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Damien-Dutrieux

Damien Dutrieux, consultant au Cridon Nord-Est et maître de conférences associé à l’université de Lille 2

La question de la création d’un schéma régional des crématoriums revient au Parlement par une proposition de loi déposée le 18 décembre 2013 par le sénateur Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois du Sénat.

 

Dans le cadre d’une proposition de loi, déposée par le sénateur Jean-Pierre Sueur et plusieurs de ses collègues, et enregistrée sur le bureau du Sénat le 7 juillet 2005, était prévu un art. 8 visant à la création d’un "schéma départemental des crématoriums" arrêté conjointement par le préfet et le président du conseil général après avis de la commission départementale compétente en matière d’environnement, de risques sanitaires et technologiques. Cette initiative sera d’ailleurs reprise dans la proposition à l’origine de la loi du 19 décembre 2008, le schéma étant entre-temps devenu "régional".

Cette proposition semblait, comme le rappellera l’important rapport des sénateurs Sueur et Lecerf ("Bilan et perspectives de la législation funéraire – Sérénité des vivants et respect des défunts", n° 372, Sénat 31 mai 2006), avoir pour origine indirecte les tristes constats du professeur Dominique Lecomte dans son rapport sur les décès massifs lors de la canicule de 2003, qui proposait notamment d’élaborer un schéma départemental de recensement annuel des moyens funéraires (zones de dépôt, moyens de transport des corps, cimetières, crématoriums...).

Si l’on comprend la nécessité d’un recensement en cas de période de crise et celle d’être en mesure de mobiliser les équipements disponibles, la proposition d’établir un schéma paraissait également répondre à un autre impératif visant une certaine forme de "rationalité" dans le choix de créer de nouveaux équipements. Il s’agissait en effet de s’assurer d’une répartition équilibrée des équipements sur l’ensemble du territoire d’une part, et, d’autre part, d’éviter – alors que la responsabilité demeure publique dans le cadre d’un monopole – que des décisions mal étudiées viennent fragiliser les importants investissements propres à de tels équipements, tant concernant le crématorium créé que celui ou ceux situés à proximité.

Une nouvelle initiative en ce sens est intervenue par le dépôt, le 18 décembre 2013, d’une proposition de loi (n° 252) sur le bureau du Sénat par M. Jean-Pierre Sueur et plusieurs autres sénateurs du groupe socialiste de la Haute Assemblée. Cette proposition (voir en annexe) envisage de créer un nouvel art. L. 2223-40-1 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) et un nouvel alinéa à l’actuel art. L. 2223-40 du même Code. La proposition (art. 3) donne un délai de deux années pour l’adoption des premiers schémas qui devront être révisés tous les cinq ans.

L’exposé des motifs est des plus clairs, en ce sens qu’il s’agit – avant même que de viser une rationalisation de la répartition géographique des crématoriums – de répondre aux besoins des familles. En plus de cet impératif, il convient d’éviter la création de crématoriums trop proches les uns des autres et n’atteignant pas un seuil de rentabilité suffisant, les crématoriums étant des équipements d’autant plus coûteux qu’ils sont désormais soumis à de nouvelles contraintes environnementales en matière de filtration (arrêté du 28 janvier 2010, JO du 16 janvier ; voir D. Dutrieux, "Rejets des crématoriums : l’arrêté enfin publié !" :

JCP A, no 8, 22 février 2010, act. 141).
On sait qu’à l’initiative du rapporteur devant l’Assemblée nationale, le député Philippe Gosselin, l’idée d’un schéma sera abandonnée. En effet, si ce parlementaire partageait le constat d’une nécessaire rationalisation des conditions de création des crématoriums, il considérait cependant que la loi en vigueur permettait déjà d’éviter les dérives en soumettant leur création à enquête publique. Ainsi, selon lui, plutôt que d’instaurer un schéma régional des crématoriums, avec une longue procédure d’élaboration et de consultation, il lui semblait préférable de mieux appliquer les instruments juridiques disponibles comme, par exemple, inciter les préfets, par voie de circulaire, à mener des enquêtes publiques plus approfondies pour contrôler l’opportunité de la création d’un nouvel équipement.

Si une telle proposition vient à l’ordre du jour – ce qui est probable étant donné qu’elle est issue de la majorité et "pilotée" par le président de la commission des lois du Sénat –, l’occasion sera donc donnée aux parlementaires de réfléchir de façon spécifique sur l’équipement que constitue le crématorium (en dehors d’un cadre plus global de réforme de la législation funéraire, comme lors de la loi de 2008) avec le retour d’expériences de créations un peu "anarchiques" de certains équipements, et de mesurer la pertinence des arguments utilisés en 2008.

Enfin, si une telle proposition venait à être adoptée, la création d’un crématorium pourrait être refusée pour incompatibilité avec le schéma régional, la notion de compatibilité – différente de celle de conformité – étant empruntée aux techniques propres de l’urbanisme. En effet, le droit de l’urbanisme prévoit que le rapport entre les documents d’urbanisme (schéma de cohérence territoriale, plan local d’urbanisme) et d’autres documents (programme local de l’habitat, plan de déplacement urbain, schéma de développement commercial). En droit de l’urbanisme, il est indiqué par les auteurs qu’un document, une opération ou une autorisation est compatible avec la règle supérieure dès lors qu’il ne contrevient pas à ses choix essentiels, à ses orientations générales ; pour le dire autrement, on doit rester dans le cadre général que la règle supérieure a fixé, et ceci permet de traduire la liberté de choix des autorités locales. Les différentes collectivités, en matière de documents d’urbanisme et de plans, programmes et schémas concernés, doivent dès lors "s’harmoniser plutôt que se commander" (voir B. Poujade et J.-C. Bonichot, "Droit de l’urbanisme" : Montchrestien 2006, p. 29 et 31).

Importer ce principe en droit des équipements funéraires revient à laisser au préfet une importante marge d’appréciation, le document étant moins directif au regard de ce rapport juridique qu’est la compatibilité, étant rappelé qu’une enquête publique s’impose toujours pour la création d’un crématorium.

 

 

Damien Dutrieux

 

Annexe :
N°252
Sénat
Session ordinaire de 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 décembre 2013


Proposition de loi
visant à instaurer un schéma régional des crématoriums,


Présentée


Par M. Jean-Pierre Sueur, Mmes Bernadette Bourzai, Françoise Cartron, MM. Bernard Cazeau, Jacques Chiron, Mme Karine Claireaux, MM. Roland Courteau, Yves Daudigny, Michel Delebarre, Claude Domeizel, Mme Frédérique Espagnac, M. Jean Germain, Mmes Samia Ghali, Dominique Gillot, MM. Jean-Pierre Godefroy, Didier Guillaume, Mme Odette Herviaux, MM. Philippe Kaltenbach, Georges Labazée, Jacky Le Menn, Jean-Claude Leroy, Jeanny Lorgeoux, Philippe Madrelle, François Marc, Mme Danielle Michel, MM. Jean-Jacques Mirassou, Jean-Pierre Michel, Robert Navarro, Jean-Marc Pastor, François Patriat, Roland Povinelli, Mme Gisèle Printz, MM. Marcel Rainaud, Daniel Raoul, François Rebsamen, Daniel Reiner, Simon Sutour, Yannick Vaugrenard, Richard Yung et les membres du groupe socialiste et apparentés,


Sénateurs


(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

 

Exposé des motifs

 

Mesdames, Messieurs,
L'évolution des rites funéraires en France depuis les 25 dernières années se traduit par un recours croissant à la crémation.
Ainsi, en 1980, 1 % des obsèques donnaient lieu à une crémation. Ce pourcentage est passé aujourd'hui à 30 %, voire 50 % dans les grandes agglomérations urbaines.
Face à cette évolution, il apparaît que les crématoriums sont en nombre insuffisant et que leur implantation géographique ne correspond pas aux besoins.
L'insuffisance des crématoriums ne permettant pas, dans un certain nombre de secteurs géographiques, de satisfaire les demandes des familles dans des conditions convenables, il s'ensuit des temps d'attente trop longs pour les familles.
En outre, faute d'un plan cohérent d'implantation des crématoriums, de nombreuses familles sont contraintes à des déplacements longs et coûteux.
Il se trouve par ailleurs que plusieurs crématoriums coexistent dans des zones géographiques très rapprochées. Une telle proximité est préjudiciable à l'équilibre économique de ces équipements et contribue à un renchérissement des tarifs supportés par les familles endeuillées.
Il doit enfin être souligné que le souci de la rentabilité des équipements créés peut conduire à privilégier des crématoriums mal dimensionnés, ce qui peut se traduire notamment par la diminution des surfaces des salles dédiées à l'accueil des familles et au déroulement de cérémonies civiles, qui sont de plus en plus souvent organisées sur le site même des crématoriums.
La création et la gestion des crématoriums relèvent d'une activité de service public communal ou intercommunal.
Dans l'intérêt des familles, et eu égard à la nécessaire dignité des cérémonies d'obsèques ainsi qu'au souci de maîtriser les finances publiques, il apparaît indispensable que le développement des crématoriums puisse, pour l'avenir, faire l'objet d'une coordination à l'échelon régional.
La création comme l'extension des crématoriums font d'ores et déjà l'objet d'une autorisation délivrée par le préfet du département concerné. Cette autorisation pourrait être délivrée au vu d'un schéma régional des crématoriums. Ce dernier serait ainsi doté d'une valeur prescriptive, puisque tout projet de création ou d'extension d'un crématorium ne pourrait être autorisé que s'il est compatible avec les prescriptions qu'il comporte.
Le schéma serait arrêté par le préfet de région, après avis du conseil régional et des intercommunalités compétentes en la matière. En revanche, chaque décision d'autorisation devant être précédée d'une enquête publique, il n'est pas nécessaire de prévoir qu'elle intervienne au stade de l'élaboration du schéma.
Le schéma régional des crématoriums ferait en outre l'objet d'une révision tous les cinq ans, afin de s'assurer qu'il correspond toujours aux besoins constatés de la population.
Tel est l'objet des modifications qu'il est proposé d'apporter au Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) par la présente proposition de loi.

 

Proposition de loi

 

Art. 1er
Après l'art. L. 2223-40 du CGCT, il est inséré un art. L. 2223-40-1 ainsi rédigé :
"Art. L. 2223-40-1. - I. - Un schéma régional des crématoriums est établi dans chaque région. Il a pour objet d'organiser la répartition des crématoriums sur le territoire concerné, afin de répondre aux besoins de la population. Il précise à ce titre, par zones géographiques, le nombre et la dimension des crématoriums nécessaires.
"II. - Le schéma est élaboré par le représentant de l'État dans la région, en collaboration avec ceux des départements qui la composent.
"Le projet de schéma est adressé pour avis au conseil régional, ainsi qu'aux organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière de crématoriums. Ceux-ci se prononcent dans un délai de trois mois après la notification du projet de schéma. À défaut, leur avis est réputé favorable.
"Le schéma est arrêté par décision du représentant de l'État dans la région. Il est publié.
"III. - Le schéma est révisé tous les cinq ans".


Art. 2
Le dernier alinéa de l'art. L. 2223-40 du CGCT est complété par une phrase ainsi rédigée :
"L'autorisation ne peut être délivrée que si la création ou l'extension envisagée est compatible avec les dispositions du schéma régional des crématoriums mentionné à l'art. L. 2223-40-1."


Art. 3
Dans chaque région, le premier schéma régional des crématoriums est arrêté dans un délai de deux ans après la promulgation de la présente loi.

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations