Le corps a une importance toute particulière dans la religion catholique où l’on célèbre l’Eucharistie, qui symbolise le sacrifice du corps et du sang de Jésus Christ sous la forme du pain (l’hostie) et du vin. Les évangiles évoquent les soins apportés au corps de Jésus après sa mort en parlant d’embaumement, même si ce terme ne semble pas avoir le sens qu’on lui connaît aujourd’hui. Nous connaissons les rites funéraires de l’Égypte antique, où le corps devait être préservé "intact" à des fins d’immortalité, mais que savons-nous de ceux qui avaient cours chez les Hébreux au temps de Jésus ? J’ai posé la question au père Franz de Boer.

 

Franz De Boer fmt
Père Franz de Boer.

Franz de Boer : Je ne suis pas un expert des rites de l’époque de Jésus, mais je suis totalement d’accord avec toi : chez les chrétiens, on a un respect inouï du corps (qu’on a redécouvert il n’y a pas si longtemps, d’ailleurs, car la science, notamment les sciences humaines, ont enrichi nos réflexions). C’est dû d’abord au respect de la création : "Et Dieu vit que cela était bon."
D’après la Genèse, "Dieu nous fit une tunique de peau" afin que nous puissions vivre dans un monde où nous ne sommes que de passage. Le corps est considéré d’abord comme un don de Dieu. Et la complexité de la mécanique de nos corps, l’impossibilité de tout comprendre, le rôle du cerveau dont on sait qu’on n’utilise que très peu de ses capacités, etc., tout nous parle de l’invisible de Dieu, mais surtout de son amour pour chacun de nous : Dieu a voulu nous donner les capacités de vivre et d’aimer.
Et comment aimer si nous ne pouvons pas entrer en relation ! Sur terre, le corps sert exclusivement à vivre et à entrer en relation avec nous-même, les autres, le monde et… le bon Dieu (d’où la théologie de la prière par le corps qui se développe aujourd’hui). Car, pour vivre au mieux, il faut rechercher cette quadruple harmonie : avec nous-même (d’où le travail des ados, par exemple, sur l’acceptation de son corps et de ses limites), avec les autres (d’où le défi de la fraternité, du partage, de l’écoute et du respect), avec la création (avec les défis immenses de l’écologie) et avec Dieu.
Nous avons pour cela un cœur… et tout qui est essentiel est invisible : la liberté, la conscience, l’amour, l’amitié, etc. Mais on ne peut pas aller dans un supermarché acheter 1 kilo de liberté… On ne voit pas notre liberté ou notre amour, mais uniquement sa manifestation… à travers nos paroles, nos actes, nos regards, nos sourires et nos gestes. Et ce qui pose tout cela, c’est notre corps.

Claire Sarazin : Pour toi qui, en tant que prêtre, célèbres des funérailles, quelle importance le corps revêt-il après que l’âme l’a quitté ?

FdeB : J’étais présent dernièrement lors de la fermeture d’un cercueil d’une dame de 89 ans que j’appréciais beaucoup, afin d’accompagner la famille et de prier pour le salut de cette personne décédée. J’ai été très marqué par la réaction de sa fille. Elle ne pouvait pas se résoudre à fermer le cercueil en disant en boucle : "Oh non, encore un peu. Je ne pourrai plus la toucher, la serrer dans mes bras, contempler son regard." C’était presque impudique, et j’étais très mal à l’aise de devoir rester dans cette pièce, comme si j’entrais dans l’intimité du cœur à cœur entre la fille et sa mère décédée… Elle ne pouvait parler de sa maman qu’en lui serrant les mains… en l’embrassant…
Cela dit quelque chose de très fort sur l’importance du corps, confirmée par la foi catholique. Mais qui ne fait que confirmer une évidence : le corps sert à la relation, à incarner visiblement et concrètement tout notre amour !
Pour cela, on a entre autres cinq sens. Auxquels on peut rajouter la force du regard, la qualité d’un sourire, les tics personnels à chacun, les imperfections de chaque corps, les tatouages qui lui sont personnels… bref, tout ce qui me personnalise, couplé avec ce qui m’aide à entrer en relation.

CS : Prendre soin du corps après la mort n’est donc pas futile ?
 
FdeB : Prendre soin du corps d’un défunt, c’est respecter la création de Dieu, mais aussi tout l’amour que cette personne a offert grâce à son corps. Il n’est qu’une relique, mais on vénère bien les reliques !
Une personne a vécu une expérience de mort imminente et a pu contempler, du haut de la pièce, son corps où les infirmières s’acharnaient, en bas, à lui sauver la vie. Cette personne disait d’une manière très forte qu’elle avait mis du temps à prendre conscience que ce corps inerte était le sien. Elle n’était ni déconcertée, ni effrayée, mais elle avait beaucoup d’empathie pour ce corps. Son expression était : "C’est comme si j’avais ôté un vieux vêtement et l’avais mis de côté pour toujours." En rajoutant : "Décision regrettable, d’ailleurs, car il avait encore fière allure."
Mais son "retour" est aussi éclairant sur la position quant au corps : "J’aimais ce corps, mais je suis revenu dans ce corps et j’ai ressenti de nouveau la douleur et la maladie de mon corps… J’avais le sentiment horrible de redevenir prisonnier de cette chair, que j’aimais pourtant".
Corps nécessaire, sur cette terre, je suis mon corps, mais je suis bien plus que cela ! Je suis d’abord un cœur ! Et ce cœur doit être honoré lors des sépultures, notamment à travers le respect infini de ce corps qui reste, lieu où je peux faire mémoire de la personne décédée que j’aime. Corps qui est livré entre mes mains, totalement abandonné.
 
CS : Corps livré, cela fait penser à l’Eucharistie…

FdeB : JE connais cette impression quand je consacre le corps du Christ présent dans une hostie. Je me suis souvent dit, en contemplant une hostie consacrée : "Quelle confiance le Seigneur me fait... Il me livre totalement son corps entre mes pauvres mains… Je pourrai le jeter par terre, le détruire… ou l’honorer de la manière que je décide… Jésus a voulu me laisser ma totale liberté, en se livrant démuni entre mes mains." Depuis ce jour, si tu savais combien je fais attention à la moindre parcelle d’hostie, aussi quand je purifie une patène ou un ciboire…
Je crois qu’il y a de ça, quand on respecte un corps humain d’une personne qu’on aime : elle ne peut pas se défendre, elle est obligée d’abandonner son corps à ma seule volonté… Que vais-je faire d’elle ?
Alors, face à cette réalité inconsciente souvent, les familles ont des demandes les plus diverses, elles font souvent attendre les pompes funèbres au moment de la fermeture du cerceuil… elles ont du mal à appeler les thanatos, car il faut bien reconnaître que, souvent, malgré le talent immense de ces professionnels, les visages changent. Et il y a une gêne de laisser un "étranger" à la famille toucher le corps de quelqu’un décédé. Voilà ce que la première partie de ta question m’inspire.

CS : Et pour la seconde ?

FdeB : Pour la deuxième partie, concernant les rites funéraires des Hébreux du temps de Jésus, ma seule connaissance, ce sont les évangiles. Si je ne suis ni historien ni archéologue, je peux dire certaines choses à partir de la Bible. D’abord une réalité : Jésus a été juif de sa naissance à sa mort. C’est donc selon les rites en vigueur à Jérusalem au 1er siècle de notre ère qu’il a été enseveli avec aromates, bandelettes, suaire et tombeau. Et donc, les évangiles nous donnent des éléments importants.
D’après la réponse de Jésus à Juda qui reprochait qu’on garde du parfum au lieu de le donner au pauvre, la réaction de Jésus montre que le respect de son corps, lors de son décès, doit être total. Et les quatre évangiles nous renseignent assez bien sur la manière dont on s’est alors concrètement occupé du corps du Seigneur, de la descente de la croix à sa mise au tombeau.
C’était le sabbat, donc on était pressé : ça fausse un peu le rythme normal des ensevelissements. Nicodème a demandé à ce qu’on achève les trois crucifiés en urgence pour qu’ils soient enterrés avant le début du sabbat :

on brise les jambes des deux larrons, pas de Jésus, car il est déjà mort. On le descend de la croix et on permet à ce que la famille récupère le corps. Même pour les pires condamnés (la crucifixion était la pire des sentences), on respecte le corps et le deuil des familles. C’est intéressant de le noter.
À l’époque, on met le corps dans un tombeau, puis on va le préparer. Sûrement pour éviter les épidémies (un corps en une terre de désert, sous la chaleur, se décompose très vite) et pour éviter d’être impur (interdiction de pratiquer le rite juif si on s’est occupé de laver un corps décédé ; il faut un rite de purification).
On connaît d’une manière précise les conditions de cette préparation du corps : on le lave, on l’oint d’aromates divers, on l’allonge, on l’entoure d’un drap (le fameux Saint Suaire de Turin), lié par des bandelettes jusqu’au menton. On rajoute une coiffe sur la tête (la fameuse Sainte Coiffe vénérée depuis des siècles dans la cathédrale de mon diocèse, à Cahors).
Mais en cas d’urgence (comme c’est le cas pour Jésus), tout n’est pas accompli, si bien qu’on sait quels étaient les rites essentiels et ceux de moindre importance. Oui, d’après le Deutéronome (Dt 21, 22-23), le cadavre doit être enseveli avant le coucher du soleil. Or la nuit était déjà tombée, d’après les quatre évangiles…
Les évangiles passent sous silence plusieurs étapes comme le lavage du corps (mais on sait que la toilette du mort est une coutume imprescriptible : on a donc, d’une manière sûre, lavé le corps de Jésus). Le corps de Jésus est enveloppé dans un drap, le linceul : c’est le minimum requis, étant donné la répulsion juive devant un corps nu. Généralement, les seins et le sexe étaient enveloppés d’une étoffe pour masquer cette nudité. Avant d’être serré dans le linceul, le corps est oint d’aromates divers. L’usage immédiat est de couvrir la mauvaise odeur du cadavre ("Il sent déjà", répond-on à Jésus quand il veut revivifier son ami Lazare).
Dans l’évangile selon saint Jean, Nicodème amène un "mélange de myrrhe et d’aloès, d’environ 100 livres", que lui et Joseph d’Arimathie mettent sur le corps avec les bandelettes (Jn 19, 39-40). Dans les trois autres évangiles, ce sont les femmes qui apportent ces aromates, mais le lendemain du sabbat. Preuve qu’ils ont mis les aromates essentiels le vendredi soir, et les femmes sont venues ensuite compléter.
Une fois ce rite de la toilette accompli, le cadavre est roulé dans un linceul, lié par des bandelettes, jusqu’au menton. Selon saint Jean, ce sont ces bandelettes qu’on retrouvera posées à côté du suaire, après la résurrection. Ensuite, le corps est mis soit en terre, soit dans une tombe, qui est souvent une cavité naturelle, close par une pierre. C’est cette solution qui a été offerte à Jésus.

CS : Y a-t-il une autre explication ?
 
FdeB : Oui, à l’époque, chez les Hébreux, tous les condamnés à mort (et les juifs ont voulu le condamner à mort d’après les évangiles : pour eux, Jésus entre dans cette catégorie de personnes) n’ont pas le droit d’être ensevelis dans le tombeau de leurs ancêtres. Jésus ne peut donc pas aller dans le tombeau de Joseph à Nazareth.
Et les évangiles signalent justement que Jésus est déposé dans un tombeau neuf, qui n’est pas le sien. Matthieu seul affirme que c’est celui de Joseph d’Arimathie ; Jean précise qu’un jardin l’entoure… Y a-t-il eu des manifestations de deuils, comme c’était la coutume dite des "pleureuses" ? À propos d’autres personnes, dans la Bible, on évoque des vêtements de deuil, des vêtements qu’on déchire en signe de deuil, des "sac d’étoffe" passés autour des reins, des jeûnes et des lamentations. On a des exemples comme le roi David pleurant Saül et Jonathan (2 Samuel 1,11) ou le général Abner (2 Samuel 3,31).
Dans les évangiles, on a l’exemple du fils unique de la veuve de Naïm, où il est simplement dit qu’il y a un cortège mortuaire de tout le village, à la suite du défunt, porté vers le tombeau. On a Lazare, où les juifs viennent consoler Marthe et Marie, et quand Jésus arrive, tous pensent qu’il vient se lamenter auprès du tombeau. Rien de plus n’est dit. Mais on voit qu’on prend soin des corps, du temps de Jésus.

CS : Merci, Franz, pour ce décryptage. La thanatopraxie a donc toute sa raison d’être dans la religion catholique, CQFD.

Claire Sarazin
thanatopracteur et formatrice en thanatopraxie

Résonance n°122 - Juillet 2016

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