Des précisions sur la détermination de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles : l’arrêt de la Cour de cassation, première chambre civile, en date du 15 juin 2005.

 

JP-Tricon
Jean-Pierre Tricon,
avocat au barreau de Marseille

La notion de toute personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, et justifiant de son état civil et de son domicile, est apparue pour la première fois dans le droit funéraire, dans le décret no 76-435 du 18 mai 1976, pris après avis du Conseil d’État, modifiant le décret du 31 décembre 1941, codifiant les textes relatifs aux opérations d'inhumation, d'exhumation, d'incinération et de transport de corps, ainsi que le décret du 12 avril 1905 sur le taux des vacations funéraires, les soins de conservation, le transport de corps avant et après mise en bière, la crémation, les sépultures – inhumations, exhumations – et les modalités de la surveillance des opérations consécutives au décès.

 

Par expérience professionnelle personnelle, occupant, à sa date de parution, le poste de conservateur des cimetières de la ville de Marseille, je puis affirmer que ce décret du 18 mai 1976 a été le fondateur de la réglementation contemporaine des opérations funéraires, dès lors qu'il a ouvert, dans le droit funéraire, la possibilité de transporter un corps avant sa mise en bière, et qu'à notre sens (cf. mon ouvrage, "Le Traité de Législation et Réglementation Funéraires", édité par Résonance), il est l'élément déclencheur de la progression, pour ne point dire la propagation, en France, de la crémation.

 

Il sera relevé, à titre purement subsidiaire, que, dans ses visas, le décret du 18 mai 1976 a abrogé le décret no 60-285 du 28 mars 1960, et par voie de conséquence l'art. 77 du Code civil relatif à la délivrance du permis d'inhumer, par l'officier d'état civil, article qui énonçait :
"Aucune inhumation ne sera faite sans une autorisation, sur papier libre et sans frais, de l'officier d'état civil ; celui-ci ne pourra la délivrer que sur production d'un certificat établi par le médecin qu'il aura chargé de s'assurer du décès", et que, dans le chapitre consacré à la mise en bière, il est prescrit, à l'art. 10-1, que "la fermeture du cercueil est autorisée par l'officier d'état civil du lieu de décès. L'autorisation est établie sur papier libre et sans frais et ne peut être délivrée que sur production d'un certificat du médecin chargé par l'officier d'état civil de s'assurer du décès et attestant que celui-ci ne pose pas de problème médico-légal".

Il en sera déduit que le permis d'inhumer établi par l'officier d'état civil avait bien été abrogé par le décret du 18 mai 1976 et que l'autorisation de fermeture de cercueil lui a été substituée, dès lors que les formalités de déclaration du décès en mairie avaient été accomplies, conformément aux articles 78, 79 et suivants du Code civil.


La substitution de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, à l'expression écrite des dernières volontés de la personne décédée, a concerné, plus particulièrement, l'opération tendant à la conservation du corps, mais aussi la crémation.

 

Force est donc de constater que ce décret a eu pour conséquence d'instaurer un dispositif juridique modifiant, radicalement, le mode d'expression des volontés du défunt qui, avant le 18 mai 1976, étaient attestées, littéralement, par un écrit olographe, et, après l'intervention de ce texte réglementaire, la volonté du défunt n'a pu qu'être supposée, en fonction des déclarations ou prises de positions de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles.

 

Outre les opérations de soins de conservation et de crémation, l'exigence de la demande émanant de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles et devant justifier de son état civil et de son domicile avait été étendue au transport de corps sans mise en bière, à l'admission du corps en chambre funéraire, étant entendu que, pour les chambres funéraires, d'autres cas étaient également prévus, que l'on retrouve, pour partie, dans la réglementation contemporaine (décret du 28 janvier 2011), et au transport après mise en bière.

 

Par contre, la production de la demande émanant du plus proche parent du défunt avait été maintenue pour l'exhumation, disposition qui est toujours d'actualité (art. R.2213-40 du Code Général des Collectivités Territoriales - CGCT), dont extrait ainsi libellé :
"Toute demande d’exhumation est faite par le plus proche parent de la personne défunte. Celui-ci justifie de son état civil, de son domicile et de la qualité en vertu de laquelle il formule sa demande…"

Lors de la publication du décret du 18 mai 1976, les décideurs municipaux qui avaient pour prérogative de délivrer les autorisations administratives consécutives au décès d’une personne ont été très vite confrontés à l’absence de définition légale ou réglementaire de la notion de "personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles", car, étant rompus à des années d’exercice de leurs responsabilités en s’appuyant sur la qualification fournie par les textes antérieurs, celle du plus proche parent du défunt, ils éprouvaient de sérieuses difficultés pour appréhender la teneur et la portée de cette nouvelle formulation.

 

Leurs attentes étaient fondées sur l’intervention du Gouvernement afin que soit clarifiée, par circulaire, cette nouvelle notion de personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, qui furent rapidement déçues, puisque la circulaire, parue au JORF du 31 juillet 1976 p. 4659, en date du 5 juillet 1976, relative à l’application du décret no 76-435 du 18 mai 1976 ayant codifié les textes relatifs aux opérations d’inhumation, d’exhumation, d’incinération et de transport de corps, ne comportait aucune précision à cet égard.

 

Peu à peu, c’est la doctrine qui est venue en préciser les contours. De nombreuses questions écrites ont été posées au Garde des Sceaux, ministre de la Justice, dont celle de Mme Marie-Line Reynaud, en date du 5 mai 2009, et dont la réponse a été publiée au JORF le 16 juin 2009. Mme Marie-Line Reynaud attirait l’attention de Mme la Garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur la loi du 19 décembre 2008, relative à la législation funéraire.

 

Il y était mentionné :

 

"Les articles 15 et 16 du texte de loi font référence à la ‘’personne habilitée à pourvoir aux funérailles.‘. Cette formulation ne posera aucun problème lorsque le défunt aura désigné cet individu, mais ce terme imprécis ouvre la porte à de multiples interprétations, qui sont potentiellement source de conflits, lorsque personne n’aura été désigné préalablement. Elle lui demande de bien vouloir indiquer qui désignera "la personne habilitée" en cas de litige et de préciser par quelle procédure, à l’initiative de qui et sur quels critères.

 

Le texte de la réponse :

 

"La Garde des Sceaux, ministre de la Justice, fait connaître à l'honorable parlementaire que la notion de "personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles", dont use l'art. 16 de la loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire, constitue la reprise d'une notion qui, tout à la fois, figurait déjà dans plusieurs articles du CGCT, et est familière à la jurisprudence judiciaire. L'art. 3 de la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles, en reconnaissant à toute personne majeure, ainsi qu'au mineur émancipé, le droit de décider librement des conditions de ses propres funérailles, a consacré le principe fondamental du respect des volontés du défunt. À défaut d'expression de celles-ci sous la forme d'un testament ou d'une déclaration sous signature privée, désignant nommément la personne chargée des obsèques, on entend par "personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles" toute personne qui, par le lien stable et permanent qui l'unissait à la personne défunte, apparaît ou peut être présumée la meilleure interprète des volontés du défunt. S'il s’agit, en règle générale, d'un proche parent (conjoint survivant lorsque les époux vivaient en bonne intelligence, père et mère, enfants, collatéraux les plus proches), on conçoit aisément que la loi ne puisse procéder à sa détermination "a priori". En cas de contestation sur les conditions des funérailles, celle-ci doit être tranchée par le tribunal d'instance dans le ressort duquel s'est produit le décès, dont la compétence se fonde sur les articles 1061-1 du Code de procédure civile et R. 221-7 et R. 221-47 du Code de l'organisation judiciaire. Il appartient à cette juridiction, saisie par la partie la plus diligente, de statuer dans les vingt-quatre heures. La demande, qui peut être formée par assignation, peut l'être aussi par remise au greffe d'une simple requête et ne nécessite pas le concours d'un avocat."

 

Il apparaît que, parmi les critères énoncés par Mme le Ministre, il en est qui permettent de dégager un principe constant et relativement pragmatique, devant prévaloir pour la détermination de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, soit :
"Toute personne qui, par le lien stable et permanent qui l'unissait à la personne défunte, apparaît ou peut être présumée la meilleure interprète des volontés du défunt."

La solution relève donc de la recherche de cette personne, en cas d’incertitude, en faisant application de cette notion, ce qui donne, généralement, la primauté à l’épouse non séparée, ni divorcée, mais aussi au concubin, puisque la vie commune est la situation la plus propice pour que les partenaires abordent ce point assez délicat et crucial qu’est le thème des funérailles, lié nécessairement à la mort, portant, notamment, sur le mode de sépulture (inhumation ou crémation), et la destination de la dépouille mortelle (concession funéraire, par exemple, ou lieu de conservation ou de dépôt des cendres).

 

Ce transfert de responsabilité à la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles pour la réalisation d’opérations funéraires ayant une incidence importante sur le devenir du corps du défunt ne va pas sans poser de problèmes, dès lors que, comme indiqué "supra", les volontés du défunt ne sont plus attestées, mais présumées.

 

Or, le risque majeur, c’est que la personne qui détient ce pouvoir de décision fasse prévaloir ses propres convictions au détriment de celles du défunt.


Il s’agit là de la même problématique que celle que nous avons dénoncée dans un précédent article consacré à la persistance de la volonté du donneur d’organes, même s’il avait obtenu une carte délivrée par l’un des nombreux organismes existant en France, puisque celle-ci n’a aucune valeur probante définitive, et que les proches du candidat/donneur peuvent, à la demande du corps médical chargé des prélèvements à des fins thérapeutiques, faire valoir un revirement de position du défunt, manifesté en fin de vie.

 

On sait qu’en cas de contestation sur les conditions des funérailles, celle-ci doit être tranchée par le tribunal d'instance dans le ressort duquel s'est produit le décès, dont la compétence est fondée sur les articles 1061-1 du Code de procédure civile et R. 221-7 et R. 221-47 du Code de l'organisation judiciaire.

 

Il appartient à cette juridiction, saisie par la partie la plus diligente, de statuer dans les vingt-quatre heures. La demande, qui peut être formée par assignation, peut l'être aussi par remise au greffe d'une simple requête et ne nécessite pas le concours d'un avocat.

 

Mais, devant parfois la complexité des oppositions au sein même de la famille du défunt, les magistrats sont confrontés à des dilemmes, et ils se doivent de discerner, au travers de plusieurs faisceaux d’indices, la solution la plus opportune.

 

L’arrêt de la Cour de cassation, 1re chambre civile, en date du 15 juin 2005, no de pourvoi 05-15839, en est l’illustration.

 

L’objet du contentieux :

 

Amar X..., père de trois enfants majeurs d'un premier lit, Malik, Linda et Sabrina (les consorts X...), s'étant remarié le 21 juillet 2000 avec Mme Amina Y..., est décédé le 13 mai 2005.

Sa veuve avait souhaité le faire inhumer selon la tradition musulmane et ses enfants avaient, au contraire, voulu le faire incinérer. Saisi en référé par la veuve, le président du tribunal d'instance de Lille avait décidé qu'il appartenait aux enfants d'organiser les funérailles et de choisir le mode de sépulture. Appel avait été formé contre cette décision par Mme Y..., veuve X..., lequel avait été déclaré irrecevable par le premier président de la cour d'appel de Douai.

 

La Cour de cassation (Civ.1, 1er juin 2005, pourvoi no A 05-15.476) avait cassé cette décision et déclaré l'appel recevable.

 

Les consorts X... faisaient grief à l'ordonnance attaquée (premier président de la cour d'appel de Paris, 3 juin 2005), statuant sur renvoi, d'avoir infirmé l'ordonnance entreprise sur le fond et décidé qu'Amar X... serait inhumé et qu'à défaut d'accord entre les parties Mme Y..., veuve X..., était chargée d'organiser les funérailles, alors, selon les moyens :

1 - Que si l'ordonnance attaquée considérait qu’Amar X... aurait exprimé le vœu d'être inhumé et non incinéré, elle reconnaissait expressément qu'il n'était pas possible de déterminer sa volonté quant aux conditions de son inhumation.

 

Que sa veuve, en instance de divorce, revendiquait une inhumation au carré musulman, alors que ses trois enfants légitimes faisaient valoir l'absence de toute volonté de leur père de conférer un caractère religieux à son enterrement.

 

Qu'en décidant qu'à défaut d'accord des parties ce serait Mme Y..., épouse en instance de divorce et séparée depuis plusieurs années du défunt, qui déciderait des modalités de l'inhumation, sans rechercher laquelle des deux parties était la plus qualifiée pour définir la volonté du défunt, le premier président avait violé l'art. 3 de la loi du 15 novembre 1887.

 

2 - Que le premier juge, en l'absence de toute volonté exprimée du défunt, avait précisément recherché quelle était la personne la plus qualifiée pour l'interpréter, et retenu que, en l'absence de toute communauté de vie, le conjoint ne pouvait être qualifié d'interprète privilégié de la volonté du mari et que cette qualité devait revenir aux enfants, plus proches parents par les liens du sang et dévolutaires naturels du choix de la sépulture.

 

La Cour de cassation constatait, alors, qu'en infirmant l'ordonnance de ce chef, sans s'expliquer sur les motifs contraires de la décision de première instance infirmée, et sans justifier le choix contraire à celui du premier juge par le moindre motif, le premier président avait privé sa décision de base légale au regard du même texte.

 

Or, malgré les critères énoncés régulièrement par le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, la décision de la Cour de cassation, relativement surprenante, s’est fondée sur des motifs religieux pour débouter les enfants, bien que la veuve du défunt n’eût plus de communauté de vie avec celui-ci, en disposant :
"Que l'ordonnance, qui retient exactement qu'il convenait de rechercher par tous moyens quelles avaient été les intentions du défunt et, à défaut, de désigner la personne la mieux qualifiée pour décider des modalités des funérailles, constate, d'abord, qu’Amar X..., s'il n'était pas un pratiquant régulier, était de tradition musulmane, qu'il avait manifesté le vœu d'être inhumé, et que rien ne permettait d'affirmer qu'il eût entendu rompre tous liens avec cette tradition.

 

Qu'il résulte de ces constatations, qui réfutent nécessairement les motifs du premier juge, que le premier président a fait ressortir la volonté d'Amar X... d'être inhumé dans le respect de la tradition musulmane.

Que, dès lors, le moyen, inopérant en sa première branche, n'est pas fondé en sa seconde." Et, en conséquence, la Cour a rejeté le pourvoi formé par les enfants du défunt et les a condamnés aux dépens de l’instance.

Cet arrêt ne devrait pas, à notre sens, influer sur les motifs de la désignation de la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, dès lors que les contestations seraient étrangères à des motifs purement religieux.

 

En revanchee, devant le développement du communautarisme, et l’augmentation nécessairement croissante du nombre de funérailles concernant certaines catégories de personnes revendiquant un droit à la reconnaissance des rites religieux, il est constant que cette décision de la Cour de cassation devrait faire jurisprudence et que les juges du premier degré ne manqueront pas de s’y référer, afin d’éviter le risque potentiel de voir leur jugement contesté en appel, voire devant la Haute assemblée civile.


Enfin, il faudra tenir compte du fait que, depuis le décret du 28 janvier 2011, le régime des déclarations préalables écrites, faisant seulement référence à la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, les demandes exprimées par celle-ci ne sont plus soumises au maire, mais détenues, pendant au moins un délai de cinq ans, par l’opérateur funéraire habilité qui procède à cette déclaration.

 

Ainsi, le contrôle du maire et de ses services est totalement limité, pour ne point dire inconsistant, et même si l’autorité municipale ne possède aucun pouvoir juridictionnel, ce défaut de contrôle, "a priori", ne peut que favoriser l’émergence de contentieux de ce type.

 

Jean-Pierre Tricon

Instances fédérales nationales et internationales :

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