Selon la légende, le croque-mort était chargé de vérifier le décès en croquant un doigt de pied du défunt. Il n’en est rien, bien sûr, mordre un orteil est déjà peu ragoûtant de nos jours, alors on imagine aisément au Moyen Âge... Il aurait été plus simple d’utiliser un objet pointu pour vérifier l’absence de réaction. Une des origines probables du terme est le croc employé à l’époque pour ramasser les cadavres.

 

Sarazin Claire 2017
Claire Sarazin.

Il ne s’agit pas non plus à proprement parler d’un métier, mais plutôt d’une "famille", qui aujourd’hui regrouperait l’ensemble des professions du funéraire et du mortuaire. Des métiers, donc, qui ont tous pour point commun d’avoir trait à la prise en charge des défunts ou à leurs obsèques.

À l’approche de la réunion annuelle des "croque-morts", qui aura lieu du 23 au 25 novembre prochain au Bourget, et après presque vingt ans de funéraire, je me suis posé cette question : Exerçons-nous vraiment un métier comme les autres ?

Je me rappelle un salon auquel mon père, qui, tout comme tout le reste de ma famille à l’époque (ma fille aînée est depuis devenue conseillère funéraire), n’avait aucun rapport avec le milieu, m’avait accompagnée. Il m’avait dit s’attendre à rencontrer toutes sortes de personnes étranges et avoir été surpris de constater qu’il s’agissait de gens tout à fait "comme les autres". Mais le sommes-nous vraiment ?

Il se trouve en réalité que la mort est purement, simplement et indiscutablement la chose la plus effrayante au monde pour tout un chacun. Alors, pourquoi et comment peut-on décider de la côtoyer volontairement au quotidien et d’en faire son univers ? Ainsi posée, la question est inquiétante.

En ce qui me concerne, c’est le hasard qui est à l’origine de ma vocation, qui n’en a d’ailleurs jamais été une. Une succession d’opportunités inattendues m’ont fait renoncer à mes premières ambitions pour me diriger vers la thanatopraxie, ce qui pouvait se justifier, compte tenu du contexte de l’époque, qui s’est énormément dégradé depuis, malheureusement.

On peut aisément comprendre qu’un fils d’entrepreneur de pompes funèbres reprenne la société familiale, mais qu’est-ce qui peut bien pousser des personnes totalement étrangères au milieu funéraire à l’intégrer ? J’avoue que cela reste toujours un mystère pour moi.

Pourtant, depuis dix ans déjà, je participe à la formation des futurs "croque-morts", et je ne manque jamais de demander aux élèves ou stagiaires les raisons qui les ont amenés à choisir cette voie. Lorsque j’ai commencé, les sessions étaient surtout composées d’employés de pompes funèbres, qui venaient passer leur niveau cinq ou six. Aujourd’hui, il y a une majorité de stagiaires en reconversion, financés pour certains par les divers fonds de formation ou Pôle emploi. À se demander dans quelle mesure les conseillers d’orientation ont cru voir dans le funéraire une manne d’emplois qui ne connaîtrait pas la crise...

Certes, il y aura toujours des morts, mais cela ne signifie pas qu’il y aura du travail pour tout le monde. Il y a un certain nombre de décès par an en France, et ce marché, contrairement à d’autres, n’est pas extensible. L’envie de venir en aide aux familles endeuillées est très souvent mise en avant par les stagiaires. Il est vrai que l’aspect humain est important dans cette profession, mais il s’agit également d’un commerce. Confrontés à la réalité du terrain, certains se découragent, tandis que d’autres ne trouvent pas de poste.

Pour ce qui concerne les aspirants thanatopracteurs, toujours très nombreux, leur profil a totalement changé depuis une quinzaine d’années. Ce métier effrayant et méconnu a été brusquement projeté dans la lumière en 2003, par une émission de divertissement très populaire, à laquelle un thanatopracteur a participé avec brio. Sa prestation a suscité une première vague de "vocations", et le flux ne s’est jamais tari depuis, ce qui a d’ailleurs conduit à la mise en place du numerus clausus en 2010. Les sessions dénombrent aujourd’hui une immense majorité de femmes, alors que la thanatopraxie était considérée comme une profession masculine jusque-là.

Pour les thanatopracteurs encore bien plus que pour les conseillers funéraires, beaucoup d’appelés et peu d’élus. Les heureux titulaires du diplôme national n’ont par contre plus aucun problème, pour peu qu’ils soient mobiles, à trouver un poste, car nous sommes en sous-effectif sévère.
Étrangement, les métiers de la mort suscitent un engouement croissant

Les pompes funèbres comme les services mortuaires et les thanatopracteurs sont assaillis de demandes de renseignements. Pourtant, être confronté quotidiennement aux familles endeuillées, prendre en charge les défunts ou leur prodiguer des soins n’est ni simple, ni anodin. Nous sommes sans cesse confrontés à la mort, et cela ne peut pas être sans conséquences. Il serait intéressant de mener des études, non pas sur les professionnels en exercice, comme c’est le cas actuellement, mais sur la fin de carrière et l’après. Ce serait un moyen de mesurer l’impact des images et des situations dramatiques auxquelles les professionnels sont confrontés sur leur psychisme.

Il est possible qu’un suivi psychologique individuel et des groupes de parole soient indiqués pour limiter les séquelles à long terme. Cela devrait même à mon sens être ajouté aux fameux équipements de protection individuelle.

Georges Arveuf, trois ans déjà…

Le 25 octobre 2014, Georges Arveuf, grande figure d’Hygéco et de la thanatopraxie française, nous quittait. C’est en 1976 qu’il avait débuté comme "toiletteur carboteur", avant d’entrer à l’IFT et d’en ressortir diplômé en 1978. Élève de Denis Gilotin, de Paul Clerc et de Marc Sastre, il pratiqua la thanatopraxie durant 35 ans, dont 15 passés à la tête de la SRT, où il développa un service de transport.

Très impliqué au sein de la profession, il fut membre du Jury national de 2007 à 2013, et enseigna à l’école de Lyon durant 7 ans. "Son intelligence, son humour, son amour pour la thanatopraxie à laquelle il a consacré sa vie et sa passion pour le foot et l’OL resteront à jamais dans les mémoires de ceux qui l’ont côtoyé."

Trois ans après, il manque toujours cruellement à ses amis et à la thanatopraxie.

 

Claire Sarazin
Thanatopracteur et formatrice en thanatopraxie

Résonance n°134 - Octobre 2017

Instances fédérales nationales et internationales :

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