Les récents évènements tragiques du début de l’année ont ramené la France en face de réalités bien pénibles : notre spécificité mondiale de laïcité est-elle compatible avec celle des autres, qu’il s’agisse de cultures ou de religions ?

 

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Philippe Gentil, président
des POMPES FUNEBRES
Pascal LECLERC© et président
du comité exécutif de FUNECAP

Même si les attentats commis sont véritablement l’œuvre de déséquilibrés, faibles d’esprit qui n’ont trouvé comme seule arme pour affirmer ce qu’ils croyaient être leur vérité que de se laisser endoctriner et d’assassiner froidement les contradicteurs d’un islam radical, il n’empêche que le pays s’est réveillé soudainement, au lendemain de ces tueries, avec le sentiment que les valeurs de la République étaient décidément bien fragiles et que les batailles conduites par nos ancêtres n’avaient pas pour autant garanti la paix éternelle à l'intérieur de nos frontières.
Certes, comme l’avait écrit le positiviste Auguste Comte, "le monde des morts gouverne celui des vivants" et les luttes d’hier n’ont pas été vaines et ont amené à la construction et au façonnage de l’esprit de notre pays afin d’en faire celui dans lequel nous aimons vivre aujourd’hui.

La France de nos valeurs, la France de la tolérance, de la laïcité

Pays où notre foi ou nos croyances sont personnelles et jamais érigées en dogme pour le fonctionnement de notre vie collective. Pays où la religion ne gouverne pas l’homme, mais où l’homme gouverne l’homme, quelles que soient ses croyances ou ses incroyances.
Probablement l’un des rares domaines dans lequel cette laïcité s’est "adaptée" à l’histoire, dans un esprit philosophique d’ouverture, celui des Lumières, est celui qui touche à notre profession quotidienne, celui des lieux de sépulture : les cimetières.
Les dispositions des différentes lois de 1881, puis de 1884, et bien entendu de 1905 (9 décembre) ont ainsi affirmé la neutralité des cimetières, tout en permettant, dans une certaine mesure et sans troubler l’ordre public, de respecter la liberté religieuse et de croyance de chacun. Cela est d’ailleurs précisé dans la loi du 15 novembre 1887, qui dit bien que : "Il est procédé aux cérémonies conformément aux coutumes et suivant les différents cultes." Ce bel équilibre résulte de la réflexion conduite par le législateur et les penseurs de l’époque qui, s’ils n’avaient pas intégré l’émergence d’une "nouvelle religion" en France – l’islam –, avaient bien compris que la neutralité n’interdisait pas la liberté de culte de chaque citoyen et qu’il fallait en permettre l’expression dans un contexte aussi sensible et particulier que la perte d’un proche.
Aristide Briand déclarait : "Un cimetière est un endroit collectif sur lequel tous les habitants d'une commune ont des droits : les protestants, les israélites ou libres penseurs comme les catholiques."
Celui dont Clemenceau affirmait, dans un style qui n’a pas d’égal, qu’"il ne savait rien mais qu’il comprenait tout" (contrairement à Poincaré, dont il disait l’inverse : "Il sait tout mais ne comprend rien !"), avait ainsi bien perçu la grande nuance dont il fallait faire preuve dans un contexte où la laïcité de la République française imposait que les cimetières traitent en parfaite égalité tous les occupants, qu’ils soient vivants ou morts.

Les carrés confessionnels

Cela s’est et se traduit de manière plus contemporaine de la façon suivante : l’extension, voire la création, de carrés confessionnels dans l’enceinte d’un cimetière en France est laissée à la pure appréciation des maires, qui y exercent leurs pouvoirs de police et peuvent y imposer un règlement.
Jusqu’à la fin des années soixante, le sujet de carrés confessionnels ou de leur agrandissement ne se posait guère, les migrations massives de populations de confession musulmane n’ayant pas encore eu lieu.
En revanche, la question se pose de plus en plus de nos jours où la majeure partie de ces populations a pris la nationalité française ou l’est par la naissance et souhaite, à travers ses porte-parole officiels, pouvoir être inhumée selon les règles imposées par l’islam et dans des carrés réservés à cet effet. On sait déjà que les inhumations en pleine terre ont formellement été rejetées par la réglementation, mais que les religieux musulmans ont trouvé certaines solutions pour, par exemple, placer de la terre dans le cercueil et respecter dans une certaine mesure le rituel.
Pour autant, les représentants du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), créé sous l’impulsion de l’ancien ministre de l’Intérieur Sarkozy, revendiquent toujours de pouvoir inhumer leurs morts dans des cimetières accueillant des musulmans et non pas, comme l’impose la loi, dans la commune du lieu de résidence ou de décès. De nombreux maires résistent, mais le manque de places "réservées" aux défunts musulmans est réel et le problème risque de s’intensifier.
Pour le moment, la population musulmane a tendance à renvoyer ses défunts vers le pays d’origine de la famille qui a émigré en France, mais dans quelques années, les descendants nés sur le sol français n’auront plus les mêmes repères, et la question deviendra alors beaucoup plus prégnante qu’aujourd’hui.
Quelle réaction aura un pays laïc comme la France face à la revendication du nombre ? L’excellent rapport du Sénat de 2006 posait déjà la question. Les réponses à y apporter sont complexes, d’autant que le contexte politique sur ces sujets va probablement se tendre…

Philippe Gentil

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