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Qu’il nous soit donc permis derechef d’exposer notre point de vue et d’en profiter, afin de contribuer au débat, d’en élargir le propos aux inhumations effectuées par du personnel communal, ou plutôt à certaines d’entre elles.

 

Dupuis Philippe 2015Le fossoyage : élément du service extérieur des pompes funèbres

Il est indubitable que le fossoyage est un élément du service extérieur des pompes funèbres : l’art. L. 2223-19 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) prévoit en effet que : […] 8° La fourniture de personnel et des objets et prestations nécessaires aux obsèques, inhumations, exhumations et crémations, à l’exception des plaques funéraires, emblèmes religieux, fleurs, travaux divers d’imprimerie et de la marbrerie funéraire. Cette mission peut être assurée par les communes, directement ou par voie de gestion déléguée. Les communes ou leurs délégataires ne bénéficient d’aucun droit d’exclusivité pour l’exercice de cette mission. Elle peut être également assurée par toute autre entreprise ou association bénéficiaire de l’habilitation prévue à l’art. L. 2223-23."

Or, le principe est, depuis la "loi Sueur" de 1993 (loi n° 93-23 du 8 janvier 1993), que toute intervention dans le service extérieur des pompes funèbres ne peut se faire qu’avec du personnel compétent, ayant satisfait à ses obligations de formations, et employés par une structure habilitée à ce titre. Ces obligations s’appliquent de la même façon aux opérateurs privés et aux opérateurs publics.

Par conséquent, à la lecture des dispositions du CGCT, si la commune exerce une activité de fossoyage au profit des familles, il sera exigé que la commune soit habilitée et que les fossoyeurs soient compétents (en règle avec leurs obligations de formation). Dans le cas contraire, ces opérations de fossoyage pourraient entraîner des poursuites.

Il convient de remarquer que le maire pourrait être poursuivi personnellement, puisque l’art. L. 2223-35 CGCT dispose que : "Le fait de diriger en droit ou en fait une régie, une entreprise ou une association ou un établissement sans l’habilitation prévue aux articles L. 2223-23, L. 2223-41 et L. 2223-43 ou lorsque celle-ci est suspendue ou retirée en application de l’art. L. 2223-25 est puni d’une amende de 75 000 €. La condamnation pouvant être assortie de nombreuses peines complémentaires, dont la privation des droits civiques. Néanmoins, il existe deux importantes opérations de fossoyage qui ne nous semblent pas régies par ces dispositions.

Le fossoyage non constitutif d’une mission du service extérieur des pompes funèbres

L’inhumation des personnes pour lesquelles il n’existe spontanément pas de personnes ayant qualité pour pourvoir aux funérailles.

Il existe une première exception, mais elle est notable, qui permet d’effectuer des travaux de fossoyage hors le cadre du service extérieur des pompes funèbres. En effet, l’art. L. 2213-7 CGCT dispose que : "Le maire ou, à défaut, le représentant de l’État dans le département pourvoit d’urgence à ce que toute personne décédée soit ensevelie et inhumée décemment sans distinction de culte ni de croyance", tandis que l’art. L. 2223-37 du même Code énonce quant à lui que : "Les dispositions des articles L. 2223-35 et L. 2223-36 ne sont pas applicables aux autorités publiques qui, en application d’un texte législatif ou réglementaire, sont tenues soit d’assurer tout ou partie d’opérations funéraires, soit d’en assurer le financement."

Or ces dispositions sont celles qui répriment pénalement l’accomplissement de ces missions sans habilitation. Il est alors assez logique d’en inférer qu’un maire ne pourrait se retrancher derrière l’absence d’habilitation de ses services pour refuser cette mission d’inhumation des personnes dont ni la famille, ni les proches ne se sont manifestés.

En effet, pourquoi préciser que les peines pénales prévues par les articles L. 2223-35 et L. 2223-36 ne sont pas applicables, si ce n’est pour autoriser l’opération en dehors de toute habilitation, ce qui ouvre alors la voie, au titre des pouvoirs de police du maire, car selon nous il s’agit bien de cela, à l’intervention de personnels non qualifiés. Ce raisonnement permis par les textes nous apparaît transposable aux exhumations administratives.

Et qu’en est-il des exhumations administratives ?

Une seconde question trouve évidemment à se poser : qu’en est-il des exhumations qualifiées d’"administratives", ainsi dénommées par opposition à celles ordonnées par le plus proche parent du défunt (R. 2213-40 du CGCT). Indubitablement, l’exhumation à la demande des familles relève bien du service extérieur des pompes funèbres, et nécessite donc une habilitation.

En revanche, que cela soit à la suite de l’expiration du délai de rotation en terrain commun (R. 2223-5 du CGCT) ou s’il s’agit de concessions funéraires, une fois la durée d’occupation écoulée (deux ans après l’arrivée à échéance (L. 2223-15 du CGCT) ou à l’issue de la procédure de reprise pour état d’abandon (L. 2223-17 et R. 2223-12 du CGCT), la revente du terrain (plus juridiquement l’attribution d’une nouvelle concession) à un nouveau concessionnaire implique au préalable que soient effectuées des opérations matérielles par la commune.

Outre l’enlèvement des caveaux et monuments érigés, une exhumation des corps présents dans la concession reprise s’impose (TA Pau, 14 déc. 1960, Loste : Rec. CE 1960, p. 838 – Rép. min. n° 53601 : JOAN Q, 23 juill. 2001, p. 4298). Or, ici, c’est le maire qui décide de faire procéder à l’exhumation (R. 2223-20 du CGCT). Et ceci ressemble alors "furieusement" à une opération de police…

En effet, l’exclusion du champ d’application matériel de l’art. L. 2223-23 du CGCT des opérations de creusement et/ou comblement de fosses dans le cadre de procédures de reprises administratives de concessions funéraires ou d’emplacements de terrain commun, peut très bien s’entendre intellectuellement pour un juriste, car elle ne constitue pas une prestation ni un service rendu aux familles au sens des prestations énumérées à l’art. L. 2223-19 du CGCT, mais une opération de gestion du domaine public qui justifierait que cette mission puisse être effectuée par du personnel hors champ du service extérieur des pompes funèbres.

Force est de constater que cette position trouve désormais un ancrage en droit positif. Il a été répondu à cette question, à l’occasion d’un recours dirigé à l’occasion d’un marché public de reprise de concessions funéraires. Les faits sont indifférents à l’affaire, mais le juge affirme à cette occasion.

"9. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’art. L. 2223-23 du CGCT :

"Les régies, les entreprises ou les associations et chacun de leurs établissements qui, habituellement, sous leur marque ou non, fournissent aux familles des prestations énumérées à l’art. L. 2223-19 ou définissent cette fourniture ou assurent l’organisation des funérailles doivent être habilités à cet effet selon des modalités et une durée prévues par décret en Conseil d’État [...]" ;

- que le marché de travaux en cause, relatif à une reprise de concessions, n’a pas pour objet de fournir aux familles des prestations relatives à un service extérieur de pompes funèbres, ni de définir cette fourniture, ni d’assurer l’organisation de funérailles ; qu’ainsi, la production de l’habilitation préfectorale prévue par l’art. L. 2223-23 susmentionné n’était pas nécessaire pour l’examen des candidatures ni pour le choix du titulaire du marché, et ne figurait d’ailleurs pas parmi la liste des documents à produire, énumérés dans le règlement de consultation du marché ;

- que la production de cette habilitation n’était donc pas une condition préalable à l’examen des candidatures ni à la signature du contrat". (CAA Versailles 11 septembre 2014, Commune de Saint-Cloud, req. n° 12VE04165).

Alors certes, il s’agit d’une CAA et non du Conseil d’État, néanmoins, les solutions dégagées par le juge quel qu’il soit l’emportent sur la position de l’Administration, et il nous apparaît que celle-ci, en dépit de son caractère unique est parfaitement extrapolable au sujet de ce bref propos. Ainsi, selon cet arrêt, il n’est nul besoin d’être habilité pour procéder à des exhumations administratives.

Par-delà la solution applicable à des entreprises privées non titulaires de l’habilitation mais désireuses de soumissionner à de tels marchés, force est de constater qu’elle permet également à des collectivités de faire procéder à des reprises administratives sans être habilitées à intervenir dans le service extérieur des pompes funèbres, donc sans le personnel idoine et sans l’existence d’une régie des cimetières avec comptabilité affectée.

Pour le moment, et en l’attente d’une décision du juge administratif suprême, il est possible donc de considérer que les communes ne sont pas dans ce cadre obligées d’être habilitées…

Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT

Résonance n° 155 - Novembre 2019

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