La destination des terres issues des creusements de fosses dans les cimetières, en vue d’y construire ou poser un caveau préfabriqué, devrait, du fait du silence de la loi ou des décrets, donner lieu à une réglementation spécifique énoncée dans un arrêté municipal portant règlement des cimetières, pouvoir entrant dans le domaine de la police municipale autonome dévolue au maire en vertu de la partie législative du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) (voir, en ce sens, mon article paru dans Résonance Magazine, n° 56 octobre 2009, intitulé "Le règlement du cimetière et les pouvoirs de police autonome du maire").

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Jean-Pierre Tricon,
avocat à Marseille.

 

 

En effet, il a pu être reproché à un opérateur funéraire habilité d’avoir fait transporter à son domicile de la terre grossièrement triée provenant de différents cimetières, suite à des creusements de fosses. Selon certains témoignages, qui n’ont pu être vérifiés, cette terre pouvait contenir des débris de corps humain. Or, on sait que ceux-ci constituent les restes d’une dépouille mortelle et doivent donner lieu à respect, dignité et protection, quand bien même ils proviendraient de sépultures abandonnées.

L’art. 16-1-1 du Code civil créé par la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 en son art. 11, codifié, ne prescrit-il pas : "Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence."

Ces surplus de terres provenaient de terrassements effectués dans des cimetières locaux en vue de la construction ou pose de caveaux sur des emplacements ayant donné lieu à la délivrance de concessions funéraires, mais les creusements avaient été effectués à l’aide d’excavatrices conçues pour évoluer dans les cimetières, dont le contenu des "godets" avait fait l’objet de retraits des ossements principaux.

Il convient de faire remarque que le creusement des fosses dans les cimetières constitue une opération relevant de la compétence du maire de chacune des communes concernées, car les opérations de terrassements étaient conduites en même temps que celles des exhumations des corps qui se trouvaient dans ces tombes.

Ainsi, l’art. L. 2213-9, du CGCT énonce : "Sont soumis au pouvoir de police du maire le mode de transport des personnes décédées, le maintien de l’ordre et de la décence dans les cimetières, les inhumations et les exhumations, sans qu’il soit permis d’établir des distinctions ou des prescriptions particulières à raison des croyances ou du culte du défunt ou des circonstances qui ont accompagné sa mort."

Il résulte de ces textes, mais aussi de l’arrêt de la cour administrative de Marseille n° 09MA00288, en date du 10 mars 2011, qu’il existe, manifestement, une grande probabilité en faveur d’une compétence propre du maire de la commune pour prendre par arrêté municipal à caractère réglementaire, s’il concerne une pluralité de sépultures en terrain commun, ou individuel pour une seule, puisque manifestement le pouvoir réglementaire autonome entre bien dans le champ des compétences du maire dès lors qu’aucun texte ne l’exclut explicitement.

De la même manière, pour les reprises des concessions réputées à l’état d’abandon (soit défaut de renouvellement à l’échéance de la durée et d’un délai de carence de deux années, soit insuffisance ou absence d’entretien), le maire se doit de prendre un arrêté après que le conseil municipal a délibéré pour établir la liste des concessions susceptibles d’être reprises. Cette compétence est également confirmée par la jurisprudence administrative, dont :

CAA Nantes n° 17NT01321 en date du 4 mars 2008

"Considérant qu’il appartient au maire, dans le cadre des pouvoirs de police qu’il tient de l’art. L. 2213-8 précité du CGCT en matière de police des cimetières et de sépultures, de fixer les règles selon lesquelles peut intervenir la reprise des fosses en terrain commun, de même, par voie de conséquence, que l’enlèvement des matériaux et ornements déposés sur ces fosses…"

Or, manifestement, aucun des maires des nombreuses communes rurales concernées par ces prélèvements de terre issues des creusements de fosses dans les cimetières communaux n’ont réagi, d’autant plus que ces communes ne s’étaient pas dotées de règlements intérieurs des cimetières, donc avaient ignoré le phénomène de la destination des terres, et laissé l’entrepreneur devant un vide sidéral.

Il ne peut être contesté qu’il appartenait bien aux autorités municipales de s’assurer, dans le cadre de leurs pouvoirs de police générale, mais également spéciale, portant spécifiquement sur les cimetières (maintien de l’ordre public et protection de l’hygiène, de la salubrité publiques, et/ou respect de l’intégrité des cadavres, donc la décence et le respect dû aux morts), de fixer les règles afférentes aux interventions des entreprises de pompes funèbres habilitées pour effectuer les exhumations, et de veiller à la destination des ossements qui devaient être déposés dans l’ossuaire communal, et cela, sous la surveillance effective du maire ou de ses adjoints, tous officiers de police judiciaire, dès lors que les communes concernées n’étaient pas dotées de gardes champêtres, ou d’agents de police municipale.

