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Dans cet arrêt, le tribunal des conflits, juge de la répartition des compétences entre juridictions de l’ordre administratif et juridictions de l’ordre judiciaire, a posé le principe de cette répartition en matière d’exhumations administratives litigieuses : au juge administratif, la compétence en matière de demandes d’injonctions, au juge judiciaire, la compétence en matière de demandes indemnitaires.


Composé paritairement de juges de la Cour de cassation et de juges du Conseil d’État, le tribunal des conflits a notamment vocation à statuer, comme en l’espèce, lorsqu’une juridiction administrative et une juridiction judiciaire, saisies des mêmes demandes portant sur les mêmes faits, se déclarent toutes deux incompétentes.

En l’espèce, le titulaire d’une concession perpétuelle, ayant découvert que la sépulture avait été reprise par la commune dans des conditions qu’il considérait litigieuses, entendait obtenir la condamnation de la commune à des dommages et intérêts, la restitution des restes des personnes inhumées, le rétablissement de la concession et la reconstruction du caveau.

La première décision : l’incompétence du tribunal judiciaire

En première intention, le concessionnaire avait porté l’affaire et l’ensemble de ses demandes devant le tribunal judiciaire. Cependant, ce dernier se déclarera incompétent au profit du juge administratif par une ordonnance du juge de la mise en état le 25 mai 2016, sur la totalité des demandes, tant d’injonctions à la commune que de condamnations à des dommages et intérêts.

La deuxième décision : l’incompétence du tribunal administratif

Contraint de reprendre la procédure "à zéro", le concessionnaire saisira ensuite le tribunal administratif des mêmes demandes. Mais, par jugement du 28 juin 2019, le tribunal estimera que le litige ne relevait pas non plus de sa compétence.

Cette seconde décision d’incompétence étant susceptible de faire naître un conflit de juridiction, le tribunal administratif a renvoyé l’affaire devant le tribunal des conflits afin que ce dernier tranche la question de compétence.

La saisine du tribunal des conflits par le tribunal administratif

L’art. 32 al. 2 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015 relatif au tribunal des conflits et aux questions préjudicielles dispose que : "Lorsqu’une juridiction de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif a, par une décision qui n’est plus susceptible de recours, décliné la compétence de l’ordre de juridiction auquel elle appartient au motif que le litige ne ressortit pas à cet ordre, toute juridiction de l’autre ordre, saisie du même litige, si elle estime que le litige ressortit à l’ordre de juridiction primitivement saisi, doit, par une décision motivée qui n’est susceptible d’aucun recours même en cassation, renvoyer au tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence ainsi soulevée et surseoir à toute procédure jusqu’à la décision du tribunal."

Décision du tribunal des conflits : la répartition des compétences

• La compétence du juge administratif en matière d’injonction

Ainsi que le rappelle le tribunal des conflits, "en prononçant la reprise de la concession […] [le conseil municipal de la commune] a fait usage des pouvoirs qu’il tirait des dispositions de l’art. L. 2223-17 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) ; que le maire de cette commune, en faisant procéder à l’exhumation des personnes inhumées et à l’enlèvement des matériaux sur l’emplacement concédé, a procédé à une exécution d’office autorisée par l’art. R. 2223-20 du même Code ; […] qu’il suit de là que la juridiction administrative est seule compétente pour connaître des conclusions […] tendant à ce que les injonctions soient prononcées contre la commune".

• La compétence du juge judiciaire en matière indemnitaire

En la matière, le tribunal des conflits a considéré que le concessionnaire "tirait de la concession un droit réel immobilier qui s’est trouvé éteint par la reprise de cette concession, suivie de la destruction de la sépulture ; que la juridiction judiciaire est seule compétente pour connaître de la demande de l’intéressé tendant à la condamnation de la commune à réparer les conséquences de cette dépossession dont il soutient qu’elle est irrégulière ; qu’il appartiendra au juge judiciaire de saisir le juge administratif d’une question préjudicielle relative à la légalité des décisions des autorités communales".

Une décision cohérente en droit, mais lourde de portée sur le plan procédural

En l’espèce, le tribunal des conflits aboutit à une solution très cohérente sur le plan juridique. En effet, dans sa motivation, le tribunal se fonde sur la loi des 16 et 24 août 1790 et sur le décret du 16 fructidor an III posant le principe de la séparation des autorités administrative et judiciaire, qui fait interdiction à l’autorité judiciaire d’avoir à connaître de la légalité des actes de l’Administration. Cette compétence ressortissant de façon exclusive au juge administratif, il en conclut que seul ce dernier est compétent pour apprécier la légalité des décisions administratives relatives aux opérations d’exhumation décidées par le conseil municipal.

En outre, le tribunal des conflits rappelle que si, en principe, le juge administratif est également compétent pour avoir à connaître des conséquences dommageables de décisions administratives illégales, il demeure une exception tendant à confier cette compétence au juge judiciaire lorsque l’illégalité de ces décisions porte atteinte au droit de propriété. Or tel était le cas en l’espèce, s’agissant d’une concession funéraire perpétuelle.

Conclusion

Si le concessionnaire n’entend obtenir qu’une simple réparation de son préjudice, il est recevable à saisir directement le juge judiciaire de ses demandes indemnitaires ; à charge pour le tribunal de saisir le juge administratif d’une question préjudicielle tendant à l’appréciation de la légalité des décisions administratives ayant eu pour conséquence de porter atteinte au droit de propriété du demandeur.

En revanche, si le concessionnaire entend obtenir, en plus de ses demandes indemnitaires, que soient prononcées à l’encontre de la commune des injonctions (restitution des corps, rétablissement de la concession, par exemple), la saisine du juge administratif d’une part et la saisine du juge judiciaire d’autre part seront incontournables.

Cet arrêt nous rappelle la lourdeur procédurale de ce type d’affaires, tant pour le justiciable, que pour la commune. En l’espèce en effet, le litige s’est étalé sur une période de plusieurs années. Les reprises de concessions, notamment perpétuelles, doivent donc être appréhendées avec beaucoup de rigueur, au risque d’aboutir à des contentieux aussi longs que coûteux.

À cet égard, et dans une perspective de prévention des litiges, les opérateurs funéraires peuvent constituer de réels relais pour les communes, en incitant notamment leurs clients concessionnaires à communiquer aux services des cimetières leurs coordonnées mises à jour et, le cas échéant, lorsque le concessionnaire est décédé, en incitant leurs clients à faire reconnaître leurs droits sur la concession. Ce relais d’information permettrait de renforcer l’efficacité du mouvement normatif d’information des concessionnaires sur leurs droits, suggéré en 2021 par la Défenseure des droits et relayé partiellement par la récente "loi 3DS".

Dans l’affaire précitée, on peut en effet raisonnablement supposer que le contentieux aurait été évité si le projet de reprise de la concession avait été porté à la connaissance du concessionnaire, non pas seulement par voie d’affichage sur les murs du cimetière et de la mairie, mais également par l’envoi d’un courrier au concessionnaire pour l’en informer.

Référence : Tribunal des conflits, 9 décembre 2019, n° C4170
 
Xavier Anonin
Docteur en droit
Avocat au barreau de Paris

Résonance n° 186 - Décembre  2022

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