On sait que la jurisprudence administrative a posé les principes essentiels du régime juridique de droit public applicable aux dévolutions des concessions funéraires, dans les deux arrêts les plus importants du Conseil d’État, soit l’arrêt demoiselle Méline du 21 octobre 1955, et l’arrêt consorts Hérail du 11 octobre 1957, qui avaient levé l’indécision qui régnait sur la compétence de l’ordre de la juridiction appelée à connaître les litiges relatifs aux contrats d’occupation des cimetières communaux.

 

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Jean-Pierre Tricon,
avocat au barreau
de Marseille.

Pour une parfaite compréhension du commentaire de l’arrêt de la Cour de cassation en date du 22 février 1972, n° de pourvoi 70-13192, il est apparu nécessaire d’opérer un bref rappel préalable des conditions dans lesquelles s’opèrent le partage des compétences entre les juridictions de l’ordre judiciaire et celles de l’ordre administratif, notamment en matière de contentieux sur les concessions funéraires.
En effet, jusqu’à l’arrêt du Conseil d’État demoiselle Méline, il existait une indécision manifeste, car, bien que, le 28 juin 1935, dans sa décision Marecar (Rec. p. 734), le Conseil d’État ait affirmé que les cimetières faisaient partie du domaine public communal, cette même assemblée confirmait la compétence judiciaire dans un arrêt de section rendu le 10 février 1950, veuve Durant-Sachot (Rec. p. 93).
Les décret des 30 septembre 1953 et 28 novembre 1953 réformant le contentieux administratif, et aussi et surtout, l’arrêt demoiselle Méline précité, avaient permis de lever les doutes qui auraient pu subsister en confirmant que les concessions funéraires, nonobstant l’absence de caractère précaire et révocable qui s’applique généralement aux occupations du domaine public, constituaient des contrats comportant l’occupation de ce domaine.
Il en résultait que les litiges qui étaient susceptibles d’opposer la commune concédante aux concessionnaires relatifs à l’exécution du contrat relevaient de la compétence des juridictions administratives (cf. A. De Laubadère, "Traité de droit administratif" 1975, II, n° 377, et arrêt demoiselle Méline 21 octobre 1955, D, 1956, 543, conclusions Guionin), tout comme ceux ayant trait à son interprétation, même si le conflit opposait des personnes privées.
Nous passerons sur un examen approfondi du contentieux déféré devant le juge administratif, dès lors qu’il existe une classification entre les procès basés sur une responsabilité quasi délictuelle de la commune et ceux reposant sur une responsabilité contractuelle, ce domaine ayant été abordé dans notre article publié dans les colonnes de Résonance N° 106, du mois de janvier 2015.
Lorsque le litige porte sur l’inhumation dans un caveau d’une personne étrangère à la famille du concessionnaire, on serait tenté de penser qu’il entre dans le champ de la faute contractuelle. Pourtant, dans un arrêt Monier du 9 février 1940, Rec. p. 54, le Conseil d’État avait subordonné une telle responsabilité à "une grave négligence du service des cimetières". Cette exigence de faute grave était révélatrice du désir de faire application des règles concernant la responsabilité quasi délictuelle (voir en ce sens commune de Clermont, 19 octobre 1966, Rec. p. 551), au détriment de la responsabilité purement contractuelle.
Mais ultérieurement, d’autres décisions ont tempéré la portée de cet arrêt, dont l’arrêt Berezowski, CE, 1er décembre 1976, Rec. 1978, p. 45 et suivantes, qui a introduit l’existence d’un principe de priorité de la responsabilité contractuelle, puisque le titulaire de la concession funéraire étant lié à la commune par un contrat de droit public, il ne peut en principe exercer à son encontre d’autre action que celle procédant de ce contrat (voir aussi en ce sens A. De Laubadère, "Traité théorique et pratique des contrats administratifs", 1956, t. III, n° 497 ou F ; Moderne, note sous l’arrêt du Conseil d’État, 13 septembre 1972, JCP, 1974, II 17686.
Mais force est de constater qu’aux côtés de la compétence administrative s’affirme la compétence judiciaire pour les contestations qui s’élèvent entre le ou les concessionnaires et les ayants droit, ou ces derniers entre eux, notamment en matière de dévolution successorale de la concession ou des droits attribués à des tiers, étrangers à la famille, entendue stricto sensu, du concessionnaire, fondateur de la concession funéraire.
Parmi les droits du concessionnaire, que nous avons exposés d’une manière exhaustive dans notre "Traité de Législation et Réglementation Funéraires" paru aux éditions Résonance, figurent les prérogatives conférées au concessionnaire qui dispose de nombreuses facultés, tel le droit d’aménager la sépulture en y faisant édifier un caveau et poser un monument funéraire, même si la loi du 19 décembre 2008, en son art. 18, a apporté une restriction au droit du concessionnaire en matière de choix de monument funéraire, en insérant au Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) un nouvel art. L. 2223-12-1 : "Le maire peut fixer des dimensions maximales des monuments érigés sur les fosses", mais aussi et surtout, pour le cas d’espèce abordé dans cet article, désigner les personnes pouvant être inhumées dans la concession.
S’agissant d’une concession familiale ou collective, ce devait être le contrat de concession qui faisait foi : il pouvait soit contenir des clauses dictées par le fondateur de la concession désignant les bénéficiaires de la sépulture, ceux qui s’étaient vu attribuer un droit d’inhumation, soit, plus largement, respecter les termes de l’art. L. 2223-13, en consacrant le caractère familial de la concession, la mention du nom du fondateur entraînant ipso facto la dévolution des droits à la sépulture au profit des enfants ou successeurs.
Ces principes exposés, nous aborderons les circonstances traitées par l’arrêt de la Cour de cassation, 1re chambre civile, en date du 22 février 1972, n° de pourvoi 70-13192, dirigé contre l’arrêt de la cour d’appel de Limoges du 10 juillet 1970.
- Sur le premier moyen : Il résultait des énonciations de l’arrêt de la cour de Limoges attaqué que M. Henri Z…, titulaire d’une concession funéraire, avait autorisé l’inhumation dans le caveau de famille de son frère utérin, M. Louis X… Qu’ultérieurement, Henri Z… avait assigné la veuve et les héritiers de son frère utérin, Louis X…, afin d’entendre décider qu’il possédait des droits indivis dans cette sépulture et que le tribunal, saisi de cette demande, lui avait donné acte que ses adversaires reconnaissaient le bien-fondé de cette prétention. À la suite de difficultés rencontrées avec les consorts X…, au sujet de l’aménagement du caveau, Henri Z… les avait fait assigner à nouveau pour faire juger qu’il était le seul propriétaire de la sépulture.
Que par l’arrêt de la cour d’appel de Limoges en date du 10 juillet 1970, il avait été débouté de sa demande, la décision de la cour ayant établi que les consorts X… avaient des droits dans la sépulture par l’effet du contrat judiciaire intervenu lors de la précédente instance. Que dans son pourvoi devant la Cour de cassation, M. Y… et sa défense soutenaient qu’ils reprochaient à la cour d’appel d’avoir ainsi statué lors que, selon le pourvoi, les sépultures constituent une propriété "sui generis" hors du commerce et appartient de plein droit aux seuls héritiers du sang, et au surplus, qu’il était fait grief à la cour d’appel d’avoir dénaturé le jugement d’où elle déduisait l’existence d’un contrat judiciaire.

À ce stade de cet exposé, il paraît utile de qualifier la notion de contrat judiciaire
 
Il y a contrat judiciaire quand le juge consacre l'accord des parties sans prononcer de décision sur le litige (Cass. req., 10 juin 1895 ; Cass. req., 21 déc. 1932). Le contrat judiciaire a la forme d'un jugement, mais, au fond, c'est une véritable convention, de telle sorte qu'en l'absence de tout élément contentieux il n'est pas concevable d'attacher l'autorité de la chose jugée à cette décision. Mais grâce à cette technique, les parties obtiennent un titre exécutoire (Cass. civ., 9 janv. 1889 : S. 1889, 1, p. 118. – 16 juin 1926 : S. 1926, 1, p. 326), leur accord étant constaté dans un acte authentique. La nature conventionnelle de cette opération interdit cependant de se référer à l'autorité de la chose jugée.
Donc, bien que dépourvu de la force de l’autorité de la chose jugée, le contrat judiciaire s’est vu attribuer la force juridique d’une convention. C’est en ce sens que la Cour de cassation, dans sa décision en date du 22 février 1972, s’est prononcée en considérant que :
"Mais attendu que la cour d’appel, après avoir rappelé les faits et circonstances de la cause, énonce justement que si la propriété des sépultures est hors du commerce, celles-ci peuvent néanmoins faire l’objet de conventions par lesquelles le titulaire d’une concession accorde à une ou plusieurs personnes le droit de s’y faire inhumer. Qu’elle a pu en déduire que le contrat judiciaire constaté par un précédent jugement qui n’a pas été dénaturé et qui consacrait le droit des consorts X…, de se faire inhumer dans la sépulture de Z…, ne revendiquant pour sa part que des droits indivis dans cette dernière, ne tombait pas sous le coup de la prohibition de l’art. 1128 du Code civil.

Que dit l’article 1128 du Code civil ?

"Il n'y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l'objet des conventions."
Or, manifestement, le fait pour M. Henri Z… d’avoir consenti un droit d’inhumation à son frère utérin, Louis X…, ainsi qu’à des membres de sa famille, ne tombait pas sous le coup de la prohibition énoncée à l’art. 1128 du Code civil puisque, apparemment, cette libéralité s’était accomplie hors de toute transaction commerciale. Ainsi la Cour de cassation a-t-elle pu juger que le moyen invoqué par M. Henri Z… n’était pas fondé, et a-t-elle rejeté son pourvoi.

Un deuxième moyen avait été également invoqué à l’appui du pourvoi

En effet, Henri Z… soutenait qu’il pouvait être fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir écarté sa prétention selon laquelle il avait commis une erreur sur l’étendue de ses droits, en se bornant à demander acte lors de la précédente instance, de la reconnaissance de ses droits indivis, alors que, selon le moyen, l’erreur sur la nature et l’étendue des droits successoraux est une erreur substantielle entraînant la nullité du contrat.
La Cour de cassation, dans sa décision, juge : "Mais attendu que la cour d’appel énonce que si Henri Z… n’a pas demandé à être déclaré propriétaire exclusif de la sépulture ce n’est pas à la suite d’une erreur de droit mais en fonction d’une attitude de fait librement arrêtée. Qu’en l’état de ces constatations ce second moyen ne pouvait être accueilli."
Il résulte de tout ce qui précède qu’Henri Z…, malgré le fait qu’il ait été le fondateur de la concession, n’a pu obtenir en justice la reconnaissance de la plénitude de ses droits de concessionnaire, ni contester les initiatives ou décisions prises par la famille de son frère utérin à qui il avait, seulement, dirons-nous, attribué un droit d’inhumation dans la concession qui ne pouvait être confondu avec une donation, voire un legs particulier fait au profit de ce dernier de la concession funéraire.
De surcroît, force est d’admettre que cette décision va à l’encontre des règles qui ont pu être déduites de l’ensemble de la jurisprudence civile dans le domaine des situations conflictuelles entre le fondateur de la concession et ses héritiers qui, en règle générale, confirme la supériorité du droit du fondateur de la concession sur ses enfants ou successeurs, sachant que, dans cet arrêt de la Cour de cassation en date du 22 février 1972, le fait que la haute assemblée utilise au moins à deux reprises le terme "propriété", alors que le concessionnaire ne dispose sur la concession que d’un droit réel de nature immobilière, étendu à ses enfants ou successeurs, qualifiés d’héritiers, dont nous avons dans notre ouvrage mis en exergue la nature réelle et personnelle à la fois de ce droit, et que de surcroît, contrairement aux effets juridiques du contrat judiciaire, la Cour de cassation semble lui attribuer la force de l’autorité de la chose jugée en refusant à M. Henri Z… la possibilité de révoquer certaines dispositions conventionnelles portant sur l’attribution de droits ou autorisations d’inhumation de M. Louis X…, son frère utérin, ce droit ayant été scellé par son inhumation.
Enfin, il sera relevé que c’est certainement à tort, et cela semble être confirmé par l’évocation du deuxième moyen du pourvoi en cassation, que, dans sa première action, M. Henri Z… ait assigné la veuve et les héritiers de Louis X…, afin d’entendre décider qu’il possédait des droits indivis dans la sépulture alors qu’il en était le véritable titulaire, fondateur de la sépulture, par l’effet des stipulations de l’acte de concession ayant des effets contractuels, quelle que soit sa forme (contrat ou arrêté).
C’est pourquoi nous conclurons que cet arrêt n’est pas de nature à remettre en cause les acquis des constructions jurisprudentielles en matière de dévolution des droits sur une concession funéraire, sur lesquels nous reviendrons dans un prochain article.

Jean-Pierre Tricon
Résonance n°111 - Mai 2015

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