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Lorsque le tribunal se substitue aux requérants pour valider une décision irrégulière d’une commune : la redoutable technique de la substitution de motifs.

 

Tricon JP 2016
Jean-Pierre Tricon, consultant au Cabinet d’Avocats Pezet & Associés, formateur.

Aux termes d’un jugement rendu le 10 juillet 2018, n° 170909, le tribunal administratif (TA) de Pau a rejeté la requête de deux plus proches parents d’un défunt qui sollicitaient l’exhumation des restes post-mortem d’une personne inhumée dans la concession funéraire dont l’un des requérants était, également, l’unique héritier, en substituant d’office les motifs opposés par la commune attraite devant la juridiction, à ceux déterminés par la juridiction administrative.
Une situation exceptionnelle en droit, dont nous mettrons en exergue les fondements, mais aussi les limites.

Les faits :

Aux termes d’une délibération du conseil municipal de la commune d’O. L,
en date du 7 mars 2013, avait été décidé l’aménagement et la réhabilitation du cimetière, dont la population est inférieure à 2 000 habitants. Dans ce texte, il était mentionné qu’aucun régime de concession n’avait été institué par le passé, et que les terrains communs étaient occupés par des sépultures dévolues à des défunts de plusieurs familles, inhumés en pleine terre ou dans des caveaux édifiés sans titre d’occupation du cimetière.

Par cet acte administratif, la commune avait mis en œuvre deux procédures distinctes, soit la reprise des sépultures gratuites, dites "en terrain commun ou service ordinaire" et, parallèlement la reprise des emplacements situés sur des concessions existantes, pour défaut d’entretien.

Le 16 juillet 2013, le maire prenait un arrêté de reprise des terrains communs à compter du 17 juillet 2013, lequel mentionnait que les restes mortels seraient recueillis et ré-inhumés avec toute la décence convenable dans l’ossuaire du cimetière.
Puis, le 9 mars 2013, un avis municipal avait été affiché, lequel avait pour finalité d’informer, uniquement, les titulaires de concessions, ainsi que leurs parents ou ayants droit, qu’une procédure de reprise des concessions en état d’abandon était engagée dans le cimetière de la commune.

Ces deux actes révélaient que, dans les rangées où les sépultures gratuites étaient implantées, se trouvaient, également, des concessions funéraires.

Un bureau d’études avait été chargé d’établir les plans afférents aux reprises des sépultures en terrain commun et des concessions funéraires existantes, sur les fondements desquels les concessions ayant notoirement plus de 30 ans d’existence, et dont les dernières inhumations avaient été effectuées depuis plus de 10 ans, devaient donner lieu à un constat d’abandon.
Il s’ensuit que la commune avait manqué de clarté dans la mise en œuvre de deux procédures distinctes de reprises de sépultures, les unes en terrain commun, les autres constituées par des concessions funéraires existantes, délivrées par ladite commune, justifiées par des titres, tels ceux détenus par la famille U, s’agissant d’une concession perpétuelle, délivrée en décembre 1977. Or, le titre de la concession de la famille U ne comportait pas d’indication de la situation physique ou géographique dans le cimetière, ce qui rendait sa localisation, sur le terrain, aléatoire.
Ainsi, le 16 juillet 2013, le maire de la commune d’O. L prenait un arrêté intitulé : "Procédure globale de reprise de terrains communs", portant, notamment dans un carré déterminé, des numéros d’emplacement mitoyens.
Lors de la reprise matérielle des emplacements, l’entrepreneur chargé par la commune de procéder aux exhumations "administratives" a confondu deux emplacements qui ont été creusés et les corps exhumés pour être déposés dans l’ossuaire communal perpétuel, ce qui a eu pour conséquences l’exhumation du corps de la famille des requérants, alors qu’il reposait dans une concession perpétuelle, dûment entretenue, et ne figurant pas sur la liste des emplacements dont la reprise avait été décidée.
Suite à un recours gracieux formé par les requérants, la commune avait produit un document intitulé : "Relevage des tombes", qui portait mention de la reprise effective de la concession dans laquelle était inhumé le corps de leur parent, décédé en février 1954, avec indication du numéro de situation de cette tombe dans le cimetière, lequel ne figurait pas dans la liste des concessions réputées abandonnées. Les errements de la commune, en ce qui concernait le lieu de la situation de la tombe de feu J. U, parent des requérants, étaient donc parfaitement établis.
Au surplus, les plus proches parents du défunt exhumé en toute illégalité s’interrogeaient sur les raisons pour lesquelles la commune n’avait pas procédé à des vérifications élémentaires sur les registres des tombes dont elle est tenue de disposer (cf. les obligations en ce domaine, selon l’article publié dans les colonnes de Résonance sous ma signature, le 11 août 2015), afin de s’assurer des identités des personnes inhumées dans les emplacements sis dans le carré concerné.
Cette abstention constituait une faute de la part de la commune, laquelle aurait dû vérifier la situation "géographique des sépultures reprises", ainsi que les identités des défunts s’y trouvant inhumés, avant que les opérations d’exhumations ne débutent.
Les requérants n’ont été avisés de la reprise de la concession que par la production d’une attestation de l’entrepreneur en date du juin 2014, chargé des opérations matérielles de reprise des sépultures, qui admettait avoir commis une erreur lors de la reprise de la tombe de feu M. J. U, en raison "d’emplacements mal délimités ou dépourvus d’éléments funéraires probants permettant l’identification, il a été relevé par erreur les sépultures nos X et Y contiguës. Les restes post-mortem sont réunis dans un reliquaire identifié, et immédiatement déposés dans l’ossuaire communal. Dès le lendemain, l’élu revenu sur site constate l’erreur et me demande de réinhumer le reliquaire de l’emplacement n° X au nom de J. U, ce qui est fait pas nos soins avec la décence liée à cette opération. La stèle en pierre est également refixée en tête de sépulture".
Ce faisant, la commune reconnaissait que le retrait du reliquaire, assimilable à une exhumation d’un corps déposé dans un ossuaire communal perpétuel, avait bien été opéré au mépris des règles doctrinales applicables en cette matière, telles que résultant de la réponse du ministre de l’Intérieur à question écrite, publiée dans le JO Sénat du 05/07/2012 – page 1468, du sénateur Yves Détraigne, sur la possibilité laissée à une famille désireuse de reprendre le corps d’un proche inhumé dans un ossuaire communal.
Le parlementaire écrivait : "Considérant toutefois qu’il n’existe aucune jurisprudence précise sur ce sujet délicat, il souhaite qu’il lui précise s’il est possible, pour une famille, d’exhumer des ossements "individualisés" et identifiés d’un ossuaire communal afin de les placer dans une concession familiale à perpétuité."

La réponse du ministère de l’Intérieur a été publiée dans le JO Sénat du 23/08/2012 – page 1878 

De manière résumée, le ministre indiquait : "Dès cet instant, les restes mortels sont placés sous la responsabilité de la commune et la famille ne peut donc plus en disposer. En conséquence, le maire ne peut pas délivrer d’autorisation d’exhumation pour extraire des ossements, même individualisés, de l’ossuaire."
Cependant, et à ce jour, aucune décision jurisprudentielle n’a validé une telle position, qui n’a donc qu’un effet indicatif et point normatif (cf. Damien Dutrieux, maître de conférences à la faculté de Lille II, consultant au Cridon, in Résonance).
Les requérants s’interrogeaient devant le TA de Pau sur les conditions de la surveillance de cette opération d’exhumation du corps de leur parent d’une concession perpétuelle, notamment à l’égard de l’extraction du reliquaire de l’ossuaire, et de sa réinhumation. Avait-elle été effectuée avec la décence et le respect dus aux morts, ainsi que l’exige la législation et la réglementation française ?
Pour eux, rien de cela n’avait été fait, même si la loi n’oblige plus les élus locaux à faire surveiller les exhumations, dites administratives, par les agents de police compétents (garde champêtre en milieu rural, ou agent de police municipale), ou, en cas d’inexistence, le maire ou un adjoint (cf. loi n° 2011-525 du 17 mai 2011, dite loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit). Pour eux, le maire, en vertu des dispositions de l’art. L. 2213-9 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) disposait d’un pouvoir de police sur "le maintien de l’ordre et de la décence dans les cimetières, les inhumations et les exhumations", dispositions complétées par les articles R. 2213-2 à R. 2213-50 du CGCT, puisqu’en droit, assurer la surveillance des lieux de sépultures entrait bien dans les attributions législatives et réglementaires du maire.
L’entreprise avait été, donc, livrée à elle-même, ainsi qu’elle le reconnaissait dans sa lettre de juin 2014, pour accomplir les opérations d’exhumations administratives des corps, en se référant à des plans, établis par le bureau d’études, dont la fiabilité était, par ailleurs, mise en doute.
Bien que le CGCT précise que, une fois les restes exhumés, ils doivent être "réunis dans un cercueil de dimensions appropriées" (art. R. 2223-20 – réponse ministérielle n° 33616, JOAN Q, 8 novembre 1999, p. 6469), aucune certitude ne leur avait été donnée sur l’accomplissement de cette obligation lors du placement du corps de leur parent dans l’ossuaire.

Au stade de cet exposé, il était impératif de poser, au TA de Pau, les deux questions suivantes :

1) "Qui pouvait attester que les restes mortels des personnes exhumées des concessions funéraires avaient bien été déposés dans un reliquaire ou un cercueil de dimensions appropriées, dénommé également boîte à ossements, comportant l’identification du défunt ?"
2) "En matière d’exhumations administratives, lorsqu’une commune utilise un seul ossuaire, elle se doit d’étiqueter, soigneusement, les boîtes à ossements ou de séparer dans l’ossuaire les deux catégories : restes "crématisés", et ceux qui sont demeurés en l’état d’ossements (obligation issue de la loi du 19 décembre 2008)."
Dans le cas où le maire fait défaut à ses obligations, il peut se voir opposer les dispositions de l’art. L. 433-21-1 du Code pénal, qui prévoit une peine de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende pour toute personne qui aura donné aux funérailles un caractère contraire aux volontés du défunt dont elle a connaissance, sachant que les funérailles recouvrent, non seulement, la cérémonie d’inhumation mais, également, le devenir mortel à l’issue de la concession ou de la sépulture en terrain commun.
Face à ces incertitudes sur l’identité réelle du corps ré-inhumé dans la concession funéraire reprise en toute irrégularité, deux des plus proches parents du défunt, MM. J. C, et B. L, sur le fondement de l’art. R. 2213-40 du CGCT, avaient sollicité, du maire de la commune d’O. L, une autorisation d’exhumation du reliquaire inhumé, selon l’entreprise, dans la tombe reprise par erreur, afin de permettre l’identification des restes post-mortem et le mode de réunion des ossements, étant entendu qu’il serait immédiatement procédé à la ré-inhumation du corps retrouvé dans cette tombe, réserve étant faite en ces termes : "tout autant qu’il y en aurait bien un".
Par une lettre recommandée AR de juillet 2017, le maire de la commune d’O. L avait opposé un refus ou rejet explicite de ces demandes, aux motifs que : "les articles L. 2213-40 à L. 2213-42 du CGCT ne reconnaissent pas "l’identification d’un défunt" comme cause légitime d’exhumation", avec pour conséquence : "Dans ces conditions, il ne m’est pas possible de répondre favorablement à votre demande. En revanche, je vous invite à vous rapprocher du président du tribunal d’instance, seul habilité à délivrer une autorisation pour ce type de motif".
Les requérants, qui étaient en droit de considérer que ce refus était totalement illégal ou irrégulier, ont déféré au TA de Pau cette décision individuelle de rejet de leur demande d’exhumation du corps de M. J. U, afin que soit prononcée son annulation sur le fondement d’un recours pour excès de pouvoir.

Cette affaire est venue à l’audience du TA, le 5 juillet 2018

Au plan formel, M. J. C, agissait en qualité de plus proche parent de M. J. U, en tant que petit-fils, mais aussi comme unique héritier de la concession funéraire reprise illégalement, et M. B. L, en qualité, également, de petit-fils du défunt. À cet égard, on sait que ni la loi ni le règlement ne fournissent de définition de cette notion de "qualité de plus proche parent", devant justifier de son identité, de son domicile et de la qualité en vertu de laquelle il agit.
C’est pourquoi la doctrine est venue suppléer cette carence, notamment par la réponse à la question écrite posée par Mme Marie-Jo Zimmermann, n° 76697, apportée par le ministère de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, question publiée au JO le 06/12/2005, page 11205, et la réponse publiée au JO le 21/02/2006, page 1903.

Dans sa réponse, le ministre écrivait :

"Aux termes du premier alinéa de l’art. R. 2213-40 du CGCT, toute demande d’exhumation est faite par le plus proche parent de la personne défunte. Celui-ci doit justifier de son état civil, de son domicile et de la qualité en vertu de laquelle il formule sa demande. Selon le deuxième alinéa de cet article, l’autorisation d’exhumer un corps est délivrée par le maire de la commune où doit avoir lieu l’exhumation.

Il résulte donc de ces dispositions que, lorsqu’elle est saisie d’une demande d’exhumation, l’autorité administrative compétente doit s’assurer, au vu des pièces fournies par le pétitionnaire, de la réalité du lien familial dont il se prévaut et de l’absence de parent plus proche du défunt que lui. Il appartient, en outre, au pétitionnaire d’attester sur l’honneur qu’il n’existe aucun autre parent venant au même degré de parenté que lui, ou, si c’est le cas, qu’aucun d’eux n’est susceptible de s’opposer à l’exhumation sollicitée.
Si l’Administration n’a pas à vérifier l’exactitude de cette attestation, elle doit, en revanche, lorsqu’elle a connaissance d’un désaccord sur cette exhumation exprimé par un ou plusieurs autres parents venant au même degré de parenté que le pétitionnaire, refuser l’exhumation, en attendant, le cas échéant, que l’autorité judiciaire se prononce (CE 9 mai 1905 – M. ZY c/commune de Dunkerque)."
Dans l’espèce relatée, il n’existait aucune dissension entre les deux plus proches parents venant au même rang, leur qualité pour agir devant la juridiction était, donc, incontestable. D’autres moyens étaient exprimés, tenant, également, à la légalité externe, dont le respect du délai imposé par l’art. R. 421-1 du Code de justice administrative (2 mois pour former un recours contre une décision faisant grief à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée, ce qui était bien le cas).
La lettre, en date du X juillet 2017, du maire de la commune d’O. L n’indiquant pas réellement les voies de recours possibles et leurs délais, les requérants avaient la possibilité d’intenter un recours devant le juge administratif contre cette lettre de rejet, laquelle n’indiquait pas correctement les voies et délais du recours devant la juridiction compétente (art. R. 421-5 du Code de justice administrative), tout en invitant, à tort, les requérants à se rapprocher du président du tribunal d’instance, seul habilité à délivrer une autorisation pour ce type de motif.
De surcroît, le refus opposé par le maire de la commune d’O. L était affecté par un autre vice de légalité externe, les fondements juridiques et textuels étant erronés, puisque étant fondés sur des articles L. 2213-40 à L. 2213-42 du CGCT, qui sont inexistants dans ledit Code.
Il résultait, donc, de ces constatations que la commune d’O. L n’avait pas satisfait régulièrement à ces obligations de forme en matière de motivation de la décision explicite de rejet de leurs demandes d’exhumation du corps de leur parent, ce qui faisait encourir à cette décision administrative individuelle, l’annulation.

En droit : la légalité interne

Plusieurs moyens étaient développés dans les différents mémoires produits par les requérants devant le TA de Pau.
1° La violation de la loi ou du règlement : les articles R. 2213-40 à R. 2213-42 du CGCT (cf. Conseil d’État 17 février 1956, Meyer).
Depuis la codification de la partie réglementaire du CGCT, intervenue par le décret n° 2000-318 du 7 septembre 2000, l’exhumation est régie par les articles R. 2213-40 à R. 2213-42 du CGCT.
Les écritures des requérants mentionnaient que cet article ne posait pas de conditions particulières pour qu’une autorisation d’exhumer soit délivrée par le maire de la commune où doit avoir lieu cette exhumation, à l’exception des prescriptions réglementaires, telles l’exigence d’une demande formulée par le "plus proche parent de la personne défunte. Celui-ci justifie de son état civil, de son domicile et de la qualité en vertu de laquelle il formule sa demande", ainsi que l’obligation de la présence ou représentation de la famille à l’opération.
Puis, à propos de l’art. R. 2213-42 du CGCT : "Lorsque le corps est destiné à être réinhumé dans le même cimetière, la réinhumation s’opère sans délai. Lorsque le cercueil est trouvé détérioré, le corps est placé dans un autre cercueil ou dans une boîte à ossements."

Les requérants soutenaient, donc, à raison, que l’exhumation suivie d’une réinhumation dans le même cimetière constituaient des opérations funéraires prévues par ce texte, sous la réserve que cette ré-inhumation soit opérée sans délai, cette pratique, selon l’arrêt de la cour administrative d’appel de Douai, en date du 31 mai 2012, n° 11DA00776, obligeant au respect, en ce qui concerne la demande d’ouverture de la sépulture, de la condition que la demande émane bien du ou des plus proches parents du défunt (et de citer, également, à propos des réductions de corps, l’arrêt en date du 16 juin 2011, n° de pourvoi : 10-13580, de la 1re chambre civile de la Cour de cassation au visa de l’art. R. 2213-40 du CGCT, analysant l’opération de réunion de corps en une exhumation subordonnée tant à l’accord des plus proches parents des personnes défuntes qu’à l’autorisation préalable du maire de la commune).
Ainsi, par ces citations, l’argument de la commune selon lequel une exhumation suivie de ré-inhumation immédiate n’existait pas dans l’arsenal juridique du CGCT, les requérants concluaient qu’une opération d’exhumation, suivie d’une ré-inhumation immédiate dans la même tombe située dans le même cimetière, était parfaitement légale (et de citer de nombreux auteurs d’ouvrages ou d’articles de références).
En l’espèce, le corps de feu M. J. U, dont l’exhumation était sollicitée par les requérants, était bien destiné à être réinhumé dans le même cimetière, et sans délai, en vue de s’assurer de sa présence effective dans la tombe, à la suite des exhumations effectuées en toute illégalité par l’entreprise ayant procédé aux exhumations administratives.
Pour les demandeurs, le refus de la commune, justifié par des arguments erronés et fallacieux, était surprenant, et constituait, au moins, une violation des textes réglementaires régissant cette matière (rappel, CE, 16 mai 1875, Pariset), ou une illégalité des motifs, dont une erreur de droit, car l’Administration avait procédé à une mauvaise interprétation du droit objectif (CE, 27 juillet 1990, Université Paris Dauphine).
C’est pourquoi, au bénéfice de ces moyens de droit, il était demandé au TA de Pau d’annuler la décision administrative de rejet des demandes d’exhumation, en raison de la violation du règlement, dont, principalement, les articles R. 2213-40 et R. 2213-42 du CGCT.
À l’appui de leur requête, les plus proches parents du défunt invoquaient un possible détournement de pouvoir ou de procédure de la part de la commune qui refusait de prouver la sincérité de l’entreprise Z, lorsqu’elle affirmait qu’après avoir "relevé" la tombe no X du carré Y du cimetière et avoir déposé les restes post-mortem de feu M. J. U dans l’ossuaire perpétuel du cimetière, ceux-ci en ont-ils été extraits et réinhumés avec toute la décence et le respect dus aux morts dans la sépulture n° X, puisque la commune justifiait son refus d’une manière singulière, en soutenant que les articles L. 2213-40 à L. 2213-42 (rappel, références textuelles erronées) ne reconnaissent pas "l’identification d’un défunt" comme cause légitime d’exhumation.
D’où la pertinence de l’interrogation suivante : "Ce faisant, la commune faisait-elle usage de son pouvoir réglementaire pour exprimer une décision explicite de rejet des demandes d’exhumations formulées par les requérants, en poursuivant un intérêt public, autre que celui que devait poursuivre l’autorité administrative ? Si tel était le cas, les requérants étaient en droit de soutenir que la commune avait commis un détournement de pouvoir ou de procédure afin de masquer la réalité de la situation actuelle au plan de l’occupation de la sépulture portant le numéro X du carré n° Y, dans le cimetière d’O. L (CE, 17 février 1956, Meyer).
Cependant, entre le moment où le mémoire introductif d’instance fut adressé au TA (18/09/2017) et le jugement rendu (10/07/2018), les deux requérants initiaux, suite à des recherches généalogiques, avaient été avisés de l’existence d’un troisième plus proche parent du défunt, de même rang, dont ils ignoraient l’existence. En cours de procédure, il fut décidé de l’inviter à soutenir et à adhérer à la démarche initiée par MM. J. C et B. L, ce qu’il fit, en déposant une demande d’exhumation dans les mêmes formes que celles transmises initialement au maire de la commune d’O. L.
La commune, sur le fondement de motifs fallacieux, rejeta cette demande ; mais, afin de convaincre le tribunal de la bonne foi des deux requérants initiaux, qui attestaient qu’ils agissaient en qualité de plus proches parents du défunt, une intervention volontaire du plus proche parent identifié en cours d’instance fut décidée, incluse dans le dernier mémoire récapitulatif adressé au TA de Pau, en date du 8 juin 2018.
En fin de cause, il était demandé au TA de Pau d’annuler la décision administrative explicite de rejet du maire de la commune d’O. L, du X juillet 2017, tant pour l’existence de vices de légalité externe qui affectaient la régularité de cette décision, que sur le fondement des moyens de légalité interne (au fond), tels qu’exposés et développés dans leurs écritures, qui avaient permis d’administrer la preuve de l’irrégularité patente de la décision de rejet.
Et condamner, sur le fondement de l’art. L. 761-1 du Code de justice administrative, la commune d’O. L au paiement, au profit des requérants, de la somme d’un montant de mille cinq cents euros zéro centime (1 500 €) ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Le TA de Pau a rendu son jugement, n° 1701909, le 10 juillet 2018

Il a rejeté le recours intenté contre la décision explicite de rejet des demandes d’exhumations formulées par MM. J. C et B. L, bien qu’il ait apporté des éléments positifs sur les moyens produits ou invoqués par les requérants.

- Sur la légalité externe 

a) Les fondements textuels :

En effet, curieusement, alors que l’erreur avait été réitérée de manière récurrente dans tous les mémoires produits par le conseil de la commune d’O. L, en ce qui concernait la base légale ou réglementaire de la motivation de la décision explicite de rejet (la commune a persisté jusqu’à la fin de la procédure, malgré les réserves émises par les demandeurs dans leurs différents mémoires, à mentionner les articles L. 2213-40 à 42 du CGCT, qui n’existent pas dans le CGCT), le tribunal a considéré qu’il ne s’agissait que d’une simple erreur de plume, commise par la commune.

b) Sur l’absence ou l’erreur de motivation de la décision de rejet explicite du maire des demandes d’exhumations :

D’une manière tout aussi curieuse, le tribunal mentionne : "qu’il est vrai que l’art. L. 211-2 du Code des relations entre le public et l’Administration dispose que : Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. À cet effet, doivent être motivées les décisions qui : restreignent l’exercice des libertés publiques ou de manière générale constituent une mesure de police […]. Comme indiqué au point n° 4 du jugement, la décision litigieuse est une mesure de police, si bien qu’elle doit être motivée".
Or, alors que l’incohérence des motivations sérieuses avait été mise en exergue, dans le corps des mémoires produits par les requérants, le tribunal ne tire aucune conséquence de ce défaut de réelle motivation, même si la sanction devait être l’annulation de la décision explicite de rejet des demandes d’exhumations légalement formulées.

- Sur l’erreur afférente aux voies et délais de recours :

Le tribunal a considéré que les erreurs commises par les personnes publiques n’avaient d’incidence que sur le déclenchement du délai de recours, et non sur la légalité de la décision (cf. CE, 29 mars 2010, M. Bertrand, n° 325 816).

- Sur la légalité interne :

Le tribunal a fourni une citation complète de l’art. R. 2213-40 du CGCT, précisant les conditions dans lesquelles toute personne disposant de la qualité de plus proche parent du défunt peut solliciter du maire une autorisation d’exhumation.
Bien que le tribunal ait considéré que la demande d’exhumation formulée par MM. J. C et B. L devait donner lieu à une décision du maire constituant un pouvoir de police fondant la compétence du juge administratif, et qu’en outre rien dans le CGCT n’interdit une exhumation suivie d’une réinhumation immédiate (ce qui revêt pour les lecteurs de Résonance une importance capitale, en cas de confrontation à un cas similaire), il a jugé que MM. J. C et B. L étaient bien fondés à soutenir que le refus opposé à leur demande par le maire, qui avait estimé que la volonté d’identifier le corps n’était pas une cause légitime de demande d’autorisation d’exhumer et que seul le tribunal d’instance était compétent, était entaché d’une erreur de droit.
À ce stade, les requérants pouvaient, légitimement, nourrir l’espoir d’obtenir gain de cause. Mais, la suite du jugement leur a été défavorable, car le juge administratif a fait application de la théorie dite de "la substitution de motifs", apparue dans le droit administratif, essentiellement, dans les arrêts du Conseil d’État, du 06/02/2002 HALLAL, n° 240560 Recueil LEBON, puis JOORAWON, en date du 10 janvier 2003, requête n° 223395, qui permet au Juge Administratif de substituer à des motifs de droit illégaux soutenus par une collectivité territoriale ou une autre personne publique, des motifs choisis ou décidés par la juridiction, dès lors que, selon sa propre analyse, lorsque la décision dont l’annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, existant et indentifiable à la date de la décision.
Dans ce cas, il appartient au juge, après avoir mis à même l’auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée (elle doit l’être, par la personne publique), de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis de rechercher s’il résulte de l’instruction que l’Administration aurait pris la même décision si elle était fondée initialement sur ce motif. Dans l’affirmative, le juge administratif peut procéder à la substitution demandée, sous réserve, toutefois, qu’elle ne prive pas le requérant d’une garantie procédurale liée au motif substitué (cf. CE, Section, 06/02/2002 HALLAL, n° 240560 Recueil LEBON).
Ainsi, l’honnêteté des requérants a été sanctionnée, dès lors qu’ils avaient, tardivement, informé la mairie, puis le tribunal, sur l’existence d’une troisième plus proche parent du défunt, puisque la substitution de motifs par le tribunal a été appliquée en se fondant sur le fait que les demandes d’exhumations avaient été initialement sollicitées par deux plus proches parents, et non trois.
Ces trois personnes ayant le même degré de parenté, le TA de Pau, suppléant la carence de la défense de la commune d’O. L, a jugé que, dans de telles conditions, cette dernière aurait dû, si elle avait été avisée en temps opportun, justifier son refus par l’insuffisance du nombre des demandeurs de l’autorisation d’exhumer.
C’est sur ce fondement que le recours de MM. J. C et B. L, auquel le troisième plus proche parent était intervenu volontairement tardivement, a été rejeté. Cette décision pénalise les plus proches parents du défunt, car, si l’on considère qu’ils auraient tu cette existence d’un troisième plus proche parent, cette substitution de motifs n’aurait pu être décidée.
La possibilité de procéder à une substitution de motifs tend à rapprocher le recours pour excès de pouvoir du recours de plein contentieux, le juge a l’obligation, avant d’utiliser cette technique, de réaliser plusieurs opérations successives.

Tout d’abord, le juge doit mettre l’auteur du recours à même de présenter ses observations sur la substitution demandée. Cette demande doit se faire soit par la communication du mémoire dans lequel l’Administration demande qu’il soit opéré à la substitution de motif, soit par l’envoi d’un courrier spécifique émanant du greffe.

Il sera relevé que, dans cette affaire, contrairement à ce que le tribunal a mentionné dans son jugement, aucune communication de mémoire de la commune sollicitant une telle substitution n’a été portée à la connaissance des requérants, si bien qu’ils n’ont pu soulever et contester cette procédure par l’invocation de moyens contraires.
Or, la commune d’O. L n’a jamais sollicité expressément cette substitution de motifs.

En conclusion

Il sera déduit de ce jugement du TA de Pau que l’honnêteté des requérants leur a été fatale, car, si l’on considère que s’ils n’avaient pas fait intervenir le troisième plus proche parent identifié après une longue et fastidieuse recherche généalogique, la commune n’aurait jamais pu soulever l’absence de l’unanimité des demandeurs à l’exhumation.
Plus grave encore : aucun mémoire sollicitant la possible substitution de motifs par le tribunal n’a été communiqué aux requérants, qui n’ont pu faire valoir leurs arguments, donc les a privés d’une garantie procédurale liée au motif substitué (cf. CE, Section, 06/02/2002 HALLAL, n° 240560 Recueil LEBON).
Enfin, la question qui devait être tranchée portant sur l’identité du défunt ré-inhumé dans la concession demeure entière, car, après que le reliquaire ait été extrait 24 heures après l’exhumation du corps de l’ossuaire perpétuel (alors que la doctrine admet que ce retrait est impossible), qui peut légitimement affirmer que ce sont bien les restes post-mortem du défunt qui ont été replacés dans la concession, dont l’unique héritier, donc détenteur actuel de celle-ci, n’a pu connaître l’identité ?
Cette faute commise par la commune et son sous-traitant constituait a minima une emprise irrégulière, et, au maximum, une voie de fait. Sur ce point, force sera d’admettre que le TA de Pau s’est bien exempté de se prononcer, alors que la technique de la substitution de motifs est également extensible aux recours de pleine juridiction.
Mais il sera, également, observé que le tribunal n’était saisi que d’un recours en annulation pour excès de pouvoir d’un acte administratif individuel, et qu’il ne pouvait sortir du carcan des règles de compétence "rationae materiae", liées à la nature de l’instance, car, dans le cas contraire, sa décision aurait été rendue "ultra petita", donc hors sa compétence légale.

Jean-Pierre Tricon
Consultant au Cabinet d’Avocats Pezet & Associés
Formateur

Résonance n° 145 - Novembre 2018

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