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Il est de bon ton d’affirmer que la sépulture est apparue il y a 100 000 ans, au moment où l’homme moderne est apparu sur terre. Toujours dans le registre des affirmations classiques, les prémices de toute civilisation humaine correspondraient à l’émergence de pratiques funéraires. Non seulement de telles affirmations doivent être nuancées, pour ne pas dire contredites, mais, de plus, elles s’inscrivent dans une interprétation linéaire de l’évolution humaine dans le temps qui nous prive de pouvoir bien comprendre ce que nous sommes aujourd’hui.


Nous sommes des hybrides de néanderthaliens et de sapiens (il y a donc du néandertalien en nous, malgré notre apparence et notre caractère génétique d’homo sapiens). Cette affirmation serait gratuite si elle ne recelait pas des clés pour comprendre ce que nous sommes encore aujourd’hui et ce que nous devenons sans véritablement nous situer dans l’échelle de civilisation.

Quelques vérités sont à rappeler pour certains, et à découvrir pour le plus grand nombre :

- Le néandertalien possédait un volume cervical parfaitement égal au nôtre. Il n’est pas directement un ancêtre de l’homo sapiens, mais plutôt un cousin issu, comme l’homo sapiens (rien à voir avec le lobby LGBT, faut-il le préciser…) de l’homo erectus (d’où la parenthèse précédente) ;
- Le néanderthalien a disparu en tant qu’espèce d’hominidé vers les moins trente mille avant J.-C.) sans que les scientifiques puissent déterminer la cause de cette extinction ;
- Les races préhistoriques, tout en se différentiant, se sont mélangées par hybridation, tout d’abord au Moyen-Orient, puis en Asie d’un côté, et en Europe de l’autre. L’homo sapiens venait d’Afrique quand il a rencontré pour la première fois un néandertalien. Reportez-vous à la lecture de l’encadré "L’amour, pas la guerre" ;
- Les races d’hominidés se distinguaient par leur génome, mais pas seulement, ce qui n’était pas un obstacle à l’hybridation, au contraire. Elles se distinguaient surtout dans la conformation du palais et l’importance du menton, caractéristique de l’homo sapiens. Cette différence dans le bas du visage s’interpréterait aujourd’hui comme un obstacle majeur à la communication verbale. Les paléontologues sont nombreux à penser que le néandertalien s’exprimait par un système voisin de la langue des clics, encore pratiquée en Afrique australe. Mais le système de communication des hominidés ne doit pas forcément être imaginé selon une logique moderne d’expression. Il existe, encore à ce jour, de nombreux système de communication non verbale (langage gestuel des Amérindiens ou des sourds-muets, par exemple) ;
- La complexité mentale d’un hominidé n’est pas forcément ou entièrement dépendante d’une conformation physique, notamment et surtout lorsqu’il faut comparer la pensée supposée d’un néandertalien et d’un homo sapiens (pour ce qui nous intéresse en Europe). L’analyse des cavités cervicales permet aux anthropologues de tenter des hypothèses de différenciation, mais toujours avec les présupposés découlant de notre interprétation linéaire de l’espèce humaine qui voudrait que l’homo sapiens soit l’aboutissement le plus avancé de l’évolution des hominidés.

L’ensemble de ces considérations pousse à revisiter l’évolution humaine hors des considérations physiologiques ou génétiques. Sous approche comportementale, nos lointains ancêtres ont encore beaucoup de choses à nous apprendre, et notamment au regard de la manière dont ils enterraient leurs proches.

Observations sur découvertes archéologiques

Les fouilles nécrologiques prouvent que le néanderthalien adoptait des coutumes funéraires, même si de récentes découvertes nuancent les certitudes du professeur Arlette Leroy-Gourand concernant la présence de pollen dans les tombes mises à jour. Elle est particulièrement connue pour avoir révélé des dépôts de fleurs dans la tombe du néandertalien Shanidar dans le Kurdistan irakien, dite depuis "la tombe aux fleurs" (- 50 000 avant J.-C.). La présence de ces pollens dans la tombe a fait penser à un pratique d’hommage fleuri dans la tombe.

Les scientifiques mettent en doute aujourd’hui cette version, car il est possible que le matériel trouvé près des restes néandertaliens soit présent par accident (action des abeilles dans le cas de Shanidar). Cependant, c’est passer outre la découverte, dans une autre tombe du même site, d’objets façonnés et de restes de nourriture. Plus encore, la présence d’un grand rocher à l’entrée de la caverne laisse supposer son emploi comme repère collectif doté éventuellement d’une valeur sacrée. Et en plus, force est de constater qu’en enterrant au même endroit plusieurs défunts, cette pratique tourne le dos à un simple abandon et prouve la consécration des lieux. La messe est dite : le néandertalien avait adopté des coutumes funéraires. Mais de lui-même ou par imitation ?

En effet, les plus vieilles tombes découvertes datent de – 120 000 ans et se situent à El tabun, en Israël. Elles sont néandertaliennes. Toujours en Israël, les sites de Qafzeh et Skul datent de – 100 000 ans et sont attribuées à des sapiens, ou plutôt, faut-il en tenter l’hypothèse, d’hybrides sapiens-néandertaliens. Les corps sont en position repliée, dite fœtale. Cette posture, interprétée un peu hâtivement comme un signe à valeur sacrée, concerne autant le sapiens que le néandertalien, probablement parce qu’elle permet de creuser un trou plus réduit qu’en position allongée. Mais quand la sépulture le permet, les corps sont disposés à l’identique d’une posture de sommeil.

Il existe en revanche une distinction évidente entre la tombe néandertalienne et celle du sapiens : l’agencement de la sépulture du sapiens traduit une forme de croyance à propos de l’au-delà, pas celle du néandertalien.

"L’amour, pas la guerre"

L’hominidé, quelle que soit sa race, évolue dans un milieu immense et en nomadisme pendant très longtemps. La communauté humaine est alors en étroite relation avec son milieu et les exigences de sa survie. Le nombre des individus qui la composent dépend de la densité des opportunités d’alimentation (gibier, cueillette) à portée du groupe, et aussi des techniques permettant de chasser.

Par exemple, l’invention de l’arc a réduit le nombre nécessaire de chasseurs pour nourrir le groupe, alors que la précipitation des animaux du haut d’une falaise exigeait de réunir un nombre plus important de chasseurs. Le fait que le groupe humain soit réduit a entraîné la prise de conscience des inconvénients de la consanguinité. D’où l’organisation de rencontres régulières entres groupes humains permettant l’échange du sang et la constitution d’essaimages humains séparés du groupe d’origine.

L’affirmation d’une sacralité funéraire accompagnant ensuite la sédentarité

La sacralité première de la tombe du sapiens se constate de manière spectaculaire vers – 40 000 avant J.-C. Déjà sur le site de Qafzeh (-100 000), une des fosses a livré le squelette d’un enfant tenant un bois de daim entre ses doigts. Les parois de la cavité étaient tapissées d’ocre rouge. Nous revenons plus loin sur la signification de tout cela. Dans d’autres sépultures, il n’est pas rare de trouver d’autres restes animaux près du défunt.

Prétendre que le sapiens est seul à l’origine d’une sacralisation de la tombe serait ignorer les découvertes de pierres sculptées, de talismans, d’amulettes et de bijoux façonnés par des néandertaliens qui peuvent se trouver dans ou à côté de sépultures (figurine féminine trouvée à Berekhat Ram datant de – 250 000). Ne prenons pas le néandertalien pour moins qu’il ne l’était. La différence du sapiens va se traduire dans l’investissement réalisé pour le mort. La tombe de Soungir, en Russie, met à jour une parure de plusieurs milliers de perles d’ivoire cousues sur les vêtements des morts. Le façonnage d’une perle = une heure de travail !

Dès lors, le travail lié à l’aménagement d’une telle tombe implique la réalisation d’un travail très en amont du décès de l’intéressé. Dans la sépulture de Sungir se retrouvent d’autres objets très élaborés, tels que des défenses de mammouths placées de chaque côté du défunt. Ces défenses sont rectilignes et non courbées. Elles ont donc été moulées à chaud. Bref, une telle sépulture ne s’improvise pas, se prépare très à l’avance, et se réserve aux membres d’une élite sociale.

C’est pourquoi la tombe du sapiens nous place devant le constat d’une société qui a profondément évolué. Les groupes humains se sont développés en nombre, la domestication des animaux et le développement des cultures vivrières ont permis la sédentarisation, et la notion de territoire vital s’est accompagnée d’une hiérarchisation des rapports humains dans le groupe. Du coup, l’expression d’une sacralité funéraire dans la tombe traduit la volonté du vivant de se survivre après la mort en inventant un système symbolique censé accompagner la mutation de l’être vivant dans l’au-delà.

Le reste de l’interprétation de la sépulture du sapiens coule de source : l’ocre rouge pour symboliser la vie, la verticalité et les objets auxiliaires déposés autour du défunt comme autant d’outils censés lui permettre de continuer sa survie au moins par la pensée (ramures de gibier comme symbole des pensées émanant du cerveau, mandibules de sanglier comme traduction de sentiments vigoureux continuant à exister après la mort, etc.). La préparation très en avance des funérailles traduit l’existence de couches sociales dont la supérieure ici-bas se réserve l’exclusivité des moyens de survie dans l’au-delà. Une telle hypothèse rejoint spontanément ce qui se constate dans la hiérarchisation des embaumements en Égypte. Tout indique un continuum de la pensée du sapiens dans le temps.

Une vieille histoire qui se poursuit aujourd’hui

Il est impossible dans un dossier tel qu’il se présente ici de récapituler tout ce qui pourrait s’écrire sur le sujet. Permettez-moi donc de lever quelques pans intéressants du voile qui obscurcit généralement la conscience de nos origines. Vous connaissez l’histoire biblique et notamment le livre de la Genèse, dans lequel un certain Adam avait deux fils, Caïn et Abel.

Le premier était sédentaire et particulièrement attentif à ses devoirs. Le second était pasteur nomade, bienheureux simplement. Le premier a tué le second. Comment ne pas rapprocher le premier du sapiens et le second du néandertalien ? L’hypothèse est d’autant plus tentante que les scientifiques se demandent encore aujourd’hui comment et pourquoi le néandertalien a pu tout simplement disparaître il y a trente mille ans (c’est-à-dire il n’y a pas longtemps), alors même que sa constitution physique était plus robuste que celle du sapiens…

Le crime est logique, car la territorialité et la supériorité progressive en nombre des sapiens impliquent une pression et une hybridation ne pouvant déboucher que sur la disparition de l’un au profit de l’autre. Ce qui ne veut pas dire une disparition totale du néandertalien, mais une assimilation progressive dans un génome commun à l’humanité actuelle. Autant dire que, si c’est le cas, les deux fils d’Adam sont en nous, et représentent une alternative qui prolonge ses effets jusqu’à ce jour.

Deux approches du funéraire radicalement différentes

La tombe du néandertalien est égalitaire. Elle est aussi celle d’un nomade sentimental. L’expression néandertalienne fait primer l’émotion du souvenir du défunt chez les vivants sur la prétention de lui procurer une carte Michelin de l’au-delà et "le volant en main" qu’on retrouve dans l’aménagement de la tombe du sapiens. Cette dernière traduit en outre une prétention sur les vivants, car la tombe du sapiens est un ancrage territorial et identitaire.

Rappelons que la consécration du territoire palestinien au peuple juif découle de l’emplacement de la tombe de Sarah, épouse d’Abraham et mère d’Isaac (tombe des patriarches à Hébron). Rappelons aussi l’ancrage actuel d’état civil des gens du voyage dans la commune où ceux-ci ont une tombe familiale. Le raisonnement du sapiens suscite une continuité funéraire qui se vérifie de millénaire en millénaire. Mais celle du néandertalien également comme une sorte de continuité concurrente, toujours prête à ré-émerger au besoin. Comment ne pas y reconnaître la croissance actuelle des pratiques crématistes en Occident ?

L’idéal porté par l’évolution de ces dernières décennies repose sur l’égalitaire, le sentimental, la simplicité (à l’opposé d’affirmations compliquées sur l’au-delà) et le nomadisme tant des tombes qui marquent de moins en moins un ancrage territorial que des urnes pouvant suivre le vivant dans ses déménagements (à comparer à la croissance récente des exhumations réalisées pour déménager les morts).

Le monument lui-même tel qu’il existe chez nous comme un lit avec adossement peut s’interpréter comme une traduction de notre mixité néandertalienne et sapiens. La dalle horizontale est néandertalienne, protectrice de l’être aimé et disparu, tandis que la stèle est purement sapiens, porteuse de symboles et marquant une présence et un territoire, celui du défunt, parmi le territoire du groupe humain auquel appartenait le défunt.

Tout indique, dans l’évolution actuelle de nos choix funéraires, que la source néandertalienne profonde agit en influence sur nos choix et nos sensibilités, se superposant aux traditions sacrées du sapiens telles que nous les avons respectées depuis maintenant une douzaine de siècles. En effet, l’abandon de la dépose d’effets personnels dans les tombes ne remonte qu’à une bulle papale l’interdisant et datant de l’époque de Charlemagne. L’histoire de nos pratiques funéraires est jalonnée de périodes alternatives où les mentalités du sapiens et du néandertalien se succèdent en prévalant alternativement, au rythme de nos propres choix de vie.

C’est en arrivant à cette conclusion que se dessine l’intérêt de ce dossier

Nous vivons un virage important dans nos valeurs de vie qui va bientôt se traduire par une évolution législative concernant l’accompagnement des mourants. Cette évolution n’est compréhensible qu’en considérant qu’elle fait partie d’un bouquet de nouveautés dans lesquelles se dessine le recours majoritaire à la crémation et l’abandon progressif du concept de la tombe familiale et séculaire. Il fallait comprendre cette évolution générale pour appréhender l’évolution législative en cours…
 
Olivier Géhin

Résonance n° 195 - Septembre 2023

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