Une destination relictuelle des corps et des cendres : l’édifice cultuel et le lieu de culte.

 

 

À l’occasion d’une récente réponse ministérielle (Rép. min. n° 79114, JO, AN du 1er septembre 2015), le Gouvernement est venu tout à la fois rappeler, à la demande d’un parlementaire, le principe de la possibilité du dépôt provisoire d’un cercueil dans un édifice cultuel, et en préciser les modalités. Le Gouvernement expose ainsi que cette possibilité est ouverte par les dispositions de l’art. R. 2213-29 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), selon lesquelles : "Après la fermeture du cercueil, effectuée conformément aux dispositions de l’art. R. 2213-20, celui-ci peut être déposé temporairement dans un édifice cultuel, une chambre funéraire, au crématorium, à la résidence du défunt ou celle d’un membre de sa famille, dans les conditions prévues aux articles R. 2213-33 et R. 2213-35."

Il nous donne de surcroît une définition de l’expression "édifice cultuel", puisque, selon lui, il s’agirait des lieux visés par l’art. L. 2223-10 du CGCT, c’est-à-dire "les églises, temples, synagogues, hôpitaux, chapelles publiques, et généralement […] des édifices clos et fermés où les citoyens se réunissent pour la célébration de leurs cultes, dans l’enceinte des villes et des bourgs". Or, cet article ne concerne à vrai dire que les interdictions d’inhumation, et ne nous semble pas, même si l’énumération est des plus larges (énumération d’ailleurs tronquée, cf. réponse en annexe), refléter l’infinie possibilité des édifices cultuels, surtout en ne visant expressément que des édifices cultuels clos.

Le lieu de culte : une possibilité de dépôt provisoire des cendres

Il convient de rapprocher cette disposition de celle suivant laquelle les cendres des personnes dont le corps a donné lieu à crémation peuvent être gardées non pas au crématorium mais dans un lieu de culte. En effet, l’art. L. 2223-18-1 du CGCT dispose que : "Dans l’attente d’une décision relative à la destination des cendres, l’urne cinéraire est conservée au crématorium pendant une période qui ne peut excéder un an. À la demande de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, l’urne peut être conservée, dans les mêmes conditions, dans un lieu de culte, avec l’accord de l’association chargée de l’exercice du culte."
On remarquera tout d’abord la différence de formulation entre l’art. R. 2213-29 et l’art. L. 2223-18-1,
puisque, si l’un vise les édifices cultuels, l’autre mentionne les lieux de culte. Faut-il penser que ces deux expressions sont synonymes, ou bien au contraire ne faut-il pas comprendre que cette seconde expression recoupe de plus larges possibilités que la première, étant entendu qu’un lieu de culte ne serait pas obligatoirement un édifice clos et fermé, comme l’exige l’art. L. 2223-10 du CGCT.
D’autre part, si l’art. R. 2223-29 du CGCT est muet sur ce point, l’accord de l’association chargée de l’exercice du culte est requis à l’art. L. 2223-18-1 du CGCT. Évidemment, cette omission ne modifie en rien le fait que l’accord du gestionnaire de l’édifice cultuel devrait être requis tant pour le dépôt des cendres que pour celui des corps.
Dans une église catholique affectée au culte, la solution est ancienne, puisque nous sommes en présence le plus souvent d’un propriétaire public – la commune –, et d’un affectataire privé – le culte catholique. Le conseil municipal pourrait fort bien, par exemple, vouloir organiser la visite d’églises et du patrimoine communal qui s’y trouve. Néanmoins, il faudra que le conseil municipal recueille l’assentiment du prêtre affectataire qui, lui, a la police de l’édifice. Cette solution est classique et affirmée régulièrement par la jurisprudence, par exemple dans l’arrêt du Conseil d’État Abbé Chalumey du 4 novembre 1994 (req. n° 135842).
Pour les autres cultes, la plupart des lieux de culte appartenant à des associations cultuelles, leur accord sera demandé. D’autre part, l’art. L. 2223-18-1du CGCT, en ne visant que l’accord de l’association chargée de l’exercice du culte, omet que la quasi-totalité des églises catholiques ne sont pas gérées par des associations cultuelles puisqu’en droit, si elles le sont par le truchement d’associations diocésaines régies par une loi de 1924, elles le sont le plus souvent sous le régime de la réunion publique, prévue par une loi du 2 janvier 1907 qui autorise l’exercice d’un culte "par voie de réunions tenues par initiatives individuelles". Il s’agira alors de nouveau de recueillir plutôt l’assentiment de l’affectataire que celui d’une association inexistante.
Enfin, il conviendrait peut-être de s’interroger sur la signification même du mot "culte". Le droit français n’utilise que rarement le terme "religion", lui préférant celui de "culte", c’est-à-dire l’envisageant sous l’angle des pratiques cultuelles publiques. Dans un avis (n° 187122, 24 octobre 1997), le Conseil d’État considère que l’exercice d’un culte consiste dans "la célébration de cérémonies organisées en vue de l’accomplissement, par des personnes réunies par une même croyance religieuse, de certains rites ou pratiques". Il n’existe pas plus d’ailleurs de définition du terme "secte", ce qui d’ailleurs semble normal dans un pays laïque où la croyance n’est pas l’affaire de l’État. La jurisprudence d’ailleurs ne distingue pas la religion de la secte et elle ne traite des dérives sectaires que lorsqu’une infraction est commise.
D’ailleurs, le juge n’affirme-t-il pas "qu’il est vain de s’interroger sur le point de savoir si l’Église de Scientologie constitue une secte ou une religion, la liberté de croyance étant absolue. Dans la mesure où une religion peut se définir par la coïncidence de deux éléments, un élément objectif, l’existence d’une communauté même réduite, et un élément subjectif, une foi commune, l’Église de Scientologie peut revendiquer le titre de religion et développer en toute liberté, dans le cadre des lois existantes, ses activités, y compris missionnaires voire de prosélytisme (CA Lyon 28 juillet 1997)".
Ces quelques remarques d’ordre juridique n’obèrent en rien des développements plus pratiques quant aux modalités de l’organisation de tels dépôts dans des endroits qui sont notoirement peu ou pas surveillés, et pour lesquels il peut exister certes des indemnités de gardiennage (c’est le cas des églises communales), mais dont le montant relève plutôt de l’aumône…


Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT.

14e législature

Question écrite n° : 79114 de Mme Marie-Jo Zimmermann (Les Républicains – Moselle) publiée au JO le : 05/05/2015 page : 3357

Texte de la question

Mme Marie-Jo Zimmermann attire l’attention de M. le ministre de l’Intérieur sur le cas d’une commune du département de la Moselle qui ne dispose pas de morgue ou de dépositoire. En cas de décès, certaines familles ont donc l’habitude de déposer le corps pendant un jour ou deux à l’église. Elle lui demande si cette pratique est conforme à la réglementation, notamment eu égard aux règles sanitaires. Par ailleurs, dans l’affirmative, elle lui demande si l’autorisation de déposer le cercueil doit être accordée par le maire ou par le prêtre desservant la paroisse.

Réponse publiée au JO le : 01/09/2015 page : 6734

Texte de la réponse

L’art. R. 2213-29 du CGCT fixe les lieux dans lesquels un corps mis en bière peut être déposé à titre temporaire et les conditions de ce dépôt, dans l’attente de la réalisation de la crémation ou de l’inhumation définitive. Il autorise ainsi le dépôt temporaire du cercueil dans une chambre funéraire, au crématorium, à la résidence du défunt ou celle d’un membre de sa famille, mais également dans un "édifice cultuel que l’art. L. 2223-10 du même Code définit comme [...] des édifices clos et fermés où les citoyens se réunissent pour la célébration de leurs cultes".

La pratique qui consiste pour certaines familles à déposer le corps après mise en bière de leur proche défunt pendant un jour ou deux à l’église peut donc être regardée comme conforme à la réglementation en vigueur, dès lors que l’ensemble des prescriptions sanitaires entourant cet usage sont respectées. Afin d’éviter que le dépôt provisoire d’un corps mis en bière n’échappe à toute norme permettant d’assurer la sécurité sanitaire, ce même art. R. 2213-29 spécifie qu’ "après la fermeture du cercueil, effectuée conformément aux dispositions de l’art. R. 2213-20, celui-ci peut être déposé temporairement [...]  dans les conditions prévues aux articles R. 2213-33 et R. 2213-35".

Ainsi, l’inhumation ou la crémation doit intervenir dans les six jours suivant le décès ou l’entrée du corps en France, en cas de décès en outre-mer ou à l’étranger. Dans le cas où une dérogation aux délais d’inhumation ou de crémation aurait été accordée par le préfet (articles R. 2213-33 et R. 2213-35 du Code précité), l’utilisation d’un cercueil hermétique est obligatoire pour le dépôt d’un corps dans un édifice cultuel au-delà d’une durée de six jours (art. R. 2213-26 du Code précité).

Enfin, et toujours selon l’art. R. 2213-29 du CGCT, l’autorisation du dépôt est donnée par le maire de la commune du lieu du dépôt. Pour autant, il apparaît nécessaire que l’autorisation de déposer le cercueil soit également accordée par le prêtre desservant la paroisse, dans la mesure où ce dernier est, en sa qualité de ministre du culte, le garant du bon usage de l’édifice conformément à la destination cultuelle qui lui a été donnée par la loi. À ce titre, il est chargé de la police à l’intérieur de l’édifice dont il a reçu l’affectation (Cass. Civ., 19 juillet 1966, SNCF et Dame Vautier c/ Chanoine Rebuffat).

Résonance n°114 - Octobre 2015

 

Instances fédérales nationales et internationales :

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