Les obligations des directeurs des établissements de santé n’étant pas tenus de disposer d’une chambre mortuaire : la décision du juge de proximité de Fontainebleau.

 

JP-Tricon
Jean-Pierre Tricon,
avocat au barreau de Marseille.

Le jugement rendu le 26 avril 2005 par le juge de proximité près le tribunal d’instance de Fontainebleau, Seine-et-Marne, est venu rappeler que les conditions de la mise en œuvre des dispositions de l’art. R. 2223-79 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) pouvaient donner lieu à litige avec les membres d’une famille lorsque le corps avait été transporté vers une chambre funéraire.

 

En effet, cet article disposait au moment du décès du mari de la requérante :


"Lorsque le transfert à une chambre funéraire du corps d'une personne décédée dans un établissement de santé public ou privé, qui n'entre pas dans la catégorie de ceux devant disposer obligatoirement d'une chambre mortuaire, conformément à l’art.
L. 2223-39, a été opéré à la demande du directeur de l'établissement, les frais résultant du transport à la chambre funéraire sont à la charge de l'établissement, ainsi que les frais de séjour durant les trois premiers jours suivant l'admission.
Dans le cas prévu à l'alinéa précédent, le corps peut faire l'objet d'un nouveau transport dans les conditions définies par l’art. R. 2213-7."

 

On sait que l’art. L. 2223-39 du CGCT prescrit :


