Les dispositions légales de la loi du 8 janvier 1993 destinées à éviter la concurrence déloyale. Les intéressantes précisions fournies par la chambre criminelle de la Cour de cassation.

 

JP-Tricon
Jean-Pierre Tricon,
avocat au barreau de Marseille.

Dans de précédents articles parus dans les colonnes de Résonance, j’avais mis l’accent sur les mécanismes prévus par le législateur pour faire régner un climat de respect de la concurrence entre les divers opérateurs funéraires habilités, intervenant dans le domaine du service extérieur des pompes funèbres, après l’abolition du monopole communal.
J’avais distingué deux types de mesures, à savoir, d’une part, l’information des familles et, d’autre part, la répression des pratiques anticoncurrentielles.
Dans ce nouvel article, je reviendrai sur les dispositions législatives, art. L. 2223-33, modifié par la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008, art. 7, du Code général des collectivités territoriales (CGCT), posant un certain nombre d’interdictions aux entreprises, associations et régies municipales, ainsi libellé :
"À l'exception des formules de financement d'obsèques, sont interdites les offres de services faites en prévision d'obsèques ou pendant un délai de deux mois à compter du décès en vue d'obtenir ou de faire obtenir, soit directement, soit à titre d'intermédiaire, la commande de fournitures ou de prestations liées à un décès. Sont interdites les démarches à domicile ainsi que toutes les démarches effectuées dans le même but sur la voie publique ou dans un lieu ou édifice public ou ouvert au public."
La consultation de la jurisprudence, civile ou pénale, démontre que peu de litiges ont été évoqués devant la Cour de cassation, mais il est intéressant, notamment, de faire état de l’arrêt rendu par la Chambre criminelle le 13 décembre 2011, numéros de pourvois 10-80236 11 et 81468 statuant sur les pourvois formés par la société OGF, partie civile, contre les arrêts de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section :
- Le premier, en date du 23 novembre 2009, qui, dans l'information suivie sur sa plainte contre personne non dénommée du chef d'infraction à la législation sur les opérations funéraires, avait infirmé l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction et ordonné la poursuite de l'information ;
- Le second, en date du 9 décembre 2010, qui, dans la même procédure, avait confirmé la nouvelle ordonnance de non-lieu rendue après poursuite de l'information par le juge d'instruction.
Les deux affaires avaient été jointes en raison de leur connexité.
La Cour de cassation avait dans un premier temps jugé que le pourvoi contre le premier arrêt en date du 23 novembre 2009, la partie civile, OGF, ne justifiait d’aucun intérêt à se pourvoir contre l'arrêt, qui, sur appel, avait infirmé l'ordonnance de non-lieu et ordonné la poursuite de l'information. Dès lors, en application de l'art. 567 du Code de procédure pénale, le pourvoi avait été déclaré irrecevable.
En revanche, sur le pourvoi contre l'arrêt du 9 décembre 2010, il est intéressant de lire attentivement la décision de la haute assemblée qui a examiné tous les moyens de l’action, entreprise par OGF, à la suite de sa plainte qui portait sur la diffusion par la société SAEMPF de calendriers dans les commissariats de police de la ville de Paris, pratique considérée par les requérants comme contraire aux règles déontologiques énoncées à l’art. L. 2223-33 du CGCT, précité, puisque la cour d’appel de Paris avait dit n'y avoir lieu à suivre cette plainte de la société OGF en ce qui concernait la diffusion, par la société SAEMPF, des calendriers, ainsi que sur la remise aux familles, par le personnel du service médical d'urgence de l'hôpital Lariboisière, d'un document dirigeant les familles intéressées, en cas de décès, vers un numéro de téléphone lié aux services de la société SAEMPF.
En ce qui concerne la diffusion des calendriers, la Cour de cassation a fait droit aux moyens exposés par l’entreprise OGF, notamment sur les fondements des articles L. 2223-19, L. 2223-33 et L. 2223-35 du CGCT, et de l’art. 6 de la Convention européenne des droits de l'homme en date du 23 novembre 2009.
La Cour de cassation a examiné, point par point, les motivations de l’arrêt de la cour d’appel de Paris, qui avait dit n'y avoir lieu à suivre sur la plainte de la société OGF en ce qui concernait la diffusion, par la société SAEMPF, de calendriers dans les commissariats de police de la ville de Paris, aux motifs que :
"S'agissant des réquisitions administratives ou judiciaires prises par les services de police pour le transport des corps, la société OGF ne tenait pas compte du fait que la SAEMPF bénéficiait d'une convention régulièrement signée avec la Ville de Paris, après une procédure de mise en concurrence, et que la SAEMPF avait l'obligation de répondre aux réquisitions à un tarif forfaitaire dont elle prétendait d'ailleurs, sans être contredite, qu'il ne couvrait pas toujours ses frais, en particulier pour les convois sociaux.
Qu'il appartenait à la société OGF, si elle l'estimait utile, de se porter candidate lors du renouvellement du marché, et d'utiliser les voies de recours amiables ou contentieuses qui pouvaient exister, et de s'adresser aux autorités administratives compétentes, étant observé que l'autorité requérante n'était pas un consommateur qui devait être protégé de faits abusifs de démarchage.
Que, pour les raisons qui viennent d'être exposées, la distribution de calendriers dans les commissariats de police, dont il n'avait pas été établi qu'ils étaient exposés à la vue du public, s'inscrivait dans le rôle particulier de la SAEMPF, délégataire d'une mission de service public. Que la remise des calendriers ne relevait pas d'une tentative de corruption, que rien ne permettait d'établir que les services de police auraient été démarchés par la SAEMPF, et auraient été incités à orienter les familles vers cette entreprise funéraire et qu’il était inexact de prétendre que les commissariats de police seraient devenus un premier bureau d'accueil de cet opérateur funéraire."

 

La haute assemblée a réfuté cette argumentation de la cour de Paris, en faisant valoir que :
- 1° La prohibition de l'art. L. 2223 -33 concerne non seulement les opérations ayant pour objet d'obtenir ou de faire obtenir des commandes de fournitures funéraires, mais également celles qui ont pour effet cette obtention de commandes. Que, dès lors, la cour de Paris, en se bornant à énoncer que nonobstant la remise, dans les commissariats de police, de calendriers comportant l'en-tête de la SAEMPF, ainsi qu'un numéro de téléphone permettant de contacter ses services, rien ne permettait d'établir que les services de police auraient été démarchés par la SAEMPF, ni incités à orienter les familles vers cette entreprise funéraire, sans répondre au chef péremptoire du mémoire de la partie civile du 7 octobre 2009 qui faisait valoir que la diffusion des calendriers litigieux avait, à tout le moins, pour effet d'obtenir ou de faire obtenir des commandes de fournitures funéraires, et se trouvait, comme telle, prohibée par l'art.
L. 2223-33 précité, la chambre de l'instruction avait violé l'art. 593 du Code de procédure pénale.

 

Que dit cet article 593 du Code de procédure pénale ?
"Les arrêts de la chambre de l'instruction, ainsi que les arrêts et jugements en dernier ressort sont déclarés nuls s'ils ne contiennent pas des motifs ou si leurs motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle et de reconnaître si la loi a été respectée dans le dispositif.
Il en est de même lorsqu'il a été omis ou refusé de prononcer soit sur une ou plusieurs demandes des parties, soit sur une ou plusieurs réquisitions du ministère public."
- 2° Que la prohibition de l'art. L. 2223-33 concerne, non seulement les opérations ayant pour objet ou pour effet d'obtenir ou de faire obtenir des commandes de fournitures funéraires par des démarches effectuées sur la voie publique, mais également celles qui, tendant aux mêmes fins, sont effectuées dans un lieu ou édifice public ou ouvert au public, peu important que les documents diffusés à cette fin soient ou non exposés directement à la vue du public.
Que, dès lors, la cour de Paris, en se bornant à énoncer qu'il n’était pas établi que les calendriers diffusés dans les commissariats de police avaient été exposés à la vue du public, pour en déduire que cette démarche ne tombait pas sous le coup du texte susvisé (L. 2223-33 du CGCT), sans répondre au chef péremptoire du mémoire de la demanderesse (OGF), faisant valoir que cette diffusion était interdite, dès lors que les commissariats de police constituent bien des lieux ouverts au public, la chambre de l'instruction avait violé, une fois de plus, l'art. 593 du Code de procédure pénale.
- 3° Qu'aucune cause d'irresponsabilité pénale n'est admise en dehors des cas expressément prévus par le Code pénal. Qu’ainsi, la circonstance qu’une entreprise de pompes funèbres ait la qualité de délégataire d'une mission de service public et soit, à ce titre et par convention, tenue de certaines obligations, et investie de certains droits, ne saurait avoir pour objet, ni pour effet, de la faire bénéficier d'une exclusivité pour l'exercice de cette mission, ni lui permettre de contourner l'interdiction générale d'entreprendre les démarches visées à l'art. L. 2223-33 du CGCT.
Que, dès lors, en énonçant que si, au titre des réquisitions administratives ou judiciaires, les services de police s'adressaient à la société SAEMPF, dont les coordonnées étaient indiquées sur les calendriers diffusés au sein des commissariat de police, cette démarche était effectuée conformément à la convention signée par cette société avec la Ville de Paris et, à ce titre, s'inscrivait dans le cadre du rôle particulier de la SAEMPF, délégataire d'une mission de service public, pour en déduire que la distribution des calendriers litigieux ne tombait pas sous le coup de l’art. L. 2223-33 du CGCT, sans répondre au chef péremptoire du mémoire de la partie civile soulignant que, nonobstant sa qualité de délégataire d'une mission de service public, et sauf à méconnaître les dispositions des articles L. 2223-19 et L. 2223-33 du CGCT, la SAEMPF ne pouvait jouir en la matière d'aucune exclusivité ni, par conséquent, entreprendre des démarches ayant pour objet ou pour effet de lui assurer une telle exclusivité, la convention passée avec la Ville de Paris étant, à cet égard, inopérante, la chambre de l'instruction a violé, là encore, l'art. 593 du Code de procédure pénale.
