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Cette affaire résonne comme un coup de tonnerre dans le monde de la crémation. Saisi d’une requête visant à annuler la décision implicite de rejet de la Première ministre statuant sur la demande d’abrogation du décret n° 2022-1127 du 5 août 2022 (pris en application des dispositions de la loi "3DS" relative à la vente des métaux issus de crémation), formulée par la société EUROPE METAL CONCEPT, le Conseil d’État a fait droit, par un arrêt du 11 octobre 2023, à une demande de transmission au Conseil constitutionnel d’un examen de constitutionnalité de l’art. L. 2223-18-1 du CGCT.


La loi "3DS" et la vente des métaux issus de crémation

Le 22 février 2022 était publiée au Journal officiel la loi n° 2022-217 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite "3DS". L’art. 237 de cette loi créait un art. L. 2223-18-1-1 dans le Code général des collectivités territoriales (CGCT) disposant que :

"I.- Sans considération de leur origine, les métaux issus de la crémation ne sont pas assimilés aux cendres du défunt. Ces métaux font l’objet d’une récupération par le gestionnaire du crématorium pour cession, à titre gratuit ou onéreux, en vue du traitement approprié pour chacun d’eux.
II.- Le produit éventuel de la cession prévue au I est inscrit en recette de fonctionnement au sein du budget du crématorium où les métaux ont été recueillis. Ce produit éventuel ne peut être destiné qu’aux opérations suivantes :
1° Financer la prise en charge des obsèques des personnes dépourvues de ressources suffisantes, mentionnées à l’art. L. 2223-27;
2° Faire l’objet d’un don à une association d’intérêt général ou à une fondation reconnue d’utilité publique.
III.- Les dispositions des I et II figurent sur tout document de nature contractuelle prévoyant la crémation du défunt et sont affichées dans la partie des crématoriums ouverte au public.
IV.- Un décret en Conseil d’État précise les conditions d’application du présent article."
Ce texte, attendu depuis de nombreuses années, venait légaliser une pratique déjà très courante constituant dans la vente des métaux issus de crémation mais en fléchant la destination des recettes exclusivement au financement de la prise en charge des personnes dépourvues de ressources ou à des dons à des fondations ou associations d’intérêt général.

Le décret du 5 août 2022

Pris sur le fondement du IV. de l’art. L. 2223-18-1-1 du CGCT, le décret n° 2022-1127 du 5 août 2022 portant diverses mesures relatives à la réglementation funéraire créait un art. R. 2223-103-1 dans le CGCT précisant les modalités d’application des dispositions légales précitées :
"I.- Lorsqu’il est fait application du 1° du II de l’art. L. 2223-18-1-1, le gestionnaire du crématorium verse le produit de la cession des métaux récupérés à l’issue de la crémation à une ou plusieurs communes, qui ne peuvent affecter la somme correspondante qu’à la prise en charge des frais d’obsèques des personnes dépourvues de ressources suffisantes.
II.- Le don mentionné au 2° du II de l’art. L. 2223-18-1-1 ne peut être effectué qu’auprès d’une association d’intérêt général ou d’une fondation reconnue d’utilité publique, figurant sur une liste établie par l’organe délibérant de la commune ou de l’Établissement Public de Coopération Intercommunale (EPCI) compétent pour la création et la gestion du crématorium.
Lorsque le crématorium fait l’objet d’une gestion déléguée, la commune ou l’EPCI consulte le délégataire préalablement à la délibération établissant cette liste.
III.- Les dispositions des I et II de l’art. L. 2223-18-1-1 sont reproduites dans le devis relatif à la crémation. Ces dispositions figurent également, le cas échéant, dans le contrat prévoyant des prestations d’obsèques à l’avance lorsqu’il stipule le recours à la crémation.
IV.- Le gestionnaire du crématorium affiche dans la partie publique de l’établissement une information concernant la destination des métaux issus de la crémation et l’utilisation du produit éventuel de leur cession. Cette information comprend :
1° Les dispositions des I et II de l’art. L. 2223-18-1-1;
2° La liste des communes bénéficiaires des versements mentionnés au I du présent article et la liste des associations d’intérêt général et des fondations reconnues d’utilité publique établie sur le fondement du II du présent article.
V.- Le gestionnaire du crématorium publie chaque année les montants et les bénéficiaires des financements et dons éventuellement effectués en application de l’art. L. 2223-18-1-1.

Le gestionnaire met gratuitement à disposition un exemplaire papier de cette publication dans la partie publique de l’établissement. Cette publication est également mise à disposition, sous forme électronique, sur le site Internet du gestionnaire lorsqu’il existe.

Lorsque le crématorium fait l’objet d’une gestion déléguée, cette publication est transmise à l’autorité délégante."

C’est ce décret qui fait l’objet d’un recours devant le Conseil d’État.

Le recours introduit par la société EUROP METAL CONCEPT

Considérant les dispositions de ce décret illégales, la société EUROP METAL CONCEPT a demandé à la Première ministre d’abroger le décret. Si, depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2015-1341 du 23 octobre 2015, "le silence gardé pendant deux mois par l’Administration sur une demande vaut décision d’acceptation" (art. L.231-1 du Code des Relations entre le Public et l’Administration [CRPA]), plusieurs exceptions à ce principe sont prévues à l’art. L. 231-4 du CRPA, aux termes duquel, notamment : "par dérogation à l’art. L. 231-1, le silence gardé par l’Administration pendant deux mois vaut décision de rejet : 1° Lorsque la demande ne tend pas à l’adoption d’une décision présentant le caractère d’une décision individuelle".

Dès lors, l’absence de réponse de la Première ministre constitue en l’espèce une décision implicite de rejet susceptible de faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’État dans un délai de deux mois (art. R. 421-1 du Code de justice administrative).

Cette décision implicite de rejet a fait l’objet d’un recours en excès de pouvoir formé par la société EUROP METAL CONCEPT. Mais, à l’appui de ce recours, la requérante a également déposé "par un mémoire distinct, enregistré le 13 juillet 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État", une demande visant à "renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garanties par la Constitution des dispositions de l’art. L. 2223-18-1-1 du CGCT."

La question prioritaire de constitutionnalité

La révision constitutionnelle de 2008 a introduit un art. 61-1 aux termes duquel : "Lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé."

Cette procédure intitulée "Question prioritaire de constitutionnalité" a été précisée par une loi organique dont il découle que le Conseil constitutionnel dispose d’un délai de trois mois à compter de sa saisine pour statuer.

En l’espèce, sur le fond, la société requérante soulève le moyen tiré de ce que l’art. L. 2223-18-1-1 du CGCT porterait "atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine découlant du premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et au droit de propriété".

Rappelons en effet que, depuis la célèbre décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, le Préambule de la Constitution de 1946 et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789 ont, par renvoi du préambule de la Constitution de 1958, valeur constitutionnelle. Ces deux textes constituent donc, à l’instar du texte même de la Constitution de 1958, des normes constitutionnelles de référence sur le fondement desquelles le Conseil constitutionnel opère son contrôle.

S’agissant du droit de propriété, celui-ci est consacré dans deux articles de la DDHC que son art. 2 qualifie de "droit naturel et imprescriptible de l’homme", complété par son art. 17 qui dispose que, "la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité".
Une audience publique se tiendra au Conseil constitutionnel dans un délai habituel de deux mois environ à compter de sa saisine par le Conseil d’État.

À l’issue, le Conseil constitutionnel rendra une décision par laquelle il pourra déclarer conforme ou non conforme à la Constitution la disposition déférée, mais il pourra également déclarer conforme la disposition en émettant des réserves d’interprétation.

Espérons que celui-ci ne remettra pas en cause ces dispositions législatives attendues de très longues dates et répondant "aux nombreuses demandes des familles, des associations de consommateurs et des opérateurs funéraires en vue de pratiques plus transparentes", ainsi que ne manquait pas de le rappeler la Direction Générale des Collectivités Locales (DGCL) dans sa note au secteur funéraire publiée en mars 2022.

Référence : Conseil d’État, 5e - 6e chambres réunies, 11 octobre 2023, n° 472830.
 
Me Xavier Anonin
Docteur en droit
Avocat au barreau de Paris

Résonance n° 197 - Novembre 2023

Instances fédérales nationales et internationales :

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