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Dans quelle mesure une commune peut-elle voir sa responsabilité engagée en cas de délivrance d’une autorisation d’exhumation ? La cour administrative d’appel de Nancy vient de rendre un arrêt illustrant les principes applicables concernant les éléments qui doivent être contrôlés par la commune.

 

 

 

Damien-Dutrieux

Damien Dutrieux, consultant au CRIDON Nord-Est, maître de conférences associé à l’Université de Lille 2.

 

Une commune saisie d’une demande d’exhumation intervient dans le cadre d’un pouvoir de police attribué au maire de la commune sur le fondement des dispositions de l’art. R. 2213-40 du Code général des collectivités territoriales (CGCT). Il n’a pas à s’intéresser à la volonté exprimée par le défunt puisqu’il doit simplement vérifier le respect des conditions posées par l’article précité.

 

Contentieux judiciaire

 

Néanmoins, doit être gardé à l’esprit qu’en cas de conflit familial relatif à l’opportunité d’une exhumation, le juge judiciaire refuse le plus souvent d’autoriser l’exhumation, sauf démonstration du non-respect de la volonté du défunt ou caractère provisoire de la sépulture (CA Riom, 26 oct. 1999, JCP G 2000, IV,
n° 1709 ; CA Toulouse, 7 fév. 2000, JCP G 2000, IV, n° 2374) : le juge considère en effet que "la paix des morts ne devant pas être troublée par les divisions des vivants et leurs convenances personnelles", seuls les deux motifs sus-évoqués peuvent permettre l’exhumation (voir notamment B. Beignier, "Le respect dû aux morts n’est pas mort...",  Droit de la famille, janv. 2001, p. 24).

 

Conflit familial

 

Par ailleurs, le maire a l’obligation de surseoir à statuer s’il est informé d’un conflit familial. Un jugement du tribunal administratif d’Amiens (TA Amiens, 17 juin 2010, M. et Mme Thomas Soriano-Barbero, n° 0702811, JCP A 14 fév. 2011, 2060, note D. Dutrieux ; voir également TA Amiens, 23 mai 2005, M. Marquet, n° 0400344) mérite d’être relevé au regard des faits qui en sont à l’origine et des limites que pose le juge. L’exhumation était demandée par les parents de la défunte alors que l’opposition émanait du concubin de cette dernière. Certes, bien que n’étant pas le plus proche parent du défunt - la notion de conjoint étant réservée en droit privé à la personne unie par les liens du mariage et ne peut concerner les concubins et les partenaires d’un PACS -, un concubin pourra saisir le juge judiciaire pour dépasser le refus de la famille d’accepter l’exhumation, dès lors que cette exhumation correspondait à la volonté du défunt (CA Poitiers, 7 mars 2007, B. c/ L., JCP N 2008, 1178, note D. Dutrieux). Toutefois, en l’espèce, le concubin n’intervenait pas en cette qualité mais comme représentant de sa fille mineure qu’il avait eue avec la défunte. Or, le ministère de la Justice hiérarchise les proches (cf. instruction générale du 11 mai 1999 relative à l’état civil, § 426-7, voir ci-dessous). Dans son jugement du 17 juin 2010, le tribunal considère qu’il n’appartient qu’au juge judiciaire de trancher la question de savoir qui est, entre les parents et la fille de la défunte, le parent le plus proche, puisqu’il considère que ces personnes sont au même degré (au sens du Code civil). Le maire, quant à lui, est tenu, dès qu’il est informé d’une opposition (information qui doit être formalisée comme en l’espèce par un courrier), de surseoir à statuer dans l’attente du règlement du conflit familial, les parents de la défunte étant tenus de saisir le juge judiciaire s’ils souhaitent dépasser l’opposition de leur petite-fille exprimée par son représentant légal, c’est-à-dire son père, ancien concubin de leur fille.

 

Plus proche parent du défunt

 

Contrairement aux autres autorisations qui sont délivrées à la demande de la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles, et en application de l’art. R. 2213-40 du CGCT, c’est à la demande du plus proche parent du défunt qu’est délivrée l’autorisation d’exhumation (voir notamment : D. Dutrieux, "Opérations funéraires", Juris-Classeur "Collectivités territoriales", janv. 2008, fascicule 717, n° 82).
Cette notion de "plus proche parent du défunt" n’est pas définie dans le Code. La seule information "officielle" se trouve dans l’instruction générale relative à l’état civil du 11 mai 1999 (annexée au JO du 28 sept. 1999) qui indique (§ 426-7) dans une note :
"À titre indicatif et sous réserve de l’appréciation de tribunaux, en cas de conflit, l’ordre suivant peut être retenu pour la détermination du plus proche parent : le conjoint non séparé (veuf, veuve), les enfants du défunt, les parents (père et mère), les frères et sœurs".
Le Conseil d’État, sans fixer cet ordre, a considéré que la responsabilité de la ville de Marseille était engagée en raison de la délivrance au frère du défunt d’une autorisation d’exhumer alors que les services municipaux connaissaient l’existence d’une veuve (CE, 27 avr. 1987, Mme Ségura et autres, n° 38492, Dr. adm. 1987, comm. n° 334). La cour administrative d’appel de Nantes a condamné une commune en raison de l’absence de vérification de la qualité de plus proche parent du défunt (CAA Nantes, 30 sept. 1998, Mordellet,
n° 96NT01061,  Rec. CE T., p. 1064). En l’espèce, il s’agissait d’une autorisation d’exhumation de ses beaux-parents accordée à leur belle-fille (titulaire de la concession funéraire) au mépris des droits de la fille des personnes exhumées. Il est important de relever que, dans cet arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes, la responsabilité n’est plus engagée sur le fondement d’une faute lourde mais sur celui d’une faute simple (voir notamment :
D. Dutrieux, "Activités funéraires", dans C. Ribot [dir.], "Les collectivités territoriales et leurs responsabilités", Juris-Classeur, coll. "Juris-Compact", 2003).

 

Production d’un certificat d’hérédité

 

Les services municipaux ne doivent pas hésiter à exiger la production d’un certificat d’hérédité concernant la preuve, par le demandeur, de sa qualité de plus proche parent du défunt (à noter que le ministre de la Justice avait annoncé que les communes ne pourraient plus délivrer de certificats d’hérédité, seuls les tribunaux d’instance pourraient les fournir : réponse ministérielle n° 67283, JOAN Q, 9 août 2005, p. 7725).
Or, depuis cette réponse ministérielle, la fonction a été retirée des missions des tribunaux d’instance.
Un parlementaire, Mme le sénateur Guidicelli, interrogeait le ministre de la Justice concernant le refus de certains maires de délivrer des certificats d’hérédité. Selon elle, en effet, "aucun texte législatif ou réglementaire n’oblige actuellement un maire à délivrer un tel certificat. Devant un tel flou juridique, certains maires, afin de ne pas engager leur responsabilité, refusent d’établir des certificats d’hérédité, cependant nécessaires puisque de nombreux organismes les exigent afin de liquider une succession", alors que la délivrance d’un acte notarié est payante.
La réponse a été la suivante : "Madame le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, fait connaître à l’honorable parlementaire que la preuve de la qualité d’héritier peut s’établir par tous moyens. Elle peut ainsi, notamment, se faire par un certificat d’hérédité qui permet d’obtenir le paiement d’une créance, d’un montant maximal de 5 335 €, à l’encontre d’une collectivité publique. La délivrance de ces certificats par les maires résulte d’une pratique administrative, motivée par le souci de simplification des relations avec les créanciers des organismes publics et du mode de preuve de la qualité d’héritier. En conséquence, les maires apprécient souverainement l’opportunité de les délivrer en considération des éléments de preuve qui leur sont fournis dans chaque situation. En cas de refus de délivrance du certificat par le maire, les usagers doivent, alors, solliciter auprès du notaire, exclusivement compétent, un acte de notoriété, dont le coût est fixé à 54,75 € hors taxes par le décret n° 78-262 du 8 mars 1978 portant fixation du tarif des notaires" (rép. min. QE n° 06967, JO Sénat Q du 19 fév. 2009, p. 449).


Possibilité de solliciter du pétitionnaire une déclaration sur l’honneur

 

S’il impose à la commune de vérifier la qualité de plus proche parent du défunt, le Conseil d’État reconnaît parallèlement la possibilité de faire déclarer sur l’honneur (voir également sur cette question : D. Dutrieux, Exhumation : "attestation sur l’honneur" et non pas "promesse de porte-fort" ! : http://www.resonance-mag.com) par le demandeur l’absence d’opposition des autres parents. Le Conseil d’État (CE, 9 mai 2005, Rabau, n° 262977, JCP G 2005, II, 10131, p. 1806, note D. Dutrieux). a en effet précisé "qu’il appartient en outre au pétitionnaire d’attester sur l’honneur qu’il n’existe aucun autre parent venant au même degré de parenté que lui ou, si c’est le cas, qu’aucun d’eux n’est susceptible de s’opposer à l’exhumation sollicitée ; que si l’administration n’a pas à vérifier l’exactitude de cette attestation, elle doit en revanche, lorsqu’elle a connaissance d’un désaccord sur cette exhumation exprimé par un ou plusieurs autres parents venant au même degré de parenté que le pétitionnaire, refuser l’exhumation, en attendant le cas échéant que l’autorité judiciaire se prononce".
C’est ce que confirme la cour administrative d’appel de Nancy dans un arrêt du 4 oct. 2012.


Damien Dutrieux

Annexe :
Cour Administrative d’Appel de Nancy, 1re chambre, 4 octobre 2012, N° 12NC00464
 
Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 14 mars 2012, présentée pour M. Chritophe , demeurant ..., par Me Laffon, avocat ;
M.  demande à la Cour :
1°) d’annuler le jugement n° 1000884 en date du 24 janv. 2012 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Nancy à lui verser la somme de 12 000 € à titre de dommages et intérêts et intérêts légaux au jour de la demande, en raison de l’exhumation du corps de sa mère ;
2°) de faire droit à sa demande devant le Tribunal administratif de Nancy et de condamner la commune de Nancy à lui verser la somme de 12 000 € assortie des intérêts légaux ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Nancy la somme de 1 600 € au titre de l’art. L. 761-1 du Code de justice administrative ;
Il soutient que :
- la ville a méconnu l’art. R. 2213-40 du CGCT, car toute demande d’exhumation est faite par le plus proche parent de la personne défunte ;
- il justifie d’un préjudice moral important ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 25 mai 2012, présenté pour la commune de Nancy, représentée par son maire en exercice, à ce dûment habilité, élisant domicile à l’hôtel de ville, place Stanislas à Nancy (54000), par Me Gundermann, avocat ;
Elle conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 € soit mise à la charge de M. en application des dispositions de l’art. L. 761-1 du Code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- la ville a respecté ses obligations au regard de l’art. R. 2213-40 du CGCT ;
- le requérant ne justifie pas d’un préjudice moral ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le CGCT ;
Vu le Code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 13 sept. 2012 :
- le rapport de Mme Steinmetz-Schies, rapporteur,
- les conclusions de Mme Ghisu-Deparis, rapporteur public,
- et les observations de Me Laffon, avocat de M. , ainsi que celles de Me Gundermann, avocat de la commune de Nancy ;
1. Considérant qu’aux termes de l’art. R. 2213-37 du CGCT : "La crémation des restes des corps exhumés est autorisée, à la demande du plus proche parent, par le maire de la commune du lieu d’exhumation" ; qu’aux termes de l’art. R. 2213-40 du même Code : "Toute demande d’exhumation est faite par le plus proche parent de la personne défunte. Celui-ci justifie de son état civil, de son domicile et de la qualité en vertu de laquelle il formule sa demande. L’autorisation d’exhumer un corps est délivrée par le maire de la commune où doit avoir lieu l’exhumation (...)" ; qu’il résulte de ces dispositions que, lorsqu’elle est saisie d’une demande d’exhumation, l’autorité administrative compétente doit s’assurer, au vu des pièces fournies par le pétitionnaire, de la réalité du lien familial dont il se prévaut et de l’absence de plus proche parent du défunt que lui ; qu’il appartient en outre au pétitionnaire d’attester sur l’honneur qu’il n’existe aucun autre parent venant au même degré de parenté que lui ou, si c’est le cas, qu’aucun d’eux n’est susceptible de s’opposer à l’exhumation sollicitée ; que si l’administration n’a pas à vérifier l’exactitude de cette attestation, elle doit en revanche, lorsqu’elle a connaissance d’un désaccord sur cette exhumation exprimé par un ou plusieurs autres parents venant au même degré de parenté que le pétitionnaire, refuser l’exhumation, en attendant le cas échéant que l’autorité judiciaire se prononce ;
2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que Mme , grand-mère de M. , a demandé en oct. 2009 l’exhumation du corps de son époux et de sa fille, mère du requérant, inhumés au cimetière du sud de Nancy dans la concession familiale ; que si Mme , auteur de la demande d’inhumation, a signé un formulaire dans lequel elle a attesté agir comme seule ayant droit, alors que son petit-fils présente le même degré de filiation à l’égard de sa mère, la commune de Nancy, contrairement à ce que soutient le requérant, n’avait pas à vérifier l’exactitude de cette déclaration dès lors qu’elle n’avait connaissance d’aucun conflit familial ; que si M.  soutient que la signature figurant sur la demande d’inhumation en date du 30 mars 1978 présentée par Mme  est différente de celle apposée sur la demande d’exhumation du 1er août 2009, cette circonstance est sans incidence sur la régularité de la demande effectuée, dont il est constant qu’elle émane de Mme , trente années séparant par ailleurs ces deux dates ; qu’il résulte de ce qui précède que c’est à bon droit que les premiers juges ont estimé que le requérant n’était pas fondé à soutenir que la commune de Nancy aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité, et ont rejeté sa demande tendant à la réparation de son préjudice moral ;
3. Considérant qu’il résulte de ce qui vient d’être dit que M.  n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par son jugement n° 1000884 en date du 24 janv. 2012, le Tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Nancy à lui verser la somme de 12 000 € à titre de dommages et intérêts et intérêts légaux en raison de l’exhumation du corps de sa mère ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l’art. L. 761-1 du Code de justice administrative ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire droit à la demande de la commune de Nancy présentée en application desdites dispositions ;
Décide :
Art. 1er : La requête de M.  est rejetée.
Art. 2 : Les conclusions de la commune de Nancy tendant au versement de sommes au titre de l’art. L. 761-1 du Code de justice administrative sont rejetées.
Art. 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. Christophe et à la commune de Nancy.

 

 

Instances fédérales nationales et internationales :

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