Il ne convient pas de se voiler la face à l’égard des conditions dans lesquelles les dernières épreuves de l’examen théorique du diplôme national de thanatopracteur se sont déroulées, puisqu’elles ont donné lieu à plusieurs recours en annulation de l’arrêté ministériel fixant la liste des candidats classés en rang utile par le jury national, parmi les 55 premiers, qui peuvent ainsi accéder au deuxième cycle, celui de la formation pratique.
Il existe en droit des examens et concours, un principe fondamental qui est le respect de l’impartialité d’un jury ou de l’un de ses membres.

Ainsi le Conseil d’État dans son arrêt en date du 22 juin 2011, N° 336757, a considéré que :
“En troisième lieu, que la seule circonstance qu'un membre d'un jury d'examen universitaire connaisse un candidat ne suffit pas à justifier qu'il s'abstienne de participer aux délibérations qui concernent ce candidat ; qu'en revanche, le respect du principe d'impartialité exige que s'abstienne de participer, de quelque manière que ce soit, aux interrogations et aux délibérations qui concernent un candidat, un membre du jury qui aurait avec celui-ci des liens, tenant à la vie personnelle ou aux activités professionnelles, qui seraient de nature à influer sur son appréciation…”

Également dans son arrêt en date du 18 juillet 2008, N° 291997, la Haute Assemblée a complété ces critères, en disposant :
“Considérant que la seule circonstance qu'un membre d'un tel jury d'examen professionnel connaisse un candidat ne suffit pas à justifier qu'il s'abstienne de participer aux délibérations qui concernent ce candidat ; qu'en revanche le respect du principe d'impartialité exige que s'abstienne de participer, de quelque manière que ce soit, aux interrogations et aux délibérations qui concernent un candidat un membre du jury qui aurait avec celui-ci des liens, tenant à la vie personnelle ou aux activités professionnelles, qui seraient de nature à influer sur son appréciation ; qu'en outre un membre du jury qui a des raisons de penser que son impartialité pourrait être mise en doute ou qui estime, en conscience, ne pas pouvoir participer aux délibérations avec l'impartialité requise, peut également s'abstenir de prendre part aux interrogations et aux délibérations qui concernent un candidat…”

Le  ministère de la Santé a-t-il tiré les enseignements des difficultés qu’il rencontre avec certains candidats exclus de la liste des admis, mettant en cause l’impartialité du jury, lors de la rédaction du décret du 30 avril 2012, puisque en son article 1er, instaurant l’art.
D. 2223-55-10 dans le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), dans la partie consacrée à la composition du jury, il a inséré la réserve suivante :
“Aucun membre du jury ne peut prendre part à une délibération ou à un jury constitué par un organisme de formation dans lequel il détient ou a détenu un intérêt direct ou indirect, pour ou contre lequel il a déjà pris parti ou qu’il représente ou a représenté.”
Il est à espérer que le principe d’impartialité affirmé dans ce texte, conduise le ministère de la Santé à en faire application pour la constitution du jury national de l’examen théorique du diplôme national de thanatopracteur, tant au plan du choix des sujets et questions, qu’au stade des corrections.
Au surplus, lors du colloque organisé par l’association Droit et Commerce à Deauville, les 1er  et 2 avril 2006, M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation a disserté sur le conflit d’intérêts.
Or, dans le cas évoqué par l’article 1er du décret du 30 avril 2012, les garanties d’impartialité du jury introduites dans le CGCT, art. D. 2223-55-10, confinent avec la prévention du conflit d’intérêt.

Qu’est-ce qu’un conflit d’intérêts ?
Le conflit d’intérêts est situé aux confins du droit et de la morale,  ainsi que le duc de La Rochefoucauld le laissait entendre dans ses Maximes : “Les vertus se perdent dans l’intérêt comme les fleuves dans la mer. ”
Il s’agit bien, au fond, autant de conflits entre devoir et intérêt que de simples oppositions entre intérêt personnel et intérêt d’autrui, car il est aisé, loin de toute prétention dogmatique, de s’entendre sur ce qu’est l’“intérêt”, l’une des notions les plus protéiformes que compte la science juridique.
Sans se perdre dans des débats doctrinaux, il semble en effet possible de s’accorder sur la définition la plus proche du sens commun, qui renvoie à l’utilité matérielle ou morale, actuelle ou future, qu’une personne entend retirer d’une situation. Évidemment, ce sont les conflits d’intérêts que la morale réprouve, que le droit se doit de combattre, et qu’il s’agit donc de cerner avec précision.
En dépit de l’absence de définition dans la loi, ou même dans les dictionnaires juridiques les plus autorisés, l’on peut rapidement s’accorder à définir le conflit d’intérêts comme une situation dans laquelle les intérêts personnels d’un individu sont en opposition avec ses devoirs, lesquels tendent justement à la protection des intérêts dont il a la charge.

L’application judiciaire des règles légales

Pour remonter à la source des conflits d’intérêts, les détecter avant de les neutraliser, le juge s’en remet d’abord, naturellement, au guide que constitue la loi. L’une des premières missions du juge, au stade de l’identification des conflits d’intérêts, consiste ainsi à expliciter les termes des textes expressément destinés à les combattre, pour autant que des références textuelles existeraient dans notre droit.

La création prétorienne de principes généraux

Si le juge participe de la définition des conflits d’intérêts en interprétant les textes imprécis, la faiblesse d’une approche casuistique se décèle cependant sans peine : tous les aspects que la loi a laissés dans l’ombre ne pourront donner lieu à un traitement pleinement satisfaisant des conflits qui se font jour.
Inéluctablement, le juge, saisi de situations de conflit avérées, mais non appréhendées par la loi, a dû mettre en œuvre d’autres moyens d’identification et de sanction des conflits d’intérêts.
C’est ainsi que le conflit d’intérêts a pu être appréhendé comme manquement au “devoir de loyauté”, et que le juge est invité à recourir à un principe général de prohibition dont il faut examiner la pertinence.

Le manquement au devoir de loyauté
De plus en plus relevé par les juges – 200 décisions recensées sur le site de la Cour de cassation de sept. 2004 à mars 2006, dans de multiples domaines – le manquement au devoir de loyauté tend à devenir le fer de lance de la lutte contre les conflits d’intérêts.
La Cour de cassation en matière de contrats commerciaux ou d’actes de commerce, a qualifié la déloyauté qui résulte d’une dissimulation caractérisée et trompeuse, cependant force est d’observer que justement, la jurisprudence s’est attachée à définir une position souple, équilibrée.
Il faut rappeler à cet égard que, pour l’heure, les juges se sont toujours attachés à relever l’existence d’une faute, voire d’une faute intentionnelle, ainsi le silence sur la situation de la personne qui dissimulerait la réalité de sa position la plaçant manifestement en conflit d’intérêts,  constituerait donc un fait fautif.

La reconnaissance d’un principe général de prohibition des conflits d’intérêts
Si l’effort jurisprudentiel dirigé vers la prévention des conflits d’intérêts est déjà très important, d’aucuns jugent cependant qu’un pas supplémentaire pourrait être franchi.
En effet, la reconnaissance d’un devoir de loyauté à la charge de certains acteurs de la scène économique a permis de pallier certaines insuffisances de la règle écrite, il n’en demeure pas moins que certains craignent encore que nombre d’hypothèses de conflit restent impunies.
Aussi, certains proposent-ils d’ériger l’interdiction des conflits d’intérêts en principe général, en se prévalant notamment d’une ancienne maxime, à laquelle serait ainsi offert un regain de vigueur : entendons bien sûr l’adage “nemo in rem suam auctor esse potest”, précepte selon lequel “nul ne peut officier en sa propre cause”.
Toutefois, l’adoption d’un principe général de prohibition des conflits d’intérêts n’irait pas sans soulever des difficultés majeures.
En premier lieu, il faudrait régler les délicats chevauchements qui ne manqueraient pas d’apparaître entre ce principe d’une part, et d’autre part, des notions aussi diverses que le détournement de pouvoir, l’abus de droit, ou même le devoir de loyauté récemment renforcé.
En second lieu, il est constant que la validité d’une démarche aussi systématique, au regard de l’insuffisance des textes légaux ou réglementaires dans des domaines très divers, aurait une réelle utilité, car ce principe jurisprudentiel permetrait d’appréhender toutes les hypothèses qui ne sont pas expressément visées, de combler la moindre de leurs lacunes, comme l’a fait le Conseil d’État en matière de respect du principe ou de la règle d’impartialité d’un ou plusieurs membres des jurys.
Le juge y trouverait donc un renfort considérable dans la reconnaissance d’un principe général de prohibition des conflits d’intérêts, car ce qui reste évident à tous égards, c’est le défi qu’il appartient au juge de relever, afin de servir l’objectif cardinal que représente l’identification des conflits d’intérêts, préliminaire indispensable à leur prévention et à leur sanction.
Dans un tel contexte, reconnaissons le mérite du ministère de la Santé d’avoir fait un pas considérable dans la protection des droits et intérêts des candidats à l’obtention d’un diplôme professionnel, dont nous espérons qu’il constituera le premier degré d’une échelle, afin de sécuriser, dans un proche avenir, les conditions dans lesquelles se dérouleront les épreuves théoriques de l’examen du diplôme national de thanatopracteur.

Jean-Pierre Tricon

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