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C’est une importante décision que celle rendue par le juge administratif, puisqu’elle vient consacrer l’obligation pour un centre hospitalier de conserver l’enfant sans vie jusqu’au bout du délai de dix jours prévu par les textes et alors même que les parents auraient opté pour une crémation par le centre hospitalier avant la fin de ce délai. Explications…


CE, 29 septembre 2023, n° 468220 

Mme B. a accouché le 7 août 2013 au Centre hospitalier départemental de Vendée (CHDV) d’un enfant sans vie. Six jours plus tard, le centre hospitalier a organisé la crémation du corps de l’enfant. En 2018, Mme B. a adressé une réclamation préalable tendant à l’indemnisation du préjudice moral qu’elle estimait avoir subi du fait de la faute commise par le centre hospitalier dans la prise en charge du corps de son enfant. Devant le silence gardé par l’Administration, elle a demandé au tribunal administratif (TA) de Nantes de condamner le CHDV à lui verser la somme de 50 000 €. Le TA puis la cour administrative d’appel de Nantes ont rejeté sa demande.

Décès en milieu hospitalier et garde de l’enfant sans vie

L’art. R. 1112-75 du Code de la Santé Publique (CSP) dispose que : "La famille ou, à défaut, les proches disposent d’un délai de dix jours pour réclamer le corps de la personne décédée dans l’établissement. La mère ou le père dispose, à compter de l’accouchement, du même délai pour réclamer le corps de l’enfant pouvant être déclaré sans vie à l’état civil."

Cette rédaction soulève deux remarques. La première, et la plus importante, est que ce délai de dix jours pour réclamer le corps ne concorde pas avec les dispositions prévues au Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) pour l’inhumation des personnes décédées ailleurs qu’à l’hôpital. En effet, ce laps de temps, quand il est survenu en France, doit être compris dans un délai de vingt-quatre heures au moins et six jours au plus depuis la constatation du décès (art. R. 2213-33 du CGCT).

Il ne peut être dérogé à cela que par décision préfectorale (art. L. 2213-33); ou bien si le défunt est mort à l’étranger ou dans un territoire d’outre-mer, ce délai se comptera alors à partir de l’entrée sur le territoire du corps du défunt (art. R. 2213-33 CGCT). Le second point qui doit retenir notre attention est relatif aux personnes qui peuvent solliciter la remise du corps. Le décret précise que seule la famille et secondairement les proches du défunt peuvent réclamer le corps.

Cette affirmation pourrait potentiellement être source de conflit quant au respect de la volonté du défunt pour ce qui touche à l’organisation de ses funérailles. Il peut en effet arriver que la personne la plus apte à exécuter la volonté du défunt ne soit pas un membre de la famille mais un proche (CA Paris 20 mai 1980, Dame Nijinski et autre c/ Serge Lifar). Il faut enfin remarquer les corps qui seront remis sans délai, nous dit l’art. R. 1112-76 du CSP, ce qui pourrait aussi sembler bien rapide eu égard aux nombreuses formalités auxquelles seront confrontées les familles.

Devenir des corps non réclamés

L’art. R. 1112-76 CSP dispose par ailleurs que "II. − En cas de non-réclamation du corps dans le délai de dix jours mentionné à l’art. R. 1112-75, l’établissement dispose de deux jours francs :
"1° Pour faire procéder à l’inhumation du défunt dans des conditions financières compatibles avec l’avoir laissé par celui-ci ; en l’absence de ressources suffisantes, il est fait application des dispositions de l’art. L. 2223-27 du CGCT […]
"2° Pour prendre les mesures en vue de procéder, à sa charge, à la crémation du corps de l’enfant pouvant être déclaré sans vie à l’état civil ou, lorsqu’une convention avec la commune le prévoit, en vue de son inhumation par celle-ci."

Cette formulation est claire quant aux obligations de chacun. Si, au bout de dix jours, le corps n’est pas réclamé, l’établissement de santé a deux jours pour pourvoir aux obsèques dans les conditions posées par cet article.

Une lecture maximaliste du délai de dix jours

Il faut bien comprendre ici que les parents avaient choisi, avant l’expiration du délai de dix jours, non pas de reprendre le corps de l’enfant sans vie, ainsi que le prévoit l’art. R. 1112-75 du CSP, mais bien de le confier à l’établissement hospitalier pour qu’il procède à sa crémation, ainsi que le prévoient les dispositions de l’art. R. 1112-76 du CSP.

Or, pour le Conseil d’État, ces deux articles doivent se combiner : "Pour l’application de ces dispositions, l’établissement de santé est tenu, d’une part, de conserver le corps de l’enfant pendant la totalité de cette durée, y compris lorsque le père et la mère ont exprimé avant son terme leur accord pour confier au centre hospitalier le soin de procéder aux opérations funéraires. Il lui appartient, d’autre part, de délivrer aux parents une information complète et appropriée leur permettant d’exercer dans le délai qui leur est imparti par les dispositions citées au point 2 le choix qui leur appartient. À ce titre, il doit porter à leur connaissance l’existence de ce délai et les conditions dans lesquelles le corps sera pris en charge s’ils ne le réclament pas."

Le juge reproche donc à l’établissement de ne pas avoir correctement informé les parents des différentes possibilités dont ils disposaient, et il estime sans incidence "la circonstance que les parents ont signé, lors de leur sortie de la maternité le lendemain de l’accouchement, un formulaire qui ferait apparaître, selon le centre hospitalier, leur intention de lui confier le soin de procéder aux opérations funéraires".

En effet, c’est cette information lacunaire qui n’a pas permis aux parents "d’exercer, de façon éclairée, le droit qui était le leur d’organiser eux-mêmes les funérailles de leur enfant".
La responsabilité pécuniaire du centre hospitalier est donc engagée…
 
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon
Chargé de cours à l’université de Valenciennes

Résonance n° 197 - Novembre 2023

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