Cette spécificité se révèle d’autant plus lorsqu’on se réfère au contentieux sommaire des contestations relatives aux cimetières et concessions.

 

Jusqu’au 21 octobre 1955, date de la décision d’assemblée du Conseil d’État, demoiselle Méline, confirmée par les arrêts ville de Royan/ dame Oger du 20 janvier 1956 et consorts Hérail du 11 octobre 1957, il existait une indécision sur la compétence de l’ordre de la juridiction appelée à connaître les litiges relatifs aux contrats d’occupation des cimetières communaux.

Bien que le 28 juin 1935, dans une décision Marecar (Rec., p. 734), le Conseil d’État ait affirmé que les cimetières faisaient partie du domaine public communal, cette même assemblée confirmait la compétence judiciaire dans un arrêt de section rendu le 10 février 1950, Veuve Durand-Sachot, Rec., p. 93.

Les décrets des 30 septembre 1953 et 28 novembre 1953 réformant le contentieux administratif, et l’arrêt demoiselle Méline précité, ont permis de lever les doutes qui auraient pu subsister en confirmant que les concessions Funéraires, nonobstant l’absence du caractère précaire et révocable qui s’applique généralement aux occupations du domaine public, constituent des contrats comportant l’occupation de ce domaine.

De ce fait, les litiges qui peuvent opposer la commune concédante et les concessionnaires relatifs à l’exécution du contrat relèvent de la compétence des juridictions administratives (Cf. A. de Laubadère, Traité de droit administratif, 1975,T , II, n° 377, et arrêt demoiselle Méline 21 octobre 1955, D, 1956, 543, conclusions Guionin), tout comme ceux ayant trait à son interprétation, même si le conflit, à cet égard, oppose des personnes privées.

L’examen du contentieux déféré devant cette juridiction permet en outre d’opérer une classification des litiges en deux rubriques distinctes : les procès basés sur une responsabilité quasi délictuelle de la commune, et ceux reposant sur une responsabilité animée par des mobiles exclusivement contractuels.

L’administration municipale, d’après le décret-loi du 23 prairial an XII, a une double qualité et un double rôle : l’article 16 lui confère la police et la surveillance des lieux de sépulture, les articles 10 et 11, puis l’ordonnance du 6 décembre 1843, lui permettent de délivrer des concessions.

Il faut donc se garder de confondre le pouvoir de police et celui de consentir des concessions (cf., sur l’arrêt du Conseil d’État, 19 mars 1843, Castongt, Rec., P ; 266, D, 63, 3, 35, les conclusions du commissaire du gouvernement l’Hôpital), d’autant plus que le maire est l’autorité compétente en matière de police alors que le conseil municipal institue les concessions Funéraires (catégories, tarifs).

La responsabilité de la commune peut être quasi délictuelle lorsque les usagers ne sont pas en situation contractuelle (ex : cas des inhumations en service ordinaire ou terrain commun), et peut aussi exister lorsque des rapports de réciprocité résultent d’un contrat, car il ressort d’un certain nombre d’arrêts une conception restrictive des obligations contractuelles qui a pour corollaire une conception extensive du champ d’application de la responsabilité quasi délictuelle.

On serait tenté de penser que l’inhumation dans un caveau d’une personne étrangère à la famille du concessionnaire constitue une faute contractuelle. Pourtant, dans un arrêt Monier du 9 février 1940, Rec., p. 54, le Conseil d’État subordonne une telle responsabilité à "une grave négligence du service des cimetières". Cette exigence de faute grave est révélatrice du désir de faire application des règles concernant la responsabilité quasi délictuelle (voir en ce sens commune de Clermont, 19 octobre 1966, Rec., p. 551).

Toutefois, d’autres décisions tempèrent cette impression. Ainsi de l’arrêt Berezowski, CE., 1er décembre 1976, Rec., 1978, p. 45 et suivantes, on peut déduire qu’il existe un principe de priorité de la responsabilité contractuelle. Étant lié par un contrat le concessionnaire ne peut exercer à l’encontre de la commune d’autre action que celle procédant de ce contrat. Ce principe est d’ailleurs consacré depuis longtemps par la jurisprudence (cf. A. de Laubadère, Traité théorique et pratique des contrats administratifs, 1956, t. III, n° 497 ; F. Moderne, note sous l’arrêt du Conseil d’État, 13 septembre 1972, JCP, 1974 II, 17686).

La compétence judiciaire demeure pour les contestations qui s’élèvent entre les concessionnaires et les ayants droit ou ces derniers entre eux, notamment lorsqu’il s’agit d’apprécier les règles de dévolution successorale ou les critères applicables à la propriété des constructions (caveaux et monuments).

En tout état de cause, nous insisterons sur le fait que les autorités communales ne peuvent s’ériger en juges, donc se substituer aux juridictions compétentes, auxquelles seront déférés tous les litiges nécessitant une décision contentieuse au fond.

Depuis 1938, la théorie de la "voie de fait" qui porte sur une atteinte à la propriété et aux libertés fondamentales, a été admise dans les litiges concernant les concessions Funéraires, ce qui a eu pour conséquence de renforcer la compétence judiciaire. C’est ainsi que le tribunal civil de la Seine dans un jugement en date du 21 juin 1938, Jaquelin c/ Ville de Neuilly, DH. 1938, P 589, a sanctionné une inhumation effectuée irrégulièrement dans une concession qui n’était pas parvenue à son terme, en estimant que la commune avait commis une voie de fait en portant atteinte au droit de jouissance conféré au concessionnaire par son droit réel immobilier (notion retenue, comme cela l’a été exposé, dans l’analyse de la nature du droit du concessionnaire en droit judiciaire).
Ultérieurement, c’est l’atteinte au droit de propriété sur les ornements Funéraires disposés sur une concession et enlevés prématurément par la commune, qui a été qualifiée de voie de fait : CA Paris., 29 octobre 1947, Ringenbach c/commune de Savigny-sur-Orge, D, 1948, p. 59.

Après que le Conseil d’État a eu reconnu aux actes de concession la nature juridique de contrats administratifs, par son arrêt de 1955, demoiselle Méline précité, il devenait inévitable que le Tribunal des conflits soit amené à se prononcer sur la question de savoir si la voie de fait était toujours possible devant les tribunaux judiciaires, puisque le droit protège le contrat de concession, qui n’a plus de nature civile.

Dans sa décision du 25 novembre 1963, Commune de Saint-Just-Chaleyssin et sieur Rey c/ époux Thomas, Recueil Lebon, p. 793, conclusions Chardeau, le Tribunal des conflits, chargé de régler les problèmes de compétences entre les deux ordres de juridictions, s’est prononcé en faveur de la théorie de la voie de fait, non pas en raison de la nature du droit du concessionnaire, jusque-là qualifié de droit réel, mais plus simplement pour assurer la protection du droit détenu sur la concession qu’il estime devoir être juridiquement protégé.

Toutefois, ce n’est généralement pas la procédure administrative qui, en cas d’inobservation des règles (exemple : la reprise des concessions) ou les conséquences des décisions du maire prises dans le cadre de ses pouvoirs de police, sont directement constitutives d’une voie de fait : c’est la matérialité de l’acte, illégal, portant atteinte aux droits fondamentaux du concessionnaire, qui la justifiera : TC, 6 juillet 1981, Jacquot, Recueil Lebon, p. 107, note Melin ; TA Bordeaux, 15 juillet 1982, Labioche, inédit.

Enfin, la théorie de l’emprise irrégulière a également été étendue à la concession Funéraire, assez récemment, avec la décision du Conseil d’État du 22 avril 1983, Lasporte, Recueil Lebon, p. 160, note Pacteau, qui a attribué à la juridiction judiciaire la compétence pour connaître un litige opposant le titulaire d’une concession à une commune, du fait que celle-ci avait consenti à l’inhumation de deux corps de personnes étrangères à la famille du fondateur de la concession, en spécifiant que "le maire, en dépossédant M. Lasporte des droits dont il jouissait sur sa concession Funéraire perpétuelle, a commis une emprise irrégulière dont il n’appartient qu’aux juridictions judiciaires de connaître".

Avant cette décision, à l’égard de laquelle le Conseil d’État s’est gardé d’utiliser le terme de "droit réel immobilier" usité au sein des juridictions judiciaires, ce type de litige relevait d’une responsabilité contractuelle de la commune, en se référant à l’arrêt du Conseil d’État en date du 20 janvier 1956, Ville de Royan c/ Oger, Recueil Lebon, p. 26.

Pour sa part, le Tribunal des conflits est resté fidèle à la notion d’atteinte au droit réel immobilier détenu sur une concession pour justifier la compétence judiciaire en matière d’emprise irrégulière : TC, 4 juillet 1983, François, Recueil Lebon, p. 539.

On aurait pu penser que la loi du 5 janvier 1988, dite loi d’amélioration de la décentralisation qui, dans son article 13, (articles L. 1311-1 et suivants du CGCT), interdisait la constitution de droits réels immobiliers sur le domaine public, aurait pu remettre en cause cette jurisprudence.
Toutefois, force est d’admettre que le juge judiciaire est resté fidèle à la notion de droit réel immobilier, notamment dans l’arrêt de la cour d’appel de Limoges, du 12 mars 1992, Chevillard c/ Gosset, D, 1995, Somm. p.190, soutenu, il est vrai, par une grande partie de la doctrine, dont E. Boehler, in "Le droit du concessionnaire de sépulture après la loi du 5 janvier 1988", DA, mai 1991, fascicule 407-2, R . Chapus, Droit administratif général, tome 1, Damien Dutrieux, "Le retour des concessions particulières", les Cahiers juridiques des collectivités territoriales, août-septembre 1998, p.19, ainsi que le ministre de l’Intérieur, question n° 47007, JOAN, 26 octobre 1992, p. 4920.

Dans un prochain article, nous nous attacherons à compléter cette analyse sur la dichotomie entre compétence administrative et judiciaire, pour le domaine des pompes funèbres, la loi du 8 janvier 1993 ayant investi les entrepreneurs et les associations habilitées d’une mission de service public, qui a donc pour corollaire des incidences au plan des régimes des compétences juridictionnelles.

Jean-Pierre Tricon

Instances fédérales nationales et internationales :

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