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La création d’un crématorium peut faire l’objet d’un contentieux devant le juge administratif qui appréciera les éléments de la procédure et notamment l’enquête publique.

 

Dans le cadre d’un contentieux engagé contre l’arrêté du 18 déc. 2009 par lequel le préfet de la Manche a autorisé la commune d’Agneaux à procéder à la création d’un crématorium, la cour administrative d’appel de Nantes rappelle, indirectement mais nécessairement, les éléments sur lesquels s’opère le contrôle du juge administratif. Selon la cour, dans son arrêt du 28 déc. 2012 (voir notre commentaire dans le numéro de l’AJCT d’avril 2013), en effet : "[…] Considérant enfin qu’il ressort des pièces du dossier que la demande de crémation est en augmentation constante en France ; que le projet litigieux permettra de pallier la carence d’établissements spécialisés en la matière dans le centre et le sud du département de la Manche ; que son implantation dans la commune d’Agneaux, qui est desservie par un important réseau routier, apparaît justifiée ; que le site retenu est à l’écart des maisons d’habitation voisines, situées, à l’exception de l’une d’entre elles, à plus de 200 m, ainsi que du centre commercial existant à proximité ; que le crématorium sera accessible par deux itinéraires distincts rejoignant le chemin du Boscq dont l’élargissement est prévu afin de permettre sans difficultés le croisement de véhicules ; que, par ailleurs, il n’est pas établi que le passage de convois funéraires exercerait une influence négative sur les occupants de l’institut thérapeutique, éducatif et pédagogique proche de cette voie ; que dans ces conditions, le préfet de la Manche a pu légalement autoriser la commune d’Agneaux à procéder à la création de ce crématorium ; […]"

 

Un dernier monopole demeurant un service public facultatif

 

La question de la crémation occupe une place importante dans la récente évolution des dispositions législatives et réglementaires relatives à ces deux services publics que sont la gestion du cimetière et le service extérieur des pompes funèbres (voir le dossier spécial de l’Actualité Juridique Collectivités Territoriales, "Les opérations funéraires", oct. 2011, p. 434-452). En effet, si les communes et leurs groupements ne sont pas tenus d’organiser un service de crémation (CE, sect. Int., avis, 7 juin 1977, n° 319967), la création et la gestion d’un crématorium (art. L. 2223-40 du Code Général des Collectivités Territoriales – CGCT-) constituent des missions de service public qu’elles ont néanmoins la faculté d’exercer (circ. n° 00-269 C du 27 nov. 2000), étant évidemment précisé que le fait que le service soit délégué ne fait pas perdre à l’équipement crématorium sa vocation d’équipement public (CAA Versailles, 18 nov. 2010, n° 09VE02463, Association contre le crématorium des Mureaux). Il s’agit même, avec le cimetière, du dernier monopole public depuis la loi n° 93-23 du 8 janv. 1993 (D. Dutrieux, "Les vingt ans de la loi Sueur : bilan critique" : Gazette des communes, n° 2155, 7 janv. 2013, p. 52).

 

Un nouveau régime pour l’enquête publique



Il est possible de rappeler que l’art. 1-VI de l’ordonnance n° 2005-855 du 28 juil. 2005 relative aux opérations funéraires est venue modifier l’art. L. 2223-40 du CGCT: "[...] Toute création ou extension des crématoriums ne peut avoir lieu sans l’autorisation préalable du représentant de l’État dans le département, accordée après enquête publique conduite selon les modalités prévues aux articles L. 123-1 à L. 123-16 du Code de l’environnement et avis de la commission départementale compétente en matière d’environnement, de risques sanitaires et technologiques".

 

Désormais, le régime juridique de l’enquête publique définie aux articles L. 123-1 et suivants du Code de l’environnement s’applique pour ce qui concerne les crématoriums. Il convient de rappeler que la loi n° 2010-788 du 12 juil. 2010 portant engagement national pour l’environnement (JO du 13 juil. 2010, p. 12905) contient, dans son art. 236, une réforme d’envergure de la procédure d’enquête publique de droit commun.

 

L’autorisation préfectorale nécessaire pour la création du crématorium est censée être refusée, en application de l’art. R. 2223-99-1 du CGCT, si la demande ne reçoit aucune réponse après quatre mois (par exception au délai de principe de deux mois posé par la loi du 12 avr. 2000 ; voir le décret n° 2003-190 du 3 mars 2003 pris pour l’application de l’article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avr. 2000 et relatif au délai faisant naître une décision implicite de rejet sur les demandes d’autorisation de création et d’agrandissement des cimetières et des crématoriums ; JO, 8 mars 2003, p. 4056).

 

Une fois l’autorisation du préfet obtenue (après enquête et avis du conseil départemental d’hygiène), le conseil municipal pourra adopter une délibération décidant de la création d’un crématorium. Cette délibération s’accompagnera le plus souvent d’autres décisions afférentes au choix du mode de gestion de cet équipement, c’est-à-dire la création d’une régie municipale ou la mise en place d’une délégation (les deux décisions sont cependant indépendantes ; voir ci-après).

 

Un contentieux rare

 

Parce qu’elle relève d’un domaine où le juge est, en pratique, rarement saisi, - il l’est davantage concernant les questions relatives à la délégation de service public (B Hédin, "La gestion déléguée des crématoriums" : AJCT 2011, p. 446) - la décision mérite de retenir l’attention. Elle s’inscrit d’ailleurs dans la jurisprudence traditionnelle relative à cet autre équipement qu’est la chambre funéraire (art. L. 2223-38 du CGCT). Le préfet doit s’assurer de l’absence de trouble à l’ordre public lors de l’implantation d’une telle chambre. Or, la proximité d’habitations et l’existence d’une impasse constituent pour le juge des éléments induisant indubitablement un tel trouble (CAA Douai, 23 déc. 2011, n° 11DA00629). De même, la partie technique doit être à l’abri du regard des usagers du service mais également des voisins de la chambre (CAA Nancy, 29 mars 2012, n° 11NC00235). Dans l’affaire traitée par la cour de Nantes le 28 déc. 2012, le juge, concernant le crématorium, dont la création est désormais soumise à l’enquête publique de droit commun, prend soin de rappeler, après la nécessité de l’équipement, l’absence d’habitation à proximité et de trouble causé par les convois funéraires.

 

Indépendance des législations

 

Pour être complet, il convient d’observer que, dans cet arrêt du 28 déc. 2012, la Cour administrative d’appel de Nantes rappelle l’indépendance qui existe entre la décision de création d’un crématorium, d’une part, et, d’autre part, la dévolution de la gestion de cet équipement. Ainsi, s’il est envisageable d’arguer, à l’occasion du contentieux de la délégation du service public, la violation des règles d’urbanisme nécessaires pour la construction de l’équipement (CAA Versailles, 18 nov. 2010, n° 09VE02463, Association contre le crématorium des Mureaux), il n’est néanmoins pas possible d’obtenir l’annulation de la décision autorisant la création d’un crématorium sur le fondement de l’annulation de la délégation de sa gestion.

 

Enfin, il sera relevé que les professionnels, à juste titre, réclament un schéma régional d’implantation des crématoriums assurant une rationalisation des investissements et l’égal accès au service public (F. Michaud Nérard, "Une révolution rituelle - Accompagner la crémation" : Les éditions de l’atelier 2012, p. 145).

 

               


Damien Dutrieux,

consultant au CRIDON

Nord-Est, maître

de conférences associé

à l’Université de Lille 2. 

 

 

 

 

  • Annexe :

 

CAA Nantes, 2e chambre, 28 décembre 2012, n° 11NT01560, Association de défense des habitants d’Agneaux Ouest et autres

Cour Administrative d’Appel de Nantes

 

N° 11NT01560 

 

Inédit au recueil Lebon

 

2e Chambre 

M. Perez, président

M. Eric François, rapporteur

M. Pouget, rapporteur public 

GORAND, avocat(s)

 

lecture du vendredi 28 décembre 2012

 

République française

au nom du peuple français

 

Vu la requête, enregistrée le 7 juin 2011, présentée pour l’association de défense des habitants d’Agneaux Ouest, dont le siège est ..., représentée par son président, M. et Mme A, demeurant ..., Mme Odile B, demeurant ..., M. Thierry C, demeurant ..., Mme Florence D, demeurant ..., M. et Mme E, demeurant ... M. et Mme F, demeurant ... et M. Benoît G, demeurant ..., par Me Gorand, avocat au barreau de Caen ; l’association de défense des habitants d’Agneaux Ouest et autres demandent à la cour :

  1.  d’annuler le jugement n° 1000315 du 8 avr. 2011 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 18 déc. 2009 par lequel le préfet de la Manche a autorisé la commune d’Agneaux à procéder à la création d’un crématorium au lieudit ... ;
  2.  d’annuler ladite délibération ;
  3.  de mettre à la charge de l’État une somme de 5 000 € au titre de l’art. L. 761-1 du Code de justice administrative ;

 ....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le Code général des collectivités territoriales ;

Vu le Code de l’environnement ;

Vu le Code de justice administrative ; 

Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 déc. 2012, présentée pour l’association de défense des habitants d’Agneaux Ouest et autres ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

 

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 4 déc. 2012 :

- le rapport de M. François, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Pouget, rapporteur public ; 

- et les observations de Me Luven, substituant Me Gorand, avocat de l’association de défense des habitants d’Agneaux Ouest et autres ;

1. Considérant que l’association de défense des habitants d’Agneaux Ouest et autres interjettent appel du jugement du 8 avr. 2011 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 18 déc. 2009 du préfet de la Manche autorisant la commune d’Agneaux à procéder à la création d’un crématorium au lieudit ... ;

2. Considérant qu’aux termes du troisième alinéa de l’art. L. 2223-40 du CGCT: " Toute création ou extension de crématorium ne peut avoir lieu sans l’autorisation du représentant de l’État dans le département, accordée après une enquête publique conduite selon les modalités prévues aux articles L. 123-1 à L. 123-16 du Code de l’environnement et un avis de la commission départementale compétente en matière d’environnement, de risques sanitaires et technologiques", et qu’aux termes de l’art. L. 123-1 du Code de l’environnement : "I - La réalisation d’aménagements, d’ouvrages ou de travaux exécutés par des personnes publiques ou privées est précédée d’une enquête publique soumise aux prescriptions du présent chapitre, lorsqu’en raison de leur nature, de leur consistance ou du caractère des zones concernées, ces opérations sont susceptibles d’affecter l’environnement. (...)" ;

3. Considérant, en premier lieu, que, par arrêté du 18 fév. 2009, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la Manche du mois de fév. 2009, M. Laflaquière, préfet de la Manche, a donné délégation à M. Arnaud Cochet, sous-préfet de l’arrondissement de Cherbourg, "pour assurer, sous la direction du préfet de la Manche dans les limites de l’arrondissement de Cherbourg, l’administration de l’État dans le département en ce qui concerne : I - Administration et police générales (...) Pôle départemental funéraire et commercial : attributions départementales en matière funéraire : (...) toutes décisions en matière de création et d’extension des crématoriums (...) " ; qu’il résulte de ces dispositions que, par exception à la délégation limitée à l’arrondissement de Cherbourg en ce qui concerne l’administration de l’État, le préfet de la Manche a entendu donner au sous-préfet de Cherbourg délégation de signature pour l’ensemble du département en matière de création de crématoriums, cette matière étant regroupée dans un pôle administratif départemental unique ; qu’ainsi le moyen tiré de l’incompétence de l’auteur de l’arrêté contesté doit être écarté ;

4. Considérant en deuxième lieu, qu’aux termes de l’art. L. 123-9 du Code de l’environnement, dans sa rédaction alors applicable : "Le commissaire enquêteur ou le président de la commission d’enquête conduit l’enquête de manière à permettre au public de prendre une connaissance complète du projet et de présenter ses appréciations, suggestions et contre-propositions. (...)" ; qu’aux termes de l’art. L. 123-10 du même Code : "Le rapport et les conclusions motivées du commissaire enquêteur (...) sont rendus publics" ;

5. Considérant d’une part, qu’il ressort du rapport du commissaire enquêteur que celui-ci a regroupé par thème les observations présentées, n’omettant de mentionner ni la pétition de 1 030 signatures, défavorable au crématorium, remise par l’association requérante, ni la présence sur la voie d’accès au site d’un institut thérapeutique pour jeunes en difficulté ; qu’il y a répondu de façon circonstanciée, rappelant notamment que le site d’implantation retenu, cumulant plusieurs atouts, était éloigné des zones d’habitation et nettement distinct du site d’un centre commercial voisin et que, par ailleurs, des travaux d’élargissement du chemin d’accès seraient entrepris ; qu’il a ainsi exactement apprécié l’importance des observations émises au cours de l’enquête ; que l’allégation des requérants selon laquelle il aurait fait preuve de partialité n’est pas établie ; que, d’autre part, à l’issue de l’enquête publique, le commissaire enquêteur, relevant notamment dans son rapport que "le site d’implantation du bâtiment présente des qualités indiscutables en termes d’accès" et que le réseau routier était favorable à l’implantation d’un crématorium sur le territoire de la commune d’Agneaux, a émis un avis favorable au projet alors même qu’il l’a assorti de deux réserves relatives à l’obligation de mise en place d’une signalisation depuis la sortie de la route nationale 174 et à la faiblesse de la redevance prévue par la délégation de service public conclue entre la commune d’Agneaux et la société Pompes Funèbres Plessis ; que par suite les dispositions précitées du Code de l’environnement n’ont pas été méconnues ;

6. Considérant, en troisième lieu, que l’autorisation donnée par le représentant de l’État pour la création d’un crématorium, conformément aux dispositions précitées de l’art. L. 2223-40 du CGCT, n’est pas une mesure prise pour l’application de la délégation de service public passée pour la construction et la gestion de ce même équipement ; que, par suite, les appelants ne sauraient utilement se prévaloir par voie d’exception à l’encontre de cette autorisation de l’annulation par un jugement du 15 juil. 2010 du tribunal administratif de Caen de la délibération du 14 mai 2009 du conseil municipal d’Agneaux approuvant la délégation de service public afférente au crématorium ;

7. Considérant enfin qu’il ressort des pièces du dossier que la demande de crémation est en augmentation constante en France ; que le projet litigieux permettra de pallier la carence d’établissements spécialisés en la matière dans le centre et le sud du département de la Manche ; que son implantation dans la commune d’Agneaux, qui est desservie par un important réseau routier, apparaît justifiée ; que le site retenu est à l’écart des maisons d’habitation voisines, situées, à l’exception de l’une d’entre elles, à plus de 200 m, ainsi que du centre commercial existant à proximité ; que le crématorium sera accessible par deux itinéraires distincts rejoignant le ... dont l’élargissement est prévu afin de permettre sans difficultés le croisement de véhicules ; que, par ailleurs, il n’est pas établi que le passage de convois funéraires exercerait une influence négative sur les occupants de l’institut thérapeutique, éducatif et pédagogique proche de cette voie ; que dans ces conditions, le préfet de la Manche a pu légalement autoriser la commune d’Agneaux à procéder à la création de ce crématorium ;

8. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que l’association de défense des habitants d’Agneaux Ouest et autres ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, qui n’est pas entaché d’omission à statuer et qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’art. L. 761-1 du Code de justice administrative :

9. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l’État, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à l’association de défense des habitants d’Agneaux Ouest et autres de la somme qu’ils demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, en application de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de l’association de défense des habitants d’Agneaux Ouest et autres une somme globale de 2 000 € au titre des frais de même nature que la commune d’Agneaux a exposés ; 

 

Décide :

 

Art. 1er : La requête de l’association de défense des habitants d’Agneaux Ouest et autres est rejetée.

Art. 2 : L’association de défense des habitants d’Agneaux Ouest, M. et Mme A, Mme B, M. C, Mme D, M. et Mme E, M. et Mme F et M. G verseront à la commune d’Agneaux une somme globale de 2 000 € au titre de l’art. L. 761-1 du Code de justice administrative.

Art. 3 : Le présent arrêt sera notifié à l’association de défense des habitants d’Agneaux Ouest, à M. et Mme A, à Mme Odile B, à M. Thierry C, à Mme Florence D, à M. et Mme E, à M. et Mme F, à M. Benoit G à la commune d’Agneaux et au ministre de l’Intérieur.

 

Abstrats : 01-02-03-03 Actes législatifs et administratifs. Validité des actes administratifs - Compétence. 

Compétence en matière de décisions non réglementaires. Préfet. 

 

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations