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Il est ici question de se poser la question du contentieux relatif aux dommages causés à une sépulture concédée. Nous évoquerons donc les dommages causés à une sépulture par des tiers (usagers du cimetière, marbriers, etc.). La question qui se pose alors est celle de l’éventualité de la responsabilité de la commune.
Il serait en effet tentant, dans l’hypothèse où des dommages affectent une sépulture mais pour lesquels les auteurs ne sont pas connus, d’aller essayer de chercher la responsabilité de la commune "propriétaire" du cimetière.

 

Dupuis Philippe 2015
Philippe Dupuis.

Gestion du cimetière et responsabilité communale

Au vu des principes classiques du droit administratif, la responsabilité de la commune dans le cadre du contentieux funéraire peut être de deux natures : il peut s’agir soit d’une responsabilité contractuelle (en raison de la violation d’un contrat), soit d’une responsabilité "civile" (responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle) de la collectivité publique, c’est-à-dire à raison de fautes, de comportements. Cette variante de la responsabilité a pour conséquence d’obliger la commune à réparer les conséquences dommageables des fautes qui lui sont imputables (en tant qu’elles résultent de l’action de ses agents), lesquelles fautes sont la cause directe d’un préjudice subi par le concessionnaire. Il s’agira typiquement des fautes commises dans l’entretien, l’aménagement du cimetière ; il y aura alors faute des services communaux impliquant la responsabilité de la commune devant le juge administratif.

Nous avons, dans un autre article de cette édition, résumé les grandes lignes de ce contentieux qui va souvent découler d’un régime de responsabilité particulier et que l’on dénomme "les dommages occasionnels de travaux publics", puisque le cimetière étant qualifié d’ouvrage public, et les travaux effectués dans le cadre du service public (entretien du cimetière) par la commune ou pour son compte reçoivent alors la qualification de "travaux publics". La commune devra alors démontrer l’absence de défaut d’entretien normal de l’ouvrage public, ce qui en clair revient pour elle à démontrer qu’elle n’a commis aucune faute dans la réalisation des travaux, cette faute étant initialement présumée.

Cette même responsabilité quasi délictuelle peut également être recherchée dans le cadre de l’exercice du pouvoir de police du cimetière, pouvoir qui relève en propre de la compétence du maire. En effet, le juge administratif a étendu, pour mieux les contrôler, les pouvoirs de police du maire jusqu’au pouvoir de gestion de cette portion du domaine public qu’est le cimetière (CE, 20 février 1946, Cauchoix, Rec. CE, p. 53) et ce, au détriment des compétences du conseil municipal. Ainsi, fondamentalement, nonobstant les attributions que la loi a conférées au conseil municipal, tout y relève du pouvoir de police, et donc du contrôle maximum du juge.
Pour illustrer jusqu’à l’absurde ce propos. Par cet arrêt Cauchoix, le juge a reconnu qu’un conseil municipal était incompétent pour décider de la taille des rosiers dans le cimetière, compétence de police et donc ressortant exclusivement du pouvoir du maire. Si le maire dispose donc évidemment du pouvoir de police administrative générale énoncé par le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) art. L. 2212-2 du CGCT : "La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques", il y dispose de plus d’une police spéciale, car l’art. L. 2213-8 du CGCT pose le principe suivant lequel "le maire assure la police des funérailles et des cimetières", tandis que l’art. L. 2213-9 du CGCT affirme que "sont soumis au pouvoir de police du maire, le mode de transport des personnes décédées, le maintien de l’ordre et de la décence dans les cimetières, les inhumations et les exhumations".

On y relèvera en effet des buts distincts de la police générale : cet art. L. 2213-9 évoquant "l’ordre", là où l’art. L. 2212-2 mentionne le "bon ordre", il fait référence à la "décence" au lieu de la "moralité". Il convient de mentionner que ce pouvoir de police s’applique même dans l’hypothèse d’une sépulture en terrain privé (art. L. 2213-10 du CGCT).

La concession funéraire : un contrat particulier

L’art. L. 2223-13 du CGCT dispose que : "Lorsque l’étendue des cimetières le permet, il peut être concédé des terrains aux personnes qui désirent y fonder leur sépulture et celle de leurs enfants ou successeurs." Le concessionnaire ne disposera pas d’un droit de propriété sur la parcelle concédée, mais d’un droit de jouissance, alors qu’il dispose d’un droit de propriété sur les objets et monuments situés sur cette parcelle. On parle d’un droit réel immobilier d’une nature particulière (TC 6 juillet 1981 Jacquot : Rec. CE, p. 507) conférant au concessionnaire une sorte de droit de bail, mais à utilisation exclusive de dernier repos. L’emplacement concédé ne cesse jamais d’appartenir à la commune.
Ainsi, si la commune n’est pas dénuée de toute obligation quant à la surveillance des sépultures en terrain commun, c’est tout particulièrement à l’égard des concessionnaires que ses obligations sont les plus importantes. En effet, en dépit de décisions heureusement isolées, où leur est appliquée la théorie du retrait des actes administratifs unilatéraux (CAA Bordeaux, 6 janvier 2009, Mme Gracieuse Y., req. n° 07BX02269 ; CAA Douai, 4 octobre 2007, commune de Thun-l’Évêque, req. n° 07DA00516), le Conseil d’État les qualifie de contrats (CE, Ass., 21 oct. 1955, Méline, Rec. CE 1955, p. 491 ; CE 1er décembre 1979, Berezowski, Rec. CE, p. 521), même si, paradoxalement, elles sont le plus souvent accordées, sous la forme d’arrêté du maire, voire plus rigoureusement d’une décision, puisqu’elles font partie des matières que le conseil municipal peut déléguer au maire (L 2122-22-8° CGCT).

Or, qui dit contrat, dit obligations réciproques

Si le concessionnaire s’engage tant à payer le prix de la concession qu’à l’entretenir, la commune se voit imposer deux obligations implicites. La première est de donner au concessionnaire un emplacement propice à l’inhumation (CE, 1er décembre 1976, Bérézowski, précité). S’il est reconnu que la commune, par exemple, donne à concession un terrain où l’inhumation est rendue très difficile par la présence d’eau (TA Montpellier, 21 décembre 1994, Iengo c/ commune de Sète, req. n° 932180), la responsabilité du concédant pourra alors être recherchée si elle connaissait cet état de fait.
Seconde obligation, et là encore profondément liée à la nature contractuelle du lien entre les parties, c’est celle d’assurer la paisible jouissance de la concession au concessionnaire. Ainsi, la commune s’engage, auprès du concessionnaire, à le garantir des troubles pouvant survenir. La surveillance devra par exemple porter sur les travaux exécutés par les concessionnaires pour éviter que ces travaux ne conduisent à des empiétements sur d’autres concessions (CAA Nancy 2 juillet 1991, Consorts Tahir, Mme Émilienne Debarge-Verqueren, req. nos 89NC01389 et 89NCO1394).

L’atteinte à une concession funéraire : une responsabilité contractuelle de la commune

Ces principes étant posés, il nous faut maintenant examiner la possibilité de mise en œuvre de la responsabilité de la commune pour des dommages affectant une concession funéraire et résultant d’actes commis par des tiers. À titre d’illustration du problème, on pourrait relever l’extrait d’arrêt suivant ;
"Considérant que M. Macquet doit être regardé comme lié à la commune de Berck-sur-Mer par un contrat de concession d’un emplacement dans le cimetière ; qu’il ne peut, dès lors, exercer à l’encontre de la commune, en raison des troubles dont il demande réparation, d’autre action que celle procédant de ce contrat ; que, dans le délai d’appel, M. Macquet n’a fondé ses conclusions que sur un seul moyen, tiré des articles 1382 et suivants du Code civil, qui traitent de la responsabilité délictuelle et quasi délictuelle ; qu’il n’a ainsi invoqué aucune faute qu’aurait commise la commune dans l’exécution du contrat de concession funéraire ; que, par suite, M. Macquet n’est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande" ; (CAA Nancy, 7 mars 1996, M. Macquet Req. n° 93NC00965).
Il s’agissait d’une action en responsabilité dirigée contre une commune à raison d’un dommage causé à une sépulture de famille par un véhicule privé. Le concessionnaire recherche alors la responsabilité de la commune devant le juge administratif mais sur le terrain de la responsabilité "civile".
Or, pour le juge, cette responsabilité de la commune ne peut en l’espèce résulter que de la méconnaissance de ses obligations contractuelles découlant du contrat de concession funéraire, ce qui exclut toute recherche de responsabilité sur le terrain de la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle en raison de l’existence d’un privilège dont la conséquence pourrait sommairement s’exprimer en faveur d’une primauté de cette action sur l’autre.

Synthétiquement, le juge refuse d’accueillir l’action parce que le requérant s’est placé sur le terrain de la responsabilité quasi délictuelle, alors que seule était recevable une action en responsabilité contractuelle du fait de l’existence d’une concession funéraire, qui constitue, rappelons-le, un contrat.
Au final, une commune peut donc parfaitement voir sa responsabilité pécuniaire engagée pour des dégâts commis par des tiers à une concession funéraire à compter du moment où le juge administratif considère qu’en octroyant un titre de concession, implicitement mais nécessairement, la personne publique s’oblige à en garantir la paisible jouissance.

Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT

Résonance hors série n° 6 - Août 2018

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