Vingt ans après, les opérateurs publics dressent un bilan critique de la loi "Sueur", qui a ouvert les pompes funèbres à la concurrence. Ils doivent en outre faire face à de nouveaux enjeux : la progression spectaculaire de la crémation et le développement massif des contrats obsèques.

 

C’est une commémoration professionnelle que célèbrent en 2013 les opérateurs de pompes funèbres : les 20 ans de la loi du 8 janvier 1993 relative aux prestations funéraires, qui mit fin au monopole communal des pompes funèbres et ouvrit le secteur à la concurrence. Un texte fondateur porté par l’actuel sénateur (PS) du Loiret et président de la commission des lois du Sénat, Jean-Pierre Sueur, alors secrétaire d’État chargé des collectivités locales.

 

JPSueur2012 Corinne-Loiodice

Jean-Pierre Sueur, sénateur

du Loiret et président

de la commission

des lois du Sénat.

Corinne Loiodice,

présidente de l’UPFP
et directrice des PFI

de la région
grenobloise.

 

"Moutons noirs"

 

"Les apports de ce texte sont tout à fait remarquables", commente aujourd’hui Damien Dutrieux, maître de conférences associé à l’université Lille 2. Principale innovation : l’obligation faite aux opérateurs publics comme privés d’obtenir une habilitation préfectorale pour exercer, afin de "garantir à la fois la moralité des opérateurs et leur compétence. La loi a amélioré les prestations", se satisfait pour sa part Jean-Pierre Sueur, dont le texte a été complété par des décrets et une nouvelle loi votée en décembre 2008.

Du côté des opérateurs publics, toutefois, ce tableau est loin de faire l’unanimité. Face aux 2500 entreprises privées, ils ne sont plus qu’une centaine sur le territoire – en régie, société d’économie mixte ou société publique locale – à porter l’étendard du service public. Par la voix de sa présidente, Corinne Loiodice, l’Union du Pôle Funéraire Public (UPFP) dresse un bilan très critique de ces vingt années de concurrence (lire l’entretien ci-dessous). Déresponsabilisation des élus, prix en hausse, déficit de contrôle et de sanction des "moutons noirs" de la profession… Les griefs sont nombreux.

Et en partie partagés par la Confédération des Professionnels du Funéraire et de la Marbrerie (CPFM), premier syndicat de services funéraires, qui réunit les PME et les grands réseaux (OGF, Choix funéraire, Roc-Eclerc…). "Nous avons un mal fou à faire le ménage dans la profession, indique son directeur général, Richard Feret. Dès lors qu’un opérateur adopte un comportement non conforme à l’éthique du métier, l’Administration doit lui retirer son habilitation et diligenter une enquête. C’est loin d’être le cas aujourd’hui." "Il n’est pas possible de laisser des amateurs exercer dans le secteur", renchérit Pierre Larribe, responsable juridique de la CPFM. "Un chef d’entreprise ne devrait pas pouvoir s’installer sans formation ni expérience professionnelle."

 

Gosselin-Philippe Damien-Dutrieux

Philippe Gosselin,

député de la Manche.

Damien Dutrieux,

consultant au CRIDON

Nord-Est,

maître de conférences

associé
à l’université de Lille 2.

 

Des équipements mal répartis

 

Au demeurant, si l’encadrement juridique de la profession révèle encore des faiblesses, le secteur funéraire doit désormais faire face à de nouveaux bouleversements que le législateur n’a pas pu prendre en compte en 1993. Le premier réside dans l’accroissement exponentiel de la crémation comme mode de sépulture. Alors qu’elle ne concernait que 1 % des funérailles en 1980, la pratique crématiste atteint aujourd’hui près de 33 % et dépasse 50 % dans les grandes villes, selon le recensement effectué en 2013 par la Fédération Française de Crémation (FFC). Mais, selon une enquête réalisée par Ipsos en septembre 2013, 53 % des Français envisagent dorénavant la crémation pour leurs propres obsèques.

Afin de faire face à cette progression spectaculaire, la réforme de la législation funéraire de 2008 a entériné une série de mesures destinées à mieux répondre aux besoins des familles, telle la définition d’un statut pour les cendres humaines. Mais qu’en est-il des équipements ? Selon la FFC, on dénombre en France 160 crématoriums et une trentaine en cours de réalisation. Si ce nombre est qualifié de "suffisant" par l’ensemble des opérateurs, ceux-ci s’inquiètent en revanche de la répartition territoriale et de la création désordonnée d’installations qui ne correspondent pas à la cartographie des besoins. "Il n’est pas rare de constater des absurdités, comme dans la Loire, où les crématoriums de Roanne et Mably sont situés à 200 m l’un de l’autre !" déplore François Michaud-Nérard, directeur général des Services Funéraires de la Ville de Paris (SFVP) et vice-président de l’UPFP. "L’équilibre économique des équipements revient aux collectivités, qui en ont le monopole", rappelle-t-il. Et de réclamer une régulation géographique par la définition d’un "schéma d’implantation des crématoriums", qui n’avait pas pu être voté en 2008 au Parlement.

 

Richard-Feret F.Michaud-Nerard Pierre-Larribe

Richard Feret,

directeur général

délégué de CPFM.

François Michaud-Nérard,

directeur général des SFVP

et vice-président
de l’UPFP.

Pierre Larribe,

responsable juridique

de la CPFM.

 

Menace d’un nouveau monopole

 

Second enjeu de poids pour les professionnels : le développement massif des contrats obsèques par les banques et les assurances. Selon la Fédération Française des Sociétés d’Assurances (FFSA), 3,37 millions de ces contrats avaient été souscrits fin 2012 (+ 141 % depuis 2003), le montant des cotisations s’élevant à 1,16 milliard d’euros (+ 104 %). Ce développement a rapidement suscité l’inquiétude des familles et des associations de consommateurs, qui pointent depuis plusieurs années la confusion entretenue par les contrats dits "packagés" offrant des prestations funéraires standardisées vendues par des enseignes funéraires affiliées aux banques et aux sociétés d’assurances et dont le succès comporte le risque "d’une éviction du marché des opérateurs locaux" qui ne seraient pas affiliés, selon Philippe Gosselin, député (UMP) de la Manche.
Face à la menace d’un nouveau monopole, le Parlement a adopté cet été un texte excluant ces contrats packagés et clarifiant la définition et la revalorisation des contrats obsèques. "Des avancées essentielles", s’est félicité Jean-Pierre Sueur, tout comme la profession.

 

Hervé Jouanneau

 

Nota : Le présent article a déjà fait l’objet d’une première publication dans "La Gazette des communes" n° 40/2194 28 octobre 2013 p. 8-9. Résonance exprime ses sincères remerciements à l’auteur Hervé Jouanneau et à Philippe Pottiée-Sperry, rédacteur en chef de "La Gazette des communes", d’avoir autorisé la présente publication.

 

Moins de 20 % des crématoriums seraient aux normes


Les élus locaux seraient-ils passés à côté ? Selon la loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire, tous les crématoriums français devront être équipés de systèmes de filtration avant 2018. Une nécessité motivée par des travaux scientifiques menés, notamment, sur les rejets de mercure issus des amalgames dentaires. Pourtant, cette obligation légale ne semble guère préoccuper les collectivités. Selon les fabricants, seuls 34 des 182 crématoriums qui seront opérationnels en 2015 (soit 19 %) respecteront la loi. Coût moyen de la mise aux normes : 400 000 €. "La majorité des délégataires essaient de renégocier la durée de leur contrat afin de pouvoir mener à bien la mise aux normes. Du côté des régies, l’attente est liée aux échéances électorales et à l’arrivée potentielle de nouvelles équipes municipales", observe-t-on au sein de l’UPFP, qui rappelle que "cette obligation engage la responsabilité des collectivités".

 

53 % des Français déclarent préférer la crémation (à l’inhumation) pour leurs propres obsèques, selon une enquête réalisée par Ipsos en septembre 2013. Le chiffre grimpe à 69 % parmi les athées et les non-croyants. Pour la première fois, il atteint 53 % chez les plus de 60 ans.

 

Entretien avec Corinne Loiodice, présidente de l’UPFP et directrice des Pompes Funèbres Intercommunales (PFI) de la région grenobloise (38)


"Le funéraire ne peut être réduit au simple commerce, les élus doivent reprendre la main."


Hervé Jouanneau : Vingt ans après la loi du 8 janvier 1993, dite "loi Sueur", quel bilan tirez-vous pour les opérateurs publics ?


Corinne Loiodice : Ce texte mettant fin au monopole communal des pompes funèbres, les opérateurs publics ont dû faire leur révolution. La plupart ont réussi non seulement à maintenir leur activité, mais également à la développer. Des investissements importants ont été réalisés en faveur des équipements funéraires, tels que des chambres funéraires, des crématoriums ou des lieux d’accueil pour les familles. Mais, au final, la grande majorité des maires qui ne disposaient pas de services funéraires publics se sont désengagés de cette mission du service extérieur des pompes funèbres et délèguent la gestion de leur crématorium. Le bilan de cette loi, c’est donc avant tout la déresponsabilisation des élus.


HJ : Quels sont vos griefs ?


CL : La plupart des élus estiment que gérer les pompes funèbres et les crématoriums n’est pas leur affaire. C’est pourquoi très peu de villes sont aujourd’hui dotées d’une structure publique de pompes funèbres, et seulement un quart des crématoriums sont gérés par les outils des collectivités. Nous le déplorons, car il s’agit bien d’une mission de service public. Nous appelons les élus à reprendre la main sur ces questions qui touchent toute leur population.


HJ : En créant un régime d’habilitation des opérateurs, la "loi Sueur" a-t-elle moralisé les pratiques ?


CL : Malheureusement, non. Aujourd’hui, n’importe qui peut ouvrir une entreprise de pompes funèbres sans aucune qualification. Dans un secteur aussi sensible que le funéraire, qui ne peut être réduit au simple commerce et doit obéir à une véritable éthique et à un savoir-faire particulier, ce n’est pas concevable. Car ce sont les familles en deuil qui en subissent les conséquences.


HJ : Quelles sont vos préconisations ?


CL : Il faut revoir les conditions de délivrance des habilitations en exigeant que tout nouvel opérateur s’installant soit titulaire du diplôme et dispose d’une expérience professionnelle. Nous demandons que le Conseil National des Opérations Funéraires (CNOF), qui réunit toute la profession, trouve les moyens de suivre, contrôler et sanctionner les comportements et les pratiques non conformes à l’éthique de ce métier. Ainsi, un opérateur qui se verrait retirer son habilitation dans un département ne devrait pas pouvoir en obtenir une dans un autre département, ce qui est aujourd’hui le cas.

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations