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L’actualité jurisprudentielle du droit funéraire a été assez conséquente récemment pour que l’on puisse établir une petite chronique de quelques très récents jugements et arrêts qui seront d’utiles piqûres de rappel de la réglementation ou, au contraire, étonneront par leur solution.


I - Retrait d’une concession pour absence d’acte notarié : attention, la concession est un contrat 

Tribunal administratif d’Orléans, 12 janvier 2024, n° 2102366

Le litige est assez inusuel : Mme C est devenue titulaire d’une concession funéraire par donation. Le jugement mentionne alors que le maire de Chatenoy prit acte de celle-ci. Las, le nouveau maire de cette commune exigea que cette donation soit passée par acte notarié, ainsi que l’exige l’art. 931 du Code civil. Mme C ne transmit jamais un tel acte et le maire procéda au retrait de la décision. Ce jugement rappelle alors que la procédure de donation devant notaire est d‘ordre public et que l’absence de cette formalité justifiait un retrait, c’est-à-dire l’annihilation de la donation de la concession.

On ne peut qu’être surpris d’un tel jugement : en effet, la concession funéraire est traditionnellement analysée par le juge comme un contrat (CE, ass., 21 octobre 1955, Méline, Rec. CE 1955, p. 491 ; CE 1er décembre 1979, Berezowski, Rec. CE, p. 521), même lorsqu’elle est attribuée sous forme d’acte unilatéral (il est en effet souvent d’usage de l’attribuer par des arrêtés municipaux, alors même que ce sont plutôt des décisions du maire devant faire préalablement l’objet d’une délégation du conseil municipal en vertu de l’art. L. 2122-22-8° Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) ; CAA Bordeaux 6 janvier 2009, n° 07BX02269).

Ce jugement rejoint la liste déjà fournie d’autres décisions tout aussi contestables où leur est appliquée la théorie du retrait des actes administratifs unilatéraux (CAA Bordeaux, 6 janvier 2009, Mme Gracieuse Y., req. n° 07BX02269 ; CAA Douai, 4 octobre 2007, commune de Thun-l’Évêque, req. n° 07DA00516) alors qu’elles constituent des contrats d’occupation du domaine public, puisque le juge administratif, après de nombreuses hésitations, qualifie le cimetière de propriété publique, affectée à l’usage du public (CE, 28 juin 1935, Marecar). Or, un contrat ne peut être retiré.

Quant à la donation : le concessionnaire peut de son vivant donner sa concession devant notaire, ainsi que l’exige l’art. 931 du Code civil, par un acte authentique dont la valeur probatoire sera très élevée. Il est alors d’usage d’établir un acte de substitution entre l’ancien concessionnaire, le maire et le nouveau concessionnaire. La position de la doctrine administrative étant que le maire ne peut refuser cette donation que pour des motifs tirés de l’intérêt public (Rép. min. n° 47007, JOAN Q, 26 octobre 1992, p. 492).

En dépit de cela, le Conseil d’État, dans un arrêt Hérail (CE Sect., 11 octobre 1957, Hérail, AJDA 1957, p. 429, conclusions Kahn), a précisé qu’il était impossible au concessionnaire de céder les droits qu’il tient de ce contrat, tandis qu’au contraire le juge judiciaire, lui, le permet (Cass. civ. 1re, 23 octobre 1968, Mund). Néanmoins, la reconnaissance d’un droit réel sur la concession par le tribunal des conflits pourrait justifier la position du Gouvernement (TC 6 juillet 1981, Jacquot : Rec. CE, p. 507). Cette opération amènera les services municipaux à changer le nom du titulaire de la concession sur l’acte initial.

Ainsi, le retrait ne devrait concerner que cet acte de substitution (même si le jugement est muet sur ce point), puisque le retrait de la concession est de toute façon impossible et que l’acte de donation est un acte de droit privé. Nous ne comprenons d’ailleurs pas alors pourquoi un tel retrait interviendrait aussi tardivement. En effet, l’art. L. 242-1 Code des Relations entre le Public et l’Administration (CRPA) est ainsi rédigé :
"L’Administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d’un tiers que si elle est illégale et si l’abrogation ou le retrait intervient dans le délai de 4 mois suivant la prise de cette décision."

Le délai nous semble expiré.

II - Typologie des concessions : une concession collective n’est pas une concession familiale

Tribunal administratif de Bordeaux, 11 janvier 2024, n° 2205636

Ce jugement permet de rappeler la distinction entre les différents types de concessions : le maire de Cavignac a rejeté la demande de M. E B d’inhumation de sa belle-mère dans la concession acquise par sa mère, au motif qu’il s’agit non d’une concession familiale mais d’une concession collective, les personnes autorisées à y être inhumées y étant limitativement énumérées. Le juge rappelle que ni la famille, ni les enfants et successeurs ne sont mentionnés dans l’acte, "ce qui exclut le caractère familial de la concession".

En manque de précision sur l’origine de cette inscription, la présence de la mention "Famille B" sur la pierre tombale ne permet pas de considérer que Mme D B aurait de son vivant entendu modifier la nature de la concession, en l’absence d’avenant au contrat de concession ou de clause testamentaire.

III - Typologie des concessions : une concession familiale peut accueillir n’importe quel membre de la famille 

Tribunal administratif de Caen, 22 décembre 2023, n° 2101839

Voici encore un exemple de conflit lors de l’attribution d’un emplacement dans une concession funéraire : le maire de la commune de Cabourg a accordé à D A une concession perpétuelle pour y fonder, au n° 444 dans le cimetière de la commune, la "sépulture de Mme B E et de la famille A". Le juge explique alors que : "En demandant cette concession pour sa sépulture, celle de son épouse et de la famille A, lesquels ne sont pas nommément désignés, le fondateur a entendu lui conférer le caractère d’une concession familiale".

Dès lors, la belle-fille du fondateur née d’une première union disposait d‘un droit à inhumation dans celle-ci : en l’absence d’un intérêt public s’y opposant, le maire de la commune de Cabourg ne pouvait refuser l’attribution de concession à M. C, en tant qu’ayant droit de Mme B E épouse A dans la concession n° 444 du cimetière de Cabourg. Ainsi, sa décision refusant l’attribution de cette concession est entachée d’illégalité.

On sait en effet que, dans ces concessions de famille, le juge part du principe que l’intention présumée du fondateur est l’inhumation des membres de sa famille (CE 7 février 1913, Mure, S. 1913, III, 81, note Hauriou). Le concessionnaire peut d’ailleurs expressément exclure de ce droit certaines personnes de sa famille (CAA Bordeaux 3 novembre 1997, M. Gilbert Lavé, req. n° 96BX01838) en les mentionnant, eux, dans l’acte de concession, ce qui ne fut pas le cas ici…

IV - Qualité de plus proche parent : peu importe le degré de parenté !

Tribunal administratif de Caen, 22 décembre 2023, n° 2101839

Le même jugement eut à se prononcer sur une demande d’exhumation refusée : M. C est l’arrière-arrière-petit-fils de Mme E et arrière-petit-fils de Mme B E épouse A, concessionnaire testamentaire. Il a bien produit à l’appui de la demande, conformément à l’art. R. 2213-40 du CGCT, la justification de son état civil, de son domicile et de sa qualité. Le maire ne saurait alors invoquer le seul écart de génération entre le requérant et son arrière-grand-mère pour lui opposer un doute sur sa qualité ou sur l’existence d’un autre parent plus proche que lui du défunt. Il avait d’ailleurs produit cette déclaration sur l’honneur.

V - Concession funéraire : reprendre ou renoncer ?

CAA de Bordeaux, 21 décembre 2023, n° 22BX01175

Une procédure de reprise de concession pour cause d’abandon est initiée dans un cimetière de Bergerac. À réception du premier courrier prévu par la procédure, la requérante indique sa volonté d’abandonner la sépulture. Le caveau est alors détruit et la commune prend un arrêté de rétrocession pour motif d’abandon de sépulture. La requérante estime avoir subi un préjudice résultant de l’exhumation et de cette destruction, opérées sans qu’elle ait été informée…

On est assez surpris que la commune ait accepté cette rétrocession, car nous pensons que celle-ci est impossible dans l’hypothèse d’une concession perpétuelle, en tout cas rien ne prévoit une telle possibilité. Il semble plutôt, en tout cas pour la doctrine administrative, que cette opération ne soit possible que pour le fondateur de la concession :
"Néanmoins, le conseil municipal – ou le maire, lorsqu’il a reçu délégation du conseil municipal en application de l’art. L. 2122-22 du CGCT – demeure libre de refuser l’offre de rétrocession de la concession, obligeant ainsi le concessionnaire à respecter ses obligations contractuelles. La demande de rétrocession ne peut donc émaner que de celui qui a acquis la concession. Sont donc exclus les héritiers, tenus de respecter les contrats passés par leur auteur, soit le fondateur de la sépulture."

(Rép. min. n° 57159, JOAN Q 12 juillet 2005, p. 6909).

Si l’on accepte usuellement cette position, la conséquence est que seuls ceux qui étaient parties au contrat peuvent le rompre, ce droit est ainsi reconnu au fondateur de la concession, mais pas aux héritiers. Pour autant, le juge d’appel valide ce changement de procédure : il s’ensuit que la rétrocession à la commune de l’emplacement n° 1159 est fondée, comme l’a relevé à bon droit le tribunal, sur la manifestation expresse de volonté des héritiers des fondateurs de la concession, et non sur la mise en œuvre, par le maire de Bergerac, de la procédure de reprise d’une concession pour abandon définie aux articles L. 2223-17 et R. 2223-13 et suivants du CGCT.
Dès lors, il s’agit non pas d’une reprise de concession, mais d’une renonciation à concession suivie d’une exhumation, et la réglementation doit pour le juge bordelais être celle de cette opération. La solution s’impose donc à lui : "Aucune disposition législative ou réglementaire n’imposant à la commune de Bergerac d’aviser les héritiers qui renoncent à leurs droits sur une concession funéraire, comme pouvaient le faire au cas d’espèce les consorts E... et D... en leur qualité d’héritiers co-indivisaires de la concession, des opérations d’exhumation et de destruction de la sépulture, la commune de Bergerac, qui n’avait pris aucun engagement à ce titre, ne peut être regardée comme ayant commis une faute susceptible d’engager sa responsabilité."

VI - Obsèques des "indigents" et information des familles

Tribunal administratif d'Amiens, 21 décembre 2023, n° 2103214

La commune de Saint-Quentin a organisé l’inhumation de M. C, sur demande de sa veuve. Celle-ci estime avoir subi un préjudice du fait qu’elle ne fut pas prévenue des obsèques. Le juge rappelle alors qu’il n’existe aucune obligation pour la commune qui se substitue à la famille d’informer les proches, mais qu’en revanche la commune avait prévu de contacter la veuve pour fixer une date d’inhumation, ce qu’elle ne fit finalement pas.

Il existe donc une faute communale, mais cette faute n’entraîne pas la responsabilité de la commune, puisque la veuve ne prouve pas non plus avoir fait preuve d’une volonté manifeste de demeurer informée de cette inhumation. Enfin, elle ne peut reprocher que, dans cette hypothèse d’"indigence", la commune ait opté pour un terrain commun au lieu d’une concession.

VII - Surveillance des exhumations : les obligations 

CAA de PARIS, 16 janvier 2024, n° 23PA00541

Les requérants font valoir qu’aucun agent de la commune n’était présent pour assister aux opérations d’exhumation réalisées le 13 novembre 2019 et qu’en ne surveillant pas ces opérations, la commune n’a pu se rendre compte des opérations concomitantes d’exhumation, de réduction et de transfert des ossements de M. C... H... emportant suppression de sa sépulture. Ce défaut de surveillance est, selon eux, constitutif d’une faute de nature à engager la responsabilité de la commune.

Or, à cette date, les fonctionnaires n’étaient tenus de surveiller des opérations funéraires que dans le cas où il doit être procédé à la crémation du corps ou dans le cas de transport du corps hors de la commune de décès ou de dépôt, lorsque aucun membre de la famille n’est présent. Dans les autres cas, notamment l’exhumation, la présence d’un fonctionnaire n’était plus que facultative en vertu du dernier alinéa de l’art. L. 2213-14 du CGCT.

VIII - La communauté d’agglomération, les communes et leur SEM : une histoire de compétence 

CAA de Douai, 14 novembre 2023, n° 22DA00919

Une société de pompes funèbres demande qu’une communauté d’agglomération cède ses parts dans une Société d’Économie Mixte (SEM) de prestations funéraires intercommunales ou que celle-ci cesse ses activités de pompes funèbres. Il faut comprendre que la personne publique avait créé avec plusieurs partenaires privés une SEM dont l’objet était la création et la gestion d’un crématorium. Puis, des communes membres de cette intercommunalité devinrent également actionnaires de cette SEM, qui développa une activité de pompes funèbres générales en sus de la gestion du crématorium. Un concurrent privé s’en émeut…

Le problème est que, si la compétence "crématorium" est une compétence qui relève de l’intercommunalité, la compétence "service public" funéraire relève des communes (art. L. 2223-19 du CGCT) :
"Le service extérieur des pompes funèbres est une mission de service public comprenant :
1° Le transport des corps avant et après mise en bière ;
2° L’organisation des obsèques ;
3° Les soins de conservation définis à l’art. L. 2223-19-1 ;
4° La fourniture des housses, des cercueils et de leurs accessoires intérieurs et extérieurs ainsi que des urnes cinéraires ;
5° Alinéa supprimé ;
6° La gestion et l’utilisation des chambres funéraires ;
7° La fourniture des corbillards et des voitures de deuil ;
8° La fourniture de personnel et des objets et prestations nécessaires aux obsèques, inhumations, exhumations et crémations, à l’exception des plaques funéraires, emblèmes religieux, fleurs, travaux divers d’imprimerie et de la marbrerie funéraire.

Cette mission peut être assurée par les communes, directement ou par voie de gestion déléguée. Les communes ou leurs délégataires ne bénéficient d’aucun droit d’exclusivité pour l’exercice de cette mission. Elle peut être également assurée par toute autre entreprise ou association bénéficiaire de l’habilitation prévue à l’art. L. 2223-23 du CGCT.

Néanmoins, l’art. L. 1522-1 CGCT dispose que :
Les assemblées délibérantes des communes, des départements, des régions et de leurs groupements peuvent, à l’effet, créer des SEM locales mentionnées à l’art. L. 1521-1, acquérir des actions ou recevoir, à titre de redevance, des actions d’apports, émises par ces sociétés.

Les prises de participation sont subordonnées aux conditions suivantes :
1° La société revêt la forme de société anonyme régie par le livre II du Code de commerce, sous réserve des dispositions du présent titre ;
2° Les collectivités territoriales et leurs groupements détiennent, séparément ou à plusieurs, plus de la moitié du capital de ces sociétés et des voix dans les organes délibérants ;
3° La réalisation de l’objet de ces sociétés concourt à l’exercice d’au moins une compétence de chacune des collectivités territoriales et de chacun des groupements de collectivités territoriales qui en sont actionnaires.

Sous réserve, pour les États qui ne sont pas membres de l’Union européenne, de la conclusion d’un accord préalable entre la France et les États concernés, des collectivités territoriales étrangères et leurs groupements peuvent participer au capital de SEM locales dont l’objet social est conforme à l’art. L. 1521-1.

Ils ne peuvent toutefois pas détenir, séparément ou à plusieurs, plus de la moitié du capital et des voix dans les organes délibérants détenus par l’ensemble des collectivités territoriales et leurs groupements."

Il résulte notamment de ces dispositions qu’une collectivité ou un groupement de collectivités peut légalement détenir des actions dans une SEM qui a un objet pour partie étranger à ses compétences, à la condition que cet objet concoure à l’exercice d’une compétence d’une des autres collectivités ou groupements de collectivités actionnaires. En revanche, il ne résulte ni de ces dispositions, ni des travaux parlementaires préalables à l’élaboration de la loi précitée que la participation au capital, d’une commune ou d’un groupement de communes, devrait être proportionnée à la part de l’activité de la société qui relève de ses propres compétences. La SEM pourra donc continuer son ouvrage…
 
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon - Chargé de cours à l’université de Valenciennes

Résonance n° 200 - Février 2024

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations