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Ce débat, qui a agité les philosophes des XVIIe et XVIIIe siècles, pourrait bien ressurgir sous un jour nouveau à la faveur du développement des réseaux sociaux.

 

Denoyes-Stephan
Stéphan Denoyes, avocat à la Cour.

Omniprésents dans la vie quotidienne de chacun, que ce soit dans la vie professionnelle ou dans la vie personnelle, les réseaux sociaux sont un moyen aujourd’hui incontournable. À côté de Facebook, champion du réseau social personnel, a émergé un autre type de réseau social, dit professionnel, à l’image de Viadeo ou Linkedln. Ce caractère professionnel est d’ailleurs affirmé par leurs conditions générales d’utilisation :

 

1 - Sur Viadeo, on parle de fonctionnalités "exclusivement dédiées au développement de son réseau et de son activité professionnelle".

- "Le membre doit en outre agir en qualité de professionnel, pour les besoins de son activité professionnelle et s’engage à n’utiliser le site et le service que pour ses besoins professionnels exclusivement. Cette condition est essentielle et déterminante du présent Contrat."
- "S’il n’agit pas pour son propre compte, il garantit agir pour le compte d’une personne physique ou morale répondant aux conditions qui précèdent, qu’il représente légalement ou l’ayant expressément mandaté afin de contracter avec APVO et l’ayant autorisé à communiquer les informations nécessaires à l’utilisation du service, dans les conditions définies aux présentes."

 

2 - Linkedln, de son côté, affirme avoir "pour mission de connecter les professionnels du monde entier afin de rendre leur activité plus productive et plus prospère".

Leur principal objectif est donc de favoriser le développement de contacts, et par là même de développer sa propre entreprise, celle dans laquelle on travaille ou parfois les deux (1*), ou encore de chercher un emploi. Et grâce à l’interconnexion et à la synchronisation de toutes ces données, les contacts s’entremêlent entre vie professionnelle et vie privée. Il suffit pour s’en convaincre de se plonger dans son propre téléphone portable.

Se pose dès lors la question de la propriété des contacts ainsi développés et mis en ligne sur ces sites. En d’autres termes, qui de l’employeur ou du salarié peut, lors de la séparation, revendiquer la propriété du carnet d’adresses numériques développé dans le cadre d’une relation de travail ?

Un excellent article publié sur "The Distributed Marketing Blog (2*)" relate quelques décisions contradictoires sur ce sujet en provenance de nos voisins d’outre-Manche ou d’outre-Atlantique. L’Hexagone semble, à ce jour, épargné par ce type de difficulté. Aucun texte législatif ou réglementaire, aucun avis de la CNIL ni de l’autorité de la concurrence, n’est venu, à notre connaissance, se pencher sur la question. Nous sommes ici en face d’un vide juridique, que la jurisprudence, à défaut du législateur, ne manquera pas de combler.

Une première piste pourrait être de suivre la voie de la propriété intellectuelle des bases de données (art. L.341-1 et L.342-1 du Code de la propriété intellectuelle), solution dégagée par la cour d’appel de Versailles (3*), qui a sanctionné le détournement d’un fichier clients d’une entreprise par un ancien salarié sur le fondement de la concurrence déloyale et de la protection des bases de données.

Une autre piste serait de s’inspirer des critères posés par le Code pénal en matière d’abus de confiance. La Cour de cassation (4*) a ainsi décidé que l’utilisation par un salarié de son temps de travail à des fins autres que celles rémunérées par son employeur constituait un abus de confiance.

Mais c’est le droit du travail plein et entier qui fournit les meilleurs exemples de la distinction entre une utilisation personnelle ou professionnelle de ces nouveaux outils et qui peut nous éclairer.


Sont ainsi qualifiés de professionnels :

- Les documents détenus dans les tiroirs du bureau professionnel du salarié et qui peuvent être utilisés par l’employeur pour justifier son licenciement (5*) ;
- Le fichier répertorié sous le prénom du salarié ne suffit pas à l’identifier comme personnel (6*) ;
- Le disque dur portant la dénomination "D : /données personnelles" alors que la charte informatique ne visait que les fichiers identifiés comme "privés" (7*) ;
- Les courriels ou fichiers transférés sur l’ordinateur professionnel par le biais de la messagerie personnelle du salarié sont présumés professionnels, sauf si le salarié les a identifiés comme personnels. Le seul fait qu’ils émanent de la messagerie électronique personnelle du salarié n’est pas, à lui seul, suffisant pour leur conférer ce caractère personnel (8*) ;
- Les documents qui sont sur le disque dur de l’ordinateur professionnel, ou connectés à celui-ci, sont présumés avoir un caractère professionnel (9*) ;
- Les messages électroniques adressés et reçus par lui sur sa boîte email professionnelle (10*) ; à "l’aide de l’outil informatique mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sauf si le salarié les identifie comme personnels" (11*).

 

Ainsi, sera sanctionné :

- Le salarié qui utilise un fichier professionnel non identifié comme personnel peut faire l’objet d’une sanction de l’employeur si le contenu du fichier révèle une faute du salarié (12*) ;
- Le salarié qui utilise, même avec "de bonnes intentions", la messagerie professionnelle de son employeur pour transmettre un message d’ordre privé pour un collègue très malade, en fin de vie, via un courriel adressé par la messagerie du PDG (13*) ;
- Le salarié qui, par maladresse, met en copie d’un message personnel critiquant l’entreprise une autre salariée le transmettant à l’employeur (14*) ;
- Le salarié qui a envoyé 178 courriels personnels "à partir de l’ordinateur mis à sa disposition par l’entreprise, "en violation de ses obligations contractuelles et du règlement intérieur prohibant les connexions internet à titre personnel" (15*).

Par ailleurs, la jurisprudence considère que l’employeur peut ouvrir des fichiers informatiques professionnels contenus dans le disque dur du salarié, y compris les fichiers informatiques identifiés comme personnels contenus dans le disque dur du moment qu’il est présent ou tenu informé, la Haute juridiction ajoutant que l’employeur peut avoir accès aux fichiers non identifiés comme personnels qu’elle contient, hors la présence du salarié (16*).

Enfin, récemment, la Cour de cassation a validé ce droit d’accès de l’employeur aux données stockées sur la clé USB personnelle du salarié connectée à l’ordinateur mis à disposition par son employeur pour l’exécution du contrat de travail (17*) : "Une clé USB, dès lors qu’elle est connectée à un outil informatique mis à la disposition du salarié par l’employeur pour l’exécution du contrat de travail, étant présumée utilisée à des fins professionnelles, l’employeur peut avoir accès aux fichiers non identifiés comme personnels qu’elle contient, hors la présence du salarié."

Si la Cour prend soin d’évoquer la notion de connexion, elle ne prend pas pour autant la peine de la définir : s’agit-il d’une connexion filaire type USB ou Ethernet, d’une connexion sans fil type Bluetooth ou de tout autre moyen sans fil qui pourrait voir le jour ?

Dès lors, cette jurisprudence pourrait s’appliquer aux smartphones (18*), et par là même aux contacts qui y sont contenus, notamment en raison de leur synchronisation, laquelle nécessite de fait une connexion.

Cette jurisprudence est à rapprocher d’un arrêt précité de 2008 aux termes duquel les connexions établies par un salarié sur des sites internet pendant son temps de travail grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail sont présumées avoir un caractère professionnel(19*). On voit donc bien ici se dessiner la présomption de "professionnalité" du carnet d’adresses Linkedln ou Viadeo développé et enrichi dans le cadre professionnel.

 

En conclusion

Face à ce vide juridique et aux risques potentiels que peut représenter une perte de carnet de contacts Linkedln ou Viadeo pour l’entreprise, il convient de prendre quelques précautions dans la rédaction et l’adaptation des contrats de travail, ou des chartes informatiques.

 

Stéphan Denoyés

 

Nota :
(1*) Avec le développement de l’auto-entrepreneur notamment, mais aussi du multi-salariat.
(2°) http://distributedmarketing.org/2011/11/02/court-linkedin-contacts-are-employers/
(3*) Cour d’appel de Versailles – 20 mai 2010 – n° 08-9666 12e ch. Sect.1.
(4*) Cour de cassation chambre criminelle 19 juin 2013 n° de pourvoi : 12-83031.
(5*) Cass. Soc., 18 octobre 2006 ; Cass. Soc., 4 juillet 2012. n° 11-12330.
(6*) Cass. Soc., 8 décembre 2009, n° 08-44.840, Dalloz jurisprudence.
(7*) Cass. Soc., 4 juillet 2012, n° 11-12502.
(8*) Cass. Soc., 19 juin 2013, n° 12-12138.
(9*) Cass. Soc., 18 octobre 2006, n° 04-48025.
(10*) Cass. Soc., 15 décembre 2010, n° 08-42486 ; Cass. Soc. 16 mai 2013.
(11*) Cass. Soc., 16 mai 2013, n° 12-11866.
(12*) Cass. Soc., 10 mai 2012, n° 11-13884.
(13*) Cass. Soc., 16 mai 2013, n° 12-13372.
(14*) Cass. Soc., 2 février 2011, n° 09-72313.
(15*) Cass. Soc., 18 décembre 2013, n° 12-17832.
(16*) Cass. Soc., 17 mai 2005, n° 03-40017 ; Cass. Soc., 9 juillet 2008, n° 06-45800, publié au Bulletin ; Cass. Soc., 16 mai 2013, n° 12-11866 préc.
(17*) Cass. Soc., 12 février 2013, n° 11-28649 n° 267 FS P B.
(18*) Une enquête Mediamétrie pour la CNIL de décembre 2011 montre que le smartphone est un espace de stockage de données personnelles en masse. La CNIL considère également que les "numéros de téléphone constituent des données à caractère personnel" (norme simplifiée 7).
(19*) Cass. Soc., 9 juillet 2008, n° 06-45.800, publié au Bulletin.

 

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations