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Il nous a paru utile de proposer aux rédacteurs de règlements de cimetières et de règlements de sites cinéraires quelques trames d’articles sur un sujet où le peu de réglementation au niveau national redonne aux pouvoirs de police du maire beaucoup d’importance et de latitude. Naturellement, c’est la pratique locale, les équipements choisis, ainsi que la topographie de ces espaces qui doivent guider les rédacteurs dans leur démarche.


Généralement dénommé "jardin du souvenir" (l’expression "jardin du souvenir" a néanmoins disparu des textes avec l’adoption du décret du 20 juillet 1998 relatif à la crémation) cette désignation ne fait que consacrer la disparité des équipements mis en place par les communes et la variété des appellations qu’ils ont reçues. L’intention du législateur était de ne pas enfermer les communes dans l’obligation de disposer d’un "jardin". C’est joli un jardin, mais les végétaux peuvent proliférer, quid de cette prolifération, ne risque-t-elle pas de devenir gênante pour la dispersion ?

Que faire si la tonte du jardin s’opère alors que des cendres viennent d’être dispersées ? Le jardinier commet-il l’infraction d’atteinte au respect dû aux morts ? Pourrait-il être passible d’une peine de prison en tondant et en récupérant malencontreusement des cendres dispersées ? Alors, ne l’entretenons pas, et derechef un nouveau questionnement paraît : est-ce respectueux que de laisser disperser des restes mortels dans un jardin abandonné aux herbes folles ? Nécessairement, la protection pénale et civile accordée aux cendres fera qu’un jour de tels contentieux se produiront, car le traitement respectueux des cendres est inscrit dans la loi.

D’autre part, si on délaisse un équipement ressemblant à un jardin, que choisir ? Un puits ? Une mer de galets ? Ces équipements, il est vrai, semblent peut-être plus commodes d’utilisation qu’un jardin : le puits pourrait répondre à la problématique de crémations en nombre, fruit de reprises administratives importantes. En effet, même si, depuis la loi du 19 décembre 2008, il n’est plus possible d’opter systématiquement pour la crémation des restes repris, il n’en demeure pas moins que, dans les années à venir, le nombre de reprises devrait significativement augmenter, la place venant à manquer dans des cimetières où, de surcroît, la raréfaction du foncier disponible et sa cherté devraient en de nombreux endroits limiter les extensions. Quant à la mer de galets ou à la rivière sèche, elle pourrait indubitablement résoudre les problématiques d’entretien du site cinéraire…

Par ces quelques propos familiers, nous avons voulu marquer que le choix d’un dispositif de dispersion va nécessairement avoir un impact sur la gestion de cet équipement, et qu’il faudra y penser avant l’entrée en service de l’espace de dispersion. Il importera que les services techniques appréhendent certaines particularités liées à l’équipement, que cette gestion technique soit respectueuse de la sensibilité des familles et surtout ne porte pas atteinte aux cendres, dont il faut encore rappeler qu’elles sont civilement et surtout pénalement protégées.

L’idéal, selon nous, serait alors de disposer de plusieurs types de dispositifs en fonction des desidérata des familles. L’opération de dispersion est désormais régie par l’art. L. 2223-18-2 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT). L’interdiction de dispersion dans un autre espace nous semble découler de l’identification d’un lieu précis dévolu à la dispersion.

Proposition d’article : Autorisation de dispersion

Chaque dispersion doit être autorisée préalablement par l’autorité municipale. À cette fin, toute dispersion doit faire l’objet d’une demande préalable, au moins quarante-huit heures à l’avance, auprès des services du cimetière. En accord avec la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, un jour et une heure seront fixés pour l’opération de dispersion.

L’autorisation est bien entendu obligatoire dès lors que l’art. R. 2213-39 du CGCT dispose que : "Le placement dans une sépulture, le scellement sur un monument funéraire, le dépôt dans une case de columbarium d’une urne et la dispersion des cendres, dans un cimetière ou un site cinéraire faisant l’objet de concessions, sont subordonnés à l’autorisation du maire de la commune où se déroule l’opération." En revanche, dans un souci de bonne administration, il est possible tant de fixer un délai quant à l’obtention de cette autorisation, que d’organiser la date précise de celle-ci.

Il existe alors une incertitude : que signifie "disperser" ? Faut-il strictement se conformer à l’acception d’un dictionnaire ? En un mot, convient-il d’interdire certaines pratiques comme le dépôt d’un monticule de cendres ? D’ailleurs, un tel monticule ne serait-il pas contraire au respect dû aux morts ? Faut-il obliger à disperser d’une certaine façon ? Faut-il interdire cette possibilité aux familles, en arguant qu’il conviendrait d’être habilité pour ce faire, méconnaissant les hypothèses dérogatoires tolérées par l’Administration ? Toutes ces questions ne connaissent absolument aucune réponse juridique pour le moment.

Nous ne pouvons qu’encourager la surveillance de cette opération par un agent. Il faudrait peut-être se diriger vers l’emploi d’un "dispersoir", dispositif qui permet de répandre les cendres progressivement, et ainsi de décourager toute création d’un "petit tas" qui peut gêner l’entretien du site et être des plus disgracieux. De surcroît, il peut exister des obstacles météorologiques qui nuiraient à une dispersion respectueuse du défunt ; c’est pour toutes ces raisons que cette opération doit être réglementée.

Proposition d’article : "Registre" (facultatif)

Les services du cimetière tiennent un registre mentionnant les noms, prénoms, dates de naissance et de décès des personnes dont la dispersion des cendres a été autorisée.

Inscriptions

À la demande des familles, les entreprises sont autorisées à procéder à l’inscription, sur le dispositif installé par la commune, des noms, prénoms, dates de naissance et de décès des défunts dont les cendres ont été dispersées. Ces inscriptions devront être effectuées selon les indications données par les services du cimetière et sous la surveillance de ceux-ci.

Depuis 2013, l’espace de dispersion doit être "doté d’un équipement mentionnant l’identité des défunts" (art. L. 2223-2 du CGCT). Cependant, aucun texte ne définit précisément ce que doit être cet équipement. Pour l’instant, l’on pourrait mentionner une réponse ministérielle n° 09034 de M. Joël Bourdin (Eure – UMP), publiée au JO Sénat du 4 juin 2009, p. 1367, dans laquelle le Gouvernement avance que :
[…] "la nature de cet équipement obligatoire étant laissée à l’appréciation de la commune. À titre d’exemple, les noms des défunts pourront être gravés sur un mur du cimetière, un monument dédié à cet effet ou, sous réserve des dispositions applicables à la création d’un fichier nominatif, consultables au moyen d’un équipement informatique accessible en permanence."

On peut contester que le terme "équipement" puisse correspondre à un simple fichier. Néanmoins, le Gouvernement, dans cette réponse, semble permettre ce procédé. Il accepterait également que l’inscription soit temporaire, alors que paradoxalement il la rendrait "obligatoire" : […] L’identité des défunts dont les cendres ont été dispersées doit être inscrite sur un équipement dédié à cet effet. Ce dispositif permet de conserver la mémoire des personnes disparues. Dans cette perspective, il appartient à la commune de déterminer une durée raisonnable durant laquelle ces informations sont accessibles au public afin de permettre, par exemple, l’entreprise de recherches généalogiques. S’agissant de la nature de l’équipement, chaque commune choisit le support le plus approprié pour remplir cette obligation. À titre d’exemple, il peut s’agir d’une borne informatique, de plaques sur lesquelles sont gravés les noms ou d’un registre "papier". (Question écrite n° 12621 JO Sénat du 18 mars 2010).

Il est aussi possible de relever que cette réponse évoque une obligation pour les familles de procéder à l’inscription de l’identité sur l’équipement, puisque c’est le verbe "devoir" qui est ici employé. De nouveau, nous imaginons mal que l’on force une famille à une telle inscription, dès lors que n’existe aucune obligation analogue pour une sépulture classique.

Ensuite, on relèvera que l’inscription autorisée aux familles ne concerne que l’identité du défunt, c’est-à-dire ses noms et prénoms. Tout autre contenu, à l’instar d’une date de naissance, de mort, éventuellement d’une photographie, ne saurait relever que de ce que le règlement de cimetière permettra. Il appartiendra donc à la commune de décider l’étendue des possibilités ouvertes aux familles en matière d’inscription. En effet, à la différence des concessions funéraires, où la commune n’est pas propriétaire des monuments et où elle ne peut réglementer la forme, la couleur, la nature des inscriptions, nonobstant toute atteinte à l’ordre public, la commune est propriétaire de cet équipement destiné à mentionner l’identité des défunts.

Ainsi, soucieuse d’en assurer la pérennité et la meilleure utilisation possible, il lui sera loisible de réglementer les inscriptions. Enfin, il appartiendra au conseil municipal de décider du coût éventuel de cette opération, et de la possibilité pour ceux dont les cendres furent dispersées avant l’instauration et cette possibilité de voir leur identité portée à cet équipement. On mentionnera enfin que cet équipement devrait permettre de lutter contre l’envahissement de l’espace de dispersion par des témoignages ou objets de toutes sortes qui invariablement en viendront à gêner les dispersions. Il pourrait alors être prévu un espace spécifique pour ce faire par le règlement.

Proposition d’article : "Surveillance de l’opération"

La dispersion, préalablement autorisée en application de l’article précédent, devra être opérée sous le contrôle de la personne chargée par le maire de cette fonction. Elle est notamment chargée du respect du présent règlement et devra s’assurer que toute la dignité nécessaire à l’opération a été observée. Bien entendu cette disposition ne concerne pas à proprement parler la surveillance des opérations funéraires telles que prévues à l’art. L. 2213-14 du CGCT. N’importe quel personnel municipal peut donc être employé.

Proposition d’article : "Redevance" (facultatif)

Chaque dispersion donnera lieu au paiement d’une redevance telle que fixée par le conseil municipal. Ce prix est la contrepartie d’une prestation, c’est-à-dire de l’utilisation de l’espace de dispersion, tandis que la taxe est un impôt acquitté. Très souvent, on utilise un terme à la place de l’autre. La possibilité de perception de cette "taxe" est évoquée dans la circulaire n° 97-00211 C du 12 décembre 1997.

Proposition d’article : "Dépôt de fleurs et plantes"

Les fleurs et plantes ne pourront être déposées que dans le lieu spécialement prévu à cet effet. Tout dépôt en dehors de ce lieu est interdit. Les services municipaux, chargés de l’entretien de l’espace de dispersion, enlèveront immédiatement les fleurs et plantes déposées en dehors de ce lieu ; les fleurs et plantes seront jetées.

Dépôt d’objets

Sous réserve des dispositions de l’article précédent, tout dépôt d’objet, pierre sépulcrale ou autre signe indicatif de sépulture est strictement prohibé dans le lieu affecté à la dispersion des cendres. Les services municipaux enlèveront immédiatement ces objets, qui seront détruits.

Ces dispositions sont importantes, il ne faut pas que l’espace de dispersion avec le temps soit encombré et qu’ainsi son utilisation devienne malaisée tandis que son aspect laissera à désirer. Ces articles nous semblent surtout avoir une portée pédagogique à l’égard des familles.

Enfin, une dernière question trouve à se poser : qu’arrive-t-il en cas de translation du site cinéraire. Certes, le Gouvernement a pris position sur le sujet en énonçant que (rep. min. n° 12278, JO S du 2 avril 20125, cf. annexe 3) qu’en cas de translation du site cinéraire aucune règle n’existe nonobstant les dispositions de l’art. R. 2223-23-1 du CGCT, qui énonce qu’"en cas de translation du site cinéraire, les titulaires des emplacements sont en droit d’obtenir, dans le nouveau site cinéraire, un emplacement répondant à des caractéristiques identiques".

Ainsi, "la commune peut décider de la manière dont elle procède à la translation des sites cinéraires sous réserve qu’il n’y ait pas d’atteinte à l’ordre public et que les dispositions de l’art. 16-1-1 du Code civil relatives au statut du corps humain post mortem soient respectées. Dans ce cadre, chaque commune peut librement déterminer les modalités de changement d’affectation et d’aliénation du terrain qui accueillait le site cinéraire déplacé. En vertu de son pouvoir de police des funérailles et des lieux de sépulture, il appartient au maire de décider des conditions dans lesquelles ce changement d’affectation et cette aliénation peuvent avoir lieu (articles L. 2213-8 et L. 2213-9 du CGCT".

On remarquera l’oubli de la mention du risque pénal (art. 225-17 du Code pénal), pourtant bien plus dangereux pour les personnels et élus communaux qu’une éventuelle action civile fondée sur l’art. 16-1 du Code civil. On relèvera aussi que cette réponse aurait pu être l’occasion de s’attarder sur les droits des familles dont les défunts auraient été dispersés dans le lieu du cimetière affecté à cet effet. En effet, il semble impossible de pouvoir les considérer comme des "titulaires d’emplacements" au sens des dispositions précitées du CGCT. Que faire alors des cendres dispersées dans un espace comme un jardin si le cimetière et le site cinéraire sont translatés ?
 
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon
Chargé de cours à l’université de Valenciennes

Résonance n° 198 - Décembre 2023

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