À l'heure où les crématoriums sont au centre des préoccupations environnementales en termes de rejets atmosphériques, il est un autre aspect de leur fonctionnement qu'il serait intéressant d'aborder : "le recyclage de l'énergie produite à chaque crémation". M. François Michaud Nérard a présenté un exposé sur ce thème lors de la présentation du Livre Blanc sur les crématoriums à Bruxelles, le 30 mai dernier.
"Récupération de chaleur dans les crématoriums… se chauffer avec mamie ?".

Pour le moins provocateur, ce titre n'a pourtant pas pour vocation de choquer, mais tout simplement de dépolariser l'attention générale des rejets atmosphériques pour l'attirer sur un autre point qui n'est pas sans intérêt d'un point de vue environnemental.

"Dans le cadre des économies d'énergies, pourquoi ne pas récupérer les calories utilisées ? Cela représente le chauffage d'un pavillon pour un mois par corps incinéré… Quel gâchis !" (11. Le jeudi 26 octobre 2006 à 20h25, par Dom). Voici un commentaire, lisible dans un  blog sur internet, qui n'est pas dénué de bon sens.
 
Comment récupérer cette chaleur ?
 
Avec un système de filtration traditionnel, le système de refroidissement se compose généralement de refroidisseurs des gaz et de refroidisseurs à eau ainsi que de puissants ventilateurs. Une récupération partielle de la chaleur peut se faire par l'adjonction d'un échangeur thermique en circuit fermé, ce qui permet de chauffer les locaux du crématorium (schéma 1). Dans ce cas, il est nécessaire de conserver des refroidisseurs.

Pour une récupération totale, l'échangeur thermique doit être relié au circuit de chauffage urbain. Dans ce cas, l'échangeur thermique peut se substituer aux refroidisseurs.
Pour quelles utilisations,
et dans quelles proportions ?

L'énergie ainsi récupérée peut être utilisée de différentes façons :
  • Pour un usage local (bâtiments propres au crématorium).
  • Pour un usage collectif (chauffage urbain).
  • Pour un usage industriel ou agricole (usines, serres).
 
Pour étayer ces différentes utilisations possibles, il faut s'appuyer sur des chiffres et se référer à quelques exemples. Pour un crématorium standard doté d'un seul four, la puissance installée est de l'ordre de 600 à 700 kW. Sur ce type d'installation, la puissance récupérable maximum théorique est de 400 kW, sachant que la puissance d'un chauffage pour un crématorium avec un seul four n'est que de 40 kW tout au plus.

Si on prend l'exemple du crématorium du Père-Lachaise où cinq fours sont installés sur six possibles, la puissance générée est de l'ordre de 4000 kW. Ici, la puissance maximum récupérable avoisine les 2500 kW, mais la puissance récupérée pour le chauffage n'est que de 250 kW et la puissance actuelle de la chaufferie est de 132 kW. Autant dire que, dans ce cas, la démarche de récupération d'énergie est purement symbolique.

Si l'on se réfère maintenant à l'exemple du crématorium de la ville de Boras en Suède, sur les 60 000 habitations que comporte l'agglomération, la compagnie locale d'énergie estime que le crématorium a contribué, sur les six derniers mois, à hauteur de 10 % au niveau de la production d'énergie globale nécessaire à la collectivité. Nous sommes là devant une démarche très forte en termes de récupération d'énergie.

Cela va sans dire, la récupération d'énergie au niveau de la crémation présente de nombreux avantages au niveau environnemental, mais qu'en est-il de l'éthique ?
 
Et l'éthique dans tout ça !

Inévitablement, un tel procédé soulève de nombreuses questions d'éthique, et les avis sont très partagés. Au regard des différents articles de presse relatifs à une telle pratique, il n'est pas question de trouver une réponse toute faite mais plutôt d’arriver à un consensus qui tienne compte à la fois de l'aspect spirituel, humain et environnemental.

Témoignages :

Ci-après, les traductions de quelques articles, parus dans la presse étrangère, qui exposent différents points de vue et agrémentent les débats :

1 - Crématorium Racksta de Stockholm

Voilà près de cinq ans que ce crématorium offrait son excédent de chaleur à la collectivité afin de chauffer les maisons et appartements. La compagnie électrique Stockholm Energi déclinait systématiquement l'offre sachant que l'initiative risquerait d'être impopulaire auprès du public. Pourtant, elle finit par l’accepter après reconsidération, la jugeant défendable aussi bien du point de vue éthique, qu'environnemental.

Racksta est le troisième crématorium à alimenter le réseau de chauffage urbain. L'initiative découle du fait que le refroidissement des fours, afin d'éviter les fumées, nécessitait de grandes quantités d'eau. Cette solution permet, en dérivant la chaleur, d'abaisser la température du four de 100 à 150 °C. Une autre méthode avait été envisagée avec l'emploi de ventilateurs électriques mais leur consommation en énergie s'avérait trop élevée.

2- La crémation, tout feu tout flamme

Par Joël Matriche, www.lesoir.be - jeudi 17 janvier 2008, 11:00

Robermont, hausse record en province de Liège. Un deuxième crématorium est prévu pour 2010.

Au centre funéraire de Robermont, à Liège, il est de plus en plus courant de se recueillir devant les cendres de ses défunts. © Valérie Adams-B.

Le Liégeois n'est pas frileux face à la crémation. Selon l'Institut national de statistiques, le centre funéraire a enregistré, en 2007, une des plus fortes hausses du pays. Avec 4 289 crémations en 2007, il progresse de 5,6 %. Loin derrière Turnhout (une hausse de 10 %), à égalité avec Charleroi (5,6 % également), mais loin devant les autres crématoriums du pays. En Belgique, la hausse moyenne pour 2007 est de 3 %, et en Wallonie, elle est de 4,9 %.
Un résultat qui, à en croire Philippe Dussart, directeur général de l'intercommunale du centre funéraire, ne doit rien au hasard. "Nous avons développé au crématorium de Liège un accueil personnalisé qui répond aux besoins des proches des défunts, explique-t-il. En tant que service public, nous veillons à ce que les hommages puissent être rendus dans les meilleures conditions possibles : Organisation de cérémonies, lecture de textes, diffusion de musique personnalisée…" Une empathie qui, associée au changement des mentalités, a permis au nombre de crémations de passer, en province de Liège, de 2 623 en 1989 à 4 289 en 2007. "La grande majorité des défunts sont bien sûr originaires de la province de Liège mais quelques-uns viennent également des provinces voisines (Namur et Luxembourg surtout), voire de l'étranger. D'Allemagne notamment."

3 - Un site à Welkenraedt

La progression est telle, laisse entendre le directeur, que la demande a été faite pour l'aménagement d'une deuxième installation en terre liégeoise, sur le site des anciennes fabriques de céramique de Welkenraedt. "Les délais d'attente à Liège sont normalement très raisonnables mais ils peuvent s'allonger dès qu'il y a un jour de congé. Comme nous tenons au cérémonial et que nous ne voulons pas que la crémation se limite à un acte technique (nous pourrions en faire trente par jour plutôt que quinze actuellement), une demande de permis unique a été déposée auprès de la Région wallonne. La réponse devrait nous parvenir dans le mois, l'inauguration est prévue fin 2010."

Deux unités (avec possibilité d'en rajouter une supplémentaire) devraient être implantées à Welkenraedt, soit la moitié de la capacité liégeoise. Avec cette innovation que la chaleur émanant des briques réfractaires sera récupérée et fera monter en température un circuit d'eau secondaire qui, à son tour, pourra délivrer ses calories aux installations d'eau sanitaires, au système de chauffage du bâtiment, voire des bâtiments communaux voisins.

Par ailleurs, afin de limiter les rejets polluants, des filtres devraient venir se greffer sur les installations de crémation.
 
En 2007, il y a eu, en Belgique 45 663 crémations, ce qui représente un peu plus de 40 % des décès. Le plus haut pourcentage est à attribuer à la région de Bruxelles (64,1 % en 2006), bien avant la Flandre (41,5 %) et la Wallonie (26 %).

4 - Un crématorium envisage d'utiliser ses surplus de chaleur pour chauffer les personnes en deuil

Mercredi 9 janvier 2008
Londres (Reuters Life!). Un crématorium britannique envisage d’utiliser le surplus de chaleur dégagée par ses fours pour chauffer sa chapelle et les personnes en deuil qui s’y recueillent. Par Georgina Cooper
 
Le conseil du district de Tameside, près de Manchester, songe à recycler la chaleur des fours de son crématorium de Dukinfield, jugeant que ce pourrait être une solution pour réduire les émissions de carbone.

"C'est une question très sensible, les gens ont différents points de vue sur le sujet, et je suis même sûr que certains pensent que nous pratiquons la crémation juste pour nous fournir en chauffage, mais ce n’est pas le cas," a affirmé Robin Monk, responsable chargé de l’environnement au Conseil de Tameside, à Reuters. Le projet est de dériver les gaz résiduaires vers des échangeurs thermiques qui réchaufferont l'eau du circuit de chauffage de la chapelle. Il y a également un autre projet qui viserait à envoyer les gaz vers une turbine afin créer de l'électricité.
 
"Que faire des gaz résiduaires ?" a poursuivi M. Monk. "Pour le moment, ils sont juste rejetés dans l'atmosphère par le biais d'une cheminée, alors que nous pourrions en faire une bien meilleure utilisation."

Les curés locaux, comme le Révérend Vernon Marshall, ont dit à Reuters que l'approche écologique de la crémation était réellement d’actualité, et qu’elle n’était pas aussi "horrible" qu'elle pouvait le sembler de prime abord.

"Je pense que l'idée est excellente, une vraie innovation. D’autant plus que cet air chaud ne va pas n'importe où" a souligné le Révérend Vernon Marshall. "Les familles n'ont pas besoin de réfléchir au fait que ce pourrait être un être cher qui les chauffe, il n’y a aucune connexion directe entre le corps et n'importe lequel des services donnés." Les fours de crémation sont capables de générer une température allant de 870 à 980°C. Au lieu d'employer une telle énergie juste pour la crémation d’un corps, le conseil de Tameside veut recycler cette énergie afin de pourvoir au chauffage et à l'éclairage de la chapelle.

L'idée est maintenant soumise au Conseil de l’Énergie, qui décidera de donner son approbation après consultation du public."Personnellement je ne le considère pas cette pratique comme inconvenante, je n’y vois pas de problème" dit à Reuters le Révérend Tim Hayes de l’église St John’s, Dukinfield, avant de conclure, "il n’y a rien d’autre à faire avec ce type de rejet. Il peut y avoir des personnes qui pourraient être choquées par une telle pratique, mais il ne faut pas le voir ainsi… Il s'agit simplement de faire une meilleure utilisation de ces gaz."
(édité par Paul Casciato) © Thomson Reuters 2008 tous droits réservés
 
5 - Les chers disparus encouragent à contribuer à la limitation du réchauffement de la planète

D'après The Times, 8 janvier 2008

Ne serait-ce pas une solution élégante à ces deux problèmes que sont la réduction des coûts de chauffage des bâtiments de même que la réduction des émissions de carbone par l'atmosphère ?

M. Monk a dit : "Des échangeurs thermiques seront installés pour réduire la température des gaz. Le reste sera simplement rejeté dans l'atmosphère par le biais de la cheminée."

Le Révérend Vernon Marshall, de l’église St John’s à Dukinfield, a dit : "Comme acte final de générosité, c'est une belle issue pour le défunt que de contribuer au confort des vivants, dans ce moment difficile de la vie. Je pense que c'est une belle idée."

6 - Les morts suédois fournissent le chauffage des logements

En revanche, certaines réactions peuvent être plus mitigées comme cet article paru à Helsinki.

Les nouvelles concernant le recyclage des surplus de chaleur générée par les fours des deux nouveaux crématoriums, installés à Helsingborg et Boras, par la compagnie locale en charge de l'énergie a suscité un véritable tollé dans la presse suédoise ainsi que la consternation des membres de l'Église.

"Cela représente un problème très sérieux" a dit Henrik Nystrom, pasteur à Boras, où la compagnie locale d'énergie chauffe près de 60 000 habitations et estime que le crématorium y a contribué à hauteur de 10 % au cours des six derniers mois. " De plus, même si la famille obtient toujours les cendres, imaginer ce qu'elle peut être amenée à penser lorsqu'elle entrera dans sa maison chaude et douillette à la suite du service funèbre... Le défunt contribue-t-il à chauffer notre maison ?

Lanyard Nelson, prédicateur baptiste de la paroisse de Helsingborg, a, sur le sujet, des propos beaucoup plus véhéments : "Personne ne veut que la pièce où il vit soit chauffée grâce au décès de la tante Astrid, c'est une idée que je juge plus que choquante, et surtout, irrévérencieuse vis-à-vis du défunt !"

Mais ces quelques réactions négatives ne doivent pas faire reculer les exploitants de crématorium. L'écologie, c'est éthique. Ne pas gâcher l'énergie, c'est bien respecter la vie.
 

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations