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Tribunal administratif, Saint-Denis (Réunion), 1re chambre, 30 mars 2023 – n° 2000651.


Les faits : construction d’une chapelle avec caveau

Le service funéraire de la commune de Saint-Paul a autorisé Mme A C, propriétaire d’une concession au sein du cimetière marin de Saint-Paul, à y faire édifier un caveau et une chapelle. Par un procès-verbal du 9 janvier 2020, un agent assermenté de la Direction de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DEAL) de La Réunion a constaté que des travaux de construction étaient en cours sur ladite concession.

Le 13 janvier 2020, le préfet de La Réunion a mis en demeure le maire de Saint-Paul de faire cesser les travaux entrepris par Mme C. Par un arrêté du 15 janvier 2020, le préfet de La Réunion a ordonné l’interruption des travaux au motif qu’ils avaient été entrepris sans l’autorisation préalable requise pour effectuer des travaux au sein d’un site inscrit au titre des monuments historiques…

Le principe : droit à construire un monument dans un cimetière

L’art. L. 2223-13 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) reconnaît au titulaire d’une concession funéraire le droit de construire des monuments et caveaux. Le décret du 5 janvier 2007 (n° 2007-18) pris pour application de l’ordonnance n° 2005-1527 du 8 décembre 2005 relatif au permis de construire et aux autorisations d’urbanisme modifia l’art. R. 421-2 du Code de l’urbanisme pour, à partir du 1er octobre 2007, dispenser les monuments funéraires et les caveaux dans l’enceinte du cimetière de toute autorisation d’urbanisme, tant le permis de construire qu’une autre autorisation ou déclaration.

Il est ainsi impossible que le maire institue une autorisation d’effectuer les travaux sur les concessions, seule est envisageable une procédure de déclaration préalable de travaux. Il ne s’agit pas alors d’une déclaration préalable au titre du droit de l’urbanisme, mais bien d’une information faite auprès du gestionnaire du cimetière et permettant la mise en œuvre des prescriptions édictées par le règlement de cimetière. Ainsi, si la mise en œuvre du droit de construire n’est pas encadrée par une autre législation, il n’existe que peu de moyens pour le maire de s’opposer au droit à construire du concessionnaire, sauf à considérer certaines législations spéciales comme celles des monuments historiques (cf. infra).

L’absolu du droit de construction s’impose si bien qu’il est possible de faire construire un caveau dans une zone où les inhumations se font en pleine terre (CE 8 novembre 1993, Établissements Sentilles c/ Commune de Sère-Rustaing : Rec. CE, tables, p. 657). Sur le même fondement, il est aussi possible d’installer une clôture autour d’une concession (CE 1er juillet 1925, Bernon : Rec. CE, p. 627), voire d’y effectuer des plantations (CE 23 décembre 1921, Auvray-Rocher : Rec. CE, p. 1092).

Dans cette hypothèse, le maire pourra néanmoins interdire certaines essences ou en limiter la hauteur (CE 7 janvier 1953, de Saint-Mathurin : Rec. CE, p. 3) à la condition que ces interdictions soient motivées par les buts poursuivis par ses pouvoirs de police. Le juge interdit de faire de l’esthétique le fondement d’une décision du maire pour ce qui relève du cimetière (CE 18 février 1972, Chambre syndicale des entreprises artisanales du bâtiment de Haute-Garonne, précité).

Cette solution est étendue aux contrats portant occupation des cases de columbarium (TA Lille 30 mars 1999, Mme Tillieu c/ Commune de Mons-en-Barœul : LPA 2 juin 1999, note Dutrieux). Par exception, et sans aller jusqu’à reconnaître un pouvoir esthétique sur les constructions, la loi du 19 novembre 2008 est venue créer un nouvel art. L. 2213-12-1 qui dispose que "le maire peut fixer des dimensions maximales des monuments érigés sur les fosses".

Les exceptions à l’absence d’autorisation d’urbanisme

Cette grande liberté, ne connaît que peu de limites, néanmoins, il existe tout d’abord des hypothèses où la construction de caveaux ou de monuments funéraires sera soumise à déclaration préalable au titre du Code de l’urbanisme. En effet, les articles R. 421-11 et R. 421-2 du Code de l’urbanisme (CU) soumet à déclaration préalable les caveaux et monuments funéraires à l’intérieur du cimetière dans les secteurs suivants :
- dans le périmètre des sites patrimoniaux remarquables,
- dans un site classé ou en instance de classement,
- dans les réserves naturelles,
- dans les espaces ayant vocation à être classés dans le cœur d’un futur parc national dont la création a été prise en considération en application de l’art. R. 331-4 du Code de l’environnement et à l’intérieur du cœur des parcs nationaux délimités en application de l’art. L. 331-2 du même Code.

Ainsi c’est par le biais de cette demande que l’Architecte des Bâtiments de France (ABF) sera amené à examiner le dossier d’installation ou de travaux conséquents concernant une sépulture. Le dossier d’autorisation sera alors complété par des informations relatives aux matériaux utilisés et aux modalités d’exécution (art. R. 431-14 et R. 431-36 du CU). L’ABF disposera alors de deux mois pour se prononcer. Ce délai de deux mois court non pas à compter du dépôt de la demande d’autorisation mais de la date de demande d’avis (art. R. 423-59 du CU).

Son silence à l’issue de ce délai vaut accord et le dessaisit (CE 31 juillet 1996 Association des amis de Saint-Palais-sur-Mer, n° 129549). Si un avis est assorti de prescriptions mais qu’il intervient hors délai, il ne s’impose pas à l’administration chargée de la délivrance de l’autorisation. Normalement sa décision sera rendue préalablement à celle de l’autorité compétente en matière d‘urbanisme. Il s’agira dans ce cas d’un avis conforme (c’est-à-dire que l’autorité est liée par l’avis), en cas de "covisibilité" ou de périmètre délimité des abords de monuments historiques et d’un avis simple en l’absence de "covisibilité". Cet avis est très souvent assorti de prescriptions. En cas d’obtention en revanche d’un accord, l’autorité administrative pourra néanmoins refuser la délivrance de l’autorisation d’urbanisme.

Le cas particulier de la sépulture aux abords de monuments historiques

Le principe posé par l’art. L. 631-30 du Code du patrimoine jusque l’intervention de la loi du 7 juillet 2016 (n° 2016-925) relative aux travaux sur les immeubles situés à proximité des immeubles inscrits ou classés en tant que monuments historiques reposait sur un double fondement : il convenait d’établir un périmètre de protection fixé a priori par un rayon de 500 mètres autour de cet immeuble et il convenait de surcroît qu’existe entre l’immeuble protégé et celui sur lequel les travaux étaient projetés une "covisibilité" à l’intérieur de ce même rayon, celle-ci s’appréciant depuis tous points de l’immeuble protégé "normalement accessible conformément à sa destination ou à son usage" (CE 20 janvier 2016, n° 365987). Désormais, la nouvelle rédaction de l’art. L. 621-30 substitue donc une protection aux titre des "abords" à celle de l’ancien régime des immeubles situés dans le champ de visibilité d’un monument inscrit ou classé au titre des monuments historiques.

Cette protection présente le caractère d’une servitude d’utilité publique affectant l’utilisation des sols. Elle concernera tout immeuble, bâti ou non bâti, situé dans un périmètre délimité par l’autorité administrative, donc également des monuments funéraires et ce quelle que soit leur localisation. Ce périmètre est créé par "décision de l’autorité administrative, sur proposition de l’ABF, après enquête publique, consultation du propriétaire ou de l’affectataire domanial du monument historique et, le cas échéant, de la ou des communes concernées et accord de l’autorité compétente en matière de Plan Local d’Urbanisme (PLU), de document en tenant lieu ou de carte communale" (art. L 621-31).

En cas de défaut d’accord de l’autorité compétente en matière d’élaboration de PLU, de document en tenant lieu ou de carte communale, la décision est prise soit par l’autorité administrative, après avis de la commission régionale du patrimoine et de l’architecture, lorsque le périmètre ne dépasse pas la distance de cinq cents mètres à partir d’un monument historique, soit par décret en Conseil d’État, après avis de la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture, lorsque le périmètre dépasse la distance de cinq cents mètres à partir d’un monument historique. Le même art. L. 621-31 prévoit que le projet de périmètre fera l’objet d’une enquête publique unique avec celle relative à l’élaboration d’un document d’urbanisme.

En l’absence de périmètre délimité, la protection au titre des abords s’applique à tout immeuble, bâti ou non bâti, visible du monument historique ou visible en même temps que lui et situé à moins de cinq cents mètres de celui-ci.

Ainsi, à défaut d’institution de périmètre par l’autorité administrative, c’est l’ancien périmètre de 500 mètres et la "covisibilité" qui continueront de s’appliquer par défaut. Les conséquences restent identiques à celles existantes, à savoir la nécessité d’une autorisation préalable : les travaux susceptibles de modifier l’aspect extérieur d’un immeuble, bâti ou non bâti, protégé au titre des abords sont soumis à une autorisation préalable.

Le cas particulier de la sépulture à l’intérieur d’un cimetière classé au titre des monuments historiques

Enfin, et c’est tout l’intérêt de ce rare jugement, il faudra obtenir un permis de construire (et non plus une déclaration préalable) lorsque c’est le cimetière lui-même qui sera classé au titre des monuments historiques. En effet, l’art. R. 421-16 du CU dispose que : "Tous les travaux portant sur un immeuble ou une partie d’immeuble inscrit au titre des monuments historiques sont soumis à permis de construire, à l’exception des travaux d’entretien ou de réparations ordinaires et des travaux répondant aux conditions prévues à l’article art. R. 421-8".

Dès lors, en l’absence de toute autorisation de ce type le concessionnaire n’avait aucunement le droit d’effectuer ses travaux ce que relève le juge : "les travaux entrepris par Mme C tendant à la construction d’un caveau et d’une chapelle dans l’enceinte du cimetière constituent des travaux portant sur une partie d’immeuble inscrit au titre des monuments historiques et devaient en conséquence faire l’objet de la délivrance d’un permis de construire pris après l’accord de l’autorité administrative chargée des monuments historiques.

Si Mme C se prévaut d’une autorisation de travaux délivrée à une date inconnue et par un agent non identifiable des services funéraires de la commune lui permettant de réaliser les travaux entrepris, il ressort des mentions de ce document que cette autorisation n’a pas été prise à la suite d’une demande de permis de construire et n’a pas été délivrée au regard de la législation et de la réglementation de l’urbanisme. Par suite, Mme C n’est pas fondée à soutenir qu’elle serait titulaire d’un permis de construire l’autorisant à réaliser les travaux entrepris".
 
Philippe Dupuis
Consultant au Cridon
Chargé de cours à l’université de Valenciennes

Résonance n° 191 - Mai 2023

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