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Damien Le Guay
La loi Léonetti qui encadre la fin de vie en France a été vidée de sa substance le 26 juin 2014 par la cour d’assises de Pau. Une loi sans sanction n’existe plus. Un nouveau droit existe : le droit de tuer par amour. Heureusement, le parquet, le 2 juillet, vient de faire appel de cette décision.

 

I - La famille, le malade, les équipes devaient et doivent se parler, se comprendre, agir de concert

Une loi, depuis 2005, encadre la pratique des médecins en fin de vie et protège les malades. Les médecins doivent s’y conformer. Les malades et les familles ont cette garantie. Le soin, oui ! L’accompagnement, oui ! Les soins palliatifs, ô que oui ! Mais, quand au bout du bout de la vie, un "arrêt des traitements" finit par s’imposer de lui-même, il résulte d’une demande du malade ou de ses représentants, de sa famille, à laquelle s’ajoute un nécessaire consensus des équipes soignantes. Le fardeau d’une décision doit être partagé. Les uns et les autres doivent être à l’unisson. À la parole qui demande correspond la parole qui explique, réoriente, résonne, se conjugue au pluriel. Il faut se prémunir contre tous les vertiges autour de la fin de vie : les vertiges d’angoisse, de compassion ou de toute-puissance qui surviennent parfois en ces circonstances.
Donc, rien ne peut se faire seul, sur un "coup de tête" ou pour des raisons malsaines. Rien. Et certaines infirmières avaient été condamnées pour avoir donné la mort, droguées qu’elles étaient par leur toute-puissance. Pensons à Christine Malèvre qui, pour des faits similaires, a été condamnée à 12 ans de réclusion en 2002 – et fut libérée au bout de quatre ans.   Disposer d’une vie selon son bon vouloir, la tenir à portée de main et pouvoir l’abréger au gré de ses fantaisies morbides, voilà qui allait à l’encontre de l’infinie responsabilité des soignants. La loi Léonetti, votée à l’unanimité, après un long travail, est exemplaire. Un équilibre était instauré. La famille, le malade, les équipes
devaient et doivent se parler, se comprendre, agir de concert pour mieux accompagner cette vie jusqu’à sa fin, sans acharnement ni révocation brutale.
 
II - Avait-il parlé de son intention ou de son geste…
 
Or, le 25 juin 2014, cette loi Léonetti a été vidée de l’intérieur par la cour d’assises de Pau. Un médecin, empli d’une "infinie compassion", au point de ne pas accepter la souffrance des autres, avait injecté des doses létales et du curare (produit donné lors de certaines condamnations à mort aux États-Unis) à sept des malades qui passaient par là.  Avait-il parlé de son intention ou de son geste aux familles ? Non. Avait-il demandé l’avis des équipes soignantes ? Non. Répondait-il à une demande explicite, pressante ou même clairement formulée par les malades eux-mêmes ? Non. Avait-il partagé avec quelqu’un, un référent, un membre de l’hôpital ? Non. Et dire cela n’est pas un jugement de valeur. Tout cela fut dit, reconnu, établi lors du procès. Et quand on lui demanda pourquoi il avait agi de la sorte, à l’encontre de toutes les procédures, en infraction de la loi Léonetti, à rebours de toute déontologie médicale, le docteur Bonnemaison a dit, devant tout le monde : "J'ai agi en médecin, comme je le conçois, comme je conçois ce métier, c'est-à-dire jusqu'au bout, jusqu'au bout du bout. J'estime que ça fait partie du devoir du médecin d'accompagner les patients jusqu'au bout."
 
Sa conception de l’accompagnement, très personnelle, avec beaucoup de "je" et peu de "nous", va à l’encontre de toutes les pratiques en vigueur. Il a pensé qu’il lui fallait donner la mort sans demande ni concertation. Il le fit une fois, deux fois, quatre fois, sept fois. (Christine Malèvre, elle, l'avait fait six fois.) Il fut dénoncé. Exclu de l’ordre des médecins. Mis en procès. Et aurait dû, logiquement, selon les principes de droit en vigueur, être condamné pour empoisonnement - et donc pour meurtre. Donner la mort à une personne qui ne l’a pas demandé, sans autre raison que son "bon vouloir" ou son "infinie compassion", faire fi des lois en vigueur qui suppose la collégialité et le mûrissement lent d’une décision, doit être nommé par son nom. Il s’agit d’un meurtre.
 
III - Comprenne qui pourra !
 
Le 25 juin 2014, la cour d’assises de Pau indique dans son jugement qu’il y a toutes les raisons d’une condamnation mais qu’elle prononce un acquittement. Comprenne qui pourra ! Elle dit (dans les motivations de sa décision) que ce docteur Bonnemaison a estimé "de bonne foi que ses patients souffraient physiquement et psychiquement", qu’il "a procédé lui-même à ses injections", qu’il "n’en a pas informé l’équipe soignante", qu’il "n’a pas renseigné le dossier médical", qu’il "n’a pas informé les familles".
 
Eh bien, malgré tout cela, l’acquittement est prononcé. Qu’est-ce à dire ? Cet homme a agi hors la loi, s’est exonéré de toutes les règles en vigueur, de toutes les pratiques en fin de vie, mais cela est sans conséquence, sans effet, sans sanction. Il n’a pas "mal fait" - au regard du tribunal. Sept personnes sont mortes en raison de la seule action délibérée, solitaire, impulsive de ce monsieur qui a tout fait pour qu’elles meurent au plus vite et, nous dit la cour d’assises, cela n’a pas d’importance, ne compte pas, n’entre pas en ligne de compte.
 
Et Marisol Touraine, ministre de la Santé, après l’arrêt a dit publiquement, dans la cour de l’Élysée, qu’il "s’agissait-là d’une décision d’humanité". Diantre ! Donc, si j’entends bien, la cour de Pau, est "humaine" pour ne pas avoir condamné celui qui s’est érigé en juge de la vie et de la mort de ces sept personnes ; pour n’avoir pas mis en prison celui qui, en blouse blanche, s’est penché avec sa seringue de mort sur les corps exténués et les âmes souffrantes de toutes ces vieilles personnes qui n’avaient rien demandé, et qui a mis à exécution son "jugement". Il les a condamnées à un "apaisement" éternel. Sa compassion était tellement immense qu’il a préféré les faire mourir.

IV - Une loi sans sanction n’est plus une loi mais une vague recommandation
 
Une justice qui ne condamne pas quand les faits sont établis, quand sept morts sont à déplorer, va à l’encontre de la loi qui, comme toute loi, est dure mais nécessaire. Dura lex, sed lex. Elle n’appartient à personne, et tous nous devons nous y soumettre et être condamnés si nous la violons. Celui qui l’enfreint, contrevient à la règle commune. Celui qui n’est pas condamné pour l’avoir enfreinte, est "innocent" et abolit la loi.
 
Désormais, depuis le 25 juin 2014, les médecins ne sont plus encadrés par la loi Léonetti. Ils ne s’exposent plus à des sanctions. Et les malades en fin de vie ne sont plus protégés par la loi – censée veiller sur le faible, le réconforter, lui donner secours et protection surtout quand il est aux extrémités de la vie.
 
Depuis le 25 juin 2014, les médecins peuvent tout faire "par compassion" : soigner, accompagner, soulager et même, s’ils le veulent, de leur propre chef, injecter du curare à leurs patients qu’ils jugent d’eux-mêmes, sans se référer à qui que ce soit, au-delà du bout de la vie. Est-ce à dire que les patients en fin de vie sur leur lit d’hôpital doivent se méfier, considérer leurs médecins comme de possibles "docteur Bonnemaison" ? Oui. Doivent-ils désormais se taire, ne pas dire "Ça ne va pas aujourd’hui ! J’en ai marre de la vie !" sous peine de ne pas passer la nuit ? Oui. Et dire cela ne remet pas en cause la conscience professionnelle des médecins, la qualité des équipes soignantes, le travail formidable des aidants, des professionnels des soins palliatifs. Oh non ! Dire cela, et uniquement cela, revient à constater qu’une nouvelle impunité est née pour les médecins : ils peuvent mettre fin à la vie d’un malade sans demander l’avis, l’accord, le consentement, la réflexion, le sentiment de qui que ce soit ! Personne ne dit qu’ils vont s’en saisir et "tuer" à tire-larigot. Personne et surtout pas moi. Ils sont responsables. Savent à quoi s’en tenir. Mais le regard porté par le patient sera changé. Comment désormais faire confiance ? Comment savoir si un jour le docteur  Jekyll que je connais ne deviendra pas une nuit le "bon" docteur Bonnemaison ?
 
V - Un nouveau procès aura lieu

Heureusement, pour une certaine cohérence législative et pour avoir un jugement de droit et non d’émotion et de compassion et de sympathie pour le docteur Bonnemaison, le parquet général, le 2 juillet 2014, a décidé de faire appel de cette décision. Un nouveau procès aura lieu. D’un strict point de vue de la situation de tous ces patients qui sont en fin de vie dans les hôpitaux et qui ne savent plus si la loi Léonetti les protège, c’est une bonne chose. Une chose nécessaire pour éviter que ce jugement de Pau fasse jurisprudence, qu’il "libère" les pulsions négatives de ceux et celles qui ont plus de "compassion" que de "déontologie",  plus d’envie d’agir seuls que de souci d’une large concertation.
 
VI - Chacun a ses raisons
 
Tout le monde voit bien que des groupes, des intérêts et tous les partisans de l’euthanasie s’en prennent à la loi Léonetti. Ils veulent la faire "sauter", comme on fait sauter un barrage. L’affaire Vincent Lambert et l’affaire Bonnemaison il y a peu. Cette coïncidence permet au porte-parole du gouvernement, M. Le Foll, de  dire, le 25 juin 2014, toutes affaires cessantes, comme si le coup avait été préparé à l’avance, "qu’on a besoin de faire évoluer le cadre législatif".
 
Mais diantre ! En quoi ? Le Conseil d’État a conforté la loi Léonetti en considérant que ce cadre devait être respecté et que dans l’affaire Lambert il l’avait été. Et si le docteur Bonnemaison enfreint cette loi, la bafoue avec l’indulgence de la justice, en quoi cette loi doit-elle être incriminée ? Un proverbe l’affirme : "Quand on veut tuer son chien, on l’accuse de la rage". Quand on veut tuer la loi Léonetti, on l’accuse de tous les maux, on la discrédite, on répète à satiété qu’elle "ne convient pas", qu’elle "doit évoluer", qu’elle montre ses limites.

Laissez-moi, avec solennité, mettre en garde tous ceux qui voudraient la réformer de fond en comble. Chacun a ses raisons. Elles se comprennent.
 
Et la commission d’étude, à la demande du gouvernement, qui va se réunir à l’automne 2014 et sera présidée par Jean Léonetti et Alain Clayse, pour voir de quelle manière il sera possible d’améliorer la loi Léonetti, aura pour tâche de reprendre ces questions. Mais une mise en garde s’impose : si cette loi, sorte de boîte de Pandore est largement ouverte, le toilettage deviendra tempête, et la tempête chaos. Et certains ont tout intérêt à instaurer l’euthanasie. Ils répéteront les mêmes mensonges qui, à force, finiront par devenir des évidences. Et à l’usure, ils auront gain de cause.  Attention !
 
Que les hommes de bonne volonté se ressaisissent. Que la justice se ressaisisse – comme elle vient de le faire en faisant appel du jugement du procès Bonnemaison. Que le bon sens finisse par l’emporter ! Que les équilibres de l’actuelle loi Léonetti soient maintenus ! Là est mon souhait le plus cher.
 

Damien Le Guay

Damien Le Guay, philosophe, est président du comité national d’éthique du funéraire, membre du comité scientifique de la SFAP, auteur de huit livres dont : "Qu’avons-nous perdu en perdant la mort" (Le Cerf, 2002) et "La mort en cendres" – sur la crémation – (Le Cerf, 2012). Il a été auditionné par la première commission Léonetti. Il enseigne à l’espace éthique de l’APHP, est maître de conférences à HEC. Il prépare pour la rentrée 2014, un livre sur le rôle de la parole en fin de vie et sur les directives anticipées.

 

 

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