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En novembre 2019, nous évoquions l’interdiction du démarchage à domicile prévu à l’art. L. 2223-33 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT).
Cette interdiction de démarchage est très ancienne puisque son apparition dans le Code des communes (ancêtre du CGCT) date de 1977, et son interprétation par la Cour de cassation, très stricte. Ce texte, extrêmement restrictif, se caractérisait par un décalage de plus en plus important avec la pratique. C’est ce que la loi du 21 février 2022, dite "3DS", a tenté de régulariser, mais en ne s’arrêtant sans doute qu’au milieu du chemin.


La particulière vulnérabilité des familles en deuil nécessite que le législateur les protège de tout démarchage agressif ou, a minima, indélicatement intrusif. Cette préoccupation très ancienne ne semble par ailleurs pas avoir été commandée spécialement par le libre jeu de la concurrence, puisque cette protection des familles endeuillées est particulièrement ancienne et trouve son origine à une époque où le monopole était de mise.

Une interdiction générale pendant le début de la période de deuil

L’art. L. 2223-33 du CGCT dispose qu’ "à l’exception des formules de financement d’obsèques, sont interdites les offres de services faites en prévision d’obsèques ou pendant un délai de deux mois à compter du décès en vue d’obtenir ou de faire obtenir, soit directement, soit à titre d’intermédiaire, la commande de fournitures ou de prestations liées à un décès. Sont interdites les démarches à domicile ainsi que toutes les démarches effectuées dans le même but sur la voie publique ou dans un lieu ou édifice public ou ouvert au public".

De façon particulièrement claire, ce texte fait référence à "la commande de fournitures ou de prestations liées à un décès". Ainsi, le législateur a entendu ne pas limiter les prestations concernées à celles relevant du service extérieur des pompes funèbres prévues à l’art. L. 2223-19 (1° à 7°) du CGCT, mais également à celles listées au 8° de cet article, c’est-à-dire : "plaques funéraires, emblèmes religieux, fleurs, travaux divers d’imprimerie et de marbrerie funéraire" et autres prestations ne relevant pas du service extérieur (cette liste n’étant pas exhaustive).

Cette interprétation a été clairement confirmée par la chambre criminelle de la Cour de cassation dans deux arrêts rendus respectivement le 29 juin 2004 (n° 03-85.190) et le 27 juin 2006 (n° 05-85.627).

Ainsi, peu importe que le professionnel exerçant le démarchage soit un opérateur funéraire habilité ou un autre professionnel, et peu importe d’ailleurs que le démarcheur soit un professionnel ou non. En effet, la formulation du texte laisse apparaître sans ambiguïté que le caractère professionnel du démarcheur ne constitue pas une condition. Ainsi, ce n’est pas tant pour sa qualité de consommateur que la famille se trouve protégée, mais en raison de sa particulière vulnérabilité causée par sa situation de deuil pendant les deux premiers mois suivant le décès.

Un texte trop rigide

Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 21 février 2022, ce texte ne souffrait aucune exception et la jurisprudence se montrait particulièrement vigilante pour qu’en soit systématiquement faite une très stricte application.

Ainsi, la 1re chambre civile de la Cour de cassation a considéré que l’envoi d’une simple lettre, sans déplacement du vendeur, peut être à elle seule constitutive d’un démarchage (Civ. 1, 4 février 2015, n° 14-11.002). Et de façon encore plus stricte, la chambre criminelle de la Cour de cassation considère que "constituent également un démarchage à domicile, au sens de l’art. L. 2223-33 du CGCT, les visites pratiquées à l’invitation de la personne intéressée".

On peut donc aisément en déduire que l’activité de pompes funèbres ne saurait être exercée sans que l’opérateur funéraire ne dispose d’une agence physique où recevoir les personnes endeuillées. Cependant, cet état du droit particulièrement restrictif se heurte aux réalités opérationnelles de l’activité. En effet, il est courant qu’à l’occasion d’un décès à domicile, la principale préoccupation des familles soit de faire évacuer le corps dans les plus brefs délais avant d’envisager sereinement l’organisation du convoi funéraire.

Il est donc devenu habituel de voir intervenir l’opérateur funéraire, pour réaliser le transport du corps avant mise en bière vers une chambre funéraire, sur un simple appel téléphonique de la famille. Dans ces conditions, la relation contractuelle entre la famille et l’opérateur se tisse en dehors de tout respect de la législation en vigueur.

C’est cette situation de fait que le législateur a entendu régulariser, mais de façon insuffisante.

Un allègement insuffisant du dispositif

Stricto sensu, l’alinéa 1er de l’art. L. 2223-33 du CGCT implique donc qu’en cas de décès à domicile, l’opérateur funéraire ne peut intervenir sans que les proches du défunt ne se soient déplacés, au préalable, pour commander la prestation de transport de corps.

Le deuxième alinéa, créé par la loi dite "3DS" du 21 février 2022, dispose désormais que "par dérogation au premier alinéa, et dans le seul cas d’un décès à domicile, sont autorisées, les dimanches, jours fériés et aux heures de nuit, les démarches à domicile des personnels des régies, entreprises ou associations habilitées quand elles sont sollicitées par la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles. Cette dérogation ne concerne que la commande de prestations de transport ou de dépôt de corps avant mise en bière et de soins de conservation à domicile".

En se limitant aux seuls dimanches, jours fériés et heures de nuit (que le texte ne définit pas, mais que l’on peut raisonnablement considérer comme les heures normales de fermeture des commerces funéraires), ce texte ne prend pas la pleine mesure d’une réalité bien ancrée dans la pratique.

S’il convient, pour des raisons évidentes de qualité de service et de protection des familles, de maintenir toute interdiction d’exercice des activités funéraires sans agence physique, on ne peut que douter de l’intérêt pour les familles de les obliger à se déplacer physiquement en agence dans le cas d’un décès à domicile pour organiser un transport de corps au motif que celui-ci serait survenu un jour de semaine et en pleine journée.

À n’en pas douter, la pratique actuelle, qui répond assurément aux attentes réelles et aux besoins des familles, se poursuivra dans un contexte législatif contraignant et faussement protecteur pour les familles, mais surtout toujours aussi peu protecteur pour les opérateurs funéraires et les exposant à un risque pénal. Rappelons en effet que "la violation des dispositions (de l’art. L. 2223-33) est punie d’une amende de 75 000 €" (art. L. 2223-35, al. 2).

On ne peut ainsi que souhaiter, à l’occasion d’une prochaine réforme, un élargissement de cette exception à l’ensemble des jours de la semaine et à l’ensemble des heures de la journée.
 
Xavier Anonin
Docteur en droit
Avocat au barreau de Paris

Résonance n° 179 - Avril 2022

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