Les faits sont les suivants : lors de l’inhumation de feu Hélène F... le 14 mai 2014, mère du requérant, le surveillant du cimetière Saint-Lazare de M… s’est opposé au déplacement du cercueil de feu Gustave F..., son père, inhumé en 1966, qui occupait le centre du caveau familial conçu pour quatre places, au motif que, eu égard à son ancienneté et au risque important de dispersion des ossements, cette opération nécessitait le dépôt d’une demande d’exhumation auprès du maire de Montpellier ; que le cercueil de sa mère a dû ainsi être superposé à celui de son père.

 

Dupuis Philippe 2015
Philippe Dupuis.

On relèvera alors dans l’arrêt le considérant suivant :

"Considérant, tout d’abord, qu’à supposer même que le déplacement d’un cercueil présentait des risques de dispersions des ossements et que la réunion du reste des corps inhumés s’imposent au regard des dispositions susvisées de l’art. R. 2213-42 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), cette opération n’a pas le caractère d’une exhumation au sens de l’art. R. 2213-40 du même Code, et ne nécessitait donc pas la demande formulée par le plus proche parent du mort".

Plus que de l’affaire elle-même c’est de ce point que nous discuterons principalement. Il nous semble en effet que le déplacement du cercueil et la réunion des restes des corps inhumés dans cette concession s’apparentent à l’opération dite de réduction de corps, qui en est le plus souvent le préalable. Ainsi, cette jurisprudence viendrait maintenir la position du juge administratif selon laquelle il ne s’agit pas d’une exhumation, mais d’une opération juridiquement différente. On sait qu’il en va tout autrement pour le juge judiciaire, et l’on trouve d’ailleurs des occurrences de cette position chez certaines cours administratives d’appel (CAA).

La pratique française des concessions funéraires, qu’elles soient collectives ou familiales, conduit à ce que, bien souvent, des personnes aient un droit à inhumation dans une sépulture, mais que celle-ci ne puisse plus les accueillir matériellement. La pratique administrative s’est alors développée de réunir les restes mortels d’un défunt ou même de plusieurs (on parlera alors de réunion de corps), consumés par leur séjour en terre, et à les déposer dans une boîte à ossements ("reliquaire"), qui, tout en demeurant dans le caveau, permet néanmoins l’introduction de nouveaux cercueils. Si le CGCT continue de ne pas prévoir cette opération, l’Administration la valide néanmoins tout en ne la démarquant pas explicitement de l’exhumation : (Rép. min. n° 5187, JO Sénat Q 14 avril 1994, p. 873).

Pour le juge judiciaire, la réduction de corps est une exhumation

En effet, la Cour de cassation, par un arrêt du 16 juin 2011 (Cour de cassation, 16 juin 2011, pourvoi n° 10-13.580), se prononça sur la nature juridique de l’opération de réduction de corps en l’assimilant à une exhumation. En opposition, le principe de l’opération de réduction de corps a été tout d’abord validé par le juge administratif (CE, 11 déc. 1987, n° 72998, Cne Contes c/ Cristini : Rec. CE 1987, p. 413 ; D. 1988, somm. p. 378, obs. F. Moderne et P. Bon).

Dans le même arrêt, le Conseil d’État, de surcroît, distingue explicitement la réduction de corps d’une exhumation. Longtemps, la position des juges judiciaires ne fut pas différente de celle de la juridiction administrative. Ainsi, la cour d’appel de Caen (CA Caen 1re chambre, Section civile et commerciale, 19 mai 2005, RG n° 03/03750) estimait que, lorsque le corps réduit retournait dans la sépulture dont il était issu, il n’y avait pas exhumation, ou bien encore plus récemment la CA de Dijon (CA Dijon, Chambre civile, n° 274A, RG n° 08/01394, 17 novembre 2009).

Il apparaissait donc que, lorsque des restes mortels pouvaient être réunis (puisque la matière organique ne rend plus solidaires les os les uns des autres), à la condition que ces restes ne quittent pas la sépulture, il n’y avait pas exhumation. La Cour de cassation en décida autrement. Il existerait donc une divergence de jurisprudence entre les deux ordres de juridiction, obligeant à s’aligner sur la position la plus stricte.

Conséquences pratiques : qui doit demander la réunion/réduction ?

L’exhumation d’un défunt ne peut être demandée que par une personne bien précise. En effet, l’art. R. 2213-40 du CGCT énonce que : "Toute demande d’exhumation est faite par le plus proche parent de la personne défunte. Celui-ci justifie de son état civil, de son domicile et de la qualité en vertu de laquelle il formule sa demande".

Or, cette expression ne connaît qu’une proposition de définition dans l’Instruction générale relative à l’état civil du 11 mai 1999 (annexée au JO 28 sept.1999) paragraphe 426-7, qui énonce que : "À titre indicatif et sous réserve de l’appréciation des tribunaux, en cas de conflit, l’ordre suivant peut être retenu pour la détermination du plus proche parent : le conjoint non séparé (veuf, veuve), les enfants du défunt, les parents (père et mère), les frères et sœurs."

Si le Conseil d’État accepte de libérer la commune de toute velléité de contrôle de cette qualité à partir du moment où le sollicitant remplit une attestation sur l’honneur qu’il est bien le plus proche parent ou qu’il n’existe aucune opposition d’une personne venant au même degré de parenté que lui (CE 9 mai 2005, n° 262977, Rabau : JCP G, n° 40, 5 octobre 2005, II, 10131, note D. Dutrieux).

Il apparaît néanmoins que le juge du fond (CAA Bordeaux 5 juin 2008 req. n° 07BX00828) a estimé que la définition des primautés de degré de parenté, n’existant que dans l’instruction générale relative à l’état civil, ne le lie aucunement. Si cette position est logique, elle entraîne la conséquence pratique suivante : tout litige familial provoquera nécessairement un refus de délivrance de l’autorisation par le maire, et, corollairement, saisine du TGI pour résolution du conflit. Or le juge, en général, refusera l’exhumation dans la plupart des cas, pour ne pas que le repos des morts soit troublé par les divisions des vivants. L’exhumation ne sera accordée que dans deux cas (CA Toulouse, 7 février 2000 : JCP G 2000, IV, n° 2374) :
- soit la sépulture est provisoire ;
- soit la volonté du défunt n’a pas été respectée quant aux modalités de son inhumation.
C’est ce régime si particulier qui s’applique pour le juge judiciaire aux réductions de corps. L’avantage de ne pas qualifier cette opération d’exhumation était de permettre que le demandeur de l’opération ne soit pas le plus proche parent du défunt. Il était possible d’envisager que toute personne disposant du droit à inhumation dans une sépulture, où à tout le moins que toute personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, pouvait demander à ce qu’une réduction soit opérée pour justement faire valoir ce droit.
Pratiquement, il convient de ne pas oublier que, lors d’un décès, les familles ne disposent que de six jours pour organiser les funérailles (CGCT, art. R. 2213-33), or, si une réduction et une réunion sont nécessaires, il conviendra de demander au plus proche parent (qui n’est pas toujours aisé à contacter, et qui, surtout, n’est pas toujours le plus proche parent du défunt) son autorisation. On se dirige ainsi, tout droit, à ce que la seule solution rapide, et juridiquement sûre, soit de demander la délivrance d’un nouvel emplacement à la commune.
Cette solution est donc, à rebours de toute la logique actuelle du droit funéraire, potentiellement consommatrice d’espace public, et surtout peu soucieuse des deniers des endeuillés devant faire l’achat d’un emplacement, et la plupart du temps d’un caveau et d’un monument funéraire. Enfin, les communes en disposant devront modifier leur règlement de cimetière, car il n’apparaît plus possible à un maire de s’opposer à cette opération, qui comme l’exhumation ressort maintenant d’une compétence liée (CE 13 mai 1910, Houbdine : Rec. CE p. 391). En effet, l’exhumation, en l’absence de tout conflit familial, est, pour reprendre l’expression de Marie-Thérése Viel ("Droit funéraire et gestion des cimetières", Berger-Levrault, 1999, p. 262) ; un droit opposable à l’Administration.
Le reste de l’arrêt tire la conséquence logique de non-assimilation de l’opération de réduction de corps aux exhumations, lorsqu’il conclut :
"13. Considérant, ensuite, qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le cercueil aurait été dans un état détérioré, le corps de M. E... F... n’ayant d’ailleurs été placé ni dans un autre cercueil, ni dans une boîte à ossements ; que l’agent municipal qui a refusé le déplacement du cercueil, en se retranchant derrière le risque de dispersion des ossements des cercueils anciens qui ont tendance à se désagréger, par l’effet du temps, de l’humidité et d’autres facteurs, a pourtant autorisé la superposition de cercueils, laquelle présentait des risques similaires ; que, par ailleurs, dans ses écritures de première instance et d’appel, la commune de M… ne conteste pas non plus sérieusement que le cercueil de M. E... F... était renforcé depuis l’origine par un caisson métallique et installé dans un caveau hermétique, dont il s’induisait un bon état de conservation ;
 