À ce stade de l’arrêt, la Cour de cassation avait infirmé la décision de la cour d’appel de Paris, querellée, en date du 9 décembre 2010, relative à la remise des calendriers par la SAEMP, dans les commissariats de police de la capitale.
En revanche, le second moyen de cassation portait sur la plainte de la société OGF, concernant la remise aux familles, par le personnel du service médical d'urgence de l'hôpital Lariboisière, d'un document dirigeant les intéressées, en cas de décès, vers un numéro de téléphone lié aux services de la société SAEMPF, auprès de la cour d’appel de Paris.
La société OGF estimait cette pratique contraire aux dispositions des articles L. 2223-33 et L. 2223-35 du CGCT.
La cour d’appel de Paris avait dit n'y avoir lieu à suivre sur la plainte de la société OGF en ce qui concernait la remise aux familles du document litigieux, aux motifs que, s’agissant du document remis aux familles par les médecins du SMUR pour laquelle la cour avait estimé que les investigations devaient être poursuivies, il convenait de relever, d'une part, que la partie civile n’évoquait plus ce point dans son mémoire, et que, d'autre part, la partie civile poursuivante n'avait formulé aucune demande d'acte et n'avait pas demandé à ce que son avocat soit présent lors de l'accomplissement de certains actes, ce qui aurait permis de poser les questions ou d’apporter les éléments utiles au soutien de ses prétentions. Que les investigations très complètes, qui avaient été accomplies par le juge d'instruction, avaient confirmé que le document litigieux remis aux familles avait été élaboré à l'initiative du SMUR de l'hôpital Lariboisière afin de permettre aux médecins qui interviennent à domicile pour constater un décès de disposer d'un document pour informer les familles.
Que si Mme X... (cadre de la SAEMPF) avait été contactée, elle n'avait pas participé à la rédaction du document litigieux, ne l'avait pas validé et n'en avait pas eu connaissance avant 2008, alors qu’elle avait proposé ses services pour apporter sa connaissance des obligations déontologiques et de la législation sur l'information dans le domaine funéraire, Mme X... avait remis au docteur Y... la liste des 140 entreprises de pompes funèbres et que rien ne permettait d'établir que la société SAEMPF (et non OGF, comme indiqué par erreur dans l'arrêt) ou ses préposés, avaient incité le personnel médical et hospitalier à porter sur le document destiné aux familles le numéro vert de la société SAEMPF (et non OGF, comme indiqué par erreur dans l'arrêt). Qu'en conséquence, l'information judiciaire n'avait pas permis d'établir et de caractériser le délit prévu par l'art. L. 2223-33 du CGCT à l'encontre de quiconque et donc de retenir le recel de ce délit, étant observé, au surplus, que le recel imposait d'établir que la personne poursuivie avait connaissance de l'origine frauduleuse du produit recelé, ce qui était contraire à tous les éléments figurant au dossier.
Pour la cour de Paris, la décision de non-lieu devait être, dès lors, confirmée, les faits dénoncés ne pouvant recevoir aucune qualification pénale.
La Cour de cassation a, pour sa part, considéré "que l'art. L. 2223-33 du CGCT n’exige pas que, pour être prohibée, l'offre de services funéraires émane nécessairement de la société dispensant de tels services ; que, dès lors, en se déterminant par la circonstance que Mme X..., directrice générale adjointe de la société SAEMPF, n'a pas participé à la rédaction du document litigieux et ne l'a pas validé ni n’en a eu connaissance avant 2008, pour en déduire que l'information judiciaire n'a pas permis d'établir et de caractériser le délit prévu par l'art. L. 2223-33 du CGCT à l'encontre de quiconque, tout en relevant qu'il est constant que le document litigieux qui, destiné aux familles des défunts, ne mentionne que les seules coordonnées de la société SAEMPF, a été élaboré par les services de l'hôpital Lariboisière, notamment le docteur Y..., ce dont il résulte nécessairement qu'une personne physique a méconnu, ce faisant, les prescriptions du texte susvisé, la chambre de l'instruction a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations et violé le texte susvisé."

 

La décision de la Cour de cassation :

Pour la haute juridiction, les énonciations de l'arrêt attaqué la mettaient en mesure de s'assurer que, pour confirmer l'ordonnance de non-lieu entreprise, la chambre de l'instruction, après avoir analysé l'ensemble des faits dénoncés dans la plainte et répondu aux articulations essentielles du mémoire produit par la partie civile appelante, avait exposé, par des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction, qu'il n'existait pas de charges suffisantes contre quiconque d'avoir commis le délit reproché, ni toute autre infraction.
Que, dès lors, les moyens produits par la société OGF devaient être écartés, et que, par voie de conséquence, l'arrêt de la cour de Paris, attaqué, était régulier en sa forme.

Et que, par ces motifs, le pourvoi formé contre l'arrêt du 23 novembre 2009, par la société OGF, devait être déclaré irrecevable, et que le pourvoi formé contre l'arrêt du 9 décembre 2010 devait être rejeté.

 

Conclusion :

Cette décision interpelle le juriste, car les faits et moyens exposés par les requérants (OGF) ont été, tout au long de la motivation de cet arrêt de la Cour de cassation, quasiment confirmés, notamment en ce qui concerne les éléments constitutifs de l’infraction prévue à l’art. L. 2223-33 du CGCT, mais aussi de celles prévues à l’art.
L. 2223-35 du CGCT, issu de la codification de la loi du 8 janvier 1993, intitulé "Dispositions pénales", qui est la traduction du délit de corruption, dont il sera, ici, cité un extrait :
"Est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende le fait de proposer, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour obtenir d'une personne qui, à l'occasion de son activité professionnelle, a connaissance d'un décès, qu'elle fasse connaître aux entreprises ou associations fournissant les prestations énumérées à l'art.
L. 2223-19 la survenance d'un décès ou qu'elle recommande aux familles les services d'une entreprise ou association déterminée.

Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende le fait, par une personne qui, à l'occasion de l'exercice de son activité professionnelle, a connaissance d'un décès, de solliciter ou d'agréer, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour faire connaître aux entreprises ou associations fournissant les prestations énumérées à l’art. L. 2223-19, la survenance d'un décès ou pour recommander aux familles les services d'une entreprise ou association déterminée…"
Dans mon ouvrage, intitulé "Le Traité de Législation et Réglementation Funéraire", publié par les éditions Résonance, je n’ai pas manqué de mettre en exergue la difficulté pour les autorités judiciaires de mettre en œuvre ces dispositions répressives, puisqu’il est quasiment impossible de prouver, concomitamment, la réalité des deux éléments matériels et moraux, constitutifs des infractions, car si l’élément matériel, soit la mise en relation avec un opérateur funéraire, ne paraît pas poser, réellement, problème, en revanche, le fait de solliciter, de recevoir ou de donner un avantage quelconque relève d’une complexité extrême.

C’est donc au bénéfice du doute que la société OGF a été déboutée dans cette affaire, alors qu’aussi bien la cour d’appel de Paris, bien qu’ayant rejeté les recours, que, plus particulièrement, la Cour de cassation, avaient, à leur niveau, constaté les nombreuses irrégularités commises.

 

Jean-Pierre Tricon

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations