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Nous allons commenter un récent jugement du TA d'Orléans qui va nous permettre de revenir sur la typologie des concessions funéraires et les conséquences fâcheuses quant à l'occupation d'une sépulture.


Tribunal administratif, Orléans, 3e chambre, 6 janvier 2023 – n° 2004713

Par un acte du 3 avril 2017, il a été fait droit à une demande de M. E afin de renouveler une concession de terrain dans le cimetière communal à l’effet d’y conserver la sépulture de : "l’enfant présentement sans vie décédé en 1961 et par la suite Mme E C née D, M. E G et lui-même" pour une durée supplémentaire de trente années à compter du 19 juin 2016. M. A E étant décédé le 31 mars 2020, sa veuve, Mme C E, a interrogé le maire de Chambray-lès-Tours sur la possibilité que, le moment venu, l’urne contenant les cendres de sa fille B E puisse être également inhumée dans le caveau.

Le maire de Chambray-lès-Tours lui a répondu, par un courrier du 22 juin 2020, que seul son conjoint aurait pu, de son vivant, transformer la concession collective en concession familiale. L’avocat saisi par la requérante ayant, par courrier du 28 septembre 2020, présenté une demande tendant à ce que Mme B E soit ajoutée à la liste des bénéficiaires de la concession, le maire de Chambray-lès-Tours a rejeté cette demande par une décision du 30 octobre 2020 dont Mme E demande l’annulation.

Les différents types de concessions

Usuellement, on rencontre différents types de concessions :
- concessions individuelles : l’acte de concession déterminera l’identité de la personne qui a vocation à y être inhumée. L’inhumation d’une personne non mentionnée à l’acte de concession est impossible, sauf à prévoir un avenant à cet acte entre le maire et le concessionnaire ;
- concessions collectives : l’acte de concession déterminera l’identité des personnes qui ont vocation à y être inhumées. L’inhumation de personnes non mentionnées à l’acte de concession est impossible, sauf à prévoir un avenant à cet acte entre le maire et le concessionnaire ;
- concession de famille : elle a vocation à recevoir le corps du concessionnaire, ceux de son conjoint, de ses successeurs, de ses ascendants, de ses alliés et enfants adoptifs, voire les corps de personnes unies au concessionnaire par des liens particuliers d’affection. Dans ces concessions de famille, le juge part du principe que l’intention présumée du fondateur est l’inhumation des membres de sa famille (CE 7 février 1913, Mure, S. 1913, III, 81, note Hauriou).

Le concessionnaire peut expressément exclure de ce droit certaines personnes de sa famille (CAA Bordeaux 3 novembre 1997, M. Gilbert Lavé, req. n° 96BX01838) en les mentionnant dans l’acte de concession. Le Conseil d’État a admis le droit à être inhumé dans la concession dite "de famille" à une personne étrangère à la famille mais qui avait avec le concessionnaire des liens particuliers d’affection (Consorts Hérail 11 octobre 1957, AJDA 1957, p. 429, concl. Kahn).

Mais des variantes sont possibles, quoique d’un emploi peu sûr : par exemple, le juge accepte une concession fondée par deux concessionnaires pour eux-mêmes et une personne de leur choix, mais le juge décide alors qu’il s’agissait d’une concession collective avec un nom en suspens (CAA Versailles, 2 décembre 2014, req. n° 14VE02493). Il se posait en l’espèce la question de la possibilité de l’inhumation dans une sépulture concédée d’une personne non mentionnée expressément dans le titre de concession.

Si la question est commune, les faits l’étaient moins. Il s’agissait d’une concession fondée par deux beaux-frères à fin d’inhumation d’eux-mêmes, de leurs épouses respectives et de la mère de l’un d’entre eux. De surcroît, et c’est là l’originalité, ils s’y réservaient le droit, d’un commun accord, d’y ajouter le nom de toute autre personne qu’ils jugeraient "utile d’y mettre". L’héritier soutenait qu’il disposait d’un droit à inhumation pour un parent défunt parce qu’elle était selon lui une concession familiale.

Après la mort des deux fondateurs de la concession, la fille de l’un d’eux, ayant droit de la concession et se portant fort pour les autres, demande donc au maire de Neuilly-sur-Marne l’inhumation dans cette sépulture de son défunt époux. Le maire lui délivre cette autorisation. À tort selon le juge qui estime que, loin d’être familiale, cette concession était collective et que le nom des bénéficiaires du droit à inhumation dans celle-ci devait être inscrit sur le titre.

Or le juge relève "qu’aucun élément du dossier n’établit que les co-concessionnaires, qui seuls avaient qualité pour le faire, auraient décidé de modifier la destination de ladite concession particulière pour lui conférer le caractère d’une concession de famille ou qu’ils auraient adjoint M. L. à la liste des bénéficiaires". Il s’agissait bien d’une concession collective pour laquelle deux noms étaient en suspens et le resteront toujours, puisque seuls les deux fondateurs pouvaient les désigner, ce qu’ils n’eurent pas l’occasion de faire.

En effet, il convient de rappeler que seul le fondateur initial pourra changer la nature de sa concession et que ce changement doit explicitement être fait en mairie et ne peut être implicite (CAA Versailles 6 juillet 2010, n° 08VE02943).

L’impossible modification du titre quand le concessionnaire est décédé
 
Le titulaire de la concession demeure le régulateur du droit à inhumation dans la concession (Rép. min. n° 47006, JOAN Q 26 octobre 1992, p. 4919). Le problème ne se pose en fait que pour les concessions de famille, puisque, dans les autres, l’acte de concession mentionne ceux qui pourront y être inhumés. Il convient de relever que le juge judiciaire a déjà eu l’occasion de préciser que les droits à inhumation déterminés par le fondateur étaient en quelque sorte figés à son décès.

Ainsi, il refusa que, lorsque des époux ont acquis ensemble une concession et que le titre précisait qu’un enfant né d’un premier lit avait droit à sépulture dans celle-ci, son inhumation ne pouvait dès lors plus être interdite par le cofondateur après la mort du mari (Paris, 24 février 1893, DP 1893, II, 353), le juge respectant scrupuleusement les vœux du fondateur : "L’attribution des places dans un caveau dépend uniquement de la volonté du concessionnaire qui peut, de son vivant, désigner les personnes dont il autorise l’inhumation dans la sépulture, les dispositions prises par lui ne pouvant être ultérieurement modifiées par ses héritiers" (Amiens, 29 novembre 1960, Caron-Potentier/Potentier-Lambert, GP 1961, I, p. 124, cité par M.-T. Viel, Droit funéraire et gestion des cimetières, Berger-Levrault, p. 321).

Le juge peut également se fonder sur les intentions présumées du fondateur, pour par exemple retenir que le fondateur voulait établir une sépulture pour la famille de son mari et non pour sa propre famille (Cour de cassation, 15 mars 1978, Rocca/Papadacci, Bull. civ. 1978, I, n° 111, p. 91). Ce sont ces principes qui amènent alors le juge du TA d’Orléans à conforter la décision du maire de refuser à permettre cette inhumation non prévue par le titre de concession renouvelé.

"En second lieu, il résulte des termes des actes de concession, rappelés au point 1, que M. A E a entendu fonder, non une concession familiale, mais une concession collective dans laquelle seules les personnes nommément désignées dans l’acte de concession peuvent être inhumées. Il est constant que Mme B E, fille du fondateur de la concession, ne figure pas au nombre de ces personnes, et aucun élément du dossier ne permet d’établir que M. E aurait eu l’intention d’adjoindre le nom de sa fille à la liste des bénéficiaires.

Si, ainsi que Mme E le fait valoir, une concession funéraire constitue un droit réel immobilier qui se transmet en indivision à l’ensemble des héritiers du bénéficiaire initial, cette circonstance ne permet cependant pas aux héritiers de modifier la nature de la concession, ni d’ajouter un nom à la liste des bénéficiaires. Par suite, le maire de Chambray-lès-Tours, qui, contrairement à ce que soutient la requérante, était tenu de se conformer aux termes de la concession, n’a commis aucune erreur de droit ni d’appréciation en refusant de faire droit à la demande qui lui était soumise."
 
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon
Chargé de cours à l’université de Valenciennes

Résonance n° 188 - Février 2023

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