La restitution des prélèvements humains réalisés lors d’une autopsie judiciaire et les conditions du transport du corps autopsié.

 

JP-TriconJean-Pierre Tricon, avocat au barreau de Marseille.

Lorsqu’un décès est survenu à la suite de circonstances laissant présumer l’existence d’une mort violente ou suspecte, les familles et leurs mandataires, généralement une entreprise, une association ou une régie municipale de pompes funèbres ne peuvent entreprendre l’organisation des obsèques, tant que la justice n’aura pas effectué les investigations qui s’imposent afin de déterminer, autant que possible, les causes du décès.
Ces obligations résultent, principalement, des dispositions, anciennes, insérées dans le Code civil, dont il sera fait un rappel ci-après. Selon l’art. 81 du Code civil, créé par la loi promulguée le 21 mars 1803, en cas de décès soulevant un problème médico-légal, il est mentionné :
"Lorsqu'il y aura des signes ou indices de mort violente, ou d'autres circonstances qui donneront lieu de le soupçonner, on ne pourra faire l'inhumation qu'après qu'un officier de police, assisté d'un docteur en médecine ou en chirurgie, aura dressé procès-verbal de l'état du cadavre et des circonstances y relatives, ainsi que des renseignements qu'il aura pu recueillir sur les prénoms, nom, âge, profession, lieu de naissance et domicile de la personne décédée".

 

L’art. 82 du même Code, prescrit :
"L'officier de police sera tenu de transmettre de suite à l'officier de l'état civil du lieu où la personne sera décédée, tous les renseignements énoncés dans son procès-verbal, d'après lesquels l'acte de décès sera rédigé. L'officier de l'état civil en enverra une expédition à celui du domicile de la personne décédée, s'il est connu : cette expédition sera inscrite sur les registres".
Une fois dressé, le procès-verbal aux fins d’inhumation sera remis à la famille ou à son mandataire, afin que les démarches en vue de l’établissement de l’acte de décès et des autorisations de l’officier d’état civil qui y sont attachées, dont l’autorisation de fermeture du cercueil, voire le permis d’inhumer, qui sont indispensables pour effectuer une inhumation ou une crémation, puissent intervenir. Ainsi, le processus d’organisation des obsèques ne pourra être entrepris qu’après que ces conditions auront été satisfaites.
Nombreux sont les cas auxquels les opérateurs funéraires sont confrontés, et leur information apparaît opportune et nécessaire car, en règle générale ce sont eux qui sont questionnés par les familles-clientes, auxquelles ils doivent obligation d’information et de conseil.
L’autopsie judiciaire qui est souvent redoutée des familles, car elle exige un acte médical portant atteinte à l’intégrité du cadavre, induit des prélèvements qui sont exploités par les médecins légistes, sans que pour autant la loi ou le règlement n’en définisse le sort ultérieur. Ces prélèvements sont qualifiés "d’autopsiques", et donnent lieu, parfois, à des revendications des proches du défunt qui en exigent la restitution. Or, ainsi qu’énoncé précédemment, il existe un véritable vide juridique en ce qui concerne les autopsies judiciaires. Cette situation entraîne une double souffrance pour les parents du défunt, car selon l’état du corps, il peut arriver que les autorités judiciaires leur interdisent d’assister à la mise en bière, ou s’opposent à ce que le corps puisse leur être présenté.

 

Plus grave encore !
Les habits et effets vestimentaires du défunt leur sont restitués, car l’état du corps ne permet pas de le vêtir correctement. Dans son article paru dans "Le MONDE" le 4 août 2009, la journaliste Pascale Santi relate le cas de Michel, âgé de 33 ans, qui avait été retrouvé mort au petit matin avec des hématomes sur le corps. La justice avait alors décidé de pratiquer une autopsie et avait fait transporter son corps à la morgue d'Évry.
Musicien, divorcé, père d'un petit garçon, Michel avait été enterré le 29 oct. 2008, sans que sa mère l'ait revu. "Est-ce que c'était mon gamin dans le cercueil ?", se demandait-elle, avec une immense douleur. "Le médecin légiste n'a guère pris de précautions, en disant que c'est un chanteur des rues, un drogué, un SDF. C'est une jeune femme commissaire et l'entreprise des pompes funèbres qui m'ont parlé de l'état de mon fils, qui n'a pas été recousu".

 

Même s'il devrait l'être, ce cas n'est pas unique
C'est l'un des 10 à 15 dossiers sur la restitution des corps après autopsie qui est arrivé sur les bureaux du médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye.
"L'attention du médiateur avait été appelée sur les lacunes du régime juridique des autopsies judiciaires et les dysfonctionnements auxquels ce défaut d'encadrement était susceptible d'aboutir", indiquait le médiateur de la République dans une lettre adressée en juin aux ministres de la Justice, de la Santé et de l'Intérieur".

 

Il existe un réel vide juridique sur les autopsies judiciaires
"Elles ne font l'objet d'aucune disposition particulière dans le Code de procédure pénale", écrit le médiateur. "L'autopsie est déjà une atteinte à l'intégrité du cadavre, on ne peut pas ajouter de l'insulte à la blessure", soulignait Loïc Ricour, directeur du pôle santé et sécurité des soins.
"Le corps est souvent restitué dans des conditions déplorables, choquantes pour les parents, ce qui ajoute à la douleur du décès", ajoutait Martine Timsit, conseillère pour les réformes auprès du médiateur.
Bien que la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique ait mis en place un encadrement des autopsies médicales, il n'y avait pas un mot sur les autopsies judiciaires. En effet, "l’obligation faite aux médecins de s'assurer de la meilleure restauration possible du corps, formulée à l'art. L 1232-5 du Code de la santé publique, ne s'applique qu'aux autopsies médicales".
Selon le Médiateur, cette exigence devrait s'appliquer à toutes les autopsies, jugeant "inadmissible de ne pas rendre un corps présentable".
Or, le rapport présenté en janv. 2006 par la mission interministérielle sur la réforme de la médecine médico-légale, révèle que de nombreux médecins, pourtant répertoriés dans la rubrique "médecine légale", ne sont pas titulaires d'un diplôme attestant de leur qualification dans le domaine de la restauration des corps. Pour le Médiateur, les médecins qui pratiquent les autopsies devraient tous posséder un diplôme attestant de cette qualification. Un autre point qui doit être mis en exergue porte sur la constatation qu’il n'existe pas de dispositions juridiques relatives au principe et aux délais pour la restitution du corps.

 

Le corps reste à la disposition de l'autorité judiciaire
Il s’en suit des abus couverts par la Justice, comme ce fut le cas pour les autorités judiciaires qui attendirent de longs mois avant de restituer le corps d'une petite fille de 4 ans à ses parents à la suite d'une autopsie effectuée dans le cadre d'une enquête pour responsabilité médicale. L'autopsie avait été pratiquée le 9 juil. 1996, et ce n'est que le 14 fév. 1997 que le juge d'instruction délivra le permis d'inhumer. Très affectés, les parents portèrent l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'homme, qui a condamné la France dans son arrêt "Pannullo et Forte du 30 oct. 2001".

 

Le troisième point, également crucial, concerne le devenir des organes prélevés
Là encore, il existe un vide juridique. Selon le Médiateur de la République, "Rien n'est dit sur la réponse à apporter à une demande de restitution de ces organes aux fins d'inhumation ou d'incinération, ceux-ci ne pouvant être considérés comme voués à l'abandon".
Il est vrai que dans certains cas, voire en règle générale, faute de précision dans les textes, les organes prélevés sont considérés comme des déchets anatomiques et sont dès lors détruits par incinération sans que la famille en soit informée, après la clôture de l’enquête, tout autant que leur conservation se serait opérée dans des conditions acceptables. Ce ne fut pas le cas de ceux des frères Saincene trouvés morts dans leur garage situé dans le Var au mois de mai 1994, alors que l’enquête judiciaire rondement menée, ce qui n’est pas commun, avait conclu à un suicide organisé, les deux frères ayant été trouvés attachés dans leur voiture, une Peugeot 106, à l’aide des ceintures de sécurité, la porte du garage étant fermée de l’extérieur.
Il est vrai que l’aîné, Fernand, ancien vacataire du conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur était alors au centre d’un scandale car mis en cause dans un étrange dossier de racket fiscal ; il avait, par ses dénonciations, entraîné la mise en examen de deux personnalités marquantes de la vie politique marseillaise.
Or, sa nièce ayant sollicité quelques mois après la crémation des corps de son père et de son oncle, curieusement conseillée par le procureur de la République et le juge d’instruction, une contre-expertise des prélèvements "autopsiques", le procureur lui fit savoir qu’à la suite d’une panne du réfrigérateur dans lesquels ils avaient été placés, ceux-ci s’étaient détériorés et avaient par conséquent été incinérés.
Ce vide juridique qui entoure la destination des scellés "autopsiques" a été confirmé par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans son arrêt en date du 3 fév. 2010, n° 09-83468, qui sur le moyen unique, pris de la violation des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, et 41-4, 74, 99, 163, 166 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale a, en confirmant l’arrêt attaqué de la cour d’appel de Toulouse, disant n'y avoir lieu à restitution des scellés biologiques, statué en ces termes :
"Que la particularité de la demande des parents de William Z..., c'est que la restitution demandée porte non pas sur des objets matériels, mais sur des prélèvements humains, qui ne peuvent pas être traités comme des objets ordinaires ; qu'en l'absence d'une règle de droit spécifique, la jurisprudence de la Cour de cassation a précisé que les prélèvements effectués dans le cadre d'une procédure judiciaire sur une personne vivante ou décédée ne sont pas des objets susceptibles de restitution au sens de l'art. 99 du Code de procédure pénale ; que les organes prélevés sur le corps humain doivent être traités dans les conditions adaptées à la fois à la recherche de la vérité, et aux règles de la santé publique ; que leur nature particulière impose une conservation selon des moyens spécifiques ; qu'il est exact qu'il n'y a pas de disposition légale précise sur la façon dont doivent être traités les prélèvements faits pendant une autopsie judiciaire ; que ce contexte particulier est expliqué par le courrier adressé par le professeur A au procureur général de Toulouse ; qu'il expose qu'il a procédé pour ces prélèvements comme pour les autres prélèvements humains dont il a la charge, c'est-à-dire qu'il a fait procéder à l'incinération des restes de prélèvements non utilisés, après conservation dans la paraffine de trente prélèvements ayant fait l'objet de l'expertise demandée ; qu'il décrit le risque sanitaire que constitue l'accumulation dans les laboratoires des prélèvements humains, le souci d'éviter des usages indignes, et en conséquence la nécessité de ne retenir que les éléments indispensables à l'expertise ; qu'il précise avoir agi selon les protocoles habituels ; que la douleur des parents de William Z est incontestable et leur souci de donner une sépulture décente au corps de leur fils, dans son intégralité, est légitime ; que, cependant, il n'a pas été possible, dans l'état actuel de la loi, de concilier à la fois la nécessaire recherche de la vérité, et le souhait ultime de cette famille meurtrie ; qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, la demande de restitution présentée par Mauricette-Hélène Y, épouse X, Serge X et Jacques Z, ne peut être acceptée, et la décision du procureur général de Toulouse sera confirmée".

 

Le dernier point qui mérite d’être évoqué afin de parfaire cette étude, porte sur le transport d’un corps avant mise en bière après avoir été autopsié.
Des éclaircissements ont été apportés par le ministre de l’Intérieur répondant à la question écrite n° 15227, du parlementaire, M. de Jean-Luc Moudenc, publiée au JORF le 2 juil. 2013, page 6967 :

 

Le texte de la question
"M. Jean-Luc Moudenc alerte M. le ministre de l'Intérieur sur la réglementation sur le transport de corps avant mise en bière. En effet, le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) prévoit en son art. R. 2213-11 que "sauf dispositions dérogatoires, les opérations de transport de corps avant mise en bière du corps d'une personne décédée sont achevées dans le délai maximum de quarante-huit heures à compter du décès". Or les dispositions qui suivent ne prévoient pas de dérogation dans le cas où des expertises médico-légales seraient menées. Pourtant, en pareille hypothèse, il est fréquent que les opérations d'expertise nécessitent un tel délai de quarante-huit heures. Ainsi, la mise en bière a lieu immédiatement à leur issue, empêchant la famille de voir le corps du défunt et de se recueillir à ses côtés. Une adaptation réglementaire semble donc nécessaire, afin de prévoir de proroger ce délai initial de quarante-huit heures dans le cadre où des expertises médico-légales sont diligentées. En conséquence, il lui demande de bien vouloir modifier les articles R. 2213-1 et suivants du CGCT afin d'assurer que la famille du défunt puisse avoir accès au corps avant mise en bière dès lors qu'une expertise médico-légale a fait s'écouler le délai de principe de quarante-huit heures à compter du décès".

 

Jean-Pierre Tricon

Instances fédérales nationales et internationales :

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