Il convient, également, de tenir compte des difficultés inhérentes, d’une part, à la mécanisation des tâches, les creusements s’opérant à l’aide d’excavatrices de petites dimensions, facilement manœuvrables dans les allées exiguës des cimetières et, d’autre part, à la configuration de la terre qui, lorsqu’elle est solide ou compacte, car soit très humide ou de nature argileuse, le tri des ossements est particulièrement ardu, voire, ainsi que la Cour de cassation l’a jugé, impossible à réaliser.

C’est ainsi qu’il convient de s’appesantir sur les conséquences de l’arrêt de la Cour de cassation, chambre criminelle, rendu lors de l’audience publique du 3 avril 1993, n° de pourvoi : 96-82380, puisque la Cour a statué en ces termes, à l’égard d’un pourvoi formé contre un arrêt de la cour d’appel de Dijon, chambre correctionnelle, en date du 28 mars 1996, qui, dans les poursuites en date du 28 mars 1996, exercées sur leur plainte contre Christian Y... du chef de violation de tombeau ou sépulture, les avait déboutés de leur demande.

Le moyen unique de cassation résidait dans la violation de l’art. 360 du Code pénal, violation de l’art. 225-17, alinéa 2, du Code pénal, ensemble violation de l’art. 593 du Code de procédure pénale, et de l’art. 1382 du Code civil "en ce que l’arrêt attaqué avait relaxé le prévenu poursuivi pour violation de sépulture et a, par voie de conséquence, débouté la partie civile".

Les circonstances ayant conduit à cet arrêt sont particulièrement similaires avec les faits reprochés à l’opérateur funéraire mis en cause, puisqu’une enquête de gendarmerie avait confirmé que, lors des creusements de deux concessions mitoyennes en vue de la construction d’un caveau, celui-ci avait extrait la terre, puis l’avait transportée en dehors de l’enceinte du cimetière, laquelle était susceptible de contenir des débris d’ossements, et qu’au cours de l’information, M. Y..., opérateur funéraire, avait reconnu la matérialité des faits incriminés, mais avait soutenu pour sa défense que les monuments anciens étaient irrécupérables et que les ossements avaient été jetés à la décharge par inadvertance et non de manière délibérée.

Puis, il est écrit dans le corps de cet arrêt :

"Le 27 mai 1994, le juge d’instruction de Dijon a rendu, conformément aux réquisitions du ministère public, une ordonnance de non-lieu au motif que les agissements de Christian Y... étaient involontaires ; que statuant sur l’appel de la partie civile, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Dijon a infirmé l’ordonnance de non-lieu alléguée et a renvoyé Christian Y... devant le tribunal correctionnel de Dijon ; qu’après la décision de relaxe prononcée par cette juridiction, la cour saisie par les appels de la partie civile et du ministère public doit à nouveau statuer ; qu’ainsi que le soulignent pertinemment les premiers juges, les ossements, compte tenu du transport d’une grande quantité de terre et de gravats, ont pu se trouver mélangés à la terre sans que le prévenu s’en fût rendu compte.

Que la cour n’estime pas que le caractère volontaire de la violation de sépulture découle directement de la profession du prévenu, contrairement à ce que soutient la partie civile ; que les techniques de travail utilisées en l’espèce rendent vraisemblables les explications du prévenu en sorte que par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges. La cour confirme la décision entreprise tant sur l’action publique que sur l’action civile, et ce, après avoir souligné dans ses commémoratifs que Christian Y... a été poursuivi devant le tribunal correctionnel de Dijon, suite à l’arrêt rendu par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Dijon, en date du 9 novembre 1994, le renvoyant devant ladite juridiction pour avoir :

- à Prenois, 21 au mois de décembre 1991, en tout cas en Côte-d’Or et depuis temps non couvert par la prescription ;

- violé la sépulture des défunts de la famille X... en brisant leur cercueil et le monument qui le recouvrait, infractions prévues et réprimées par l’art. 225-17, alinéa 2, du Code pénal ;

- "et aux motifs, à les supposer adoptés des premiers juges qu’il résulte des constatations relatées dans le procès-verbal de gendarmerie que les ossements et morceaux de cercueils découverts au mois de janvier 1992 à la décharge publique de Prenois sont susceptibles de provenir des deux tombeaux de la famille X... détruits par Christian Y... à la demande de Fernand X... ; que la violation de sépulture reprochée à Christian Y... n’est constituée ni par l’exécution même des travaux, ni par la destruction des anciennes pierres tombales, en raison des conventions liant les époux X... à la société Y... ; que les dépôts d’ossements et de fragments de cercueil sur une décharge publique constituent une violation de sépulture s’il est établi que cet acte est volontaire ; qu’en l’espèce, Christian Y... fait valoir que l’incident a pu se produire sans qu’il s’en rende compte, que l’utilisation d’une pelleteuse pour creuser le caveau et le transport d’une grande quantité de terre et gravats, comme en témoignent les photographies du procès-verbal de gendarmerie, à la décharge publique, rendent vraisemblable le fait que des ossements aient pu se trouver mélangés à la terre sans que Christian Y... s’en soit rendu compte en sorte que, dans le doute, il y a lieu de renvoyer le susnommé des fins de la poursuite ;

Attendu que, pour confirmer le jugement déféré, la cour d’appel retient, notamment, par motifs propres et adoptés, que les techniques de travail utilisées et notamment l’emploi d’une pelleteuse rendent vraisemblables les explications de Christian Y... soutenant que les ossements ont été jetés par inadvertance et non de manière délibérée ; qu’elle ajoute que le caractère volontaire de la violation de sépulture ne saurait découler par ailleurs directement de la profession du prévenu ;

Attendu qu’en cet état, et dès lors qu’elle était saisie de faits entrant dans les prévisions tant de l’art. 360 ancien que de l’art. 225-17 nouveau du Code pénal, la cour d’appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

D’où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;

Rejette le pourvoi".

Cette décision se passe, à notre sens de plus amples commentaires, tant la similitude entre les faits reprochés à l’opérateur funéraire, et ceux inhérents à cet arrêt, est frappante et indiscutable. Cet entrepreneur a été victime de contraintes liées à la mécanisation des opérations de creusement de fosses dans les cimetières et, en se fondant sur la passivité pour ne point dire de la défection des autorités communales, il a pu être soutenu que cette décision lui était entièrement et pleinement opposable pour écarter toute responsabilité pénale.

C’est pourquoi il a été demandé à M. le préfet d’abandonner ce grief à l’encontre de l’opérateur poursuivi, dans le cadre de l’instruction d’une procédure administrative de sanction à caractère disciplinaire, puisque le préfet avait évoqué l’éventualité de prononcer une suspension maximale d’un an de l’habilitation, sur le fondement de l’art. L. 2223-25 du CGCT, qui dispose :

"L’habilitation prévue à l’art. L. 2223-23 peut être suspendue pour une durée maximum d’un an ou retirée, après mise en demeure, par le représentant de l’État dans le département où les faits auront été constatés, pour les motifs suivants :

1° Non-respect des dispositions du présent Code auxquelles sont soumises les régies, entreprises ou associations habilitées conformément à l’art. L. 2223-23 ;

2° Abrogé

3° Non-exercice ou cessation d’exercice des activités au titre desquelles elle a été délivrée ;

4° Atteinte à l’ordre public ou danger pour la salubrité publique.

Dans le cas d’un délégataire, le retrait de l’habilitation entraîne la déchéance des délégations."

Il sera particulièrement intéressant de connaître la position définitive du préfet après que l’opérateur aura fait valoir ses moyens en défense, auxquels nous avons, personnellement, contribué.

Les fidèles lecteurs de Résonance, dont les entrepreneurs habilités, qui sont nécessairement confrontés à des situations analogues, pourront se fixer une religion en fonction de la décision préfectorale, passible d’un référé-suspension devant le juge administratif en cas de sanction lourde pouvant mettre en péril une activité commerciale employeuse de plus de trente agents ou collaborateurs, les incidences sur l’emploi et la survie de l’activité pouvant conduire à une déclaration de cessation de paiement (dépôt de bilan), destructrice d’une entreprise dans un bassin d’emploi déjà lourdement sinistré.

Aux maires, également, de prendre en considération cette problématique et de réglementer, autant que faire se peut, les modalités de la destination de ces terres qui, à notre sens, devraient être entreposées dans un espace spécifiquement aménagé dans le cimetière, permettant leur tri, puis évacuées définitivement vers une décharge contrôlée.

Jean-Pierre Tricon

Résonance n°127 - Février 2017

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