Damien-Dutrieux

Damien Dutrieux 

consultant au CRIDON 

Nord-Est, maître 

de conférences associé 

à l’Université de Lille 2. 

(Centre "Droits et

perspectives du droit")

 

"Montrez-moi la façon dont une nation ou une société s’occupe de ses morts et je vous dirai avec une raisonnable exactitude les sentiments de son peuple et sa fidélité envers un idéal élevé".

 

William Gladstone (1809-1898)

 

Les communes, et plus particulièrement les grandes agglomérations, connaissent une nécessité, parfois impérieuse, d’appréhender les sépultures présentes dans leurs cimetières en termes de gestion. On doit cepen- dant immédiatement apporter des précisions sur ce qu’il convient d’entendre par "gestion des sépultures". À en croire les dictionnaires usuels, le terme "gestion" s’emploie pour désigner la science de l’administration, de la direction d’une organisation et de son fonctionnement. Gérer signifie donc administrer, régir, exercer une certaine maîtrise sur un objet.

Concernant le sujet qui nous préoccupe, il s’agit donc d’administrer, de régir les lieux où sont déposés les corps des défunts. L’une des principales difficultés auxquelles se trouve confrontée la commune a trait à la place, au sens géographique du terme, qu’occupent les lieux de sépultures. Il relève en effet presque du poncif d’évoquer, pour les agglomérations urbaines principalement, les difficultés rencontrées pour acquérir des espaces disponibles en vue de la réalisation d’infrastructures collectives. Si l’on ajoute à cette difficulté les conditions particulières imposées pour la création et l’agrandissement du cimetière (circulaire du 3 mars 1986, JO 09/03/1986 p. 3658), la solution qui, le plus souvent, s’impose aux communes, va consister dans une "gestion" optimale de la place disponible pour l’inhumation des dépouilles mortelles. Cependant cette solution doit intégrer un facteur "temps", puisque – il faut bien l’exprimer ainsi – il s’agit tout de même de laisser à la nature le délai nécessaire à l’accomplissement de son œuvre (la décomposition des corps), délai qui de surcroît tend à s’allonger (les progrès en matière d’hygiène et de santé,ainsi que le recours plus fréquent aux soins de conservation, ont pour effet de ralentir cette décomposition).

 

Formulé plus simplement, les communes doivent éviter que leurs cimetières ne soient trop rapidement saturés. Pour les municipalités, il va dès lors importer de mettre en place un mode de gestion des sépultures assurant une bonne maîtrise de l’espace et du temps dans cette parcelle particulière du domaine public qu’est le cimetière. Cependant, plusieurs éléments induits du régime juridique du cimetière font que cette gestion des sépultures s’inscrit dans un cadre rela- tivement contraignant. On peut rapidement énumérer ce que l’on peut qualifier d’éléments contraignants. Tout d’abord, les pouvoirs dont dispose le maire en la matière se voient limités à la notion de police. Ce pouvoir de police ne peut être utilisé - ou plutôt ne doit être utilisé, puisqu’en matière de police l’autorité détentrice ne jouit pas d’une faculté mais d’une obligation d’agir - que dans les buts pour lesquels il a été confié au maire, c’est-à-dire afin d’assurer le bon ordre, la sécurité, l’hygiène et la neutralité du cimetière. Le pouvoir de police du maire ne constitue pas toujours un outil efficace pour atteindre des objectifs liés à la maîtrise du temps et de l’espace. Ensuite, l’existence de concessions dans le cimetière (bien que facultative en droit, l’inhumation en concession est devenue la règle et l’inhumation dans le terrain commun l’exception) obère grandement les possibilités d’une efficace gestion des sépultures en raison des prérogatives qu’elles confèrent à leur titulaire (parmi ces prérogatives, on peut citer le droit au renouvellement ou à la conversion des concessions). Enfin, la bonne ges- tion des sépultures génère un coût important. Certes, il peut paraître pour le moins surprenant d’évoquer des considérations matérielles dans un domaine où s’exprime l’ultime hommage rendu aux morts par les vivants. Mais il faut bien admettre que les dépenses générées par l’existence d’un cimetière et son entretien (qui constituent d’ailleurs des dépenses obligatoires ; art. L. 2321-2 du Code Général des Collectivités Territoriales [CGCT]) représentent pour certaines communes des sommes dont le mon- tant est loin d’être négligeable.

 

À côté de ces éléments, se trouve éga- lement une considération essentielle pour qui s’interroge sur la gestion des sépultures : l’objet du cimetière n’est-il pas avant tout d’assurer aux dépouilles mortelles qui y sont inhumées un repos éternel ? Force est d’admettre que ce "droit" au repos éternel n’existe juridiquement pas puisque vont toujours prédominer les intérêts de la collecti- vité. En revanche, si le "droit" au repos éternel n’a pas de reconnaissance juridique, le respect dû aux morts se voit consacré tant en droit pénal qu’en droit civil. Là encore, cette obligation de respecter les morts (qu’il n’est nullement dans notre intention de critiquer puisqu’il constitue assurément l’un des outils de mesure du degré de civilisation d’une société, comme le rappelle la citation de Gladstone mise en exergue du présent texte) est à prendre en compte pour étudier la question de la gestion des sépultures.

La problématique de ce thème pourra dès lors se présenter ainsi : comment allier d’une part l’obligation imposée à la commune de réserver un ou plu- sieurs terrains à l’inhumation des morts et la nécessité d’une bonne gestion de ces espaces publics et, d’autre part, le caractère particulier et la destination même de ce lieu où le droit semble permettre aux usagers d’assurer aux sépultures une certaine pérennité ? Plus précisément, il s’agira d’analyser les moyens mis à la disposition de la collectivité publique pour la maîtrise du temps et de l’espace dans le cime- tière. Cependant, devront toujours être gardées à l’esprit les indispensables précautions à prendre afin que le souci d’une bonne gestion ne vienne perturber de façon excessive et incon- venante la paix des morts.

La commune doit donc mettre en œuvre les moyens nécessaires à cette bonne gestion, moyens qui sont juridiques mais aussi matériels.

 

I - Les moyens "juridiques"

 

Au préalable, on peut rappeler que si le régime des concessions ne peut être modifié rétroactivement, il est loisible au conseil municipal de modifier les types de concessions délivrées dans le cimetière. Supprimer la possibilité d’acquérir des concessions perpétuelles, assurera indubitablement une gestion des sépultures plus facile. Reste cepen- dant à préciser que les municipalités doivent se soucier des attentes de leurs administrés et que, dans certaines communes, les habitants sont très attachés à la possibilité d’acquérir des concessions perpétuelles.

On notera que la question de la pérennité de la sépulture est souvent fondamentale pour la personne qui fait l’acquisition d’une concession. Le droit semble d’ailleurs prendre en compte cette considération puisque, même dans l’hypothèse où aucune concession perpétuelle n’est proposée aux familles, les concessions délivrées pour un temps déterminé sont indéfiniment renouvelables selon l’art. L. 2223-15 du CGCT. Si l’un des éléments significatifs de l’existence d’une bonne gestion des sépultures se trouve dans l’absence de saturation du cimetière, deux procédés prévus par le CGCT permettent d’obtenir ce résultat.

Le premier de ces procédés, celui qui sera le plus efficace dans l’optique d’une gestion de l’espace, est naturellement constitué par la mise en œuvre de la procédure de reprise des terrains affectés aux sépultures (terrain commun et concessions). Le second procédé, dont les conséquences sont plus modestes quant à la gestion de l’espace - puisqu’il ne permet que d’éviter la saturation de l’ossuaire - consiste dans l’utilisation par le maire de la possibilité qui lui est offerte de faire procéder, dès que n’existe pas une opposition connue ou attestée du défunt, à la crémation des restes trouvés dans les concessions reprises. Il importera donc d’utiliser ces deux procédés.

Enfin, sera abordée la question de la réduction des corps pour les consé- quences indirectes que peut avoir cette opération sur la gestion des sépultures.

 

- La reprise des terrains

 

Trois hypothèses sont à envisager :

- le maire peut procéder à la reprise du terrain commun à l’issue du délai de rotation (dont le minimum est fixé à cinq années mais peut être plus long notamment en fonction de l’avis donné par l’hydrogéologue agréé

lors de la création du cimetière) ;

- à l’issue du délai de deux années après l’arrivée à échéance d’une concession, si cette dernière n’a pas été renouvelée, le terrain fait retour à la commune (sans aucune formalité d’ailleurs ; CE 26 juil. 1985 Lefèvre et autres : Rec. CE 1985, tables, p. 524) ;

- après trente années (et dix ans après la dernière inhumation pratiquée dans la concession), dans l’hypothèse où la concession a cessé d’être entre- tenue, en respectant une procédure très formaliste et précisément décrite dans les Codes (dont la durée totale avoisine les trois ans et demi), la commune pourra reprendre les concessions déclarées abandonnées.

Les difficultés inhérentes à la procédure de reprise (principalement la reprise pour état d’abandon ; voir : art. L. 2223-17 et L. 2223-18 du CGCT) font que, parfois, les communes hésitent à la mettre en œuvre. Or, le fait de ne pas laisser perdurer des situations où, bien qu’il ait juridiquement perdu ses droits sur la concession, le titulaire continue à jouir d’une sépulture (sans d’ailleurs payer de prix pour cela, en cas de non-renouvellement, ou, s’il y a état d’abandon, sans respecter l’obligation fréquemment insérée dans le règlement du cimetière, de maintenir en bon état d’entretien de la concession et d’assurer la solidité du monument construit sur celle-ci) s’inscrit dans le cadre de la bonne gestion recherchée.

La commune devra attacher un soin tout particulier à la mise en branle de ces procédures de reprises eu égard à l’intérêt consistant dans le fait que, une fois la procédure achevée, il est procédé à une exhumation des restes (qui sont remis à l’ossuaire ou "crématisés"), puis la concession peut être cédée par la commune à un nouveau concessionnaire. Ce "roulement" peut régler, du moins en partie, le pro- blème de la place disponible dans le cimetière.

 

 

- La crémation des restes

 

Prévue à l’art. L. 2223-4 du CGCT, cette crémation des restes exhumés permet d’éviter soit la saturation de l’ossuaire (puisque celle-ci obligera la commune à créer un nouvel ossuaire et donc à perdre encore une partie de l’espace utile dans le cimetière) soit (dans l’hypothèse d’un cimetière récent) la création de cet ossuaire.

Il est intéressant de relever que cette faculté offerte au maire se heurte au principe fondamental de la liberté des funérailles (posé par la loi du 15 nov. 1887). Ce principe est en effet bafoué puisque rien ne permet de s’opposer à la crémation des restes même dans l’hypothèse où le défunt avait formellement exprimé son refus de la crémation. Or, depuis la "seconde loi Sueur" du 19 déc. 2008, telle qu’elle sera modifiée par la loi du 17 mai 2011, cette crémation est limitée à l’hypothèse où n’existe pas d’opposi- tion connue ou attestée du défunt (voir sur cette question un premier contentieux concernant un terrain commun ; D. Dutrieux, Gestion du terrain commun dans le cimetière : quels risques pour la commune ? [note sous TA Montreuil, 27 mai 2011, n° 1012029] : JCP A, n° 14, 2 avr. 2013, 2095). N’est-ce pas ici une très claire manifestation de la prise en compte par le législateur à la fois du respect de la volonté du défunt et des nécessités induites de la gestion des sépultures ?

Enfin, s’il est nécessaire de ne pas occuper inutilement de l’espace dans le cimetière, les cendres provenant de la crémation des restes seront répandues dans l’espace réservé à la dispersion, souvent dénommé "jardin du souvenir" (ce qui est préférable au dépôt des urnes dans l’ossuaire, afin d’éviter à long terme sa saturation).

 

- La réduction de corps

 

La réduction (ou réunion) de corps est l’opération qui consiste, moyennant le paiement d’une redevance, à réunir dans un même cercueil ou dans un même reliquaire (dénommé également boîte à ossements) les restes de plusieurs défunts inhumés (depuis au moins cinq années) dans un caveau familial afin de libérer des cases disponibles et ainsi permettre de nouvelles inhumations. Les communes sont libres de permettre ou d’interdire cette opération. Force est d’admettre que la réduction de corps a l’avantage d’augmenter de façon significative le nombre de corps que sont susceptibles d’accueillir les concessions et donc de mieux gérer l’espace disponible dans le cimetière.

Toutefois, les autorités municipales devront mettre en place un contrôle très strict de cette opération car, malheureusement, on observe qu’elle peut donner lieu parfois, de la part de certains opérateurs, à des pratiques scandaleuses consistant à "accélérer" la décomposition du corps (en général à coups de bêche !), c’est-à-dire à porter atteinte à l’intégrité du cadavre (ce qui est un délit : art. 225-17 du Code pénal). En effet, la réduction implique que la décomposition du corps soit très avancée et que ne se retrouvent, dans la case du caveau que l’on veut rendre disponible, uniquement des restes. Si le corps n’est pas suffisamment décomposé, l’opération doit être interrompue. Il importe de rappeler que la Cour de cassation assimile l’opération à une exhumation (Cass. 1re civ., 16 juin 2011, n° 10-13.580 : JCP A, n° 27, 4 juil. 2011, 2240, note D. Dutrieux), ce qui implique non seulement une autorisation d’exhumer à la demande du plus proche parent (ainsi que l’accord du titulaire de la concession s’il n’a pas cette qualité de plus proche parent), mais encore une surveillance de l’opération.

 

 

II - Les moyens "matériels"

 

Il va naturellement importer, dans l’optique d’une bonne gestion des sépultures, de disposer de moyens maté- riels pour faciliter cette gestion. Seront ici présentés certains de ces moyens qui peuvent faciliter soit l’utilisation des moyens juridiques précédemment évoqués soit permettre un gain d’espace disponible dans le cimetière.

 

- L’outil informatique

 

Au premier rang de ces moyens se situe évidemment l’outil informatique. On observe en effet que dans de trop nombreux cimetières les conces- sions sont encore gérées au moyen de fiches en carton (souvent anciennes et parfois quasiment illisibles). Mettre en œuvre des reprises systématiques et efficaces des concessions ne peut se concilier avec cet archaïsme aberrant de nos jours. L’outil informatique est indispensable à deux titres. D’abord, lorsque la commune décide de gérer son cimetière au moyen de l’outil infor- matique va se dérouler une première phase de saisie des concessions exis- tantes qui permettra éventuellement de repérer certaines irrégularités ou ano- malies (ex : concession qui n’a jamais été renouvelée mais qui n’a pas été reprise) non décelées quand la gestion des concessions s’effectuait au moyen de fiches. Ensuite, il va permettre, grâce à des logiciels adaptés, de connaître avec certitude quelles sont les conces- sions qui doivent être renouvelées, celles arrivées à échéance et celles qui ont plus de trente ans d’existence, le nombre de corps inhumés et les places encore disponibles dans les caveaux ... Certains logiciels permettent également la saisie d’éléments descriptifs de l’état de la concession qui pourront être réuti- lisés pour la rédaction du procès-verbal de constat d’état d’abandon si une pro- cédure de reprise est enclenchée sur ce fondement.

 

- Les enfeus

 

Tolérée par le ministère de l’Intérieur (en effet, les enfeus ne répondent pas en théorie aux obligations légales en matière d’inhumation puisque le corps n’est pas enseveli), la construction d’en- feus dans le cimetière (pour le terrain commun ou pour certaines catégories de concessions [les concessions tempo- raires]), dès lors qu’il est répondu à une pratique locale, va permettre un gain de place très appréciable puisque ces enfeus sont en pratique aménagés sous la forme, en quelque sorte, de "ruches".

 

- Les incinérateurs de déchets

 

Il existe un réel problème dans les cimetières, concernant les déchets générés par la reprise des concessions. Si les restes des corps exhumés sont normale- ment placés dans des reliquaires, sont également retrouvés dans la concession des débris de cercueils (principalement). Ces déchets doivent être éliminés (sur le régime juridique de ces déchets, voir le magistral article de Claude Bouriot, Les exhumations, Funéraire Magazine n° 96-1999 p. 24-38). Parmi les solutions envisageables, l’installation d’un incinérateur de déchets au sein du cimetière semble la plus simple et la plus efficace pour éliminer, notamment, ces débris de cercueils (et éviter ainsi qu’ils ne soient négligemment déposés dans des décharges communales à la vue de tous). À noter cependant que devra être vérifié le contenu du règle- ment sanitaire départemental pouvant contenir des dispositions relatives à l’incinération du bois. On précisera, s’il en était besoin, que la crémation des restes issus des décisions reprises évoquée précédemment se pratique dans un crématorium (l’incinérateur ne peut évidemment servir qu’aux déchets !). Les autorités communales doivent abso- lument prendre en compte cette ques- tion des déchets et de leur élimination qui participe de la bonne gestion des sépultures.

 

Conclusion

 

Reste cependant à préciser que la nécessaire gestion rationnelle des sépultures visant à éviter au maximum la saturation des cimetières ne doit tout de même pas s’opérer au détri- ment de l’histoire, du patrimoine et de la culture, voire de l’esthétique. Ainsi, s’il est souhaitable que la commune utilise systématiquement et sans tarder son droit de reprise, il est préférable que certaines concessions, en raison de leur ancienneté, de l’architecture du monument qui y est construit, de leur intérêt historique ne soient pas reprises et que la commune se charge éventuellement de leur rénovation et de leur entretien. Enfin, le souci de la bonne gestion des sépultures dans le cimetière ne doit jamais devenir un prétexte à la violation des droits des familles (on peut songer à la pratique illégale de certaines communes qui limitent à deux ou trois le nombre des renouvellements possibles des concessions, alors que ce droit est illimité).

 

Damien Dutrieux 

 

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