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Les enseignements de l’arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale en date du 5 juillet 2017. Le paiement des frais liés à un transport de corps et à son admission en chambre funéraire, lorsqu’il est sollicité par le directeur d’un établissement social ou médico-social.

 

Tricon JP 2016
Jean-Pierre Tricon.

Dans un précédent article paru dans les colonnes de Résonance Funéraire, j’avais mentionné que l’année 2017 avait donné lieu à plusieurs décisions, soit administratives, soit judiciaires, relatives à des pratiques anticoncurrentielles, dans le domaine des pompes funèbres qui méritaient une attention particulière.

En premier lieu, j’avais fait référence à une décision du 27 juillet 2017 de l’Autorité de la concurrence (ex-Conseil de la concurrence), Section V, relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des pompes funèbres dans le département de l’Ain.

Aujourd’hui, et afin de compléter ce panorama juridique, il paraît opportun de revenir sur l’arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale en date du 5 juillet 2017, afférent, une nouvelle fois, aux conditions de transport d’un corps dans une chambre funéraire opéré à la demande du directeur d’un établissement d’hébergement de personnes âgées, en l’occurrence une maison de retraite.

- Les faits 

Une société de pompes funèbres privée réclamait une indemnisation complémentaire à une société de pompes funèbres réputée, implantée sur le territoire national, arguant d’actes de concurrence déloyale, qui exploite une chambre funéraire sur le territoire de la commune de Saint-Maur-des-Fossés.

La cour d’appel, initialement saisie, avait condamné, par son arrêt en date du 5 mai 2000, la société gestionnaire de la chambre funéraire, ayant des implantations d’établissements principaux ou secondaires au niveau national, au paiement de dommages et intérêts pour violation du principe de neutralité.

Que, parallèlement, par décision du 27 juillet 2004, le Conseil de la concurrence avait infligé une sanction pécuniaire à cette société de pompes funèbre gestionnaire de la chambre, de réputation nationale, pour des pratiques d’abus de position dominante, pendant la période de 1993 à 1995, et lui avait enjoint de se conformer aux engagements pris.

La société de pompes funèbres privée, soutenant que la société nationale avait persisté dans ses pratiques illicites, constituant pour elle des actes de concurrence déloyale, l’avait assignée en indemnisation de ses préjudices pour la période de 2000 à 2004, et pour la période postérieure, à déterminer par voie d’expertise.

Dans son premier moyen exposé devant la cour d’appel, la société de pompes funèbres privée soutenait que l’entreprise gestionnaire de la chambre funéraire avait commis une infraction aux règles instaurées par la réglementation funéraire en matière de concurrence, soit, d’une part, l’apposition d’un logo commercial dans les locaux du funérarium, violant le principe de neutralité exigé par la réglementation en vigueur (art. R. 2223-72 du Code Général des Collectivités Territoriales – CGCT), et, dans un second moyen, que l’entreprise gestionnaire de la chambre funéraire exigeait de la famille du défunt le paiement des frais afférents au transport du corps, son séjour en chambre funéraire durant trois jours, dès lors que le transport était sollicité par le directeur de la maison de retraite, dans les conditions prescrites à l’art. R. 2223-79 du CGCT, qui dispose :
"Lorsque le transfert à une chambre funéraire du corps d’une personne décédée dans un établissement de santé public ou privé, qui n’entre pas dans la catégorie de ceux devant disposer obligatoirement d’une chambre mortuaire conformément à l’art. L. 2223-39, a été opéré à la demande du directeur de l’établissement, les frais résultant du transport à la chambre funéraire sont à la charge de l’établissement ainsi que les frais de séjour durant les trois premiers jours suivant l’admission.
Dans le cas prévu à l’alinéa précédent, le corps peut faire l’objet d’un nouveau transport dans les conditions définies par l’art. R. 2213-7."
On sait que, depuis l’intervention du décret n° 2011-121 du 28 janvier 2011, publié au JORF le 30 janvier 2011, les transports des corps en chambre funéraire, outre le fait qu’ils peuvent être sollicités par la personne ayant qualité à pourvoir aux funérailles, justifiant de son état civil et de son domicile, deux modifications substantielles sont intervenues par rapport aux anciennes dispositions, savoir :
- D’une part, le transport sollicité par la personne chez qui le décès a eu lieu doit justifier, par un écrit, qu’il lui a été impossible de joindre ou de retrouver, dans un délai de 12 heures, l’une des personnes ayant qualité pour pourvoir aux funérailles (antérieurement, aucun délai n’était imposé) ;
- D’autre part, après l’option ouverte aux directeurs des établissements de santé publics ou privés, le décret a ajouté une quatrième possibilité, celle de la formulation d’une demande de transport du corps de la personnes décédée dans un établissement social ou médico-social, n’étant pas tenu de disposer d’une chambre mortuaire (moins de 200 décès/an en moyenne annuelle établie sur les trois dernières années écoulées, idem que pour les établissements de santé publics ou privés), sous la conditions qu’ils attestent par écrit qu’il leur a été impossible de joindre ou de retrouver, dans un délai de 10 heures, l’une des personnes ayant qualité pour pourvoir aux funérailles : cf. art. R. 2213-8-1 du CGCT.

- La décision de la Cour de cassation :

La Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 11 juin 2015, et a remis en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt, et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d’appel de Paris autrement composée, mais seulement en ce que l’arrêt de la cour d’appel condamnait la société "nationale", gestionnaire de la chambre funéraire, à payer à la société entreprise privée de pompes funèbres la somme de 51 765 €, outre les intérêts légaux à compter du 9 juin 2004, et a déclaré irrecevable une nouvelle demande de la société de pompes funèbres privée, tendant à la condamnation de la société d’envergure nationale à lui payer au titre de dommages et intérêts la somme de 1 337 034 €.

- Les motifs de cette décision

Sur le premier moyen :

La présence d’un logo de la société "nationale" dans le local de la chambre funéraire. Se fondant sur un constat d’huissier de justice effectué le 20 janvier 2004 qui révélait qu’un signe distinctif, sous la forme d’un logo, avait été apposé à l’entrée de la chambre funéraire, l’expert judiciaire commis par la juridiction de premier degré avait indiqué dans les conclusions de son rapport, à la suite de sa visite du 29 novembre 2005, qu’aucun signe ou marque distinctif propre à la société gestionnaire de l’équipement funéraire n’était présent tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de le chambre funéraire.

Que, se référant à cette conclusion d’expertise, la cour d’appel avait écarté la demande de la société de pompes funèbres privée tendant à la condamnation de la société de pompes funèbres "nationale" à lui payer une certaine somme au titre de dommages et intérêts.

La Cour de cassation a jugé "qu’en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à démontrer l’absence de violation du principe de neutralité pour la période de 2000 à 2004, la cour d’appel avait privé sa décision de base légale".

Il s’ensuit que la Cour de cassation, en rendant cette sentence, bien que renvoyant les parties devant la cour d’appel de Paris autrement composée, n’a pas écarté la possibilité que la société de pompes funèbres privée obtienne une indemnisation pour la violation du principe de neutralité instauré par l’art. R. 2223-72 du CGCT. Sur ce point, la lecture de l’arrêt rendu par la cour d’appel de renvoi, à venir, sera particulièrement intéressante, et permettra de tirer tous les enseignements utiles.

Sur le second moyen

Le contenu et la réponse apportés par la Cour de cassation constituent un intérêt considérable pour la résolution des litiges afférents à la contestation des demandes de paiement présentées aux familles par l’opérateur habilité ayant procédé au transport du corps d’une personne décédée dans une maison de retraite qualifiée, juridiquement, d’établissement médico-social, dans la chambre funéraire, et au gestionnaire de celle-ci, d’exiger le paiement des frais dits "de séjour" dans la chambre dès le premier jour.
La société de pompes funèbres privée faisait grief à l’arrêt de limiter son indemnisation pour la période de 2000 à 2004, alors que, selon ce moyen, l’art. R. 2223-79 du CGCT indique : "Lorsque le transfert à une chambre funéraire du corps d’une personne décédée dans un établissement de santé public ou privé, qui n’entre pas dans la catégorie de ceux devant disposer obligatoirement d’une chambre mortuaire conformément à l’art. L. 2223-39, a été opéré à la demande du directeur de l’établissement, les frais résultant du transport à la chambre funéraire sont à la charge de l’établissement, ainsi que les frais de séjour durant les trois premiers jours suivant l’admission."
Que, dans ses conclusions d’appel, la société de pompes funèbres privée reprochait à la société "nationale", en violation de ce texte, de facturer aux familles, et non aux maisons de retraite, les frais de transport et de séjour en chambre funéraire des personnes décédées dans ces établissements, ce qui avait pour conséquence d’inciter les maisons de retraite à confier à la société gestionnaire de la chambre funéraire le transfert des personnes décédées dans la chambre funéraire, les familles se trouvant ensuite devant une situation de "fait accompli" les conduisant à confier la suite des opérations à la société gestionnaire.
Il sera, ici, précisé que la cour d’appel avait rejeté les prétentions indemnitaires de la société de pompes funèbres privée, en considérant que les dispositions de l’art. R. 2223-79 du CGCT n’étaient pas applicables aux maisons de retraite, qui ne pouvaient être assimilées à des établissements de santé publics ou privés.
La Cour de cassation a statué dans le même sens en motivant sa décision sur le fondement de l’art. L. 312-1 du Code de l’action sociale et des familles, modifié par la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015, qui dispose que :
" I. - Sont des établissements et services sociaux et médico-sociaux, au sens du présent Code, les établissements et les services, dotés ou non d’une personnalité morale propre, énumérés ci-après :
- Alinéa 6° : Les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées ou qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l’insertion sociale ;
- Alinéa 7° : Les établissements et les services, y compris les foyers d’accueil médicalisés, qui accueillent des personnes handicapées, quel que soit leur degré de handicap ou leur âge, ou des personnes atteintes de pathologies chroniques, qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l’insertion…"
Puis, cet article fournit une définition plus globale "des établissements et services sociaux et médico-sociaux, qui délivrent des prestations à domicile, en milieu de vie ordinaire, en accueil familial ou dans une structure de prise en charge. Ils assurent l’accueil à titre permanent, temporaire ou selon un mode séquentiel, à temps complet ou partiel, avec ou sans hébergement, en internat, semi-internat ou externat.
Les établissements mentionnés aux 6° et 7° du I de cet art. L. 312-1 du Code de l’action sociale et des familles s’organisent en unités de vie favorisant le confort et la qualité de séjour des personnes accueillies, dans des conditions et des délais fixés par décret.
Les prestations délivrées par les établissements et services mentionnés du 1° au 15° du I sont réalisées par des équipes pluridisciplinaires qualifiées. Ces établissements et services sont dirigés par des professionnels dont le niveau de qualification est fixé par décret et après consultation de la branche professionnelle ou, à défaut, des fédérations ou organismes représentatifs des organismes gestionnaires d’établissements et services sociaux et médico-sociaux concernés.
Les associations qui organisent l’intervention des bénévoles dans les établissements sociaux et médico-sociaux publics ou privés doivent conclure avec ces établissements une convention qui détermine les modalités de cette intervention".
Pour la Cour de cassation, il est à noter que c’est bien sur les fondements spécifiques du I. de l’art. L. 312-1 du Code de l’action sociale et des familles, alinéas 6° et 7°, principalement, qu’il a pu être jugé que "sont des établissements et services sociaux et médico-sociaux, au sens du présent Code, les établissements et les services, dotés ou non d’une personnalité morale propre, énumérés ci-après :
- Alinéa 6° : Les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées ou qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l’insertion sociale ;
- Alinéa 7° :°Les établissements et les services, y compris les foyers d’accueil médicalisés, qui accueillent des personnes handicapées, quel que soit leur degré de handicap ou leur âge, ou des personnes atteintes de pathologies chroniques, qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l’insertion…".
Le troisième moyen invoqué devant la Cour de cassation étant ce qu’il convient de qualifier un moyen nouveau, c’est à bon droit qu’en vertu du Code de procédure civile, la Haute Assemblée ait pu l’écarter.
En tout état de cause, cet arrêt vaut, essentiellement, pour son apport à une meilleure appréhension des dispositions de l’art. R. 2213-8-1 du CGCT, dès lors que, depuis sa création et son insertion dans ledit Code, il semblait concevable que les transports de corps sollicités par des directeurs ou responsables d’établissements sociaux ou médico-sociaux, dans des conditions identiques à celles applicables aux établissements de santé publics ou privés, devaient être mis à la charge de celui qui passe "la commande", conformément aux principes généraux énoncés dans le Règlement National des Pompes Funèbres (RNPF) qui gouverne et encadre l’organisation et la gestion, voire la commercialisation, des éléments du service extérieur des pompes funèbres.
Vu sous cet aspect, cette décision de la Cour de cassation devrait en surprendre plus d’un.

Jean-Pierre Tricon
Consultant au cabinet d’avocats
Pezet & Associés
Co-auteur du "Traité de Législation et Réglementation Funéraire"
Formateur

Résonance n°142 - Juillet 2018

Instances fédérales nationales et internationales :

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