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Le colloque organisé par le Centre Européen d'Études et de Recherche Droit et Santé sur le thème "Droit et vie du corps mort" a eu lieu les 12 et 13 mars derniers. À cette occasion était proposé un regard croisé et bienveillant sur ces questions qui occupent ou préoccupent tout un chacun (suite).

 

 

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Le corps mort en EHPAD

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Marion Artz,
directrice d’EHPAD,
évaluatrice externe
et chargée
d’enseignement
vacataire, formatrice
en Languedoc-
Roussillon.

Par Marion Artz, directrice d’EHPAD, évaluatrice externe et chargée d’enseignement vacataire, formatrice en Languedoc-Roussillon.

Parler du corps mort en EHPAD est, somme toute, logique à partir du moment où ce type de structure est associé à la vieillesse, à la fin de vie et donc à la mort. En effet, un EHPAD (acronyme signifiant, pour rappel, Établissement d’Hébergement pour Personne Âgée Dépendante) était anciennement appelé "Maison de retraite". Il représente le dernier domicile des personnes âgées qui y rentrent, et cette notion est bien ancrée dans les consciences collectives. La mort y est omniprésente.

C’est, j’en suis sûre, d’ailleurs, l’une des raisons majeures qui fait que ce genre d’établissement a bien souvent mauvaise presse. Il est difficile d’admettre pour nos aînés, mais encore bien plus pour leur famille, ce passage de la vie encore active à la retraite définitive qui les mènera doucement jusqu’à la mort.

L’idée que l’on se fait d’un EHPAD dans la majorité des cas, c’est que ce n’est certainement pas un lieu de vie. On parle encore beaucoup de "Maison de retraite", le mot EHPAD n’est pas encore ancré dans les esprits. La "Maison de retraite" est donc : une sorte de lieu de rassemblement de diverses pathologies (physiques et/ou psychiques) toutes liées à la vieillesse que du personnel qualifié prend en soin jusqu’à la mort.

La personne âgée est donc mise en retrait. Mais en retrait de quoi ?

De sa vie sociale, de sa vie familiale, de sa vie sentimentale (c’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, il est si difficile de parler de sexualité du sujet âgé en EHPAD… On a du mal à concevoir qu’arrivé à un certain âge, on puisse encore ressentir du plaisir, se faire du bien ou même ressentir des sentiments amoureux … (mais il s’agit là d’un autre débat et je ferme la parenthèse). Bref, la personne âgée est en retrait de sa propre vie et attend patiemment que la mort vienne frapper à sa porte. Lorsqu’elle entre en structure, elle commence alors doucement à faire un travail de deuil et de désinvestissement de sa vie d’avant.

Je disais donc que parler du corps mort en EHPAD est somme toute assez logique. Il faut bien reconnaître que les résidents que l’on accueille sont tous amenés à partir.
L’une des missions principales d’un EHPAD est tout de même d’accompagner le résident "jusqu’au bout" de sa vie. Mais se pose la question de l’après ?… Accompagner jusqu’au bout, ce n’est pas s’arrêter au dernier souffle du résident.

I - Sur un aspect purement pratique, comment gère-t-on le corps mort ?

En effet, quand un décès survient à la résidence, des protocoles s’appliquent (celui des actions à mener au moment du constat du décès, celui de la toilette mortuaire, etc.). Ils sont élaborés et validés par le médecin coordonnateur et le cadre infirmier de l’établissement, souvent en concertation avec les équipes soignantes.

Lorsqu’un décès est constaté, il convient d’appeler en premier lieu le médecin traitant, médecin de garde ou médecin coordonnateur (si les deux premiers ne répondent pas) afin de constater le décès et d’en établir un certificat (indispensable pour enclencher, par la suite, tout le reste de la procédure). Si j’insiste autant sur le nombre d’interlocuteurs vers lesquels un EHPAD peut se tourner, c’est parce que je rappelle que nous ne disposons pas de médecins 24h/24, 7j/7, contrairement au milieu hospitalier. Nous avons affaire directement avec les médecins traitants des résidents, et ce sont naturellement vers eux en premier que nous nous tournons.
Mais il ne fait pas bon de mourir un dimanche ou un jour férié, et encore moins en plein mois d’août !
En effet, les médecins traitants ne prévoient pas toujours un remplaçant pendant leur absence et ils ont bien le droit d’être en week-end eux aussi, de temps en temps. Quant au médecin de garde, il priorisera logiquement ses interventions, préférant s’occuper des vivants plutôt que des morts. On prévient ensuite le référent familial ou le tuteur pour informer du décès. À ce moment-là, il est vérifié si un contrat obsèques a été établi ou non (si c’est le cas, il figure dans le dossier administratif du résident et, de ce fait, le personnel de l’établissement peut, en concertation avec la famille, appeler les pompes funèbres choisies pour la prise en charge du corps).

Les soignants procèdent à une toilette mortuaire et retire tout le matériel médical (perfusions, oxygène, etc.), baissent les volets à mi-hauteur pour créer une ambiance de recueillement, coupent le chauffage et préparent la chambre pour la venue de la famille. De manière parallèle, les pompes funèbres concernées sont donc prévenues et on convient du délai d’enlèvement du corps. Ce sont eux qui s’occupent de toutes le démarches administratives (déclaration de décès à la mairie, relation avec le commissariat pour le transfert du corps).

Sur la conservation du corps

Elle s’effectue dans la chambre du défunt ou dans un lieu spécialement prévu à cet effet. Si un résident décède dans des lieux communs (couloir, salle à manger, salle d’animation ou autre), on peut alors déplacer le corps jusqu’au lit ; mais il est interdit de quitter les lieux. Ce sont les pompes funèbres, dans la majorité des cas, encore une fois, qui s’occupent de toutes les formalités administratives pour le transfert des corps (il faut par exemple une autorisation des maires des communes de départ et de destination, avec un véhicule préalablement aménagé).

En termes de délais légaux, il faut savoir que nous avons 24 heures pour faire établir un acte de décès. En règle générale, les pompes funèbres viennent retirer le corps dans les 24 heures, voire 48 heures grand maximum. Mais il faut savoir que le corps peut être laissé à disposition de la famille jusqu’à 6 jours après le décès. Et l’établissement peut être le lieu où il est conservé, comme le prévoit le cadre légal (cela est à organiser avec les pompes funèbres). Il ne s’agit que d’une minorité d’EHPAD et cela concerne essentiellement les établissements religieux, comme les "Petites Sœurs des Pauvres", par exemple. Ces établissements ont bien souvent une chapelle qui leur est rattachée et les obsèques peuvent y avoir lieu. De ce fait, le corps est ainsi conservé jusqu’au jour de la cérémonie (toujours dans le délai légal imparti de 6 jours). Sinon, les EHPAD qui enregistrent moins de 200 décès par an ne sont pas du tout dans l’obligation d’avoir de chambre mortuaire.

Concernant l’établissement que je dirige, nous disposons d’un reposoir situé au rez-de-chaussée de l’établissement, et nous l’utilisons uniquement si le résident n’a pas de famille ou si cette dernière ne peut se rendre sur place dans un délai assez court. Il est en effet plus paisible pour les enfants et parents proches de se recueillir dans le dernier logement du défunt dans lequel se trouvent encore des effets personnels et des souvenirs.

Enfin, quand le corps quitte la chambre, le personnel s’organise pour fermer les portes ou installer les résidents dans une salle commune afin de ne pas leur montrer ce qui fut leur voisin de chambre ou de table.

Donc, la gestion du corps mort en EHPAD est très protocolisée

Mais, si des procédures existent, c’est pour pallier les situations d’urgence ou les cas, que nous ne qualifierons pas "d’exceptionnels", mais "non courants", et être en conformité avec les réglementations en vigueur. Et il convient de souligner – même si cela peut paraître paradoxal – que le personnel présent en EHPAD est loin d’être à l’aise avec le décès d’un résident, malgré l’existence de ces protocoles.

II - Sur un aspect éthique et plus personnel, comment les professionnels d’EHPAD gèrent-ils le corps mort ?

En effet, même si la mort s’anticipe, pour reprendre les propos de Claude Jarry qui est président de la Fédération Nationale des Associations de Directeurs d’Établissement pour Personnes Âgées (FNADEPA), il n’en reste pas moins un certain déni de la part des familles certes, mais également des professionnels.
Déjà en premier lieu, parce que la mort d’un résident peut provoquer une projection de sa propre mort ou de celle d’un parent proche. C’est un sentiment humain. Nous ne réagissons pas tous de la même manière face à la mort, en fonction de notre vécu personnel, de notre maturité, de notre expérience propre ou de notre âge aussi, bien sûr.
À 20 ans, on ne pense pas forcément à la mort… Quand on en a 50, il y a de fortes chances qu’on ait vécu de près ou de loin l’expérience du deuil. L’approche est donc forcément différente.

Et puis, il y a la mort brutale, inattendue et celle qui survient après plusieurs jours au cours desquels les professionnels ont tenté de soulager la souffrance du résident.
C’est la raison pour laquelle il est important de favoriser la formation qui permet à tout un chacun de prendre du recul sur la situation.

Personnellement, lorsque j’ai commencé mon métier de directrice d’EHPAD en 2007, je n’avais alors que 24 ans. J’avais pris la responsabilité d’un établissement à Paris. J’avais eu la chance (ou la malchance) de n’avoir jamais vu de corps mort au cours de mon existence. Ainsi, lorsque le premier décès d’une de mes résidentes est survenu, je me suis retrouvée un peu au dépourvu lorsque mon cadre infirmier me demanda de venir lui donner un coup de main pour transposer ce corps mort sur la table réfrigérée, car tout le personnel, à ce moment de la journée, était en train d’assurer le service du repas. C’est un événement qui m’a marquée et pour lequel j’ai beaucoup moins d’appréhension aujourd’hui.

Si nous ne sommes pas tout à fait à l’aise avec la mort, c’est parce qu’en second lieu, un EHPAD est avant tout un lieu de vie avant même d’être un lieu de soin. Le personnel présent, composé pour l’essentiel d’auxiliaires de vie, d’aides médico-psychologiques et d’aides-soignantes, est là pour accompagner les personnes âgées dans les actes de la vie quotidienne et maintenir leur autonomie. Nous sommes compétents pour encourager et stimuler des envies à nos personnes âgées… nous sommes performants pour insuffler de la vie. D’ailleurs, la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale a mis en place l’obligation pour les EHPAD de rédiger des projets de vie individualisés de la personne accueillie prenant en compte ses besoins, certes, mais également ses choix ainsi que ses capacités physiques et psychiques.

À bien y penser, il est assez ironique d’avoir nommé ce projet comme étant celui de la vie du résident… Comme si on avait besoin de se raccrocher à cela pour échapper à la mort. On aurait pu l’appeler plus simplement "projet d’accompagnement". Dans certains EHPAD, les professionnels privilégient d’ailleurs cette appellation en parlant "d’accompagnement".

Je suis dans la provocation en posant cette question, mais si nous parlons de "projet de vie", pourquoi nous ne pourrions pas le mettre en adéquation avec un "projet de mort"? En effet, la mise en place des directives anticipées par la loi Leonetti (qui permettent le recueil des dernières volontés de la personne) n’est pas toujours effective dans les EHPAD. Étant également évaluatrice externe sur mes temps libres, j’ai été amenée à visiter un certain nombre d’établissements. Beaucoup d’entre eux, dont le mien, ont du mal à évoquer ce sujet avec les résidents accueillis. À quel moment peut-on aborder la mort avec eux ? Au delà de la fin de vie, que souhaiteraient-ils qu’il advienne de leur enveloppe corporelle ? Parler de sa propre mort n’est quand même pas chose aisée, puisque chacun vit différemment le deuil.

Un résident, s’il a conscience d’être âgé, "vieux", peut aussi ne pas vouloir évoquer sa mort. Comme si le fait d’en parler pouvait faire accélérer le processus. Aborder cette question dès l’entrée du résident est quand même, il faut bien l’admettre, un peu violent. Bonjour l’accueil en EHPAD !

Nous, professionnels, qui défendons le travail effectué auprès des personnes âgées pour impulser et investir la vie, trouvons assez délicat d’évoquer la mort et les dernières volontés du défunt. Cela projette quelque chose de négatif.

Alors certes, à travers le dossier administratif, mine de rien, il peut être demandé l’existence d’un contrat obsèques. Dans le recueil des habitudes de vie qui s’effectue à l’entrée, on y aborde la religion et le choix du culte. Aujourd’hui, la population accueillie en EHPAD est majoritairement, si ce n’est unanimement, chrétienne. On ne s’en rend peut-être pas compte, mais la gestion du corps mort est aujourd’hui protocolisée selon les rites catholiques (toilette mortuaire effectuée par le personnel soignant avec la possibilité de créer un espace de recueillement pour la famille, entouré d’images pieuses, d’un chapelet ou autre crucifix). Mais, la question se posera plus tard pour les générations à venir, car la France multiculturelle n’est plus seulement chrétienne. Elle est également musulmane, juive, bouddhiste, athée… Et les rites sont différents selon les religions : le rapport avec le corps mort n’est pas le même.

Certaines pratiques interdisent le toucher du corps après le décès, d’autres favorisent la toilette mortuaire effectuée par des personnes du même sexe que le défunt. Ainsi, le personnel soignant devra nécessairement évoluer et être formé à ces différentes pratiques.

Parler de "projet de mort" est bien évidemment choquant

Il n’y a pas de recette miracle et nous aimerions tous connaître des fins de vie qui se passent dans la paix et la sérénité, autant que faire se peut. Dans ce que l’on appelle le "projet de vie" aujourd’hui, cette partie sur la mort n’est pas assez développée, pour toutes les raisons que je viens d’exposer. Pourtant, il convient de l’intégrer car, au final, la mort est une étape naturelle de la vie.

Résonance n°110 - Mai 2015

 

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