La loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 sur le don et l’utilisation des produits du corps humain, modifiée par la loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique(1), organise les prélèvements sur le corps humain au profit d’autrui. La loi se substitue à des dispositions législatives antérieures relatives à la greffe de cornée(2) ou aux prélèvements d’organes(3).
L’inviolabilité du corps humain, posée à l’article 16-1 du Code civil, s’oppose à ce que soient prélevées des "parcelles quelconques"(4) sans le consentement de la personne, mais encore faut-il qu’elle soit vivante. En effet, la loi distingue entre le donneur vivant et le "donneur"(5) décédé, la nécessaire preuve du consentement de la personne étant appréciée différemment. Paradoxalement, l’inviolabilité du cadavre consacrée par l’article L. 225-17 du Code pénal connaît ici une restriction. Aussi bien la loi du 22 juillet 1976, que celles des 29 juillet 1994 et 6 août 2004 consacrent la présomption du consentement de la personne aux prélèvements effectués à des fins thérapeutiques ou scientifiques(6). Ces prélèvements pourront être effectués sur le cadavre de la personne(7) qui n’aura pas de son vivant fait connaître son refus(8). Cependant, l’apport de la loi de 1994 est d’avoir "humanisé" cette disposition en renonçant à imposer une formalisation du refus en l’enregistrant sur le registre national informatisé(9). Cette possibilité reste toutefois facultative. Le médecin peut ainsi avoir directement connaissance de la volonté du défunt soit de son vivant ou par la consignation de sa volonté dans un registre tenu à l’hôpital. Dans le cas contraire, il doit s’efforcer de recueillir le témoignage des familles. Ainsi les prélèvements ne peuvent être effectués sans que la famille en ait été informée chaque fois qu’elle est connue ou a pu être jointe(10).

La loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique consacre ce rôle des "proches". Cette recherche de volonté par le médecin s’assimile ainsi à la recherche qu’opère le juge judiciaire en cas d’absence de volonté manifeste exprimée par le défunt quant à l’organisation de ses funérailles. "Si le médecin n’a pas directement connaissance de la volonté du défunt, il doit s’efforcer de recueillir auprès des proches l’opposition au don d’organes éventuellement exprimée de son vivant par le défunt, par tout moyen"(11). Cet appel aux proches (conjoint, famille ou amis) démontrerait l’importance de la volonté du principal intéressé(12). Mais elle crée aussi un véritable droit d’opposition aux prélèvements, droit dévolu aux proches(13), exposant alors leur propre refus plutôt que celui du défunt. De plus, quel témoignage privilégier ? Le médecin procéderait en pratique comme le juge judiciaire, interrogeant en priorité le conjoint ou le concubin, puis à défaut ses parents ou enfants(14).

La loi revient partiellement sur un système insidieux qui d’un coté, proclame l’inviolabilité du corps de la personne décédée et qui de l’autre, présume qu’elle a consentie à ce qu’une partie d’elle-même lui soit retirée. Les causes d’un tel système ont été évoquées dès 1976, lors de l’adoption de la loi Caillavet. Il s’agissait de "sauver" efficacement les dons d’organes en nombre sans cesse décroissant(15). Ainsi, en entrant dans un établissement public hospitalier(16), "le malade accepterait par avance des sujétions de service public, notamment relativement à l’utilisation éventuelle, dans l’intérêt de tiers, d’éléments prélevés sur son cadavre"(17). Ces prélèvements ne seraient plus effectués dans une logique de don mais dans une logique de solidarité(18). Pourtant, comme l’explique Stéphanie Hennette-Vauchez, "le fait que le consentement puisse être présumé ne doit pas faire perdre de vue que cette présomption n’est que simple, et ne saurait prévaloir sur le refus de subir un prélèvement exprimé (…) par la personne de son vivant. (…) si le législateur avait voulu faire relever cette présomption de l’ordre public, il eût recouru à l’instauration d’une présomption irréfragable"(19).

Cette "appropriation collective" des éléments utiles des cadavres au nom de l’ordre public, va à l’encontre de l’idée que le corps de la personne décédée est inviolable. La législation sur les prélèvements d’organe fait en effet "consentir un mort" qui a pu pourtant de son vivant refuser des telles atteintes. Or, comme l’explique Jean Savatier, "ce cadavre n’a plus de volonté propre susceptible de s’exprimer dans un acte juridique"(20). Ainsi, le respect du corps humain, fondé sur la primauté et la dignité de la personne humaine, proclamé à l’article 16 du Code civil, serait à géométrie variable. Prélever un organe à un cadavre dans le but de sauver une autre personne, donc dans un but de santé publique, n’est pas considéré comme une atteinte car la personne est présumée avoir consentie par détermination de la loi.

L’article L. 1232-1 du Code la Santé publique, issu de la loi du 6 août 2004, dispose dans son alinéa 3 que le médecin, s’il n’a pas directement connaissance de la volonté du défunt, doit s’efforcer de recueillir auprès des proches son éventuelle opposition au don d’organes. Il doit les informer des prélèvements envisagés et de leur finalité. Cette obligation d’information est impérative. Elle n’empêchera pas le don, sauf si la personne de son vivant s’est opposée au prélèvement, mais elle lève le voile posé sur l’étendue du don d’organes. Le tribunal administratif d’Amiens a estimé que le praticien qui s’abstenait d’informer les proches de la "réalité des prélèvements" se rendait coupable d’une "carence" et que celle-ci constituait une faute de nature à engager sa responsabilité(21).

En l’espèce, les parents d’un jeune homme victime d’un accident de la circulation, avaient accepté au nom de leur fils, que soient prélevés sur sa dépouille le foie, le cœur et les reins. Quelques mois plus tard, ils reçurent par erreur les factures correspondant aux actes accomplis sur le corps de leur enfant, et après avoir eu accès au dossier de ce dernier, il apparut que les prélèvements avaient été beaucoup plus nombreux que ceux annoncés par le médecin(22). Les parents déposèrent alors une plainte au Parquet d’Amiens et une information fût ouverte contre X pour vol et violation de sépulture. La Cour d’appel d’Amiens déclara que les délits de vol et de violation de sépulture n’étaient pas constitués car le principe d’indisponibilité du corps humain exclut qu’une appropriation frauduleuse puisse en être faite(23). La décision fut vivement critiquée, Xavier Labbée comparant le don d’organe sur une personne présumée consentante à un "ultime impôt de solidarité à la société"(24).

En effet, pour l’auteur la dépouille mortelle est une chose, et même une chose sacrée, que l’article 225-17 du Code pénal protège contre toute forme d’atteinte. Mais ce texte n’était pas en vigueur à l’époque des faits. Devant le Tribunal Administratif d’Amiens, les parents demandèrent réparation au titre de leur préjudice moral invoquant un défaut d’information et un défaut de consentement. Seul le défaut d’information fut retenu. Dans ses conclusions, le commissaire du Gouvernement Olivier Mesmin, explique que c’est pour ne pas avoir exigé ou obtenu de son personnel, dans les circonstances de l’espèce, le respect du principe déontologique du respect dû aux morts que le centre hospitalier a commis une faute de nature à engager sa responsabilité pécuniaire(25). Avoir abusé inutilement des parents quant à l’étendue des prélèvements, alors que ceux-ci avaient fait connaître le non-refus de leur enfant, est un "manquement au devoir déontologique d’honnêteté dans l’information prodiguée aux parents du mort, eu égard au respect et à la dignité du corps dont la société va pouvoir disposer"(26).

Il faut d’ailleurs préciser que selon l’article L. 1232-5 du Code de la Santé publique, les médecins qui ont procédé aux prélèvements ou à l’autopsie sont tenus de s’assurer de la meilleure restauration possible du corps. L’hôpital est d’ailleurs tenu de conserver les corps des personnes décédées (ayant subi une intervention ou non) en chambre froide jusqu’à dix jours, en attendant qu’ils soient réclamés par les proches, et il engage sa responsabilité si quatre jours après le décès et pour les besoins de la mise en bière, un corps est trouvé en état de décomposition(27).

Ainsi, le respect dû au corps mort du de cujus serait apprécié comme le prolongement de la dignité de la personne humaine que ce corps a incarné. La dignité de la personne humaine s’apprécierait donc indifféremment selon que la personne est vivante ou "résiduelle". La jurisprudence a d’ailleurs consacré "le droit à la dignité du mort". Dans l’affaire Erignac, afin de justifier la sanction prononcée à l’encontre des journaux qui avaient diffusé la photographie du préfet assassiné, la Cour de cassation énonce "qu’ayant retenu que la photographie publiée représentait distinctement le corps et le visage du préfet assassiné, gisant sur la chaussée (…), la Cour d’appel a pu juger, dès lors que cette image est attentatoire à la dignité de la personne humaine, qu’une telle publication était illicite, sa décision se trouvant légalement justifiée tant au regard de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme que de l’article 16 du Code civil"(28).

Cependant, il apparaît que la protection du corps mort va dépendre du but dans lequel l’atteinte lui est portée. Le prélèvement d’organe sur le cadavre d’une personne présumée consentante n’est pas considéré comme une atteinte, alors que la dégradation du corps mort dans un but malveillant serait incriminée au sens de l’article 225-17 du Code pénal qui protège le cadavre et la dernière demeure du défunt contre toute forme de dommage. Tout comme le fait d’évoquer les conditions de ses funérailles auprès de son entourage, parler du don d’organes permet aux proches d’être pleinement informés des volontés de la personne et d’être à même de les respecter, évitant bien souvent des conflits stériles. N’oublions pas que les dons d’organes permettent chaque année de sauver des milliers de vie et qu’une information clairement exprimée de son vivant ne peut qu’aller dans le sens de la démarche des médecins.
 
Marion Perchey
 
 
(1)     JO, 7 août 2004, p. 14 040, D. 2004, n° 29, Législation, p. 2089.
(2) Loi n° 49-890 du 7 juillet 1949, JO, 8 juillet 1949, p. 6702.
(3) Loi n° 76-1181 du 22 décembre 1976, JO, 23 décembre 1976, p. 7365.
(4) Savatier Jean, "Les prélèvements sur le corps humain au profit d’autrui", Les Petites Affiches, 14 décembre 1994, n° 149, p. 8.
(5) Comme le démontre Jean Savatier, le texte ne parle de « donneur » qu’à l’endroit de la personne vivante, ce qui marquerait une hésitation à rattacher à une intention libérale les prélèvements effectués sur des personnes décédées, Ibid. p. 10.
(6) Le Royaume-Uni a opté pour le consentement explicite, moins favorable aux transplantations, tandis que la Belgique a opté pour le refus explicite, très favorable aux transplantations car la personne qui ne sera pas rendue dans une mairie pour faire enregistrer son opposition au don sur le fichier national pourra faire l’objet d’un prélèvement, cit. in Terrasson de Fougères Aline, "Que votre oui soit oui : Plaidoyer pour un registre des acceptations de prélèvements d’organes », RDSS, avril-juin 2000, p. 339, spéc. p. 342.
(7) La loi n° 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique dispose désormais que si la personne décédée est un mineur ou un majeur sous tutelle, le prélèvement à des fins scientifiques ou thérapeutiques ne peut avoir lieu qu’à la condition que chacun des titulaires de l’autorité parentale ou le tuteur y consente par écrit. "Toutefois, en cas d’impossibilité de consulter l’un des titulaires de l’autorité parentale, le prélèvement peut avoir lieu à condition que l’autre titulaire y consente par écrit" : Article L. 1232-2 du Code de la Santé publique. Cette disposition vient ainsi définitivement remettre en cause la jurisprudence Camara, qui autorisait en l’absence de consentement exprès du représentant légal, le prélèvement d’organe à des fins scientifiques sur le cadavre d’un enfant mineur : CE, 17 février 1988, req. n° 65436, Époux Camara, JCP G, n° 10, II, 1990, 21421, obs. Fort-Cardon ; AJDA, 20 mai 1988, p. 329.
(8) Article L. 1232-1 du Code de la Santé publique.
(9) Article L. 1232-1 du Code de la Santé publique.
(10) SAVATIER Jean, « Les prélèvements sur le corps humain au profit d’autrui », op. cit., p. 11.
(11) Article L. 1232-1 du Code de la santé publique confirmé par le décret n°2005-949 du 2 aout 2005, JORF n°182, 6 aout 2005, p. 12898.
(12) Soulard A., "Le pouvoir des proches à l’avènement de la mort (avancée ou recul de l’autonomie de la volonté du mourant et du défunt ?)", Médecine et droit, 2004, p. 81, spéc. p. 82.
(13) Droit que le conseil d’État avait refusé d’entériner dans sa décision du 18 mars 1983, Mme Nguyen Ti Nam, épse Tran van Oanh, JCP G, 1983, Jurisprudence, 20 111, obs. Auby.
(14) Soulard A., "Le pouvoir des proches à l’avènement de la mort (avancée ou recul de l’autonomie de la volonté du mourant et du défunt ?)", op. cit., p. 83.
(15) Granet-Lambrechts Frédérique, "Les dons d’organes, de tissus, de cellules et de produits du corps humain : de la loi Caillavet aux lois de bioéthique", RDSS, janvier-mars 1995, p. 1, spéc. p. 11.
(16) Stéphanie Hennette-Vauchez fait remarquer que cette sujétion du cadavre ne concerne pas tous les usagers du service public hospitalier. Cela dépend de l’établissement, qui doit avoir reçu une habilitation, et cela dépend de l’usager. En effet, les décrets du 6 janvier 1927 et du 27 janvier 1955 prohibent la réalisation de prélèvements sur des usagers de confession juive et musulmane, dont les préceptes imposent que le corps soit intact, cit. in, Hennette-Vauchez Stéphanie, "Le consentement présumé du défunt aux prélèvements d’organes : un principe exorbitant, mais incontesté", RRJ, 2001/1, p. 183, spéc. p. 193.
(17) Savatier Jean, "Les prélèvements sur le corps humain au profit d’autrui", op. cit., p. 11.
(18) Ibid., p. 11.
(19) Hennette-Vauchez Stéphanie, "Le consentement présumé du défunt aux prélèvements d’organes : un principe exorbitant, mais incontesté", op. cit., p. 198.
(20) Savatier Jean, "Les prélèvements sur le corps humain au profit d’autrui", op. cit., p. 11.
(21) TA d’Amiens, 4 décembre 2000, Tesnière c/ Centre hospitalier régional d’Amiens, req. n° 97994.
(22) Outre le cœur, le foie et les reins, les prélèvements comprenaient également l’aorte descendante, les deux cornées, les gros troncs supérieurs de la crosse, l’artère iliaque et fémorale droite, les deux veines saphènes internes et la veine fémorale droite, cit. in Nau Jean-Yves, "La mort violée", Le Monde, 17 mai 1992.
(23) CA d’Amiens, 26 novembre 1996.
(24) Labbee Xavier, "Prélèvements d’organes et indisponibilité du corps humain", Les Petites Affiches, 11 juillet 1997, n° 83, p. 34, spéc. p. 36.
(25) Mesmim Olivier, conclusions sous TA d’Amiens, 14 décembre 2000, Tesnières c/ Centre Hospitalier Régional d’Amiens, AJDA, 20 septembre 2001, p. 790, spéc. p. 794.
(26) Ibid.
(27) Cass., 2e civ., 17 juillet 1991.
(28) Cass., 1ère civ., 20 novembre 2000.

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