus de l’assuré font alors l’objet d’une transmission au médecin conseil de la compagnie pour analyse. Cette procédure de validation médicale de l’état de santé de l’assuré fait également l’objet d’une ultime vérification avant de livrer les fonds disponibles à partir de la garantie.

À ce stade du traitement du sinistre, l’assureur vérifie que les circonstances du décès correspondent bien à un des risques pris en charge par la garantie. C’est à ce niveau de la procédure de traitement du sinistre que les choses se compliquent pour les ayants droit. Si certains assureurs se cantonnent à la prise des renseignements tels que fournis dans le bulletin de souscription du contrat, d’autres exigent que le médecin de l'assuré décédé transmette au médecin conseil de la compagnie un questionnaire indépendant du contrat. C’est alors que la crainte d’une entorse au secret médical est plausible. Pourtant, le traitement des données transmises aux compagnies d’assurances font l’objet d’un traitement minutieux et surtout sécurisé.

 

Comment se présente un service médical de compagnie d'assurances ?

 

Le traitement et la conservation des documents médicaux sont assurés par le service médical des compagnies d’assurances qui en sont équipées. Les documents reçus sont alors stockés dans un local fermé et verrouillé par contrôle d'accès systématique. L’accès à ce local est interdit à toute personne non habilitée à consulter des éléments et pièces couverts par le secret médical. Sur le plan de la sécurité, des normes exigeantes et rigoureuses sont mises en place ainsi que de fréquents contrôles de conformité.

Par ailleurs, d’importantes mesures ont été mises en place lors du traitement de la correspondance reçue. Ainsi, toutes les correspondances portant la mention "à l'attention du médecin conseil" ne sont ouvertes et consultées que par le service médical.

 

Le secret médical : bien encadré par la jurisprudence

 

La jurisprudence de la Cour de cassation a mis en œuvre un véritable encadrement de l’accès des assureurs aux informations de santé et soumis à certaines exigences l’intervention des médecins conseils des sociétés d’assurances, notamment les experts amiables qu’elles mandatent à l’occasion des sinistres :
- ces derniers ne peuvent prendre l’initiative de solliciter le médecin traitant de l’assuré afin d’obtenir des renseignements ou des pièces médicales (1re Civ., 6 janvier 1998, Bull. 1998, I, n° 3, p. 2, pourvois nos 95-19.721 et 96-16.721). Pour obtenir de tels renseignements ou de telles pièces, ils doivent solliciter l’accord de l’assuré, qui renonce ainsi au bénéfice du secret médical.
La Cour de cassation a décidé que l’existence d’une renonciation de l’assuré à se prévaloir du secret médical était appréciée souverainement par les juges du fond (1re Civ., 13 novembre 2002, pourvoi n° 01-01.362).
- les médecins conseils des sociétés d’assurances comme les experts amiables qu’elles mandatent ne peuvent transmettre directement à l’assureur les pièces médicales qui leur ont été communiquées, dans la mesure où c’est leur qualité de médecin qui a permis la communication (1re Civ., 12 janvier 1999, Bull. 1999, I, n° 18, p. 12, pourvoi n° 96-20.580).
- en présence d’un refus de l’assuré quant à la communication de pièces ou de renseignements médicaux, ou de toute autre contestation, les assureurs sont dans l’obligation de saisir le juge afin qu’il ordonne une expertise judiciaire et autorise l’expert à accéder au dossier médical (1re Civ., 14 mars 2000, Bull. 2000, I, n° 87, p. 58, pourvoi n° 97-21.581).

 

Ce que conteste le Défenseur des droits : solliciter le médecin traitant de l’assuré afin d’obtenir des renseignements ou des pièces médicales

 

Comme il a été rappelé, à travers la jurisprudence de la Cour de cassation, l’intervention des médecins conseils des assureurs est très encadrée. Ils ne peuvent prendre l’initiative de solliciter le médecin traitant de l’assuré afin d’obtenir des renseignements ou des pièces médicales. Or, dans la saisine du Défenseur des droits dans le dossier précédemment cité, c’est ce fameux questionnaire transmis aux ayants droit afin de le faire renseigner par le médecin traitant qui a été épinglé. C’est sur cette base que le Défenseur des droits a été saisi le 20 février 2013, par une personne bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie de l’un de ses parents décédé.

La société d’assurances, pour apprécier les droits du bénéficiaire, refuse de prendre en compte les pièces médicales transmises par le médecin hospitalier en charge du patient jusqu’à son décès, exigeant que le médecin remplisse formellement un questionnaire médical préétabli par la société d’assurances.

Le praticien ayant refusé de se plier à une telle demande de la société d’assurances, le bénéficiaire se retrouve dans l’incapacité matérielle de faire valoir ses droits.

Pour clore ce dossier, le Défenseur des droits a élaboré 6 recommandations qu’il adresse à la Fédération Française des Sociétés d’Assurances (FFSA), au ministre des Affaires sociales et de la Santé, qui disposent d’un délai de deux mois pour répondre, ainsi qu’au Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM).

 

Les recommandations du Défenseur des droits

 

Le Défenseur des droits observe que :
- l’assureur est admis à obtenir des informations médicales sur le décès du souscripteur, mais ne peut pas exiger que ces informations lui soient transmises par un questionnaire médical à renseigner exhaustivement ;
- les sociétés d’assurances doivent veiller à ce que les informations médicales concernant les souscripteurs décédés, dont elles demandent la communication à leurs ayants droit, soient compatibles avec les règles du secret médical ;
- un médecin ne peut communiquer directement à l’assureur des informations relatives à la personne décédée qu’il a prise en charge ;
- la transmission d’informations couvertes par le secret médical à une société d’assurances ne peut se faire que par l’intermédiaire d’un médecin conseil parfaitement identifié.
Enfin, le Défenseur des droits souligne qu’il existe une inégalité de traitement entre les bénéficiaires des contrats d’assurance n’ayant pas la qualité d’ayants droit et les bénéficiaires des contrats d’assurance ayant la qualité d’ayants droit. Seuls les seconds peuvent obtenir du médecin du défunt des informations médicales le concernant et ainsi faire valoir leurs droits de bénéficiaire du contrat.

C’est à l’issue d’un délai de deux mois que nous connaîtrons la position officielle du ministère de la Santé, qui ne manquera pas de s’inscrire dans le droit fil des principes arrêtés dans le cadre de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de protection du secret médical.

Enfin, il convient de rappeler qu’en matière de décès, en général, ce n’est pas la première fois que l’épineuse question du secret médical est posée. Rappelons que, dans le cadre des conventions internationales, notamment européennes, la France n’a pas souhaité leur ratification, uniquement du fait qu’elles renvoyaient à un laissez-passer mortuaire sur lequel devait figurer la cause du décès.

 

Méziane Benarab

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