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Le maire dispose, dans le cadre de ses pouvoirs généraux, de la police des funérailles, des sépultures et des cimetières. À ce titre s’impose à lui la surveillance effective de cet espace public, la commune pouvant voir sa responsabilité engagée en cas de défaillance. Il doit systématiquement s’opposer à tout ce qui pourrait perturber l’ordre public.

 

Dupuis Philippe 2015Un pouvoir municipal limité
 
L’art. L. 2223-12 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) reconnaît au titulaire d’une concession funéraire le droit de construire des monuments et caveaux. Le décret du 5 janvier 2007 (n° 2007-18) pris pour application de l’ordonnance n° 2005-1527 du 8 décembre 2005 relatif au permis de construire et aux autorisations d’urbanisme modifie l’art. R. 421-2 du Code de l’urbanisme pour, à partir du 1er octobre 2007, dispenser les monuments funéraires et les caveaux dans l’enceinte du cimetière de toute autorisation d’urbanisme, tant le permis de construire qu’une autre autorisation ou déclaration.
Il est aussi possible d’installer une clôture autour d’une concession (CE 1er juillet 1925, Bernon : Rec. CE, p. 627), voire d’y effectuer des plantations (CE 23 décembre 1921, Auvray-Rocher : Rec. CE, p. 1092). Dans cette hypothèse, le maire pourra néanmoins interdire certaines essences ou en limiter la hauteur (CE 7 janvier 1953, de Saint-Mathurin : Rec. CE, p. 3) à la condition que ces interdictions soient motivées par les buts poursuivis par ses pouvoirs de police.
Donc, le juge interdit de faire de l’esthétique le fondement d’une décision du maire pour ce qui relève du cimetière (CE 18 février 1972, Chambre syndicale des entreprises artisanales du bâtiment de Haute-Garonne, précité). Cette solution est étendue aux contrats portant occupation des cases de columbarium (TA Lille 30 mars 1999, Mme Tillieu c/ Commune de Mons-en-Barœul : LPA 2 juin 1999, note Dutrieux).
L’absolu du droit de construction s’impose si bien qu’il est possible de faire construire un caveau dans une zone où les inhumations se font en pleine terre (CE 8 novembre 1993, Établissements Sentilles c/ Commune de Sère-Rustaing : Rec. CE, tables, p. 657). Néanmoins, et sans aller jusqu’à reconnaître un pouvoir esthétique sur les constructions, la loi du 19 novembre 2008 est venue créer un nouvel art. L. 2213-12-1, qui dispose "le maire peut fixer des dimensions maximales des monuments érigés sur les fosses".
Si cet article se trouve dans la partie générale que le CGCT a consacrée au cimetière, et qu’ainsi on pourra objecter qu’il ne concerne que les monuments érigés sur des terrains communs, ce serait méconnaître que le juge a toujours appliqué les mesures relevant de cette partie du Code aux concessions funéraires.
Il convient de noter que ce nouvel article consacre (paradoxalement) législativement la possibilité de construction sur les emplacements en terrain commun. Il n’existe donc que peu de moyens pour le maire de s’opposer au droit à construire du concessionnaire, sauf à considérer certaines législations spéciales comme celles des monuments historiques (ordonnance n° 2004-17 du 20 février 2004 : JO 24 février 2004, p. 30048).
 
Le cas particulier des gravures sur les monuments funéraires
 
L’art. R. 2223-8 du CGCT dispose que : "Aucune inscription ne peut être placée sur les pierres tumulaires ou monuments funéraires sans avoir été préalablement soumise à l’approbation du maire." Cet article vise dans ce cas précis à permettre explicitement au maire, dans le prolongement de ses pouvoirs de police spéciale relatifs au cimetière (L. 2213-9 du CGCT), à y faire respecter la décence et l’ordre public. On doit ainsi comprendre cette disposition comme permettant au maire de s’opposer à des épitaphes qui pourraient perturber l’ordre public, ou être diffamatoires à l’égard de certaines personnes, à l’image du genre littéraire des épitaphes fictives du XVIIIe siècle.
Par exemple, un maire peut légitimement interdire sur un monument funéraire l’inscription suivante : "victime innocente", alors que la personne avait été jugée et exécutée à la Libération (CE 4 février 1949, Dame Moulis c/ Maire de Sète, Rec. CE, p. 52). Une stèle votive peut être d’ailleurs assimilée à un monument funéraire, en dépit du fait qu’elle n’est pas une sépulture ; il suffit que l’intention soit de commémorer le souvenir de morts (CE 4 juillet 1924, Abbé Guerle, Rec. CE, p. 640).
Il en allait ainsi, également, pour le maire de Marignane, qui avait accepté d’accorder une autorisation d’occupation sur le domaine public communal qu’est le cimetière, afin qu’une association dénommée Association amicale pour la Défense des Intérêts Moraux et matériels des Anciens détenus et exilés politiques de l’Algérie française (ADIMAS) y érige une stèle dédiée "aux combattants tombés pour que vive l’Algérie française".
Cette autorisation était valable pour quinze ans. L’arrêt rendu par le Conseil d’État (CE, 14 novembre 2011, n° 340753) est intéressant à plus d’un titre, mais nous nous focaliserons sur la police de l’inscription, c’est-à-dire la compatibilité de celle-ci d’avec ce qu’il est possible d’accepter dans un cimetière.
En effet, implicitement, dans cet arrêt, le juge donne sa vision de la "destination normale du cimetière" comme lieu de repos, de paix et de recueillement. Les autorisations privatives dans le cimetière, autres que celles qui, d’ailleurs, en sont la raison d’être, ne sont pas, par principe, prohibées. Néanmoins, dans le cas présent, cette autorisation nuit à la réalisation de l’affectation de ce bien à l’usage du public ; le juge n’estime-t-il pas que la stèle n’est pas "un simple monument commémoratif", mais dénote une "prise de position politique", voire "l’apologie de faits criminels" ? Le cimetière ne peut donc pas être un lieu de polémique sur l’histoire et ses vicissitudes par le biais d’une inscription polémique. Pour paraphraser un "attendu" cher au juge judiciaire, les divisions des vivants ne doivent pas troubler la paix des morts.
À cette occasion, il convient d’insister sur un point déjà soulevé par le professeur Pontier, dans sa note sous l’arrêt de la CAA relatif aux mêmes faits (AJDA 2010, p. 1882). En effet, l’ADIMAS avait contesté l’intérêt à agir du fils du commissaire, qui n’était ni habitant, ni contribuable communal. Il n’était donc possible d’accueillir son recours qu’en lui reconnaissant un intérêt moral à agir. La CAA rejette le moyen en expliquant que "la circonstance que des témoins de cette période sont encore en vie et que les événements qui se sont déroulés sont toujours dans leurs mémoires, ne permet pas encore à cette période de garder sa seule dimension historique qui aurait dépassionné l’installation de cette stèle".
Ainsi, M. G… peut agir contre la décision d’occupation du domaine public, qui, comme le relève le professeur Pontier, "a pour effet de donner un caractère public à un hommage aux responsables de la mort de son père". En quelque sorte, c’est parce que le nom de son père était indissociablement lié, par l’inscription de la date de son meurtre, à ceux de ses auteurs, que son fils possède un intérêt à agir.
L’atteinte à l’ordre public est donc constituée, mais il est important de constater que le juge lie intimement, tant dans son raisonnement que dans la rédaction de l’arrêt, l’atteinte à l’ordre public avec l’affectation du cimetière, quand il affirme que : "Cette stèle ne constituait pas un simple monument commémoratif à la mémoire de personnes défuntes, mais manifestait une prise de position politique et procédait à l’apologie de faits criminels ; qu’ainsi, en délivrant par l’arrêté attaqué l’autorisation d’occuper pendant quinze ans un emplacement dans le cimetière en vue d’y installer cette stèle, le maire a autorisé l’occupation du domaine public communal pour un usage qui, d’une part, n’était pas compatible avec la destination normale d’un cimetière et, d’autre part, était de nature à entraîner des troubles à l’ordre public."

Peut-on faire graver le nom de famille alors qu’aucun défunt de la sépulture ne porte ce nom ?

Dans un arrêt (Cour de cassation 12 janvier 2011, n° 09-17373), la Cour de cassation a eu l’occasion de venir préciser le régime juridique d’inscriptions de noms de famille différents de celui du fondateur, alors même qu’aucune personne portant ce nom de famille n’est inhumée dans cette concession. En l’espèce, il ne s’agit aucunement d’une application de la disposition prévue par le CGCT. En effet, l’inscription litigieuse ne porte que sur un nom de famille, et non sur un texte. Le juge retient dans cet arrêt qu’il n’est pas certain que ceux qui ont apposé leur nom de famille soient inhumés dans cette sépulture au vu de la place disponible et, donc, qu’ils ne pourront effectuer cette gravure qu’à l’occasion du décès d’une personne portant ce nom de famille.
Ainsi, la Cour de cassation pose un principe qui n’avait jamais été dégagé par la jurisprudence : que peuvent faire graver les héritiers sur un monument funéraire ? Ainsi, dans une concession indivise, les héritiers ne portant pas le nom de famille du fondateur pourront se voir refuser le droit de graver leur nom de famille tant qu’une inhumation d’une personne portant ce nom ne se sera pas produite. Attention, dans le droit fil de cette jurisprudence, le juge, lorsqu’il s’agira de la gravure sur la pierre tombale du nom d’un enfant dont les parents sont séparés, fera jouer la notion d’autorité parentale. Il conviendra donc que la commune confrontée à cette hypothèse s’assure du consentement des deux parents pour la gravure du nom de famille (cour d’appel de Colmar 12 mars 2018, n° 18/0172).

Attention au traitement des demandes de gravure : le silence vaut acceptation !

La loi du 12 novembre 2013 habilitant le gouvernement à simplifier les relations entre l’Administration et les citoyens pose le principe selon lequel le silence gardé par l’Administration sur une demande vaut accord. Ce principe est désormais codifié à l’art. L. 231-1 du Code des relations entre le public et l’Administration. Il s’applique depuis le 12 novembre 2014 aux demandes adressées aux Administrations de l’État et de ses établissements publics et, depuis le 12 novembre 2015, aux demandes adressées aux collectivités territoriales, aux organismes de Sécurité sociale et aux organismes chargés d’un service public administratif.
Or, désormais, le silence gardé par la commune sur une demande de gravure emportera acceptation de celle-ci par le maire, là où, avant le 12 novembre 2015, elle emportait décision implicite de refus. Il est donc important pour les communes d’être vigilantes pendant deux mois dans le traitement de ces demandes.

Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT

Résonance n° 155 - Novembre 2019

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