14. Considérant, enfin, qu’il ressort de l’ensemble des éléments du dossier que le déplacement du cercueil de feu Gustave F... ne contrevenait ni à l’ordre public, ni aux règles régissant le domaine public ; que, dès lors, l’intéressé pouvait agencer à sa guise l’intérieur privatif du caveau, et insérer le nouveau cercueil soit par juxtaposition, soit par superposition ; que, dans ces conditions, l’opposition du surveillant du cimetière à la réalisation de l’opération de déplacement au motif de l’absence d’autorisation d’exhumation délivrée par le maire, et donc à la juxtaposition des cercueils, ne se fondait sur aucun motif légal, et est donc constitutive d’une faute ; que cette faute est de nature à engager la responsabilité de la Ville de M…

Au final, on ne peut que regretter cette divergence de position, et souhaiter ardemment qu’elle soit résolue. Nous estimons, à l’égal de la CAA de Marseille et avant elle du Conseil d’État, que rien ne justifie d’appliquer le régime juridique de l’exhumation à ces opérations, où somme toute les restes mortels retourneront dans la même sépulture que celle où ils reposaient.

CAA de Marseille, 23 avril 2018 n° 16MA03106
Inédit au recueil Lebon
5e chambre – formation à 3
 
M. Marcovici, président
M. Jean-Laurent Pecchioli, rapporteur
M. Revert, rapporteur public
 
SCP N. Bedel de Buzareingues G. Boillot, avocat(s)
 
Lecture du lundi 23 avril 2018
 
République française au nom du peuple français
 
Vu la procédure suivante :

M. D... F... a demandé au tribunal administratif (TA) de M… d’ordonner qu’il soit procédé, avant dire droit, à une expertise aux frais avancés de la commune de M… et de condamner notamment la commune de M… à lui réparer son préjudice moral par une somme de 5 000 € ;
 
Par un jugement n° 1404159 du 31 mai 2016, le TA de Montpellier a condamné la commune de M… à verser à M. D... F... une somme de 1 000 € en réparation de son préjudice, et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :
 
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 juillet 2016 et le 16 juin 2017, M. D... F..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) de désigner un expert afin de décrire les travaux nécessaires de la remise en ordre de cette sépulture, ainsi que l’évaluation de leur coût ;
2°) de réformer le jugement du 31 mai 2016, par lequel le TA de Montpellier n’a que partiellement fait droit à sa demande de condamnation de la commune de M…, en lui allouant dès lors une somme de 5 000 € au titre du préjudice moral subi et en condamnant la commune de M… à faire procéder, à ses frais et sous le contrôle de l’expert, aux travaux de remise en ordre du caveau ;
3°) de mettre à la charge de la commune de M… le versement de la somme de 3 000 € au titre de l’art. L. 761-1 du Code de justice administrative et les entiers dépens ;
 
Il soutient que :
- bien qu’ayant subi un préjudice matériel actuel et incontestable, il n’a jamais demandé devant les premiers juges d’indemnisation à ce titre, mais seulement une remise en ordre de l’intérieur du caveau ;
- le déplacement d’un cercueil à l’intérieur d’une sépulture, qui ne s’analyse pas en une exhumation, ne requiert, comme l’a jugé à bon droit le tribunal, aucune autorisation administrative préalable ;
- la décision illégale et fautive de s’opposer au léger déplacement du cercueil dans le caveau familial a eu pour conséquence un émoi de l’ensemble des participants à l’enterrement qu’il conviendra de réparer à hauteur de 5 000 € ;
- cette décision a eu pour conséquence de faire perdre sa capacité d’accueil au caveau, devenu ainsi inutilisable ;
- les cercueils se trouvent désormais dans une position anormale ;
- à la suite de la superposition des cercueils, il existe un risque de détérioration de celui de son père.
 
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 avril 2017, la commune de M… conclut au rejet de la requête, à l’annulation du jugement du 31 mai 2016, et à ce qu’il soit mis à la charge de M. F... la somme de 2 000 € au titre de l’art. L. 761-1 du Code de justice administrative. À titre subsidiaire, la commune demande d’appeler en garantie, en cas de condamnation, la société AFRE.

Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier, dès lors que la demande de première instance a été présentée sans ministère d’avocat ;
- elle n’a aucune part de responsabilité ;
- elle n’a causé aucun préjudice matériel réparable ;
- l’expertise sollicitée est inutile ;
- la société AFRE aurait pu alerter M. F... sur la difficulté liée au nécessaire déplacement du cercueil, et l’assister auprès de la commune dans cette démarche afin d’éviter tout désagrément.
 
Par un mémoire en intervention, enregistré le 4 juillet 2017, la SARL AFRE conclut au rejet de l’appel en garantie, et à ce qu’il soit mis à la charge de la commune de M… la somme totale de 4 000 € au titre de l’art. L. 761-1 du Code de justice administrative, au titre de la première instance et de l’appel, et les entiers dépens.

Elle soutient que :
- le jugement attaqué est régulier ;
- un changement de cercueil s’impose seulement en cas de détérioration, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ;
- une réduction de corps n’est pas assimilable à une exhumation ;
- le déplacement du cercueil du père de M. F... ne nécessitait aucune autorisation ;
- la commune de M… a, seule, commis une faute.
 
L’affaire a été appelée à l’audience publique du 26 mars 2018.
 
L’affaire a été renvoyée à l’audience du 9 avril 2018 dont les parties ont été régulièrement averties.
 
Les parties ont été informées, le 27 mars 2018, en application des dispositions de l’art. R. 611-7 du Code de justice administrative, de ce que l’arrêt était susceptible d’être fondé sur un moyen relevé d’office, tiré de l’irrecevabilité des conclusions d’injonction de la requête d’appel, présentées à titre principal, tendant à ce que la commune de M… remette en ordre les cercueils à l’intérieur du caveau appartenant à M. F... dès lors qu’il n’appartient pas au juge administratif d’adresser des injonctions à l’Administration en dehors du cas prévu par l’art. L. 911-1 du Code de justice administrative.
 
Par un mémoire enregistré le 3 avril 2018, M. F... a répondu au moyen d’ordre public.
 
Vu les autres pièces du dossier ;
 
Vu :
- le CGCT ;
- le Code de justice administrative.
 
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
 
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
- le rapport de M. Pecchioli,
- les conclusions de M. Revert, rapporteur public, 
- et les observations de M. F... et de Me A..., représentant la commune de Montpellier.
 
1. Considérant que, par jugement du 31 mai 2016, le TA de Montpellier a condamné la commune de M… à verser à M. D... F..., titulaire d’une concession dans le cimetière Saint-Lazare à M…, une somme de 1 000 € en réparation de son préjudice moral consécutif à la faute commise par le surveillant du cimetière à l’occasion de l’inhumation dans le caveau familial de Mme B... F..., sa défunte mère, le 14 mai 2014 et a rejeté le surplus des conclusions de la requête ; que M. F... relève appel de ce jugement en tant qu’il a limité l’indemnisation du préjudice moral à la somme de 1 000 € et rejeté ses autres demandes, celle de remise en ordre du caveau familial et d’expertise judiciaire ;

Sur la régularité du jugement attaqué :
 
2. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’art. R. 431-2 du Code de justice administrative dans sa rédaction applicable à l’espèce : "Les requêtes et les mémoires doivent, à peine d’irrecevabilité, être présentés soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, soit par un avoué en exercice dans le ressort du TA intéressé, lorsque les conclusions de la demande tendent au paiement d’une somme d’argent, à la décharge ou à la réduction de sommes dont le paiement est réclamé au requérant ou à la solution d’un litige né d’un contrat" ; qu’aux termes de l’art. R. 431-3 du même Code : "Toutefois, les dispositions du 1er alinéa de l’art. R. 431-2 ne sont pas applicables : / 1° Aux litiges en matière de travaux publics, de contrats relatifs au domaine public, de contravention de grande voirie ; [...] / 5° Aux litiges dans lesquels le défendeur est une collectivité territoriale ou un établissement public en relevant ; [...]."
 
3. Considérant qu’en première instance, la commune de M… avait la qualité de défendeur ; que, par suite, en application du 5° de l’art. R. 431-3 du Code de justice administrative, la demande de M. F... n’avait pas à être présentée par un avocat.

4. Considérant, en deuxième lieu, que, dans ses demandes de première instance dont la teneur est confortée par ses dernières écritures du 18 mai 2015, M. F... présentait, outre des conclusions tendant, d’une part, à ce qu’il soit ordonné une expertise et, d’autre part, à la condamnation de la commune de M… à réparer le préjudice moral subi, une demande non pas de réparation de préjudice matériel, qu’il avait expressément abandonnée, mais de remise en ordre de la sépulture familiale, laquelle devait être regardée comme une demande d’injonction de remise en ordre du caveau ; que les premiers juges n’ont pas statué sur ces dernières conclusions et ont ainsi, dans cette mesure, entaché leur jugement d’une omission à statuer ; que, par suite, le requérant est fondé à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier et doit être partiellement annulé en tant qu’il n’a pas statué sur ces conclusions.
 
5. Considérant, en troisième et dernier lieu, que M. F... soutient qu’il n’a jamais demandé en première instance la réparation du préjudice matériel ; que, s’il résulte de la lecture de l’ensemble des mémoires produits en première instance, que le requérant, qui sollicitait dans un premier temps la réparation de tous ses préjudices, y compris matériel, s’est expressément désisté des conclusions en réparation de cette catégorie de préjudice, ayant pris soin de mentionner que, dans son dernier mémoire du 18 mai 2015, son "nouveau dispositif" se substituait aux précédents ; qu’il s’ensuit que, si M. F... soutient avec raison que le jugement a statué à tort sur la réparation de son préjudice matériel, cette erreur est sans influence sur la régularité du jugement, dès lors que, s’agissant d’une décision de rejet sur ce point, cette mention n’a eu aucune influence sur le règlement du litige.
 
6. Considérant qu’il y a lieu pour la cour, d’une part, d’évoquer partiellement le litige et de statuer dans cette limite sur les demandes d’expertise et celle tendant à la remise en ordre du caveau présentée par M. F... devant le TA de Montpellier, et, d’autre part, de se prononcer sur les conclusions en réparation du préjudice moral, dans le cadre de l’effet dévolutif de l’appel.

Sur les conclusions tendant à la remise en ordre du caveau :

7. Considérant qu’aux termes de l’art. L. 911-1 du Code de justice administrative : "Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution."
 
8. Considérant que les conclusions en injonction formulées sur le fondement de l’art. L. 911-1 du Code de justice administrative ne peuvent être présentées à titre principal, mais seulement à l’appui et en conséquences de conclusions principales d’annulation d’un acte administratif ; que M. F... n’a pas présenté de telles conclusions principales en première instance ; qu’il s’ensuit, et sans qu’il soit utile d’ordonner une expertise, que la demande en injonction de remise en état du caveau familial de M. F... ne peut être que rejetée pour irrecevabilité.

Sur la réparation du préjudice moral :
 
S’agissant de la responsabilité
 
9. Considérant que, lors de l’inhumation de feu Hélène F... le 14 mai 2014, mère du requérant, le surveillant du cimetière Saint-Lazare de M… s’est opposé au déplacement du cercueil de feu Gustave F..., son père, inhumé en 1966, qui occupait le centre du caveau familial conçu pour quatre places, au motif que, eu égard à son ancienneté et au risque important de dispersion des ossements, cette opération nécessitait le dépôt d’une demande d’exhumation auprès du maire de M… ; que le cercueil de sa mère a dû ainsi être superposé à celui de son père ; que M. F... soutient, tout d’abord, que la commune de M… a commis une faute engageant sa responsabilité en raison du positionnement anormal des cercueils dans le caveau.
 
10. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’art. R. 2213-40 de ce Code : "Toute demande d’exhumation est faite par le plus proche parent de la personne défunte. [...] L’autorisation d’exhumer un corps est délivrée par le maire de la commune où doit avoir lieu l’exhumation. [...]" ; que, selon le dernier alinéa de l’art. R. 2213-42 du Code : "Lorsque le cercueil est trouvé en bon état de conservation au moment de l’exhumation, il ne peut être ouvert que s’il s’est écoulé cinq ans depuis le décès. Lorsque le cercueil est trouvé détérioré, le corps est placé dans un autre cercueil ou dans une boîte à ossements" ; qu’enfin, aux termes de l’art. R. 2213-40 du CGCT dans sa rédaction applicable à l’espèce : "Toute demande d’exhumation est faite par le plus proche parent de la personne défunte [...]".
 
11. Considérant, d’autre part, qu’en vertu des dispositions de l’art. L. 2213-8 du CGCT : "Le maire assure la police des funérailles et des cimetières" ; que l’art. L. 2213-9 du même Code précise que : "Sont soumis au pouvoir de police du maire le mode de transport des personnes décédées, le maintien de l’ordre et de la décence dans les cimetières, les inhumations et les exhumations [...]."
 
12. Considérant, tout d’abord, qu’à supposer même que le déplacement d’un cercueil présentait des risques de dispersions des ossements et que la réunion du reste des corps inhumés s’impose au regard des dispositions susvisées de l’art. R. 2213-42 du CGCT, cette opération n’a pas le caractère d’une exhumation au sens de l’art. R. 2213-40 du même Code et ne nécessitait donc pas la demande formulée par le plus proche parent du mort ;
 
13. Considérant, ensuite, qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le cercueil aurait été dans un état détérioré, le corps de M. E... F... n’ayant d’ailleurs été placé ni dans un autre cercueil, ni dans une boîte à ossements ; que l’agent municipal qui a refusé le déplacement du cercueil, en se retranchant derrière le risque de dispersion des ossements des cercueils anciens qui ont tendance à se désagréger, par l’effet du temps, de l’humidité et d’autres facteurs, a pourtant autorisé la superposition de cercueil, laquelle présentait des risques similaires ; que, par ailleurs, dans ses écritures de première instance et d’appel, la commune de M… ne conteste pas non plus sérieusement que le cercueil de M. E... F... était renforcé depuis l’origine par un caisson métallique et installé dans un caveau hermétique, dont il s’induisait un bon état de conservation.

14. Considérant, enfin, qu’il ressort de l’ensemble des éléments du dossier que le déplacement du cercueil de feu Gustave F... ne contrevenait ni à l’ordre public, ni aux règles régissant le domaine public ; que, dès lors, l’intéressé pouvait agencer à sa guise l’intérieur privatif du caveau, et insérer le nouveau cercueil soit par juxtaposition, soit par superposition ; que, dans ces conditions, l’opposition du surveillant du cimetière à la réalisation de l’opération de déplacement au motif de l’absence d’autorisation d’exhumation délivrée par le maire, et donc à la juxtaposition des cercueils, ne se fondait sur aucun motif légal, et est donc constitutive d’une faute ; que cette faute est de nature à engager la responsabilité de la Ville de M….

S’agissant des conclusions en réparation du préjudice moral :

15. Considérant que, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, l’appelant est fondé à soutenir qu’en lui allouant la somme de 1 000 € les premiers juges ont procédé à une évaluation insuffisante du préjudice moral subi du fait du comportement fautif de l’Administration ; qu’il convient d’allouer à ce titre à M. F... une somme de 2 000 €.

Sur les conclusions d’appel en garantie :
 
16. Considérant que la commune de M… demande la condamnation de la SARL AFRE à la garantir des condamnations mises à sa charge ; qu’elle soutient que l’entreprise a commis une faute en n’engageant pas les démarches nécessaires auprès d’elle après la constatation de la position centrale du cercueil de feu M. E... F... ; que toutefois, ainsi qu’il a été dit aux points 10 et 11, le déplacement d’un cercueil ne nécessitait pas une autorisation administrative d’exhumation, et l’état de bonne conservation de celui-ci n’impliquait pas non plus la constitution d’une boîte à ossements ; qu’il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que la société aurait créé cette situation en demandant, le jour même de l’enterrement, au surveillant municipal, l’autorisation de déplacer le cercueil ; que dans ces conditions, les conclusions d’appel en garantie doivent être rejetées.

Sur les dépens :
 
17. Considérant que la présente instance n’a généré aucun dépens ; que, par suite, les conclusions présentées sur ce point par M. F... doivent, en tout état de cause, être rejetées. 
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’art. L. 761-1 du Code de justice administrative.
 
18. Considérant qu’aux termes de l’art. L. 761-1 du Code de justice administrative : "Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation".
 
19. Considérant, tout d’abord, qu’il y a lieu en application des dispositions susmentionnées de mettre à la charge de la commune de M… la somme de 1 500 € au titre des frais exposés par M. F... et non compris dans les dépens.
 
20. Considérant, ensuite, que les dispositions de l’art. L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. F..., qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d’une quelconque somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; que les conclusions présentées par la commune de M… au titre de l’art. L. 761-1 du Code de justice administrative ne peuvent dès lors qu’être rejetées ; que, dans les circonstances de l’espèce, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de la SARL AFRE.

Décide :
 
Art. 1er : Le jugement n° 1404159 du 31 mai 2016 est annulé en tant qu’il n’a pas statué sur la demande de M. F... tendant à ce qu’il soit prononcé une injonction de remise en état du caveau familial.
Art. 2 : La somme de 1 000 € que la commune de M… a été condamnée à verser à M. F... au titre du préjudice moral subi est portée à 2 000 €. Le jugement n° 1404159 du 31 mai 2016 du TA de Montpellier est réformé dans cette mesure.
Art. 3 : La commune de M… versera une somme de 1 500 € au titre de l’art. L. 761-1 du Code de justice administrative à M. F...
Art. 4 : Le surplus des conclusions de la requête d’appel et les conclusions en injonction de première instance sont rejetés.
Art. 5 : Les conclusions d’appel en garantie et les conclusions relatives à l’application de l’art. L. 761-1 du Code de justice administrative, présentées par la commune de M…, sont rejetées.
Art. 7 : Les conclusions présentées par la SARL AFRE au titre de l’art. L. 761-1 du Code de justice administrative sont rejetées.
Art. 8 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... F..., à la commune de M… et à la SARL AFRE.
 
Copie en sera adressée au préfet de l’Hérault.
 
Délibéré après l’audience du 9 avril 2018, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,
- Mme Hameline, premier conseiller, 
- M. Pecchioli, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 23 avril 2018.
 
Abstrats : 135-02-03-03-03 Collectivités territoriales. Commune. Attributions. Services communaux. Opérations funéraires.

 

Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT

Résonance N°141 - Juin 2018

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations