Le droit français ne connaît, à ce jour, que deux modes de sépulture : l’inhumation et la crémation, ainsi que le prescrivent le Code Général des Collectivités Territoriales et plusieurs réponses ministérielles.

 
Or, dans son arrêt en date du 6 janvier 2006, n° de pourvoi 260307, le Conseil d’État a refusé d’ouvrir une troisième voie, celle de la congélation d’un corps, malgré les arguments et moyens invoqués par la famille légitime du défunt. Ceux-ci étaient fondés sur les visas de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, du Code civil, du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), de la loi du 15 nov. 1887 sur la liberté des funérailles et de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Le Conseil d’État a pris la décision suivante :

Le litige porté devant le Conseil d’État concernait une décision du 28 fév. 2002, du préfet de Maine-et-Loire qui avait mis en demeure M. Rémy X de faire procéder à l’inhumation de son père M. Raymond , décédé le 22 fév. 2002, ainsi qu’à celle de sa mère Mme Monique née Leroy, décédée le 25 fév. 1984, dont les corps avaient été placés dans un appareil de congélation situé dans la crypte du château de Preuil, à Nueil-sur-Layon, en vue d’être conservés, selon la volonté exprimée de son vivant par M. Raymond.

Or, par lettre en date du 28 fév. 2002, M. X avait sollicité auprès du préfet de Maine-et-Loire et auprès du maire de la commune de Nueil-sur-Layon l’autorisation de conserver le corps de son père, selon un procédé de congélation, dans la propriété familiale et demandé au ministre de l’Intérieur et au ministre chargé de la Santé de prendre toute mesure temporaire de manière qu’il ne soit pas fait obstacle à la mise en œuvre des dernières volontés de son père.

Cette affaire avait d’abord donné lieu à un jugement le 5 sept. 2002, par lequel le tribunal administratif de Nantes avait rejeté les demandes tendant à l’annulation de la décision du préfet du 28 fév. 2002 et des décisions implicites de rejet des demandes formulées le même jour, nées du silence gardé par les différentes autorités auxquelles elles avaient été adressées par M. X, Mme Nadine X et Mme Claude X.
Par un arrêt du 27 juin 2003, à l’encontre duquel M. Rémy X, Mme Nadine X et Mme Claude X se sont pourvus en cassation, la cour administrative d’appel (CAA) de Nantes avait rejeté leur requête tendant à l’annulation du jugement du 5 sept. 2002 du tribunal administratif de Nantes.

Toutefois, il convient d’insister sur le fait que la cour administrative de Nantes avait rejeté les recours dirigés contre le jugement du tribunal administratif, en évitant d’aborder le fond du dossier, mais en se fondant sur l’insuffisance des bases légales invoquées dans le recours opéré devant elle, alors qu’au terme de son arrêt le Conseil d’État avait bien annulé la décision de la cour administrative d’appel. C’est donc sur le fondement de l’art. L. 821-2 du Code de justice administrative, que la Haute Assemblée a décidé de régler l’affaire au fond en tenant compte des circonstances de l’espèce. L’arrêt du Conseil d’État laisse, à notre sens, un goût d’inachevé car, d’une part, s’il retient la pertinence des moyens soulevés par les descendants des deux défunts, et par voie de conséquence annule l’arrêt de la CAA de Nantes, en revanche il n’est pas allé jusqu’au bout d’une démarche audacieuse, qui aurait ouvert une troisième voie dans le droit français, en matière de mode de sépulture, celle de la congélation, prémices de la cryogénisation.

Les moyens examinés par le Conseil d’État :

- Sur le fondement de l’art. 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui énonce :

"Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion : ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui".
Or, le Conseil d’Etat a considéré "qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. Raymond a exprimé de son vivant, en raison de sa conception d’un retour possible à la vie grâce aux progrès de la science, la volonté que son corps soit conservé après sa mort par un procédé de congélation ; que cette volonté doit être regardée comme une manifestation de conviction, au sens des stipulations précitées, entrant dans le champ d’application de l’art. 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que dès lors, en jugeant que les requérants ne pouvaient utilement se prévaloir de ces stipulations à l’encontre des dispositions législatives et réglementaires organisant les modes de sépulture en France sur le fondement desquelles ont été prises les décisions contestées, la cour a commis une erreur de droit ; que par suite M. Rémy X, Mme Nadine X et Mme Claude X sont fondés à demander l’annulation de l’arrêt attaqué".

- Sur le fondement de l’art. 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :

Rappel du texte :
"Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui."
Et le Conseil d’État de juger que :
- "D’une part, en vertu des articles 8 et 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le choix du mode de sépulture, qui est intimement lié à la vie privée et par lequel une personne peut entendre manifester ses convictions, peut faire l’objet de restrictions notamment dans l’intérêt de l’ordre et de la santé publics ; que les restrictions que prévoient les dispositions précitées du CGCT, en n’autorisant, après le décès d’une personne, que l’inhumation ou la crémation de son corps, lesquelles visent à organiser les modes de sépulture selon les usages et à protéger la santé publique, ne sont pas disproportionnées par rapport à ces objectifs et ne méconnaissent pas, par suite, les stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales."
- Et d’autre part, "qu’il n’appartient pas au juge administratif d’apprécier la conformité à des dispositions ayant valeur constitutionnelle des règles édictées par les dispositions législatives précitées du CGCT ; que, par suite, les requérants ne sauraient utilement invoquer les moyens tirés de la méconnaissance de l’art. 5 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et d’un principe à valeur constitutionnelle de liberté de choix du mode de sépulture ; qu’il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les décisions du préfet de Maine-et-Loire et du maire de Nueil-sur-Layon sont dépourvues de base légale."

- Sur le fondement des articles du CGCT :

L’Art. L. 2213-7 :
"Le droit de toute personne d’avoir une sépulture et de régler librement les conditions de ses funérailles s’exerce dans le cadre des dispositions législatives et réglementaires en vigueur ; qu’aux termes de l’art. L. 2213-7 du CGCT :
Le maire ou, à défaut, le représentant de l’État dans le département pourvoit d’urgence à ce que toute personne décédée soit ensevelie et inhumée décemment sans distinction de culte ni de croyance."

L’Art. R. 2213-15 du CGCT prescrit :
"Avant son inhumation ou sa crémation, le corps d’une personne décédée est mis en bière (...)"

- Sur le fondement de l’art. R. 2213-32 de ce même Code :

"L’inhumation dans une propriété particulière du corps d’une personne décédée est autorisée par le préfet du département où est située cette propriété sur attestation que les formalités prescrites par l’art. R. 2213-17 et par les articles 78 et suivants du Code civil ont été accomplies et après avis d’un hydrogéologue agréé."

Aux termes de l’article R. 2213-33 du Code :
"L’inhumation ou le dépôt en caveau provisoire a lieu : / - si le décès s’est produit en France, vingt-quatre heures au moins et six jours au plus après le décès (...)"
C’est donc sur ces bases légales et réglementaires que le Conseil d’État a considéré :
"Qu’en l’absence d’intervention du maire de Nueil-sur-Layon, le préfet de Maine-et-Loire était légalement tenu, en application des dispositions précitées de l’art. L. 2213-7 du CGCT et des articles R. 2213-33 et R.2213-35 du même Code en vertu desquelles sauf dérogation, l’inhumation ou la crémation doit avoir lieu au plus tard dans les six jours du décès lorsque celui-ci s’est produit en France, de faire cesser la situation irrégulière créée par l’absence d’inhumation ou de crémation des défunts dans ce délai, en mettant en demeure M. Rémy X de se conformer à la réglementation ; que le préfet était également tenu de refuser l’autorisation sollicitée par M. Rémy X de conserver le corps de son père, selon un procédé de congélation, dans l’enceinte de la propriété familiale ; que l’autorité administrative étant ainsi en situation de compétence liée, tous les moyens invoqués par les requérants à l’encontre des décisions du préfet sont inopérants".

- L’art. R. 2213-2 du CGCT, alors en vigueur en 2006 :

"Il ne peut être procédé à une opération tendant à la conservation du corps d’une personne décédée sans une autorisation délivrée par le maire de la commune du lieu de décès ou de la commune où sont pratiquées les opérations de conservation (...)"
Sur ce point, les appelants prétendaient que la congélation pouvait être au nombre des moyens permettant d’assurer la conservation d’un corps.
Or, à l’évidence, le Conseil d’État a balayé cet argument en précisant que :
"Ces dispositions n’autorisent pas la conservation du corps d’une personne décédée par un procédé de congélation, mais fixent les conditions dans lesquelles des soins tendant à la conservation d’un corps peuvent être dispensés avant l’opération de mise en bière ; que, dès lors, le maire de Nueil-sur-Layon était tenu de refuser l’autorisation de conserver par congélation sollicitée par M. X. "

Conclusion :

Même si l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes a été annulé pour avoir commis une erreur de droit, en rejetant les bases légales du recours diligenté contre les décisions successives des tribunaux administratifs, le Conseil d’État s’appuyant sur la possibilité d’imposer des restrictions aux libertés fondamentales des citoyens, notamment dans l’intérêt de l’ordre et de la santé publics, prévues par les dispositions des articles L. 2213-7, R. 2213-15 et R. 2213-32 et R. 2213-33 du CGCT, a jugé que le refus d’autoriser, après le décès d’une personne, sa conservation par le procédé de la congélation, était licite.
Il s’en suit que les décisions de faire respecter l’inhumation ou la crémation du corps, qui visent à organiser les modes de sépulture selon les usages et à protéger la santé publique, sont proportionnées par rapport aux impératifs régaliens d’ordre, de sécurité et d’hygiène publics et ne méconnaissent pas, par suite, les stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Ainsi, la troisième voie, qu’aurait pu constituer la congélation d’un corps, a été refusée par la Haute Assemblée.

Cette décision est en 2011, après l’intervention du décret du 28 janv. 2011, de nature à nous interpeller, car, si à l’époque des faits jugés, l’autorité administrative communale, ou à défaut, le préfet, étaient saisis des demandes pour pratiquer des soins de conservation sur les corps, selon les procédés agréés par le ministère de la Santé, puisqu’il est établi que c’est à l’occasion de la saisine du maire de la commune de Nueil-sur-Layon que le préfet de Maine-et-Loire s’est substitué, pour prescrire l’obligation d’inhumer, qu’en serait-il aujourd’hui du sort d’un tel cas d’espèce ?

Force est de constater qu’avec la suppression du régime de l’autorisation, remplacé par celui de la déclaration préalable, ainsi que l’éviction légale et réglementaire des autorités de police compétentes pour surveiller la réalisation des soins de conservation, des situations de fait pourraient se créer, sans que le maire ou ses services n’en soient réellement informés, en l’absence de déclaration, pour autant que les personnes habilitées à pourvoir aux funérailles, ou leurs proches, fassent preuve de discrétion, ce qui ne fut pas le cas pour l’affaire examinée par le Conseil d’État, puisque le fils des deux défunts organisait des visites payantes de la crypte où était déposé le corps de sa mère, d’abord, puis celui de son père.
 
Jean-Pierre Tricon

 

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