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Le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) envisage, tout à la fois, la fermeture du cimetière et sa translation. Si cette opération n’est pas des plus usuelles, elle mérite d’être étudiée.

 

La translation : définition

La translation se traduit par le transfert des corps présents dans un ancien cimetière vers un nouveau. Il est alors prévu que les titulaires de concessions funéraires obtiennent dans le nouveau cimetière un emplacement égal en superficie au terrain qui leur avait été concédé dans le cimetière désaffecté (CGCT, art. R. 2223-10). Le principe est d’ailleurs identique pour le site cinéraire, puisque l’art. R. 2223-23-1 du CGCT créé par le décret du 28 janvier 2011 dispose que : "En cas de translation du site cinéraire, les titulaires des emplacements sont en droit d’obtenir, dans le nouveau site cinéraire, un emplacement répondant à des caractéristiques identiques."
Si aucun texte n’en règle les modalités, il est loisible de relever une réponse ministérielle (Rép. min. n° 03598, JO S du 13 mars 2014), qui vient apporter un utile éclairage quant aux conditions vérifiées par l’administration : "[…] Dans ce cadre, et en l’absence d’autres dispositions spécifiques, la commune peut décider de la manière dont elle va procéder à la translation des sites cinéraires d’un cimetière à un autre ou au déplacement d’un tel site au sein du même cimetière sous réserve qu’il n’y ait pas d’atteinte à l’ordre public et que les dispositions de l’art. 16-1-1 du Code civil prévoyant que "les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence" soient respectées. Au vu des dispositions précitées, il n’est pas envisagé de modifier la réglementation en vigueur en ajoutant une contrainte supplémentaire qui pèserait sur les communes".
L’art. R. 2223-2 du CGCT rend obligatoire l’intervention de l’hydrogéologue lors de la création, de l’agrandissement ou de la translation d’un cimetière. Cet avis a pour but de s’assurer, énonce l’article, que "ceux-ci [les terrains] doivent être choisis sur la base d’un rapport établi par l’hydrogéologue. Ce rapport se prononce sur le risque que le niveau des plus hautes eaux de la nappe libre superficielle puisse se situer à moins d’un mètre du fond des sépultures". On remarquera qu’aucun élément ne vient aider la commune qui devrait opérer la translation de l’espace de dispersion. Indubitablement, si le transfert de cavurnes ou de columbariums ne semble pas poser de problèmes insondables, quid de celui d’un jardin du souvenir ? Il semblerait que l’autorité administrative (cf. réponse ministérielle supra) ait décidé de laisser la commune juge de ses modalités…
 
Ses modalités : l’absence d’obligation du transfert des monuments

Il importe de noter que, si les restes inhumés sont transportés aux frais de la commune (CGCT, art. L. 2321-2-14° et R. 2223-10), cette dernière n’est cependant nullement tenue de procéder au déplacement ou à la reconstruction des caveaux et monuments présents dans le cimetière désaffecté (Cass. civ. 25 octobre 1910, D. 1912, I, 129) ; CE 11 décembre 1963, Dame Despax : Rec. CE, p. 613). Il est évident néanmoins que les familles, déjà sans doute peu enclines à accepter un tel déplacement, feront de la prise en charge du déplacement des sépulcres une affaire importante, et que la commune ne pourra, politiquement, que difficilement s’y soustraire. Il est à remarquer que, si des concessions ou des emplacements en terrain commun sont arrivés à terme et non renouvelés, ou s’il y a d’autres sortes d’occupations sans titre, la commune n’a pas d’obligation juridique d’assurer à ses frais le transport des restes mortels s’y trouvant (CAA Nantes 23 mars 2004, Commune de Loctudy, n° 01NT01986).

Pour ce qui concerne les sépultures en terrain commun, le maire pourra choisir, au moment de la reprise de ces sépultures, de transférer les restes dans le nouvel ossuaire, ou de faire procéder à leur crémation : "Conformément aux dispositions de l’art. R. 361-8 du Code des communes, les communes ont la faculté de procéder à la reprise des sépultures faites en service ordinaire dans le respect du délai de rotation minimal de cinq ans à compter de la date de l’inhumation. Les restes mortels sont déposés dans l’ossuaire communal ou peuvent faire l’objet d’une crémation, comme le prévoit l’art. L. 2223-4 du CGCT. Dans le cas d’un cimetière faisant l’objet d’une translation, ces dispositions trouvent également à s’appliquer. De surcroît, à l’expiration du délai de cinq ans à compter de la décision ordonnant la translation du cimetière, prévu à l’art. L. 2223-7, les communes peuvent effectuer le transfert d’office des tombes." (Rép. min. n° 29832, JOAN Q 21 juin 1999, p. 3855)

Notons que cette réponse serait néanmoins à tempérer au vu de la réforme du 19 décembre 2008 modifiant l’art. L. 2223-4 du CGCT, et qui subordonne la crémation des restes à l’absence d’opposition du défunt. Relevons de surcroît, que : "En cas de translation de cimetières, les cimetières existants sont fermés dès que les nouveaux emplacements sont disposés à recevoir les inhumations. Ils restent dans l’état où ils se trouvent, sans que l’on en puisse faire usage pendant cinq ans.
Toutefois, les inhumations peuvent continuer à être faites dans les caveaux de famille édifiés dans les cimetières désaffectés, à concurrence du nombre de places disponibles au moment de la fermeture de ces cimetières, à condition que ceux-ci satisfassent aux prescriptions légales d’hygiène et de salubrité et que l’affectation du sol à un autre usage ne soit pas reconnue d’utilité publique." (art. L. 2223-6 du CGCT)
 
Ainsi, la translation du cimetière n’entraîne pas paradoxalement sa fermeture et son aliénation, puisqu’un délai de cinq années doit tout d’abord s’écouler. Au contraire, cette translation va autoriser pendant cette même période de cinq années la continuation des inhumations au profit des familles qui disposeraient d’emplacements disponibles en concessions funéraires (à l’exclusion, donc, des inhumations en terrain commun.
 
Il ne semble pas que le maire ou le préfet puisse s’opposer à cette volonté des familles, à moins que les règles d’hygiène et de salubrité ne le permettent plus, ou bien que le sol soit affecté à une autre utilité publique. La signification de ce second point ne doit pas laisser croire qu’une expropriation du cimetière par une autre personne publique soit possible. En effet, le cimetière fait indubitablement partie du domaine public depuis l’arrêt Marecar de 1935 (CE, 28 juin 1935, Marecar, S. 1937, III, 43), et comme tel il est exclu du champ d’application de la procédure d’expropriation (CE, 3 décembre 1993, Ville de Paris c/ Parents, Rec., p. 340 ; CE, 21 novembre 1884, Conseil de fabrique de l’église Saint-Nicolas-des-Champs, Rec., p. 804 ; Cour de cassation, chambre civile, 20 décembre 1897, Chemin de fer d’Orléans c/ Ville de Paris, Dalloz, 1899, I, p. 257).
Ce n’est qu’à l’issue du délai de cinq années que le cimetière sera réellement désaffecté, la commune pourra alors opérer le transfert d’office des sépultures concédées dont les familles avaient continué l’utilisation : "Passé le délai de cinq ans, les cimetières désaffectés peuvent être affermés par les communes auxquelles ils appartiennent, mais à condition qu’ils ne soient qu’ensemencés ou plantés, sans qu’il puisse être fait aucune fouille ou fondation pour des constructions de bâtiment jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné." (art. L. 2223-7 du CGCT).
Ainsi, une fois le premier délai de cinq années passé, il est possible d’affermer (c’est-à-dire louer comme un bien rural) le cimetière, mais à la condition qu’il soit désaffecté et ensemencé ou planté. Aucuns travaux affectant le sol ne pourront être autorisés : "La question posée concerne, d’une manière générale, les modalités d’utilisation des cimetières désaffectés, et, de façon plus précise, les délais à respecter. Le CGCT distingue deux situations, selon la destination envisagée : dans la perspective d’un affermage, c’est l’art. L. 2223-7 du CGCT qui s’applique. Il dispose qu’après un délai de cinq ans les communes peuvent affermer leurs cimetières désaffectés après leur fermeture.
Mais cet article, qui réduit le délai à cinq ans, encadre très strictement la destination réservée à l’ancien cimetière, en précisant : "À condition qu’ils ne soient qu’ensemencés ou plantés, sans qu’il puisse être fait aucune fouille ou fondation pour des constructions de bâtiment jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné ; pour toute autre destination, c’est un délai de dix ans qui doit être respecté, l’art. L. 2223-8 du même Code disposant que les cimetières ne peuvent être aliénés qu’après dix années à compter de la dernière inhumation. Toutefois, l’intervention de la procédure d’aliénation laisse ensuite le libre choix de la nouvelle affectation. Quant aux termes "jusqu’à ce qu’il en soit ordonné", il n’a jamais été considéré qu’il fallait leur donner une portée générale dépassant les dispositions de l’art. L. 2223-7 auquel ils se rattachent." (Rép. min. n° 337, JOAN Q du 2 juin 2003)
On remarquera tout particulièrement que le gouvernement prend position sur ce qu’il faut entendre par l’expression utilisée par le CGCT : "jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné". Il estime qu’elle ne crée aucune procédure spécifique. Il s’agira donc d’une nouvelle affectation décidée par les autorités communales.

L’aliénation de l’ancien cimetière

L’art. L. 2223-8 du CGCT énonce que : "Les cimetières ne peuvent être aliénés qu’après dix années à compter de la dernière inhumation." Ce n’est donc qu’au bout de ce délai de dix années depuis la décision d’opérer la translation que le cimetière pourra être aliéné. Il conviendra néanmoins de respecter un certain formalisme dû aux particularités du régime des biens relevant du domaine public. En effet, si le classement d’un bien n’est que dans de très rares cas indispensable pour qu’il soit incorporé dans le domaine public, il faut, en revanche, impérativement déclasser le bien dans le domaine privé pour enfin pouvoir l’aliéner. Ce principe s’applique même s’il n’y a pas eu de décision de classement pour incorporer le bien dans le domaine public (CE 6 avril 1979, Société "La Plage de la forêt", req. n° 98510).
Ce principe s’applique même si le bien est matériellement désaffecté. Le déclassement doit toujours être exprès et ne peut jamais être implicite (CE 11 octobre 1995, Tête, req. nos 116544 et 116545). C’est cette construction jurisprudentielle qui est reprise dans la formulation de l’art. L. 2141-1 du Code général de la propriété des personnes publiques quand il énonce que : "Un bien d’une personne publique mentionnée à l’art. L. 1, qui n’est plus affecté à un service public ou à l’usage direct du public, ne fait plus partie du domaine public à compter de l’intervention de l’acte administratif constatant son déclassement." On voit clairement qu’un bien quitte le domaine public si et seulement si les conditions matérielles de la désaffectation sont réunies, puisqu’il faut qu’il ne remplisse plus la définition concrète qui l’avait fait ranger dans le domaine public.
La volonté d’une commune de déclasser un bien ne peut suffire à le déclasser : il faut que le bien ne soit plus affecté. L’utilisation du verbe "constater" traduit bien l’idée selon laquelle l’acte de déclassement n’est que la conséquence logique de la désaffectation, c’est-à-dire que le bien n’est plus utile à la réalisation d’un service public ou qu’il n’est plus mis à la disposition du public et qu’il n’y a donc plus aucune raison de lui faire bénéficier du statut protecteur de la domanialité publique. Il rejoindra alors le domaine privé de la collectivité. Synthétiquement, il conviendra donc que la délibération du conseil municipal constate la désaffectation puis prononce le déclassement du cimetière afin que celui-ci rejoignant le domaine privé de la commune puisse être aliéné.
 
Le sort des restes mortels

Par le passé, l’Administration eut l’occasion d’affirmer que : ’"Aux termes des dispositions combinées de la loi du 15 mai 1791 (art. 9) et du décret du 23 prairial an XII (articles 8 et 9), tout usage des anciens cimetières est interdit pendant cinq ans à partir de la dernière inhumation ; les cinq années suivantes, il est permis d’y faire des actes de propriété ou de jouissance, à l’exception des travaux de fouilles ou de fondations ; c’est seulement à l’expiration de la période de dix ans que des opérations de cette nature peuvent y être effectuées, avec l’autorisation de l’Administration supérieure. D’après ces dispositions, l’établissement d’une place publique sur le cimetière, avant l’expiration de dix années qui auront suivi la dernière inhumation, serait entaché d’illégalité s’il nécessitait dans cet ancien lieu de sépulture des travaux de fouilles ou de fondations. Il n’aurait au contraire rien d’illicite si, comme semble l’indiquer la délibération du conseil municipal, de simples travaux de remblai suffisaient pour approprier le cimetière supprimé à sa nouvelle destination." (Avis du ministère de l’Intérieur, Bulletin officiel du ministère de l’Intérieur, 1868)
Il est donc parfaitement possible que la fermeture de cimetière ne s’accompagne pas d’une translation des restes, mais uniquement d’une fermeture du cimetière, puis de sa désaffectation. Il conviendra alors de transférer les restes mortels s’y trouvant. En effet, prolongeant cette position administrative, il a déjà été jugé que constituait une voie de fait, le fait pour une commune d’entreprendre des travaux dans le cimetière désaffecté sans avoir, au préalable, transféré les ossements humains vers l’ossuaire du nouveau cimetière (CA Metz, 5 octobre 2010 : JCP 2010, 1168, note Francioso). En l’espèce, la commune de Lixing-les-Rouhling a entrepris des travaux dans le cimetière désaffecté en vue d’y aménager une zone piétonne et carrossable sans avoir, au préalable, transféré les ossements humains vers l’ossuaire du nouveau cimetière. Si les dispositions des art. L. 2223-7 et suivants du CGCT qui régissent le changement d’affectation du cimetière autorisent le déclassement du cimetière sans imposer à la municipalité de procéder à l’exhumation des restes humains, il en est différemment lorsqu’elle prévoit d’en modifier l’affectation. À défaut, elle porte atteinte au principe du respect dû aux morts.

Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT.

Résonance hors-série n°3 - Janvier 2017

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