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Le titulaire d’une concession funéraire, dans laquelle sont inhumés des défunts, peut-il léguer ce bien à une personne étrangère à sa famille, avec l’accord de ses héritiers naturels ? Une commune peut-elle s’opposer à ce legs ? C’est à cette question que nous consacrerons cet article en pointant le fait que la doctrine administrative se trouve ici en contradiction avec l’un des ordres de juridiction.

 

 

Dupuis Philippe 2015
Philippe Dupuis.

Un contrat administratif dérogatoire

Le régime juridique des concessions funéraires est à tout le moins complexe. En dépit de décisions heureusement isolées, où leur est appliquées la théorie du retrait des actes administratifs unilatéraux (CAA Bordeaux, 6 janvier 2009, Mme Gracieuse Y., req. n° 07BX02269 ; CAA Douai, 4 octobre 2007, commune de Thun-l’Évêque, req. n° 07DA00516), le Conseil d’État les qualifie de contrats (CE, ass., 21 octobre 1955, Méline, Rec. CE 1955, p. 491 ; CE 1er décembre 1979, Berezowski, Rec. CE, p. 521). Ce sont d’ailleurs des contrats d’occupation du domaine public, puisque le juge administratif, après de nombreuses hésitations, qualifie le cimetière de propriété publique, affectée à l’usage du public depuis l’arrêt Marecar (CE, 28 juin 1935, Mougamadousadagnetoullah : DP 1936, 3, p. 20, concl. Latournerie, note M. Waline). Cette qualification attribuant alors logiquement le contentieux de ces contrats au juge administratif en vertu du décret-loi du 17 juin 1938.
Néanmoins, le Conseil d’État refusa initialement de tirer les conséquences de ce texte, en continuant d’attribuer leur contentieux au juge judiciaire (CE 10 février 1950 Durand-Sachot, Rec. CE p. 93). Il faudra attendre le revirement de l’arrêt Méline, pour qu’il y estime que ces concessions funéraires sont des contrats administratifs dérogatoires au régime juridique de la domanialité publique, puisque non précaires et non révocables, nonobstant les hypothèses de reprises de concessions en état d’abandon prévues à l’art. L. 2223-14 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) et suivants ou de non-renouvellements de concessions échues.
De même, pour celles qui sont temporaires, l’Administration, une fois qu’elle les aura accordées, n’est pas maîtresse de leur reconduction. En effet, l’art. L. 2213-15 du CGCT consacre un droit au renouvellement au profit du concessionnaire, qui s’impose au maire, qui ne pourrait le refuser que pour des raisons d’ordre public, une absence d’entretien de la sépulture n’entrant pas dans ces conditions (TA Paris 9 janv. 2007, n° 0418233, La Lettre du tribunal administratif de Paris, n° 12, avril 2007, p. 2).
À la mort du concessionnaire, le contrat de concession continuera de s’exécuter puisque l’art. L. 2223-13 du CGCT dispose que la concession est érigée pour que le fondateur y procède à son inhumation ainsi qu’a celle de ses descendants et successeurs.

Un contrat conférant au concessionnaire de larges droits

Le concessionnaire ne disposera pas d’un droit de propriété sur la parcelle concédée, mais d’un droit de jouissance, alors qu’il dispose d’un droit de propriété sur les objets et monuments situés sur cette parcelle. On parle d’un droit réel immobilier d’une nature particulière (TC 6 juillet 1981 Jacquot : Rec. CE, p. 507). Dans ces concessions de famille, le juge part du principe que l’intention présumée du fondateur est l’inhumation des membres de sa famille (CE 7 février 1913, Mure, S. 1913, III, 81, note Hauriou).
Le concessionnaire peut expressément exclure d’ailleurs de ce droit certaines personnes de sa famille (CAA Bordeaux 3 novembre 1997, M. Gilbert Lavé, req. n° 96BX01838) en les mentionnant, eux, dans l’acte de concession comme n’y disposant pas du droit à inhumation. Il est ainsi le régulateur du droit à inhumation dans sa concession (Cass. 1re civ., 17 décembre 2008, n° 07-17.596 JCP A 2009, 2049, note D. Dutrieux). Il disposera aussi, selon la jurisprudence, de la faculté d’en fixer la nature.
En effet, il existe des concessions individuelles, ou bien collectives, où seule l’inhumation de la (les) personne(s) inscrite(s) au titre est possible, enfin des concessions familiales qui ont vocation à recevoir le corps du concessionnaire, ceux de son conjoint, de ses successeurs, de ses ascendants, de ses alliés et enfants adoptifs, voire les corps de personnes unies au concessionnaire par des liens particuliers d’affection (CA Pau, 14 janvier 2008, Commune d’Anglet c/ D. V., La Lettre du funéraire, juillet 2008, p. 4). Néanmoins, cette faculté du concessionnaire à régir l’utilisation de la concession, sans subir de contraintes de l’autorité publique, va connaître des limitations dans sa capacité à transmettre ce contrat.

Comment disposer d’une concession funéraire du vivant du fondateur ?

La concession funéraire est un bien hors commerce au sens de l’art.1128 du Code civil (Cass. 1re civ. 25 mars 1958 Py/Roger, Bull. 1958, n° 178). Cette qualification a pour but d’en empêcher les cessions onéreuses ; néanmoins, la cession gratuite peut être autorisée. Deux possibilités existent :
1 - Tout d’abord, la rétrocession, permise par la doctrine administrative (Rép. min. n° 57159 : JOAN Q, 12 juillet 2005) ; elle consiste à ce que le concessionnaire propose à la commune de reprendre la concession contre le remboursement de la redevance. Cette opération n’est possible que si la concession n’a pas été utilisée ou que des exhumations y ont été pratiquées, car la commune ne peut redonner à concession que des terrains vierges de tout corps (CE 30 mai 1962, Cordier : Rec. CE, p. 358).
Si la concession a plusieurs titulaires, on devra recueillir l’accord de tous. L’opération de rétrocession n’est régulière que si elle n’est pas une cession gratuite ou onéreuse, il faut que cela soit la résolution d’un contrat. La commune n’est pas obligée de l’accepter, et dans tous les cas dicte ses conditions. Il sera impossible pour les coindivisaires de renoncer tous à la concession, ce droit n’est en effet ouvert qu’au fondateur, et disparaît avec lui (Rép. min. n° 57159, précité). En revanche les héritiers pourront renoncer au profit d’un seul (Cass. 1re civ. 17 mai 1993 : Bull. civ. I, n° 183 p. 125).
2 - La seconde possibilité serait une cession gratuite par le fondateur à une autre personne. S’il est admis par la jurisprudence qu’une donation est permise devant notaire, encore faut-il que le bénéficiaire remplisse certaines conditions. En effet, tant pour les donations du vivant du concessionnaire que pour les legs, il faudrait distinguer selon que la concession est vierge de tout corps et n’en n’a jamais contenu. Dans ce cas, elle ne serait pas devenue une sépulture au sens de l’art. L. 2223-13 du CGCT, et pourrait être cédée gracieusement à n’importe qui.
C’est la position du gouvernement (Rép. min. n° 27413, JO AN Q 7 février 1982). Le gouvernement exigeant alors un acte de substitution dressé entre le nouveau concessionnaire, l’ancien et la commune. La position de la doctrine administrative étant que le maire ne peut refuser cette donation que pour des motifs tirés de l’intérêt public (la position du juge est tout autre, cf. nos développements ultérieurs). Par contre, au cas où la concession serait devenue une sépulture suite à une inhumation, et ce quand bien même les corps en auraient été exhumés, la donation ne pourrait alors être faite qu’au profit d’héritiers naturels ou de successeurs (Cass. civ. 1re, 23 octobre 1968, Mund, Répertoire Defresnois 1969, p. 325, art. 29275, note R. Savatier, JCP, éd. Not., 1969, II, n° 15715, obs. R. Lindon). Cette problématique va se retrouver lorsque la concession est, non pas donnée, mais léguée.

Comment disposer d’une concession funéraire après le décès du fondateur ?

La jurisprudence considère que la concession, à l’instar d’autres rares catégories, est un bien anomal qui ne vient pas au partage en raison de son affectation familiale (CA Bordeaux 14 mars 1927, Journal des notaires, 35.682 ; CA Lyon 7 novembre 1949 Drevard/Ode, S, 1950, I, 63). S’il existe un testament, la question est infiniment plus délicate. Il existe en effet une divergence notable de position entre les deux ordres de juridiction, le gouvernement effectuant de surcroît une lecture maximaliste de la jurisprudence. Selon la doctrine administrative (Rép. min. n° 47007 : JOAN Q, 26 oct. 1992), l’arrêt Hérail n’interdit la transmission par legs que pour des motifs tirés de l’intérêt public (traditionnellement, on citera comme contraire à l’intérêt public que l’épouse et la maîtresse soient inhumées dans un même terrain, CA Paris, 2 janvier 1934, DH, 1934, p. 169).
Force est de constater que la lecture faite par le gouvernement de la jurisprudence est à tout le moins maximaliste, voire erronée. En effet, le Conseil d’État, dans un arrêt Hérail (CE Sect., 11 octobre 1957, Hérail, AJDA 1957, p. 429, conclusions Kahn), a précisé qu’il était impossible au concessionnaire de céder les droits qu’il tient de ce contrat, tandis qu’au contraire le juge judiciaire, lui, le permet (Cass. civ. 1re, 23 octobre 1968, Mund, précité).

Or, ainsi que le rappelle dans son ouvrage Georges Chaillot, "Le Droit des sépultures en France", édition Pro Roc, avril 2004, nos 597 et suivants. L’arrêt "Mund" rendu par la Cour de cassation le fut dans un contexte procédural particulier. En effet, tout en reconnaissant que seul le juge administratif est compétent en ce qui concerne les conditions d’exécution d’un contrat administratif, la Cour invoque que le moyen fondé sur ce qu’elle serait incompétente n’a pas été soulevé devant le juge du fond, et donc par là même est irrecevable à ce stade de la procédure. Ainsi, la position du juge judiciaire sur ce point n’aurait pour G. Chaillot que l’effet relatif de la chose jugée.
Au contraire, dans l’arrêt Hérail, le juge administratif, bien loin d’admettre la validité d’un legs ou d’une disposition testamentaire, affirme que le titulaire d’une concession funéraire ne peut céder les droits qu’il tient de son contrat, mais qu’il peut y décider l’inhumation de personnes étrangères à sa famille, sans que le maire puisse lui interdire, nonobstant les hypothèses où l’ordre public serait en cause.

Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT

Résonance n°139 - Avril 2018

 

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