Il est indubitable que les opérations funéraires produisent, au sens commun, des déchets dont la gestion peut poser problème. Évidemment, nous n’évoquerons aucunement ici les restes mortels qui échappent à cette qualification, ainsi que l’atteste par exemple la chambre criminelle de la Cour de cassation (Chambre criminelle, 25 octobre 2000, n° 00-82152) lorsqu’elle considère qu’il y a eu atteinte au respect dû aux morts lors de reprises administratives, en raison de la manipulation irrespectueuse de restes mortels.

 

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Philippe Dupuis

En effet, le fait de retenir cette qualification pour les restes ou ossements indique bien qu’ils ne sauraient être considérés comme des biens meubles abandonnés et qu’il faudrait éliminer. Relevons juste que la reprise matérielle des concessions est une opération obligatoire à toute réattribution d’un emplacement (Rép. min n° 53601, JOAN Q 23 juillet 2001) et qu’il importera alors de bien séparer les restes mortels des terres, au risque d’encourir des sanctions au titre soit de l’art. 225-17 du Code pénal qui institue les délits d’atteinte au respect dû aux morts, soit de celui de violation de sépultures. Encore conviendra-t-il de prouver le caractère délibéré de l’absence de travaux de tri (n’est pas coupable un marbrier qui, en raison de l’utilisation d’une pelleteuse, avait fort bien pu de façon involontaire évacuer des ossements parmi des terres de cimetière (Chambre criminelle cour de cassation 3 avril 1997, n° 96-82380) :
"Attendu que, pour confirmer le jugement déféré, la cour d'appel retient notamment, par motifs propres et adoptés, que les techniques de travail utilisées et notamment l'emploi d'une pelleteuse rendent vraisemblables les explications de Christian Y... soutenant que les ossements ont été jetés par inadvertance et non de manière délibérée ; qu'elle ajoute que le caractère volontaire de la violation de sépulture ne saurait découler par ailleurs directement de la profession du prévenu."
Néanmoins gageons que l’action civile prévu par les articles 16-1 et 16-1-1 du Code civil aurait vu la condamnation du même opérateur à l’allocation de dommages et intérêts, l’élément intentionnel important peu au juge civil alors qu’il est fondamental pour le juge pénal qui doit toujours rechercher l’intention de l’auteur de l’acte. Concentrons-nous sur les terres de cimetières (pour des développements concernant les autres déchets, cf. Damien Dutrieux et Philippe Dupuis, "Les déchets et les opérations funéraires", WEKA 2004).

La terre de cimetière est un déchet

Le Code de l’environnement (L. 541-1-1) pose utilement les définitions suivantes :
- "Déchet : toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l'obligation de se défaire" ;
La qualification de bien meuble des terres de cimetière au sens du Code civil ne fait aucun doute, cette définition est donc applicable.
- "Producteur de déchets : toute personne dont l'activité produit des déchets (producteur initial de déchets) ou toute personne qui effectue des opérations de traitement des déchets conduisant à un changement de la nature ou de la composition de ces déchets (producteur subséquent de déchets)" ;
Il s’agira de l’opérateur funéraire ou de la commune.
- "Détenteur de déchets : producteur des déchets ou toute autre personne qui se trouve en possession des déchets".
Or, l’art. L. 541-2 du Code de l’environnement impose au producteur et également au détenteur de déchets l’obligation de l’éliminer :
- "Tout producteur ou détenteur de déchets est tenu d'en assurer ou d'en faire assurer la gestion, conformément aux dispositions du présent chapitre.
- Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu'à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers.
- Tout producteur ou détenteur de déchets s'assure que la personne à qui il les remet est autorisée à les prendre en charge".

Il existe de surcroît une nomenclature des déchets (annexe 2 art. R. 541-8 Code de l’environnement). Les index 20 02 et 20 02 02 explicitement visent les terres de cimetières. Cette question de l’assimilation de ces terres au régime juridique du déchet étant entendue, il convient alors de déterminer les occasions de production de ces déchets.

La terre de cimetière, déchet produit par une opération privée ou publique

Il est évident que la terre peut être produite par des opérations de fossoyage, de pose de monuments, ou d’exhumation demandée par la famille. Dans cette hypothèse, le producteur de déchets au sens du Code de l’environnement est le commanditaire de l’intervention des marbriers ou des opérateurs funéraires, c’est-à-dire la personne privée pour le compte de laquelle l’opération est menée.
Hormis l’hypothèse évoquée plus haut de restes, d’ossements présents dans les terres, ou plus spécifiquement les prothèses cardiaques, aucune disposition spécifique n’encadre l’élimination de ces terres de cimetières, le tout, c’est qu’elles soient éliminées. Ce déchet peut aussi être produit par une opération publique, il s’agira ici essentiellement de terres produites par les exhumations administratives.

Dans le cadre d’une exhumation à la demande des familles, c’est à l’opérateur de prendre en charge l’élimination de ces déchets au titre des dispositions prévues par l’art. L. 2223-19 du CGCT, puisque ceux-ci ne sont pas susceptibles d’être considérés comme des déchets ménagers que la commune serait obligée d’éliminer au sens de l’art. L. 2224-14 du même Code.

La commune pourrait utilement rappeler les obligations d’élimination des terres dans le règlement du cimetière. Elle n’est d’ailleurs en rien dans l’obligation de mettre à disposition une benne pour les y stocker et de prévoir un contrat pour procéder à leur élimination, puisqu’elle est un tiers à l’opération de production du déchet.
Pour les exhumations administratives, il appartiendra à la commune de se conformer aux mêmes obligations directement avec son personnel, pour lequel, d’ailleurs, aucune obligation d’habilitation n’existe en l’espèce (Rép. min. n° 18658, JO S 4 novembre 1999). Rappelons que l’art. L. 541-6 du Code de l’environnement punit de deux ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende le fait de : "4° Abandonner, déposer ou faire déposer, dans des conditions contraires aux dispositions du présent chapitre, des déchets ;"

Une vielle lune : l’interdiction de sortir la terre des cimetières !

Très souvent, cette affirmation est entendue, elle n’est en rien justifiée par les textes. À partir du moment où cette terre a été nettoyée – mais encore faut-il qu’elle le soit –, elle ne connaît aucun régime particulier, rien ne la diffère juridiquement de la terre d’un jardin de particulier. Il n’existe donc aucune restriction à son usage, sauf psychologique, comme le rappelait fort opportunément Claude Bouriot (Résonance de février 2007 p. 16)

Philippe Dupuis
Formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT
Résonance n°110 - Mai 2015

Instances fédérales nationales et internationales :

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