Votre panier

Panier vide
Question écrite n° 00178, JO Sénat 3 novembre 2022.


Un parlementaire interroge le Gouvernement sur la possibilité de déposer dans une sépulture du cimetière les cendres d’un animal. Il lui est répondu : "En vertu des articles L. 2223-3 et L. 2223-13 du Code Général des Collectivités Territoriales, la sépulture dans un cimetière communal est due aux seules personnes. Le maire ne peut donc y autoriser l’inhumation d’un animal ou de ses cendres, demandée par une famille ou un propriétaire de caveau.

Ainsi, le Conseil d’État a justifié l’interdiction faite à un concessionnaire de caveau de s’y faire inhumer avec son chien en se fondant sur la notion de dignité des morts (Conseil d’État, 17 avril 1963, Blois), qui implique de séparer strictement les espaces dédiés à l’inhumation des hommes et des animaux de compagnie. Il revient donc au maire d’interdire l’inhumation d’un cadavre d’animal ou de ses cendres dans le cimetière, ainsi que tout dépôt dans un cercueil dont il aurait connaissance. Le Gouvernement n’envisage pas de faire évoluer la réglementation en la matière." Voici donc l’occasion de présenter quelques remarques sur ce sujet.

L’animal : un être vivant… obéissant au régime des biens

Depuis la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, l’art. 515-14 du Code civil énonce en effet que : "Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens." Fort logiquement, leur devenir après leur mort tire les conséquences de cette qualification et leur réserve un traitement variable selon leur poids.

En effet, l’art. L. 226-1 du Code Rural et de la Pêche Maritime (CRPM) dispose que : "Constituent une mission de service public qui relève de la compétence de l’État la collecte, la manipulation, l’entreposage après collecte, le traitement ou l’élimination d’un ou plusieurs cadavres ou parties de cadavres d’animaux d’élevage de plus de 40 kilogrammes morts en exploitation agricole, outre-mer, ainsi que, en tous lieux, des catégories de cadavres d’animaux et de matières animales dont la liste est fixée par décret, pour lesquelles l’intervention de l’État est nécessaire dans l’intérêt général."

Il y est également précisé que les propriétaires ou détenteurs des cadavres d’animaux et des matières animales visés au premier alinéa doivent les mettre à la disposition de la personne chargée de l’exécution du service public de l’équarrissage. Pour satisfaire à ce principe, l’art. R. 226-11 du CRPM précise alors que, dans chaque commune, l’arrêté du préfet portant à la connaissance du public les noms et adresses des titulaires de marchés chargés de la collecte des sous-produits animaux relevant du service public de l’équarrissage, ainsi que toutes informations permettant de joindre ceux-ci sans délai, est affiché à la mairie.

Un extrait de cet arrêté est également publié dans un organe de presse local. Enfin, l’art. R. 226-12 du même Code prévoit que, lorsque le propriétaire d’un cadavre d’animal reste inconnu à l’expiration d’un délai de douze heures après la découverte de celui-ci, le maire de la commune sur le territoire de laquelle se trouve ce cadavre en avise le titulaire du marché chargé de la collecte et l’invite à procéder à l’enlèvement du cadavre dans un délai de deux jours francs.

La lecture de ces textes impose donc le recours au service public de l’équarrissage pour les animaux de plus de 40 kg. Dès lors, les animaux domestiques de moins de 40 kg peuvent être traités facultativement par le service public de l’équarrissage ou faire l’objet d’une crémation dans un crématorium animalier ou même être inhumé dans une propriété privée.

Néanmoins, comme le faisait justement remarquer Bertrand Hédin (Police funéraire : quelle "place" pour l’animal ? AJCT 2020, p. 137) : "Le cadre juridique de la prise en charge du cadavre de l’animal, s’il est en phase avec son statut civil, ne saurait satisfaire la grande majorité des propriétaires d’animaux domestiques qui voient en leur compagnon bien plus qu’un objet patrimonial". C’est tout l’intérêt de cette question parlementaire que de revenir sur ce point.

L’affaire du chien Félix

Le Conseil d’État a eu, il y a désormais longtemps, à se pencher sur l’interdiction d’inhumation d’un animal, à savoir un chien, dans une sépulture concédée. Cet arrêt "sieur Blois" (CE 17 avril 1963, n° 56746) est passé à la postérité des juristes intéressés par ce sujet comme "l’affaire dite du chien Félix". Un maire avait accordé verbalement une autorisation d’inhumation (nous utiliserons ce terme) du chien Félix dans la sépulture de ses maitres, mais le maire dut reculer face à l’indignation des administrés.

Il procéda au retrait de son autorisation et enjoignit, vainement, aux concessionnaires d’exhumer le corps de l’animal. Le Conseil d’État considéra alors que l’autorisation d’inhumer le corps du chien était illégale et, s’agissant d’une mesure de police non créatrice de droits pour le bénéficiaire, elle avait pu être abrogée sans délai par le maire. A priori, l’affaire est donc entendue (cet arrêt fut critiqué, et d’aucuns depuis longtemps estiment que le raisonnement du Conseil d’État est des plus fragiles (cf. sur ce point : Xavier Perrot, D’Anubis l’embaumeur au chien "Félix").

"L’animal compagnon de la solitude "éternelle" de l’homme", revue semestrielle de droit animalier, 1/2010, disponible à l’adresse suivante :
On y relèvera d’ailleurs dans ce passionnant article la citation suivante du commissaire du Gouvernement Luce, qui estimait que la solution que fit sienne le CE ne réglait pas "le cas de l’inhumation d’un être humain qui désirerait que soit placé à côté de son corps un coffret contenant les cendres de son chien mort avant lui, comme une coquette peut se faire enterrer avec son coffret à bijoux ou un militaire avec ses décorations".

Néanmoins, cet arrêt constitue toujours le droit positif, et doit donc être respecté. On le sait, le maire est titulaire de la police administrative générale (L. 2212-2 du CGCT) et c’est au nom de ce pouvoir qu’il doit prévenir les atteintes à la moralité publique ainsi qu’à la tranquillité publique, et, dans l’affaire du chien Félix, c’est bien tant l’une que l’autre qui étaient perturbées (cf. pour plus de détails B. Hédin précité), mais on pourra objecter que ces notions sont relatives et dépendent des époques, et que l’acceptabilité sociale ne serait pas la même aujourd’hui qu’en 1963, surtout pour des urnes funéraires. On pourrait également faire remarquer qu’il peut arriver qu’un défunt soit accompagné dans son cercueil par des objets parfois bien hétéroclites (mais ces objets n’ont pas été des choses vivantes douées de sensibilité).

Ainsi, à l’égal du Gouvernement, il nous paraît indifférent que l’animal soit réduit à l’état de cendres, et il faut se souvenir que, dans l’affaire du chien Félix, le Conseil d’État estimait d’ailleurs que, si l’art. L. 2223-1 du CGCT rend obligatoire le cimetière comme lieu de repos des défunts, cette affectation est exclusive et ne peut concerner le repos d’un animal.

Le cimetière public ne peut être utilisé pour cette fonction, et c’est pour cela d’ailleurs qu’existent des initiatives privées en la matière et que l’on pourrait également connaître des initiatives publiques… Force est néanmoins de constater qu’à l’égal de la solution du Conseil d’État, la position du Gouvernement (que nous partageons) n’est pas aussi évidente que cela…
 
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon
Chargé de cours à l’université de Valenciennes

Résonance n° 186 - Décembre 2022

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations