En matière d’organisation des funérailles, pour s’abstenir de trancher en cas de litige, encore faut-il qu’il en existe un…

 

Cour d’appel Paris 12 avril 2018

Les faits sont les suivants : Mme Jacqueline M. épouse G. est décédée le 29 mars 2018 à Longjumeau. La société chargée en vertu d’un contrat obsèques de ses funérailles s’est opposée à son incinération, pourtant demandée par sa famille et son mari. Elle se justifie de sa position en arguant que "Mme Jacqueline G., qui a conclu un contrat funéraire en 2003, n’a pas précisé les modalités de ses funérailles, de sorte qu’en l’absence d’une personne ayant qualité à pourvoir aux funérailles, elle a appliqué le principe de précaution, soit le recours à une inhumation qui est une mesure réversible". Or, il résulte du dossier qu’existait dans la documentation de la société une "Fiche contact contrats partenaires Organisation des Obsèques" concernant Mme Jacqueline G. indiquant "Inhumation", alors que cette dernière n’avait pas souscrit une telle option dans son contrat…

La volonté exprimée par le défunt

La règle est que, prioritairement, les obsèques seront organisées au vu de la volonté du défunt. Encore faut-il s’entendre quant à la manifestation de cette volonté. Plusieurs hypothèses vont pouvoir être distinguées :

- La volonté exprimée directement par le défunt

C’est ce que la loi de 1887 prévoit tout d’abord, et c’est ce à quoi elle donne la priorité. Plusieurs hypothèses se présentent :
Le défunt laisse un écrit : Il peut s’agir d’un testament (articles 967 et suivants du Code civil) ayant pour objet l’organisation de ses funérailles. L’art. 969 du Code civil dispose que le testament pourra être olographe ou fait par acte public. Le testament olographe n’est valable que s’il est écrit en entier, daté et signé de la main du testateur. Il n’est assujetti à aucune autre forme selon l’art. 970 du Code civil. Des témoins sont préférables pour assurer que le testateur est en pleine possession de ses facultés. Le testament par acte public est celui reçu par deux notaires ou par un notaire assisté de deux témoins (art. 971 du Code civil).

Ce testament doit, bien entendu, prévoir des dispositions qui ne soient pas illégales. Cet écrit pourrait aussi prendre la forme de la souscription d’un contrat obsèques. En effet, l’art. L. 2223-35-1 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) dispose qu’afin de garantir au souscripteur sa pleine et entière liberté de choix sa vie durant, […], le contrat doit prévoir explicitement la faculté pour […] le souscripteur de modifier la nature des obsèques, le mode de sépulture, le contenu des prestations et fournitures funéraires, l’opérateur habilité désigné pour exécuter les obsèques et, le cas échéant, le mandataire désigné pour veiller à la bonne exécution des volontés exprimées […].

Le ou les changements effectués pour les fournitures et prestations équivalentes ne donnent droit à la perception que des seuls frais de gestion. Tandis que l’art. L. 2223-34-2 du même Code crée un fichier national destiné à centraliser les contrats d’assurance obsèques souscrits par les particuliers auprès d’un établissement d’assurance, ce qui permet aux familles de vérifier l’existence d’un tel contrat.

- L’absence d’identification explicite de la volonté du défunt

Dans cette hypothèse, on peut relever la règle de conduite posée par l’Instruction Générale relative à l’État Civil (IGREC) : "Les textes ne donnent aucune précision sur la définition de cette personne." Elle énonce alors que :

"Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées :
1. La loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles pose pour principe que c’est la volonté du défunt qui doit être respectée, en conséquence, lorsqu’une personne a été nommément désignée par un écrit ou dans le testament du défunt, c’est elle qui est chargée de l’organisation des obsèques ;
2. Lorsque aucun écrit n’est laissé par le défunt, ce sont les membres de la famille qui sont présumés être chargés de pourvoir aux funérailles ;
3. Enfin, lorsqu’il n’y a ni écrit, ni famille ou que celle-ci ne se manifeste pas ou reste introuvable, la personne publique (commune) ou privée qui prend financièrement en charge les obsèques a qualité pour pourvoir aux funérailles.
Il appartient au juge civil, seul compétent en la matière, de décider quel membre de la famille ou quel héritier est, suivant les circonstances, le plus qualifié pour l’interprétation et l’exécution de la volonté présumée du défunt. En vertu d’une jurisprudence constante, le conjoint survivant a la priorité pour régler les conditions de la sépulture du défunt même sur les autres membres de la famille.
Ce droit n’est cependant ni exclusif ni absolu. Des circonstances particulières peuvent faire écarter le droit du conjoint survivant. La Cour de cassation considère qu’à défaut d’ordre de préférence légal, il faut chercher les éléments permettant de déterminer qui apparaît comme le meilleur interprète des volontés du défunt (arrêt Civ. 1re 14 octobre 1970 Veuve Bieu C/Consorts Bieu ; Paris 20 mai 1980 Dame Nijinski et autre C/Serge Lifar".

Néanmoins, ici, il n’existait aucun conflit, ainsi que l’énonce le juge : "Et en l’espèce, il n’existait aucun désaccord de la famille G. pour décider d’une incinération de leur épouse et mère, de sorte qu’en maintenant sa décision non contractuellement justifiée, et en imposant à une famille endeuillée, ayant eu précisément recours à un contrat d’obsèques pour se dispenser de formalités à accomplir dans des circonstances douloureuses, de saisir une juridiction afin de faire trancher un litige inexistant, la société de pompes funèbres a bien commis une faute, et le juge saisi est bien compétent pour apprécier les circonstances fautives de sa saisine."

Contentieux judiciaire

République française – Au nom du peuple français

Cour d’appel de Paris – Pôle 1 – chambre 3
Ordonnance de contestation de funérailles du 12 avril 2018
Numéro d’inscription au répertoire général : 18/06624

Nature de la décision : contradictoire

Nous, Martine Roy-Zenati, première présidente de chambre, agissant par délégation du premier président de cette cour, assistée de Véronique Couvet, greffière, lors des débats et de la mise à disposition.

Vu l’appel formé par :
La Sté de PF prise en la personne de son président directeur général
[...]

Représentée par M. André V. et M. Jean-Frédéric T., juristes, dûment mandatés par Mme N. V., directeur juridique et fiscal de la Sté PF, agissant au nom et pour le compte de ladite société en vertu des pouvoirs qui lui ont été délégués le 14 janvier 2013 par le président directeur général de la société.

Appelante à l’encontre de
Monsieur Lorenzo G.
[...]

Madame Valérie G.
[...]

Madame Isabelle G.
[...]

Monsieur Fabien G.
[...]

Monsieur Bruno G.
[...]

Représentés par Me Isabelle R. de la SCP R., avocat au barreau de l’Essonne

Établissement Pompes Funèbres et Marbrerie…
[...]

Représenté par M. André V. et M. Jean-Frédéric T., juristes, dûment mandatés par Mme N. V, directeur juridique et fiscal de la Sté de PF, agissant au nom et pour le compte de ladite société en vertu des pouvoirs qui lui ont été délégués le 14 janvier 2013 par le président directeur général de la société.

Intimes

Et après avoir entendu les conseils des parties lors des débats de l’audience publique du 10 avril 2018 :

Et après avoir entendu le ministère public, représenté par Mme Laure DE C. P., avocat général, lors des débats de l’audience publique du 10 avril 2018, en ses observations.

Mme Jacqueline M. épouse G. est décédée le 29 mars 2018 à Longjumeau (91160). Alors que la Sté PF et l’établissement Pompes Funèbres et Marbrerie se sont opposés à l’incinération de la défunte sollicitée par la famille, son mari, M. Lorenzo G., et ses enfants, Mmes Valérie et Isabelle et MM. Fabien et Bruno G., autorisés par ordonnance présidentielle du 4 avril 2018, à les assigner à heure indiquée par acte du 5 avril suivant.

Par ordonnance réputée contradictoire du 5 avril 2018, le président du tribunal d’instance de Longjumeau a :
- dit que la dépouille de Mme Jacqueline G. née M. sera incinérée dans un délai de 5 jours à compter de la présente décision, en application du contrat du 14 janvier 2003 ;
- condamné solidairement la Sté de PF et l’établissement Pompes Funèbres et Marbrerie au paiement de la somme de 1 000 € à M. Lorenzo G. et la somme de 500 € à chacun des enfants G. à titre de dommages et intérêts ;
- ordonné la communication de la décision à M. le maire de Sainte-Geneviève-des-Bois ;
- condamné in solidum la Sté PF et l’établissement Pompes Funèbres et Marbrerie aux dépens ;
- condamné in solidum la Sté PF et l’établissement Pompes Funèbres et Marbrerie au paiement de la somme de 700 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile.

Par déclaration du 6 avril 2018, la Sté PF a interjeté appel de cette ordonnance.

À l’audience du 10 avril 2018, le représentant de la Sté de PF et de son établissement Pompes Funèbres et Marbrerie :

- a sollicité l’infirmation de l’ordonnance en ce qu’elle a fait droit à la demande des consorts G. de la voir condamner au paiement de la somme de 3 000 € au titre du préjudice qu’ils auraient subi.

Il fait valoir :

- que le juge ayant statué sur les funérailles n’avait pas le pouvoir d’octroyer des dommages et intérêts, d’autant plus que la Sté PF n’a commis aucune faute, dès lors que :
- Mme Jacqueline G., qui a conclu un contrat funéraire en 2003, n’a pas précisé les modalités de ses funérailles, de sorte qu’en l’absence d’une personne ayant qualité à pourvoir aux funérailles, elle a appliqué le principe de précaution, soit le recours à une inhumation qui est une mesure réversible,
- la profession étant réglementée au titre de l’arrêté du 11 janvier 1999, une circulaire ministérielle de 1973 invite les parties les mieux habilitées à organiser les funérailles suivant l’art. 3 de la loi du 15 novembre 1887,
- en l’espèce, une seule personne s’est présentée pour signaler que la défunte désirait la crémation avant l’organisation des obsèques, mais, compte tenu du fait que le conjoint prime sur les enfants, il fallait déterminer de manière absolue qui avait qualité à pourvoir aux funérailles ;
- qu’il n’y a pas lieu à application de l’article 700 du Code de procédure civile.

Par leurs écritures oralement soutenues à l’audience du 10 avril 2018, M. Lorenzo G., Mme Valérie G., Mme Isabelle G., M. Fabien G. et M. Bruno G. demandent à la cour de :
- confirmer l’ordonnance,
- rectifier l’erreur dont est entachée l’ordonnance et dire que les défendeurs ont été condamnés solidairement au paiement d’une somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
- condamner solidairement la Sté de PF et l’établissement Pompes Funèbres et Marbrerie aux entiers dépens ou au paiement d’une somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Ils font valoir :

- que la Sté de PF et l’établissement Pompes Funèbres et Marbrerie ont commis une faute en refusant l’incinération pourtant sollicitée par la famille de la défunte et leur conseil, alors que le contrat était clair puisque aucune option n’avait été choisie, de sorte qu’ils ont causé un dommage à l’époux et aux enfants de la défunte qui, alors qu’ils croyaient être dispensés de la contrainte de l’organisation des obsèques par la signature préventive d’un contrat, ont dû subir le refus d’exécution du contrat, engager une procédure et subir le sentiment de "quémander" l’autorisation de faire respecter les volontés de la défunte ;
- qu’il y a lieu de constater l’erreur matérielle contenue dans l’ordonnance, y remédier puisque la Sté de PF et l’établis-sement Pompes Funèbres et Marbrerie ont bien été condamnés au paiement de la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- que la cour doit confirmer la condamnation de la Sté de PF et l’établissement Pompes Funèbres et Marbrerie au paiement de la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile dès lors qu’ils ont dû affronter leur indifférence totale et qu’ils n’ont eu d’autre choix que d’ester en justice.

À l’audience du 10 avril 2018, le ministère public a fait valoir que le recours au tribunal d’instance n’a lieu qu’en cas de litige, or, en l’espèce, la famille de la défunte était d’accord sur les modalités des funérailles. Il ajoute que la Sté de PF est fautive et responsable de cette situation en conseillant aux consorts G. de saisir le tribunal d’instance pour ensuite soulever son incompétence à statuer sur une éventuelle faute de sa part alors qu’il est souverain pour apprécier la faute au moment de sa saisine.

Sur ce

Conformément aux dispositions de l’article 1061-1 alinéa 3 du Code de procédure civile, l’appel a été interjeté par la Sté de PF dans le délai de vingt-quatre heures de la décision et doit être déclaré recevable.

La Sté PF a établi une "Fiche contact contrats partenaires Organisation des Obsèques" concernant Mme Jacqueline G. indiquant "Inhumation", alors que cette dernière n’avait pas souscrit une telle option. Si ce choix peut se concevoir en cas d’ignorance du choix de la famille, il n’en va pas de même lorsque la société est en capacité de contacter ses membres et de vérifier l’existence d’un accord sur l’organisation des obsèques.

Et en l’espèce, il n’existait aucun désaccord de la famille G. pour décider d’une incinération de leur épouse et mère, de sorte qu’en maintenant sa décision non contractuellement justifiée, et en imposant à une famille endeuillée, ayant eu précisément recours à un contrat d’obsèques pour se dispenser de formalités à accomplir dans des circonstances douloureuses, de saisir une juridiction afin de faire trancher un litige inexistant, la Sté PF a bien commis une faute, et le juge saisi est bien compétent pour apprécier les circonstances fautives de sa saisine.

Il en résulte que l’ordonnance sera confirmée qui a condamné la Sté de PF, appelante, à payer à titre de dommages intérêts, la somme de 1 000 € à M. Lorenzo G. et celle de 500 € à chacun des enfants G., ainsi qu’une indemnité de procédure.
L’erreur matérielle qui affecte manifestement le dispositif de la décision doit être rectifiée, comme il sera dit au dispositif ci-après.

L’appel de la Sté de PF étant mal fondé, il sera alloué aux consorts G., qui ont dû de nouveau engager des frais, une nouvelle indemnité de procédure.

Par ces motifs

Confirmons l’ordonnance en ce qu’elle a alloué des dommages intérêts à hauteur de 1 000 € à M. Lorenzo G. et à hauteur de 500 € à chacun des enfants Valérie, Isabelle, F. et Bruno ;

Rectifions le dispositif de l’ordonnance et dit que la condamnation au titre de l’indemnité de procédure s’élève à la somme de 2 000 € au lieu de 700 € ;

Y ajoutant

Condamnons la Sté de PF à verser à M. Lorenzo G., Mme Valérie G., Mme Isabelle G., M. Fabien G. et M. Bruno G., ensemble, la somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Condamnons la Sté de PF aux dépens.

Ordonnance rendue par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’art. 450 du Code de procédure civile.

Le greffier
Le président

Décision(s) antérieure(s)

Tribunal d’instance Longjumeau 5 avril 2018 1118000687

 

Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT

Résonance n°141 - Juin 2018

Instances fédérales nationales et internationales :

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