La technique du recours en manquement permet à la Commission européenne d’engager devant la Cour de justice des Communautés européennes une procédure à l’encontre d’un État membre ayant enfreint des dispositions européennes. C’est ce qui s’est passé dans le cadre du dossier relatif à la TVA sur les services funéraires. À l’initiative de la Commission la République française, a été amenée à se justifier sur le fait d’appliquer aux prestations funéraires deux taux de TVA distincts.

 

Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en n’appliquant pas un taux unique de taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la "TVA") à l’ensemble des prestations de services fournies par les entreprises de pompes funèbres ainsi qu’aux livraisons de biens qui s’y rapportent, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 96 à 99, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 nov. 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.

Le cadre juridique

La réglementation de l’Union

La directive 2006/112 abroge et remplace depuis le 1er janv. 2007 la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la "sixième directive").

L’article 96 de la directive 2006/112, correspondant à l’article 12, paragraphe 3, sous a), premier alinéa, de la sixième directive, dispose :
"Les États membres appliquent un taux normal de TVA fixé par chaque État membre à un pourcentage de la base d’imposition qui est le même pour les livraisons de biens et pour les prestations de services".
L’article 98, paragraphes 1 et 2, de la directive 2006/112, correspondant à l’article 12, paragraphe 3, sous a), troisième alinéa, de la sixième directive, prévoit :
1. Les États membres peuvent appliquer soit un, soit deux taux réduits.
2. Les taux réduits s’appliquent uniquement aux livraisons de biens et aux prestations de services des catégories figurant à l’annexe III.

L’annexe III de la directive 2006/112, correspondant à l’annexe H de la sixième directive, contient une liste d’activités, parmi lesquelles figurent les deux catégories suivantes :
- les prestations de services fournies par les entreprises de pompes funèbres et de crémation ainsi que la livraison de biens qui s’y rapportent". 

La procédure précontentieuse

Par lettre du 15 déc. 2006, la Commission a attiré l’attention de la République française sur le fait que certaines dispositions nationales relatives au taux de TVA applicable aux prestations fournies par les entreprises de pompes funèbres ne semblaient pas conformes au droit de l’Union, et a mis cet État membre en demeure de présenter ses observations, conformément à l’article 226 CE.

Dans sa réponse du 14 fév. 2007, la République française a fait valoir que sa réglementation nationale en matière de TVA était compatible avec le droit de l’Union.


N’étant pas convaincue par cette réponse, la Commission a, le 29 juin 2007, émis un avis motivé dans lequel elle invitait la République française à prendre les mesures requises pour s’y conformer dans un délai de deux mois à compter de la réception de celui-ci.


Par lettre du 24 août 2007, la République française a réitéré sa position.

Les arguments de la République française n’ayant pas emporté la conviction de la Commission, celle-ci a décidé d’introduire le présent recours.

Sur le recours : argumentation des parties

La position de la Commission européenne

La Commission fait valoir que l’ensemble des prestations de services et des livraisons de biens fournies par les entreprises de pompes funèbres aux familles des défunts constituent, aux fins de la TVA, une opération complexe unique, qui doit, par conséquent, être soumise à un taux de taxation unique.

La Commission fonde sa position sur la jurisprudence de la Cour selon laquelle l’opération constituée d’une seule prestation sur le plan économique ne doit pas être artificiellement décomposée pour ne pas altérer la fonctionnalité du système de la TVA.

La Commission considère que la réglementation française constitue, dès lors, une violation de l’article 98, paragraphe 1, de la directive 2006/112.

La position de la République française

La République française soutient, en substance, que la jurisprudence sur laquelle s’appuie la Commission n’est pas pertinente en l’espèce et que, en ce qui concerne les catégories de prestations figurant à l’annexe III de la directive 2006/112, les États membres ont la possibilité de procéder à une application sélective du taux réduit.

La République française fonde sa position sur le fait que, sous réserve de respecter le principe de la neutralité fiscale inhérent au système commun de la TVA, les États membres ont la possibilité d’appliquer un taux réduit de TVA à des aspects concrets et spécifiques des prestations de services fournis par les entreprises de pompes funèbres. La République française estime que ces conditions sont remplies en ce qui concerne le transport de corps par véhicule. En premier lieu, il s’agirait d’un aspect concret et spécifique des prestations fournies par les entreprises de pompes funèbres, ce qui serait attesté par le fait que cette opération fait l’objet d’une réglementation spécifique. En second lieu, l’application du taux réduit au seul transport de corps par véhicule ne porterait pas atteinte au principe de neutralité fiscale dès lors que cette prestation ne se trouverait en concurrence avec aucune autre.

Appréciation de la Cour

La Cour a jugé à propos de l’article 12, paragraphe 3, sous a), troisième alinéa, de la sixième directive que rien dans le texte de cette disposition n’impose qu’elle soit interprétée comme exigeant que le taux réduit ne s’applique que s’il vise tous les aspects d’une catégorie de prestations, de sorte qu’une application sélective du taux réduit ne saurait être exclue, à condition qu’elle n’entraîne aucun risque de distorsion de concurrence.

La Cour en a tiré pour conséquence que, sous réserve de respecter le principe de la neutralité fiscale inhérent au système commun de la TVA, les États membres ont la possibilité d’appliquer un taux réduit de TVA à des aspects concrets et spécifiques d’une catégorie de prestations.

Le transport de corps constitue-t-il un aspect concret et spécifique des prestations fournies par les pompes funèbres ?

Afin de répondre à cette question il convient de savoir si le transport de corps par véhicule constitue un aspect concret et spécifique des prestations de services fournies par les entreprises de pompes funèbres, il convient d’examiner s’il s’agit d’une prestation de service identifiable, en tant que telle, séparément des autres prestations fournies par ces entreprises.

À cet égard, force est de constater que le transport de corps par véhicule, en tant qu’activité de transport, se distingue des autres prestations pouvant être fournies par les entreprises de pompes funèbres que sont les soins somatiques, l’utilisation d’une chambre funéraire, l’organisation des obsèques ainsi que les opérations d’enterrement ou de crémation.


Il se distingue également du transport de corps par porteurs, en ce que ce dernier, limité par sa nature même à des déplacements sur une courte distance, n’est pas nécessairement effectué par une entreprise mais peut être confié à des proches du défunt et revêt avant tout un caractère cérémoniel.

Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que le transport de corps par véhicule constitue un élément concret et spécifique parmi les prestations de services fournies par les entreprises de pompes funèbres.

Sur le respect du principe de la neutralité fiscale

S’agissant de la question de savoir si l’application d’un taux réduit au transport de corps par véhicule porte atteinte au principe de la neutralité fiscale inhérent au système commun de la TVA, il convient de rappeler que ce dernier s’oppose à ce que des marchandises ou des prestations de services semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA.

Ainsi qu’il a été constaté dans le présent arrêt, le transport de corps par véhicule se distingue du transport de corps par porteurs, en sorte qu’il ne s’agit pas de prestations semblables qui se trouvent en concurrence.

Par ailleurs, la République française a fait valoir, sans être contredite sur ce point par la Commission, que, lorsqu’un transport de corps par véhicule est effectué isolément, c’est-à-dire indépendamment de toute autre prestation d’ordre funéraire, par une entreprise de pompes funèbres ou par tout autre prestataire agréé, telle une entreprise de transport sanitaire, cette opération est, selon la réglementation française, considérée comme un transport de personnes au sens de l’annexe III, point 5, de la directive 2006/112 et, conformément à l’article 279 du Code général des impôts, soumise au même taux réduit que si elle avait été effectuée dans le cadre d’un contrat incluant la fourniture d’une plus large gamme de prestations d’ordre funéraire. Il s’ensuit que des prestations semblables de transport de corps par véhicule, qui peuvent se trouver en concurrence, ne sont pas traitées de manière différente du point de vue de la TVA.


Il s’ensuit que la Commission n’a pas démontré que l’application d’un taux réduit aux transports de corps par véhicule est susceptible de violer le principe de la neutralité fiscale inhérent au système commun de la TVA.

Au vu de ce qui précède, il y a lieu de constater que la réglementation française soumettant le transport de corps par véhicule à un taux réduit de TVA remplit les conditions requises par la réglementation de l’Union en la matière.

Dans ces conditions, la Cour conclut au rejet du recours introduit par la Commission européenne.

Quelques réflexions à propos de l’arrêt de la Cour de justice

L’arrêt de la Cour intervient dans un contexte de rigueur budgétaire qui ne peut que ravir les services de Bercy conforté dans son opposition à la demande de réduction de la TVA sur l’ensemble des services funéraires. Elle ne signe pas pour autant la fin du débat sur la fiscalité du funéraire qui ne manquera de revenir sur la table de l’exécutif en raison de sa résonance politique.

Politiquement en effet, la décision de la Cour est la seconde plus importante décision concernant le funéraire. Après s’être prononcée en 1988 sur la compatibilité du monopole français en matière de pompes funèbres, la Cour apporte un éclairage très technique sur la portée du taux réduit de TVA insérée dans la directive de 1992. Dans son style habituel, la Cour argumente sa position à partir de considérations telles que seuls les initiés à la prose communautaire peuvent en décrypter le sens et la portée.

Un seul perdant : les familles

Comme dans toute procédure contentieuse, il y a un gagnant et un perdant. Le gagnant, le gouvernement, s’est forgé un raisonnement de taille issu de l’existence d’une réglementation nationale distinguant bien le transport du corps du reste des prestations. Non sans pertinence, la réglementation française assimile le transport de corps à un transport de personne et c’est bien ainsi politiquement car la signification politique de la tarification fiscale réduite a un sens. C’est certainement sur ce terrain, comme l’a suggéré la Charte du respect de la personne endeuillée portée par Georges Colombier, député, et Nadine Morano, secrétaire d’État chargée de la Famille et de la Solidarité, que doivent porter les efforts de la profession. En effet, les prestations funéraires restent dans le fond des prestations à la personne, notamment aux survivants qui ont la charge de l’inhumation et de la crémation. Dès lors une fiscalité alignée à l’ensemble des prestations trouverait sa justification.

La décision de la Cour est une énorme déception pour les familles. Certaines associations de familles attachées à cette cause ont regretté de ne pas monter au créneau sur ce dossier.

La Cour a commis un manquement d’appréciation de l’évolution du funéraire

La Cour a fondé sa décision sur le fait que le transport de corps par véhicule constitue un aspect concret et spécifique des prestations de services fournies par les entreprises de pompes funèbres qui peut être également assuré par d’autres opérateurs agréés. Elle distingue même le transport de corps par porteurs (sic) et celui qui peut être effectué par les familles !  Non seulement cette hypothèse est superflue, mais également irréaliste. En effet, si la famille peut réaliser à titre exceptionnel cette prestation, le recours aux moyens d’un opérateur habilité est obligatoire. Dans les faits, cette situation ne s’est jamais présentée au niveau national.

La Cour a, en la matière, commis un manquement à sa connaissance des pratiques de funérailles en France. En effet, les prestations fournies par un opérateur sont certes spécifiques et aussi concrètes les unes que les autres mais de là à les scinder ou à les morceler il n’y a qu’un pas qu’il ne faut pas franchir, les familles, en majorité, préférant confier l’ensemble des prestations au même prestataire. C’est cette vision globale des prestations d’inhumation ou de crémation qui a échappé à la Cour. La tendance à la globalisation du service est flagrante en France. Dès lors, pourquoi s’enfermer dans un raisonnement visant à isoler le transport du reste des prestations. Comme nous l’avons indiqué précédemment, le transport est un élément d’un ensemble de services à la personne à un moment bien déterminé : le décès. Mais sur cet aspect la Cour se fonde sur la position française distinguant bien le transport du corps du reste des prestations. C’est certainement cette approche qu’il convient de faire évoluer.


Le principe de neutralité fiscale : une utopie

Dans le raisonnement de la Cour, un aspect surprenant réside dans le fait qu’elle apprécie le principe de la neutralité en fonction de la situation du marché local. Cette démarche est d’autant plus contestable que la Cour aurait dû prendre en considération la situation dans les zones frontalières où l’avantage fiscal emporte la décision au détriment des entreprises nationales. Dans le nord, et certains députés comme Christian Vaneste le rappellent avec vigueur, les entreprises locales font l’objet d’une distorsion de la concurrence fondée sur le fait que les entreprises frontalières interviennent avec un avantage tarifaire décisif. Si l’harmonisation fiscale européenne est une réalité, elle reste une utopie dans le domaine funéraire. Pis encore, nous sommes la profession pour laquelle subsistent encore les frontières. Ne faut-il pas un cercueil zingué pour rapatriement d’un Français décédé dans une maison de retraite en Belgique à 5 km du domicile mortuaire ?

Que faire maintenant ?

Il faut reprendre le dossier à sa base et changer de stratégie. La fiscalité du funéraire n’est pas l’apanage des professionnels du funéraire, et le dossier ne doit pas être présenté sous un angle corporatiste. Les associations de familles doivent prendre le relais.


Pour les professionnels l’action continue et il faudra convaincre Bercy que la TVA est une affaire de services à la personne et rompre la distinction entre telle ou telle prestation.

Lors d’un récent entretien avec une association de familles, nous avons évoqué l’idée que la question de la TVA doit être englobée dans le cadre d’un dossier plus large : celui de la fiscalité du funéraire en général. Est-il normal aujourd’hui que la fiscalité sur le funéraire représente près d’un tiers du montant d’une facture d’inhumation ou de crémation. C’est sur le terrain politique que ce dossier est désormais engagé. Une mission parlementaire pourrait être mise en place. On en reparlera, mais en attendant rendons hommage à ceux, élus et professionnels, qui ont engagé un dossier et l’ont mené jusqu’à son terme.


Méziane Benarab,
directeur général OFPF.

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations