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L’avis du Conseil d’État ci-dessous reproduit est l’occasion tant de revenir sur le principe de laïcité appliqué aux collectivités territoriales, que d’en préciser certaines particularités lorsque est concerné un cimetière.

 

Conseil d’État 28 juillet 2017, avis n° 408920

Voici un avis du Conseil d’État rendu au motif de l’art. L. 113-1 du Code de justice administrative selon lequel : "Avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la cour administrative d’appel peut, par une décision qui n’est susceptible d’aucun recours, transmettre le dossier de l’affaire au Conseil d’État, qui examine dans un délai de trois mois la question soulevée. Il est sursis à toute décision au fond jusqu’à un avis du Conseil d’État ou, à défaut, jusqu’à l’expiration de ce délai." Il s’agit donc en quelque sorte d’une possibilité pour le juge saisi au fond de saisir lui-même le juge suprême pour qu’il l’éclaire sur un point particulier.

Les faits se rapportent à une décision implicite de rejet d’un maire de retirer une croix ornant le portail d’entrée d’un cimetière. La question que se pose le juge du premier degré est celle de la signification d’une telle croix : s’agit-il d’un emblème religieux, ce que l’on peut a priori supposer sans difficulté, ou, à l’instar d’autres symboles, ne revêt-elle pas une pluralité de significations :

"1°) Une croix ornant le portail d’entrée d’un cimetière doit-elle, par principe, être regardée comme un signe ou emblème religieux dont l’installation est interdite depuis l’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905, ou, au contraire, est-elle susceptible de revêtir une pluralité de significations de sorte qu’il appartient au juge de rechercher, dans chaque espèce, si cette croix constitue simplement un élément visant à signaler de manière traditionnelle la présence d’un cimetière ou si elle revêt le caractère d’un signe ou emblème religieux ?

2°) Lorsqu’un requérant demande au juge d’annuler la décision par laquelle une personne publique a refusé de procéder à la dépose d’un signe ou emblème religieux installé sur un monument public ou en quelque lieu public que ce soit, lui revient-il d’établir que ce signe ou emblème a été apposé postérieurement à l’entrée en vigueur de loi du 9 décembre 1905, ou appartient-il, à l’inverse, à la personne publique d’établir que ce signe ou emblème a été élevé antérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi ?" 

Si le Conseil d’État écarte d’emblée comme n’entrant pas dans le champ des possibilités ouvertes par l’art. L. 113-1 CJA la seconde question, il ne répond pas vraiment aux interrogations du juge quant au fait de savoir si la croix ornant le portail d’un cimetière peut revêtir une autre dimension que religieuse. En effet, il trouve dans le texte même de la loi de 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État la solution au problème …

Laïcité : définition

La laïcité est usuellement présentée comme l’expression d’une conception politique qui implique la séparation de la société civile et de la société religieuse. Dans la langue courante, pourtant, il semble que ce terme se charge de bien d’autres significations selon le contexte ou la personne qui l’emploie. C’est la raison pour laquelle il importe de définir ce que recouvre juridiquement ce concept. Force est de constater qu’il n’existe aucune définition constitutionnelle du terme. L’art. 1er de la Constitution de 1958, qui dispose que la République est "indivisible, laïque, démocratique et sociale", se défend bien d’en donner une définition. Le texte jugé fondateur, à savoir la loi de 1905 instituant la séparation des Églises et de l’État, ne cite même pas le mot.
Il faut attendre 2004 pour que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 19 novembre 2004 (Cons. const., 19 nov. 2004, déc. n° 2004-505, Traité établissant une Constitution pour l’Europe), définisse le principe de laïcité, et ce, sous un angle bien particulier relevant plutôt des rapports avec le communautarisme, puisqu’il y voit l’interdiction pour tout individu de se prévaloir de ses convictions religieuses pour déroger aux règles qui régissent les relations entre les collectivités publiques et les individus. La laïcité correspond donc à l’affirmation que l’État considère la croyance ou l’incroyance comme affaire privée, pour reprendre la définition posée par le doyen Vedel.

Il est usuel, lorsqu’on évoque les relations financières entre collectivités publiques et religion, de citer l’art. 2 de la loi du 9 décembre 1905, qui dispose que : "La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimés des budgets de l’État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes…", ainsi que l’art. 19 de la loi en son dernier alinéa ajoute que : "… ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l’État, des départements et des communes. Ne sont pas considérées comme subventions les sommes allouées pour réparation aux édifices affectés au culte public ; qu’ils soient ou non classés monuments historiques." Néanmoins, l’interdiction du financement public des lieux de culte n’est pas un principe constitutionnel. Si le principe de laïcité est élevé au rang de norme à valeur constitutionnelle en étant reconnu par le juge, ce n’est pas la loi, en tant que telle, qui se voit octroyer cette valeur.

Laïcité et intérêt public local 

L’art. L. 2121-29 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) attribue au conseil municipal la faculté de régler par ses délibérations les affaires de la commune. Il en va de même dans le CGCT pour le département et la région. Le principe de cette législation est extrêmement connu, encore faut-il rappeler que le juge vérifiera, alors, que le conseil municipal n’a pas outrepassé ses compétences, c’est-à-dire qu’il ne s’est pas aventuré dans le domaine de compétence qui relève d’une autre personne publique, en adoptant une délibération, et c’est ce qu’il est convenu d’appeler : "l’intérêt public local".

Par exemple, dans un jugement du TA de Montpellier (TA Montpellier 22 avril 2008, Association des contribuables de l’Hérault et autres, req. n° 0500363), le juge invalide le versement de subventions en vue de la réfection d’un bâtiment occupé par des associations maçonniques parce que : "Il ne ressort pas des pièces du dossier que l’utilisation de ce bâtiment réponde aux besoins de la population locale compte tenu de son utilisation par les membres de ladite association, qui regroupe dix associations d’obédience maçonnique, dont les conditions d’entrée ont un caractère restrictif."

En revanche, la jurisprudence accepte de telles subventions quand, en dépit d’un objet associatif entièrement tourné vers les membres, il existe néanmoins des actions à destination de toute la population. Dans deux des autres espèces jugées par le Conseil d’État le 19 juillet 2011, la haute juridiction valida l’acquisition et la restauration d’un orgue (98 000 €) et l’aménagement d’un ascenseur (500 000 €), il s’agissait en l’occurrence de la confirmation d’un arrêt de la CAA de Lyon du 26 juin 2007 (Fédération de la libre pensée et d’action sociale du Rhône et autres, req. n° 03LY00054). Il est donc possible que la Ville de Lyon subventionne l’installation d’un ascenseur dans la basilique de Fourvière, afin d’améliorer l’accessibilité des personnes handicapées à ce monument touristique très fréquenté, ou la même juridiction, dans un arrêt du 24 juin 2010, "Centre universitaire catholique de Bourgogne (n° 09LY02945) est venue estimer que la commune de Dijon pouvait tout à fait valablement, et sans méconnaître le principe de laïcité, participer financièrement à l’extension des bâtiments d’enseignement de l’université catholique (mais pas de ceux de culte).

Dans la dernière affaire jugée le 19 juillet 2011, il s’agissait d’estimer s’il était possible pour une commune d’aménager des locaux afin d’ouvrir un abattoir temporaire fonctionnant principalement lors de la fête musulmane de l’Aid-el-Kebir. Le juge décide que ces dépenses sont justifiées par le fait qu’ainsi ces rituels seront pratiqués "dans des conditions conformes aux impératifs de l’ordre public, en particulier de la salubrité et de la santé publiques". Ainsi, il est faux de penser qu’une personne publique ne peut intervenir dans le domaine religieux, simplement, il faut qu’existe cet intérêt public local.

Laïcité dans les parties publiques du cimetière

La loi du 14 novembre 1881 a abrogé l’art. 15 du décret du 23 prairial an XII, qui imposait aux communes de réserver dans les cimetières une surface proportionnelle aux effectifs des fidèles des différents cultes, et imposait alors aux familles de déclarer le culte du défunt. L’art. L. 2213-9 du CGCT édicte ainsi qu’il n’est permis en aucun cas d’établir des distinctions ou des prescriptions particulières à raison des croyances ou du culte des défunts (exception notable de l’Alsace et de la Moselle, art. 2542-10 du CGCT). C’est l’affirmation de la neutralité des parties publiques du cimetière communal. Il découle donc, de cette qualité publique, l’obligation de neutralité posée déjà par la loi de 1881 qui interdisait d’établir désormais une séparation à raison de la différence des cultes.
Il peut en pratique subsister des cimetières privés, qui résultent par exemple du fait que le décret du 23 prairial an XII, qui pose le principe du caractère public des cimetières, ne concernait pas les personnes de confession juive. Ces cimetières confessionnels perdurent de nos jours, mais la jurisprudence interdit tant leur extension que toute nouvelle création (CE 13 mai 1964, Sieur Eberstarck, Rec. CE p. 288). Dans le même esprit, la loi de 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État a interdit d’élever ou d’apposer tout signe ou emblème religieux sur les monuments publics, sous réserve, prévoyait l’art. 28 de la loi du 9 décembre, des symboles religieux antérieurs à cette loi, et des terrains de sépulture dans les cimetières et monuments funéraires : "Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit."
Mais cette disposition admet toutefois des exceptions en ce qui concerne les "édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions", et maintient ainsi le droit des familles de donner à leurs sépultures un caractère religieux (CE, 21 janv. 1910, Gonot, Curé de Périgny-sur-Armançon : Rec. CE 1910, p. 49, concl. M. Saint-Paul), puisque, selon le Conseil d’État, dans un arrêt Abbé Guerle du 4 juillet 1924 : "Il résulte de la distinction même faite par le législateur entre les terrains de sépultures dans les cimetières et les monuments funéraires que cette dernière expression s’applique à tous les monuments destinés à rappeler les souvenirs des morts, même s’ils ne recouvrent pas de sépultures et quel que soit le lieu où ils sont érigés" (CE, 4 juill. 1924, Abbé Guerle : Rec. CE 1924, p. 640 ; D. 1924, 3, p. 48, concl. R. Meyer).

Néanmoins, la croix orne le portail, or, a priori, l’art. 28 précité ne crée d’exception à l’installation d’un signe religieux que pour les terrains de sépulture dans les cimetières ainsi que pour les monuments funéraires. Ainsi, elle ne peut ressortir de l’exception de l’art. 28. Il semblerait pourtant que cette croix soit d’installation récente (selon le journal "La Croix" du 29/07/2017). Il importe donc désormais de savoir si cette croix, quoique récemment installée, n’existait pas antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi de 1905, puisque le juge rappelle que : "Toutefois, alors même qu’un cimetière est une dépendance du domaine public de la commune, la loi réserve notamment la possibilité d’apposer de tels signes ou emblèmes sur les terrains de sépulture, les monuments funéraires et les édifices servant au culte. En outre, en prévoyant que l’interdiction qu’il a édictée ne s’appliquerait que pour l’avenir, le législateur a préservé les signes et emblèmes religieux existants à la date de l’entrée en vigueur de la loi ainsi que la possibilité d’en assurer l’entretien, la restauration ou le remplacement."
Il ne reste donc plus qu’au juge du fond de déterminer si l’on est ici en présence d’un nouvel emblème religieux a priori interdit, ou bien si, au contraire, il ne s’agit que du remplacement d’un signe disparu, mais qui existait avant l’instauration de la séparation des l’Église et de l’État…

Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT

Résonance n°133 - Septembre 2017

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