"Les établissements de santé publics ou privés qui remplissent des conditions fixées par décret en Conseil d'État doivent disposer d'une chambre mortuaire dans laquelle doit être déposé le corps des personnes qui y sont décédées. Toutefois, la chambre mortuaire peut accessoirement recevoir, à titre onéreux, les corps des personnes décédées hors de ces établissements en cas d'absence de chambre funéraire à sa proximité.
Les dispositions de l'art. L. 2223-38 ne sont pas applicables aux chambres mortuaires."
Pour mémoire, l’art. L. 2223-38 du CGCT, modifié par ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000, JORF du 22 septembre 2000 entré en vigueur le 1er janvier 2002 disait :
"Les chambres funéraires ont pour objet de recevoir, avant l'inhumation ou la crémation, le corps des personnes décédées.
Les locaux où l'entreprise ou l'association gestionnaire de la chambre funéraire offre les autres prestations énumérées à l'art. L. 2223-19 doivent être distincts de ceux abritant la chambre funéraire. La violation des dispositions de l'alinéa précédent est punie d'une amende de 75 000 €.
En ce qui concerne le seuil du nombre des décès survenus au sein d’un établissement de santé public ou privé tenu de disposer d’une chambre mortuaire, celui-ci est déterminé en fonction du nombre des décès survenus les trois dernières années écoulées, en opérant la moyenne arithmétique.
Si le nombre des décès est inférieur à 200 décès/an, l’établissement n’a pas d’obligation d’aménager une chambre mortuaire. Au-delà, il y est contraint.
À l’époque du litige, la déclaration au greffe du tribunal ayant été effectuée le 3 février 2005, les prérogatives attribuées au directeur d’un établissement de santé public ou privé en matière de transfert d’un corps vers une chambre funéraire, dès lors que l’établissement de santé n’était pas tenu de disposer d’une chambre mortuaire, sont énoncées à l’art. R. 2223-76 du CGCT, qui prescrit :
"L'admission en chambre funéraire intervient dans un délai de quarante-huit heures à compter du décès.
Elle a lieu sur la demande écrite :
- soit de toute personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles et justifie de son état civil et de son domicile ;
- soit de la personne chez qui le décès a eu lieu, à condition qu'elle atteste par écrit qu'il lui a été impossible de joindre ou de retrouver l'une des personnes ayant qualité pour pourvoir aux funérailles ;
- soit du directeur de l'établissement, dans le cas de décès dans un établissement de santé public ou privé qui n'entre pas dans la catégorie de ceux devant disposer obligatoirement d'une chambre mortuaire conformément à l’art. L. 2223-39, sous la condition qu'il atteste par écrit qu'il lui a été impossible de joindre ou de retrouver dans un délai de dix heures à compter du décès l'une des personnes ayant qualité pour pourvoir aux funérailles.
La demande d'admission en chambre funéraire est présentée après le décès. Elle énonce les nom, prénoms, âge et domicile du défunt. Le corps d'une personne décédée ne peut être admis dans une chambre funéraire que sur production d'un extrait du certificat prévu à l’art. L. 2223-42.
Lorsque la chambre funéraire d'accueil du corps est située sur le territoire de la commune du lieu du décès, la remise de l'extrait du certificat précité s'effectue auprès du responsable de cette chambre funéraire. Dans les autres cas, le maire de la commune où se trouve la chambre funéraire d'accueil du corps et le responsable de la chambre funéraire sont destinataires de l'extrait du certificat précité."
Aujourd’hui, c’est l’art. R. 2213-8-1 du CGCT, créé par le décret n° 2011-121 du 28 janvier 2011, qui fixe les obligations respectives des parties, à savoir :
"Le transport avant mise en bière d'une personne décédée vers une chambre funéraire est subordonné :
1° À la demande écrite :
- soit de la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles et justifie de son état civil et de son domicile ;
- soit de la personne chez qui le décès a eu lieu, à condition qu'elle atteste par écrit qu'il lui a été impossible de joindre ou de retrouver dans un délai de douze heures à compter du décès l'une des personnes ayant qualité pour pourvoir aux funérailles ;
- soit du directeur de l'établissement, dans le cas de décès dans un établissement de santé public ou privé qui n'entre pas dans la catégorie de ceux devant disposer obligatoirement d'une chambre mortuaire conformément à l’art. L. 2223-39, sous la condition qu'il atteste par écrit qu'il lui a été impossible de joindre ou de retrouver dans un délai de dix heures à compter du décès l'une des personnes ayant qualité pour pourvoir aux funérailles ;
- soit du directeur de l'établissement social ou médico-social, public ou privé, sous la condition qu'il atteste par écrit qu'il lui a été impossible de joindre ou de retrouver dans un délai de dix heures à compter du décès l'une des personnes ayant qualité pour pourvoir aux funérailles ;
2° À la détention d'un extrait du certificat de décès prévu à l’art. L. 2223-42, attestant que le décès ne pose pas de problème médico-légal et que le défunt n'était pas atteint par l'une des infections transmissibles dont la liste est fixée au (d) de l’art. R. 2213-2-1 ;
3° À l'accomplissement préalable des formalités prescrites aux articles 78, 79 et 80 du Code civil relatives aux déclarations de décès. Par dérogation aux dispositions qui précèdent, en cas de fermeture de la mairie, ces formalités sont accomplies dès sa réouverture.
La déclaration préalable au transport, mentionnée à l’art. R. 2213-7, indique la date et l'heure présumées de l'opération, le nom et l'adresse de l'opérateur dûment habilité qui procède à celle-ci, ainsi que le lieu de départ et le lieu d'arrivée du corps. Elle fait référence à la demande écrite de transport mentionnée au 1° et précise de qui elle émane."

 

Deux modifications principales ont été apportées par le décret du 28 janvier 2011 :


D’une part, l’ajout, aux trois conditions citées à l’art. R. 2223-76 du CGCT, de la clause relative aux directeurs des établissements sociaux et médico-sociaux et, d’autre part, l’obligation d’effectuer une déclaration préalable, conformément à l’art. R. 2213-7 du CGCT, qui mentionne que, "sans préjudice des dispositions particulières prévues à l’art. R. 2223-77 (cas du décès ayant eu lieu sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public), et quel que soit le lieu de dépôt du corps, le transport avant mise en bière du corps d'une personne décédée vers son domicile, la résidence d'un membre de sa famille ou une chambre funéraire ne peut être réalisé sans une déclaration écrite préalable effectuée, par tout moyen, auprès du maire du lieu de dépôt du corps et dans les conditions prévues par les articles R. 2213-8, R. 2213-8-1, R. 2213-9 et R. 2213-11…".
Ces dispositions légales et réglementaires rapportées au cas traité par le jugement du tribunal d’instance de Fontainebleau, juridiction de proximité, en date du 26 avril 2005, permettent d’observer que, lorsque le directeur de l'établissement de santé public ou privé qui n'entrait pas dans la catégorie de ceux devant disposer obligatoirement d'une chambre mortuaire, conformément à l’art. L. 2223-39, sollicitait le transport du corps vers une chambre funéraire, il se devait d’attester par écrit qu'il lui avait été impossible de joindre ou de retrouver, dans un délai de dix heures à compter du décès, l'une des personnes ayant qualité pour pourvoir aux funérailles.
Or, la décision, dans ses considérants, nous enseigne que les requérantes, Mmes S et C S avaient saisi la juridiction de proximité de Fontainebleau aux fins de voir convoquer la clinique X et d’obtenir le remboursement de la somme de 366,14 €, ainsi que le paiement d'une somme de 500 € en réparation de leur préjudice moral.
À l'appui de leur action, Mmes S exposaient que leur mari et père, M. L S, était décédé le 21 septembre 2004 à la clinique X à ... et que, le jour de son décès, il avait été demandé à Mme C S de choisir une entreprise de pompes funèbres et d'autoriser le transfert du corps vers une chambre funéraire, la clinique ne disposant pas de chambre mortuaire.
En l'absence d'explication ou d'information sur la réglementation, le transfert avait été accepté et le corps avait été transporté dans la chambre funéraire de Nemours.
C'est ainsi que l'entreprise des pompes funèbres avait facturé à Mmes S et CS les frais de transport pour une somme de 241,90 €, 109 € pour l'admission en chambre funéraire et 15,24 € correspondant à la vacation de police versée aux agents chargés de la surveillance des opérations funéraires de Fontainebleau.
Se fondant sur l'art. R. 2223-79 du CGCT, Mmes S et CS avaient demandé à la clinique X le remboursement de la somme de 366,14 €, estimant que ces frais ne devaient pas leur être imputés.
En défense, la clinique X rappelait qu'elle ne disposait pas de chambre mortuaire et qu'en conséquence elle avait demandé à Mme C S, présente au moment du décès de son père, de choisir une entreprise de pompes funèbres, dont elle lui aurait communiqué la liste.
En conséquence, la clinique, se fondant sur les articles R. 2223-76 et R. 2223-79 du CGCT, soutenant que c'est à la demande de la famille que le transfert avait été effectué, s'opposait au remboursement de la somme réclamée.

 

Dans ses motifs, le jugement dispose :


Qu’il n'est pas contesté qu'en application de l'article 1er du décret n°  7-1039 du 14 novembre 1997 la clinique X, enregistrant moins de 200 décès par an, n'était pas tenue d'avoir une chambre mortuaire.
Il lui appartenait, en revanche, en tant que professionnel, d'informer les familles des diverses solutions possibles et de leur proposer :
- soit le retour du défunt à son domicile, les frais étant à la charge de la famille ;
- soit l'hébergement du corps dans la chambre mortuaire d'un établissement de santé public ou privé à proximité, avec gratuité pour les 3 premiers jours ;
- soit le transfert du corps vers une chambre funéraire privée, celui-ci étant effectué à la demande du directeur de l'établissement de soins, avec gratuité du transport et du séjour.
Dans cette hypothèse, une demande d'admission à la chambre funéraire devait obligatoirement être présentée pour être signée, mais les établissements omettaient, en règle générale, de faire porter la mention "transfert effectué à la demande du directeur de l'établissement, sans frais pour les familles".
C'est ainsi que, s'appuyant strictement sur les termes de l'art. R. 2223-79 du CGCT, la clinique X soutenait que c'était à la demande de la famille du défunt que le transfert avait été demandé, et qu'en conséquence elle n'avait pas à prendre en charge les frais du transfert et de séjour en chambre funéraire.
En l'espèce, Mme C S avait précisé, à l'audience, qu'aucune de ces informations ne lui avait été fournie, la seule demande de la clinique X avait été de l'interroger sur la société de pompes funèbres en charge des funérailles pour procéder au transfert du corps.
La clinique X soutenait que la procédure mise en place pour les décès était connue du personnel et appliquée, mais l'examen du document intitulé "prise en charge du patient" ne mentionnait pas que l'ensemble de ces informations avait été fourni.
Il apparaissait, en effet, que si l'établissement indiquait aux familles que si le transfert s'effectuait à leur demande (alors qu'il est obligatoire, en l'absence de chambre mortuaire), elles préciseraient "transfert effectué à la demande du directeur de l'établissement, sans frais pour les familles".
Ainsi, selon le tribunal, la clinique, qui était tenue à l'égard de ses patients (ou de leur famille) de renseignements concernant ses prestations, avait failli à ses obligations.
Dans ces conditions, la juridiction de proximité décida qu’il convenait de juger que la clinique X avait manqué à son devoir de renseignements et que cette faute avait causé à Mmes S. un préjudice qui pouvait être évalué à la somme de 366 €.
En outre, compte tenu du contexte particulièrement douloureux dans lequel se situait ce litige, il avait été fait droit à la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral, qui a été fixée à 300 €.

 

Et le jugement de conclure, en conséquence et par ces motifs :


La juridiction de proximité, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, avait déclaré Mmes S et CS bien fondées en leur action, et a condamné la clinique X à payer à Mmes S et CS :
- la somme de 366 € en réparation du dommage causé du fait de la faute commise par la clinique X ;
- la somme de 300 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral.
En outre, la clinique X a été condamnée aux dépens de l’instance.

 

Discussion :


Cette décision est de nature à interpeller le juriste et le professionnel, dans la mesure où, à l’époque du litige, les obligations du directeur de l’établissement de santé privé consistaient, selon les termes de l’art. R. 2223-76 du CGCT, s’agissant d’un décès survenu dans un établissement de santé qui n'entrait pas dans la catégorie de ceux devant disposer obligatoirement d'une chambre mortuaire, conformément à l’art. L. 2223-39, d’attester par écrit qu'il lui avait été impossible de joindre ou de retrouver dans un délai de dix heures à compter du décès l'une des personnes ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, avant qu’il ne sollicite le transfert du corps en chambre funéraire.
Or, le jugement mentionne clairement que, le jour de la survenance du décès de son père, sa fille était bien présente et que, de ce fait, l’établissement de santé privé, qui avait uniquement la charge de joindre ou de retrouver dans un délai de dix heures l’une des personnes ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, n’avait pas pu se trouver dans une telle situation, puisque la fille du défunt avait bien été informée, en temps réel, du décès de son père.
Que, dans de telles conditions, les dispositions réglementaires alors en vigueur (art. R. 2223-76 du CGCT), la présence de l’une des personnes ayant qualité pour pourvoir aux funérailles exonérait le directeur de la clinique de la possibilité de faire procéder de son propre chef au transport du corps vers une chambre funéraire.

 

Cette responsabilité revenait, à notre sens, à l’épouse ou à sa fille


Toutefois, la juridiction de proximité, statuant en dernier ressort, ce qui impliquait l’impossibilité d’interjeter appel, seul un pourvoi en cassation long et onéreux, donc dissuasif, étant possible, a fondé sa décision sur le manquement du responsable de la clinique à son obligation d’information, en sa qualité de professionnel, de la famille sur les diverses solutions possibles, dont le retour du défunt à son domicile, dans ce cas, les frais étant à la charge de la famille.
En revanche, il est assez surprenant de lire que ce défaut de conseil a été étendu, d’une part, au cas intéressant l’hébergement du corps dans une chambre mortuaire d’un établissement de santé public ou privé, hypothèse à exclure, puisque la clinique n’était pas astreinte à en disposer, ce qui rendait cette obligation impossible à concrétiser et, d’autre part, au transfert du corps vers une chambre funéraire privée, celui-ci devant être effectué à la demande du directeur de l’établissement de soins, avec gratuité du transport et du séjour.
Or, le fait que l’une des personnes habilitées à pourvoir aux funérailles, la fille en la circonstance, ait été prévenue du décès en temps réel de son père interdisait au directeur de la clinique d’attester par écrit qu’il lui avait été impossible de joindre ou de retrouver, dans un délai de dix heures, l’une des personnes ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, une telle attestation constituant un faux en écriture.
Par l’effet de ces considérations, nous estimons que cette décision est éminemment contestable, et que le fait qu’elle ait été rendue en premier et dernier ressort a dû dissuader la clinique de diligenter un pourvoi en cassation, eu égard au coût financier et à la relative complexité de la procédure.

 

Jean-Pierre Tricon

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